mariana tutescu l argumentation

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MARIANA TUTESCU-LARGUMENTATION

MARIANA TUTESCU-LARGUMENTATION

Chapitre PremierLe concept de DISCOURS0. Le discours est le concept cl de la linguistique discursive et textuelle, dernire ne des sciences du langage. Ce concept entrane une perspective interdisciplinaire des faits de langue, o logique, sociologie, psychologie, philosophie du langage, thorie de la communication se rejoignent pour se complter rciproquement.

L'analyse du discours implique le dpassement du niveau phrastique et la prise en charge de nombreux facteurs pragmatiques, extralinguistiques et situationnels sans lesquels une tude complte de la signification ne saurait tre possible.

Ne d'horizons divers, cette linguistique du discours cherche aller au-del des limites que s'est impose une linguistique de la langue, enferme dans l'tude du systme. Dpassement des limites de la phrase, considre comme le niveau ultime de l'analyse dans la combinatoire structuraliste; effort pour chapper la double rduction du langage la langue, objet idologiquement neutre, et au code, fonction purement informative; tentative pour rintroduire le sujet et la situation de communication, exclus en vertu du postulat de l'immanence, cette linguistique du discours est confronte au problme de l'extralinguistique (D. MALDIDIER, Cl. NORMAND, R. ROBIN, 1972: 118).

1. Les diffrentes acceptions du discours diffrent selon les coles linguistiques et les mthodes d'analyse du langage (voir pour la polysmie du concept D. MAINGUENEAU, 1976: 13 - 23 et T. CRISTEA, 1983: 11 - 19).

Pour notre compte, nous retiendrons les lments suivants:

1.1. Le discours est un vnement langagier; il s'ensuit que l'vnement discursif suppose l'emploi de la langue par un nonciateur et sa rception par un auditeur (allocutaire ou destinataire), suite l'application de certaines oprations nonciatives et discursives [13]. Dans les termes de m. BENVENISTE, le discours est le langage mis en action dans un processus historique qui fait de l'nonc un vnement.

Dans un sens plus large, BENVENISTE entendait par discours toute nonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier l'intention d'influencer l'autre en quelque manire (1966: 242).

1.2. Le discours, c'est un nonc ou un ensemble d'noncs considr du point de vue du mcanisme de sa production, autrement dit un nonc ou un ensemble d'noncs en situation de communication. Cela veut dire que l'tude du discours est indissociable de l'analyse des facteurs suivants:

1) - l'nonciateur

2) - son destinataire ou allocutaire

3) - l'espace-temps de la communication

4) - l'intention communicative de l'nonciateur

5) - le thme du discours

6) - un savoir commun partag par l'nonciateur et son destinataire, se rapportant aux donnes rfrentielles, culturelles, etc.

1.3. Lieu de la manifestation de la langue, le discours est le rsultat d'une construction. L'nonciateur construit - grce aux lments que la langue lui fournit et grce la situation de communication - le discours. Dans cette perspective, l'opposition LANGUE / vs / PAROLE, analyse avec finesse dans la psychomcanique de Gustave GUILLAUME, continue garder son actualit. Ce qui rend difficile l'tude des faits de langue, c'est que l'observation directe ne les atteint pas. Pour atteindre ces faits profonds, on est tenu de faire appel des moyens analytiques plus puissants. Il ne suffit pas de constater, il faut, par imagination constructive [soulign par nous], dcouvrir ce qui a eu lieu dans les rgions profondes de l'esprit auxquelles la conscience n'a point directement accs (Leons de linguistique gnrale de G. GUILLAUME. 1949 - 1950. Structure smiologique et structure psychique de la langue franaise, II, Les Presses de l'Universit Laval, Qubec et Librairie C. Klincksieck, Paris, 1974: 71).

Dans le mme esprit, James KINNEAVY verra l'tude du discours comme l'tude des usages ou emplois situationnels des donnes potentielles du langage (1971: 22).

1.4. Dans une perspective des plus prometteuses, le discours sera conu comme un ensemble de stratgies discursives.

Il faut parler de stratgie discursive seulement lorsque les conditions suivantes sont remplies (voir J. CARON, 1978):

- une situation d''incertitude', lie soit au comportement imprvisible d'un partenaire, soit une ignorance au moins partielle de la structure de la situation;

- un but , vis consciemment ou non par le locuteur;

- des rgles du jeu, dfinissant les coups possibles d'une part, et permettant, d'autre part, en fonction du but atteindre, une valuation des situations successivement ralises;

- une succession rgle de choix, traduisant un plan logique d'ensemble.

Le discours, dans son droulement, construira simultanment:

a) Un champ discursif, rfrence discursive, univers de discours, ensemble structur de signifis, renvoyant au rfrent, mais dot d'une structure propre: organisation cognitive d'une part (les 'objets' construits sont lis par des relations temporelles, spatiales, causales, logiques, etc.); organisation dynamique d'autre part (un systme d'valuations, positives ou ngatives, 'oriente' ce champ selon un ou plusieurs axes).

b) Un systme de relations liant les interlocuteurs au champ d'une part, entre eux d'autre part: ancrage des nonciateurs dans le discours reprant celui-ci par rapport l'acte d'nonciation (axe des embrayeurs JE / TU - ICI - MAINTENANT), modulation qualitative et quantitative de cet ancrage par la fonction illocutoire des noncs et par leurs modalits.

J. CARON appelle situation discursive cet ensemble constitu par le champ discursif et la relation des nonciateurs celui-ci et entre eux, tel qu'il se dfinit un moment quelconque du discours (1978: 183).

La construction de cette situation, ainsi que ses tranformations au cours du temps, sont assures par des oprateurs discursifs, qui assurent des fonctions d'organisation cognitive (les marques temporelles, spatiales, les termes relationnels, les quantificateurs, les divers connecteurs), d'valuation (les prdicats bipolaires) et d'ancrage (les marques d'nonciation, de modalisation, d'illocution).

Dans ces conditions, la stratgie discursive est une squence d'actes de langage qui, l'aide d'un ensemble d'oprateurs, vise construire un certain type de situation discursive. L'nonc interrogatif, la cause, la rfutation de la cause, le dmenti, la ngation polmique, l'hypothse, le refus, la justification, la mtaphore, etc. sont autant de stratgies discursives.

1.5. Certains linguistes et thoriciens du langage ont la tendance mettre le signe d'galit entre discours et texte.

La procdure ne va pas sans risques, bien qu'on soit d'accord que tout texte est le produit achev, clos d'un mcanisme discursif.

Tout texte s'appuie sur un discours qui l'autorise, l'inverse n'tant pourtant pas vraie.

Nous croyons fermement l'ide que le texte est le produit du discours, le discours tant alors le mcanisme, le processus de la production du texte.

Le texte est achev, fini, clos, alors que le discours est infini.

D'autre part, il est impossible de comprendre un discours si l'on ne prend pas en charge son implicite. L'implicite est donc une caractristique immanente du discours.

Nous rejoignons ainsi l'hypothse de R. MARTIN (1983), selon laquelle la langue est conue comme un ensemble fini de signes et de rgles et le discours comme l'ensemble infini des phrases possibles, les noncs - seule ralit observable - s'opposeront la fois, dans la cohrence du texte, la langue et au discours. La phrase, ralit abstraite et purement hypothtique, apparat comme le fruit d'une reconstruction du linguiste:

(R. MARTIN, 1983: 228)

Dans la thorie globale de la langue propose par R. MARTIN, la composante discursive assure l'insertion de la phrase dans la cohsion / cohrence du texte. La fonction discursive du langage assure la cohrence textuelle. Cette composante rend compte de l'adquation de la phrase son contexte. Ainsi la phrase Pierre est de retour sera vraie dans les conditions suivantes: le personnage Pierre est identifi de la mme manire par le locuteur et son allocutaire; si Pierre est de retour, c'est qu'il tait prsent un moment donn, qu'il s'est absent et qu'il est nouveau prsent. Si l'on imagine un contexte o il est question des difficults o la France s'emptre, du chomage qui ne cesse de crotre, de l'inflation qui galope, du marasme de la culture et de l'enseignement, alors il sera malais d'y faire apparatre brusquement l'observation, pourtant cense, que Pierre est de retour. La cohrence discursivo-textuelle s'y oppose: la fonction discursive n'autorise pas pareil coq--l'ne.

C'est la fonction discursive qui explique la bonne formation de (1) et l'agrammaticalit de (2):

(1) Il a gel. Les conduites de chauffage ont clat.

(2) * Il a gel. Mon dentifrice est bifluor.

Des connaissances d'univers, un savoir encyclopdique sont ncessaires pour l'tablissement de la cohrence discursive des textes. Qu'on envisage - ce sujet - quelques rponses une question comme:

Pourquoi le professeur Durand a-t-il pris son parapluie ?

(a) ? Parce qu'il a cours.

(b) Parce qu'il a commenc pleuvoir.

(c) Parce qu'il n'a pas d'impermable.

(d) * Parce qu'il fait beau. Le savoir encyclopdique explique pourquoi (a) est une rponse douteuse et (d) une rponse incorrecte, agrammaticale discursivement.

Pour des raisons de commodit, nous emploierons souvent le terme de 'discours' dans le sens de 'texte'.

2. Le texte recle les traces linguistiques des oprations nonciatives et discursives. Il y en a plus: certains mots - adverbes et conjonctions pour la plupart - ont un rle essentiel dans la cohrence discursive.

Ce sont les connecteurs ou oprateurs discursifs, 'mots du discours' qui contribuent foncirement donner une certaine orientation argumentative l'nonc.

Ainsi, dire d'une femme: (3) Elle lit mme le chinois,

c'est - grce au morphme 'enchrissant' mme - infrer la conclusion: Elle est savante . Il suffit de comparer (3) l'nonc correspondant sans mme :

(4) Elle lit le chinois,

dont le prsuppos pourra tre: elle est sinologue , pour se convaincre du rle discursif, lisez argumentatif, de mme, morphme qui embraie l'nonc sur toute une chelle argumentative.

Il en est ainsi de nombreux autres mophmes. Soit par exemple, le modalisateur bien, marqueur d'une opration nonciative. Enchan des verbes psychologiques (aimer), pistmiques (savoir, voir, remarquer) ou d'action (finir, etc.), ce connecteur marque une opration nonciative propre l'univers de croyance [14] de son nonciateur. Ainsi, aimer cette femme et aimer bien cette femme n'est pas la mme chose. Si la premire structure sera paraphrase par avoir de l'amour pour cette femme , la seconde pourra signifier avoir de la sympathie pour cette femme .

Un nonc tel:

(5) Il postera bien la lettre un jour ou l'autre

signifie il finira bien par poster la lettre , l'nonc pouvant renfermer un acte de reproche pour la paresse ou la ngligeance du personnage.

(6) Il fera bien un geste en ta faveur

arrive signifier: Quand mme! Il peut bien faire cet effort, non?!

Par l'nonc:

(7) Vous prendrez bien un petit quelque chose !

on presse autrui de prendre mme le minimum (ajustement au seuil le plus bas), on le prie de ne pas se faire prier. L'nonc a une force conative et persuasive; on y ressent le sentiment qu'on a affaire une invite pressante (voir A. CULIOLI, 1978: 311).

Le modalisateur bien construit un 'ajout nonciatif' (A. CULIOLI, 1978: 301), permettant d'tablir une relation entre un nonc implicite e1, 'repre constitutif' de nature justificative, et un nonc e2, que l'on tire du premier par l'implication rhtorique.

Notre livre s'arrtera quelques-uns des connecteurs discursifs vocation argumentative et dont les analyses deviennent classiques: mais, mme, d'ailleurs, au moins, alors, donc, eh bien, tu sais, tu vois.

3. Tout discours prend ancrage sur du prconstruit. Il s'agit d'un prconstruit culturel et d'un prconstruit situationnel qui par le biais de la langue naturelle, sont reprsents dans le discours. Ce postulat, nonc par J.-Bl. GRIZE (1976), signifie:

- que le discours est produit en situation;

- qu'il se droule dans une langue naturelle.

Contrairement se qui se passe dans un langage formel, les symboles ne sont ici jamais vides de sens. Deux problmes se posent alors:

a) quelle forme donner ce prconstruit;

b) comment le reprer dans les textes ?

Pour ce qui est de la forme, il faut dire que celle-ci est conditionne par la situation de communication, par le contexte nonciatif et situationnel dans lesquels la langue est employe. un fruitier il y a un sens demander si telle poire est juteuse, non si elle est clibataire. L'adjectif juteux dans le syntagme poire juteuse et compte tenu du contexte situationnel signifiera qui a beaucoup de jus . Par contre, l'adjectif juteux a tout fait une autre signification dans le texte suivant:

(8) La tourne des cabines tlphoniques en panne est galement juteuse. Il suffit de secouer trs fort le dispositif qui refuse toute communication, mais qui continue accepter la monnaie. Je note au passage la sagesse du ministre des P.T.T. qui, pour rduire les effets fcheux de la rcente hausse des tarifs, a gnralis les tlphones carte magntique, dissuadant ainsi la majorit des usagers (art. de Philippe Bouvard, Lettre d'un vacancier azuren ses cousins qui n'ont pas quitt Paris , in PARIS - MATCH, le 23 aot 1985).

La situation de communication confre la forme juteux le sens de bonne affaire , affaire qui rapporte qui rapporte beau-coup .

Le reprage du prconstruit est la leve d'ambigut rfrentielle assure par le discours. Le prconstruit est , dans chaque discours, ce et seulement cela que le locuteur tient pour tel (J.-Bl. GRIZE, 1976: 96).

Ainsi pour reprendre l'exemple de J-Bl. GRIZE, n'a-t-on pas se demander si une voiture a des roues, des freins ou un moteur.

En revanche, si on trouve dans un discours:

(9) Cette voiture n'a pas de roues,

alors on conclut que pour le locuteur avoir des roues fait partie de la famille du 'faisceau' de voiture, c'est--dire de la famille des proprits que l'objet a et des relations qu'il peut soutenir avec d'autres objets pour un locuteur en situation.

4. Une mme opration logico-smantique peut tre rendue par des formes discursives (lisez textuelles) multiples. Une consquence pratique s'en dgage: les formes langagires doivent tre traites comme des indices d'oprations logiques, au mme titre que des gestes. Ainsi, la question n'est pas de dterminer, par exemple, quel est le sens logique de et, mais de montrer par quels moyens une langue donne, dans les circonstances donnes, exprime telle opration logique, ici la concomitance (J.-Bl. GRIZE, 1976: 97).

Soit donc, l'opration logique de 'concomitance'. Elle sera rendue en franais par des noncs rattachs au moyen des relateurs et, alors, en mme temps, pendant que, pendant ce temps, etc. Que l'on observe, cet gard, l'exemple suivant:

(10) Un malade s'y trouve [ Oran] bien seul. Qu'on pense, alors, celui qui va mourir, pris au pige derrire des centaines de murs crpitants de chaleur, pendant qu' la mme minute, toute une population, au tlphone ou dans les cafs, parle de traites, de connaissement et d'escompte (A. Camus, La Peste).

L'optique onomasiologique caractrise essentiellement la structure du discours. Soit aussi un autre exemple. Le contenu logico-smantique d' accepter une invitation (d'aller au thtre) pourra se rendre par les formules langagires suivantes:

(11) - Je vous remercie de votre aimable invitation.

- C'est avec joie / plaisir que j'irai avec vous au thtre.

- J'accepte bien volontiers.

- C'est gentil / aimable vous de m'inviter .

- C'est merveilleux.

- J'accepte avec plaisir.

- Je veux bien.

- a fait longtemps que je ne suis plus all au thtre.

- Ce sera avec plaisir. - Merci beaucoup / infiniment.

- C'est sympa d'avoir pens moi. - Oui, avec plaisir. - O.K.! - D'accord.gnralement, elle lui fournit des informations ncessaires l'identification des contenus smantiques ou pragmatiques, littraux (dictiques, polysmie), ou drivs (ironie, mtaphore).

L'identification des donnes pragmatiques, le prconstruit culturel et situationnel apparaissent pour le destinataire dans un discours tel:

(15) Nous vous rappelons qu'il ne s'agit pas d'un entracte, mais d'une courte pause,

nonc au micro dans un certain thtre. Seule la connaissance de la situation particulire de ce thtre et des comportements usuels de ceux qui le frquentent permettent de driver, de la valeur informative de l'nonc, cette mise en garde:

(15)(a) N'allez-donc pas boire un coup au bistrot du coin comme vous en avez l'habitude lorsqu'il s'agit d'un vritable entracte.

Dans l'nonc (16) J'ai la crve,dclaration faite la cantonade par un locuteur L apercevant un groupe d'amis l'entre de ce mme thtre, il faut voir la salutation qui permet d'interprter cet nonc moins comme une information sur l'tat de sant du locuteur, que comme une excuse ou une justification:

(16)(a) Aussi ne vous fais-je pas, comme j'en ai l'habitude, la bise, car je crains de vous passer ma crve (exemples emprunts C. KERBRAT-ORECCHIONI, 1980: 207).

6. Les paramtres esquisss ci-dessus nous permettent de comprendre le concept de 'discours quotidien', concept labor par J.-Bl. GRIZE (1981), dans sa tentative de dceler un genre qui puisse se retrouver dans des textes de nature diverse. Le discours quotidien fut prfigur dans ce que L. WITTGENSTEIN appelait 'every day language'.

On peut parler de discours quotidien lorsque l'une ou l'autre des conditions suivantes au moins sera satisfaite:

(a) Le discours s'adresse un interlocuteur particulier.

(b) Il est engendr en situation.

(c) C'est un discours d'action.

(d) Il ne vise qu'une validit locale (J.-Bl. GRIZE, 1981: 8).

Si on doit distinguer ces conditions, c'est uniquement pour des raisons de clart mthodologique, car, en fait, aucune d'elles n'est vritablement indpendante des autres.

6.1. Tout discours est fait pour s'adresser autrui. L' altrit du discours, les degrs dans la destinarit - selon le mot d'O. DUCROT - reprsentent le fait que le discours est construit pour son distinataire dont il recle - le plus souvent - les traces. Il n'y a aucun acte de langage qui ne soit aussi acte d'interlocution. Le locuteur parle quelqu'un et pour quelqu'un; aussi doit-il amnager son discours, non seulement en fonction de ce qu'il veut communiquer, mais tenant compte encore de celui auquel il s'adresse.

Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA avaient dj dmontr que le discours construit son auditoire. La formulation discursive varie selon la formation, les motivations et les intrts des destinataires. La prsence du destinataire se fait plus ou moins explicite selon le type du texte.

Soient deux petits textes informatifs et directifs tirs des dpliants touristiques franais. Le premier se rapporte la Cathdrale Saint-Victor de Marseille:

(17)

Amis visiteurs, allez Saint-Victor, un lieu chag d'histoire: l'difice est bien complexe, mais dix-sept sicles de foi lui ont donn une me... Vous vous trouverez sur la place - le parvis - et vous verrez ces murailles et leurs deux tours [...]

. Vous y pourrez voir de nombreux sarcophages, la plupart palochrtiens, des sculptures primitives, des inscriptions remarquables... (Chanoine Charles Seinturier, Cur de Saint-Victor).

On y remarque les traces, plus prcisment les marques du destinatire: la deuxime personne (vous vous trouverez, vous verrez), le futur, l'impratif, autant de morphmes qui tmoignent de la destinarit explicite du texte.

Le second se rapporte la ville d'Aix-en-Provence: la haute frquence de l'infinitif prouve l'implication directe du destinataire.

Les indications touristiques sont un guide de la ville; les verbes l'infinitif instaurent des consignes utiles au touriste qui visite la ville:

(18) Au sud du Palais de Justice, difi sur l'emplacement de l'ancien Palais des Comtes de Provence, prendre la rue Marius-Reinaud, puis la route Espariat [...].

Avant d'arriver sur la Place de l'Htel de Ville en passant par la rue Aude, on remarque au n 13 le dcor l'italienne de l'Htel de Peyronnetti [...].

En passant devant l'Htel Maynier d'Oppde (1757), on arrive la Cathdrale, monument compos de nombreux lments d'poques diffrentes [...]. Sont galement voir, le baptistre du IVe-Ve sicle et le clotre du XIIe-XIIIe sicle [...]

. Gagner ensuite le cours Sextius; dans le parc de l'tablissement thermal, une tour d'enceinte du XIVe sicle. Par la rue Clony, on accde au Pavillon Vendme, construit en 1665 - 68 par Louis de Mercur, Duc de Vendme, petit-fils d'Henri IV et de Gabrielle d'Estres (Aix -en-Provence - Visite de la ville, Office municipal de tourisme).

part des marques de l'infinitif, la mobilisation du destinataire est ralise par l'emploi de l'indfini on (on remarque, on arrive, on accde) dont le substitu est vous, touristes qui voulez visiter la ville , par la priphrase sont voir, sens prospectif , de conseil , les adverbes avant (avant d'arriver) et ensuite (gagner ensuite) qui marquent une graduation dans les actions que le visiteur fera. Le droulement du discours suit un ordre didactique, le langage tant - dans le dpliant - accompagn du code iconique du plan de la ville.

Dans la mesure o l'allocutaire est vritablement un interlocuteur, il peut chaque instant refuser ce qui est dit et produire un contre-discours qui annule celui qu'il reoit. Ce trait confre au discours quotidien le statut d'un dialogue. Le discours quotidien est un discours dialogique.

Soit ce passage de La Peste o Tarrou assiste l'entretien de deux receveurs de tranways:

(19)

- Tu as bien connu Camps, disait l'un.

- Camps ? un grand, avec une moustache noire ? - C'est a. Il tait l'aiguillage. - Oui, bien sr. - Eh bien, il est mort. - Ah ! et quand donc ? - Aprs l'histoire des rats. - Tiens ! Et qu'est-ce qu'il a eu? - Je ne sais pas, la fivre. Et puis il n'tait pas fort. Il a eu des abcs sous le bras. Il n'a pas rsist. - Il avait pourtant l'air comme tout le monde. - Non, il avait la poitrine faible, et il faisait de la musique l'Orphon. Toujours souffler dans un piston, a use. - Ah ! termine le deuxime, quand on est malade, il ne fautpas souffler dans un piston (A. Camus, La Peste).

La rplique en gras est une rfutation, crant un contre-discours de l'interlocuteur qui annule la rplique antrieure de son locuteur:

Il avait pourtant l'air comme tout le monde.

Dans ce discours:

- Non, il avait la poitrine faible, et il faisait de la musique l'Orphon. Toujours souffler dans un piston, a use,

on remarque l'enchanement argumentatif des stratgies et oprations discursives:

- Non, il avait la poitrine faible est un dmenti de l'affirmation antrieure du premier locuteur au sujet de la bonne sant du personnage:

- Il avait pourtant l'air comme tout le monde.

Dans la squence:

et il faisait de la musique l'Orphon

le connecteur et a le sens concessif de pourtant , greff sur le sens premier de concomitance .

L'observation factuelle, statut de vrit gnrale:

Toujours souffler dans un piston, a use

devient une justification pour la dgradation physique et la mort du personnage.

Les arguments X avait la poitrine faible et Toujours souffler dans un piston, a use deviennent des arguments forts ou preuves pour l'assertion antrieure:

X est mort.

6.2. Le constituant SITUATION du discours quotidien est hors de doute. La manipulation des temps peut prendre valeur argumentative. Qu'on se rapporte aux textes d'information touristique, (17) et (18). Dans (17) le futur comme temps est explicitement exprim; au mme titre le mode impratif.

Dans (18), l'infinitif a la valeur d'un prospectif, ainsi que la priphrase sont galement voir X et Y.

Les partenaires du dialogue ont un pass, un prsent et un avenir et les objets dont ils traitent un avant, un maintenant et un aprs. De l dcoule que le discours quotidien ne se droule pratiquement jamais tout entier au prsent et que la manipulation des temps peut mme prendre valeur argumentative (J.-Bl. GRIZE, 1981: 9). Les temps verbaux acquirent des valeurs de dicto. 6.3. Discours d'action, le discours quotidien est bas sur une logique du changement de l'tat Eo en l'tat E1.

partir d'un fait, d'une prmisse, on tire les consquences de son existence; dans ce sens on dira que le discours quotidien est avant tout factuello-dductif.

Voil, ce sujet, un conseil publicitaire pour l'achat de la cuisinire De Dietrich:

(20) Le four pyrolise suffirait vous donner envie de la cuisinire lectrique De Dietrich [...].

Cuisinire De Dietrich. Vous l'aimerez longtemps (PARIS - MATCH, 1978).

Les morphmes de conditionnel prsent et de futur donnent ce texte une orientation argumentative prcise: Achetez cet ustensile lectro-mnager. Celle-ci est l'acte d'infrence qui se dgage du discours: une invitation l'achat de l'objet.

6.4. Comme il en rsulte, le discours quotidien vise une validit locale. Il s'adresse un interlocuteur particulier, dans une situation prcise et en vue d'une action dtermine. Le discours quotidien n'a aucune vise d'universalit.

S'il n'est de science que du gnral, il n'est d'action que du particulier et un discours pratique ne s'occupe que de donner de la situation une image spcifique, une image adapte sa finalit (J.-Bl. GRIZE, 1981: 10).

Dans une situation donne, il faut agir et ragir conformment ses donnes, et J. PIAGET a souvent soulign que les contradictions de l'enfant ne le gnaient gure.

Lorsque, au milieu du lac, je dois rparer mon moteur, j'ai tout intrt raisonnenr comme l'enfant et viter de laisser tomber l'eau ma cl anglaise: parce qu'elle est lourde. Et tant pis pour le jerricane vide: parce qu'il est lger (J.-Bl. GRIZE, 1981: 10).

Chapitre IILES OPRATIONS DISCURSIVES0. Le discours remplit trois fonctions:(a) Une fonction schmatisante, qui sert construire un modle de la situation envisage; elle consiste dabord en vocations et en dterminations des objets sur lesquels porte le discours.(b) Une fonction justificatrice, qui sert tayer les dits; elle intervient selon que les propositions prsentes par lnonciateur se suffisent elles-mmes ou rclament une justification.(c) Une fonction organisatrice qui conduit le droulement mme du discours J.-Bl. GRIZE, 1973: 92) et en assure la cohrence.Ces trois fonctions correspondent, grosso modo, aux trois types doprations discursives.

1. LA SCHMATISATION 1.1. Les oprations schmatisantes se ramnent au fait que tout discours construit une sorte de micro-univers appel schmatisation. Ce sont des oprations de dtermination.La schmatisation rsulte dune activit dialogique. Cest que lnonciateur-orateur produit un discours pour un auditeur actuel ou virtuel; et il le fait en fonction des reprsentations quil a de son auditeur. Le terme de schmatisation tout dabord renvoie simultanment une action (schmatiser) et un rsultat (schma) (J.-Bl. GRIZE, 1974, cit. ap. G. VIGNAUX, 1976: 213). Du ct du sujet producteur, le problme est celui des oprations quimplique lactivit discursive et du ct du produit - le discours - texte - il sagit du rsultat de la composition ordonne de ces oprations, autrement dit de la reprsentation construite par le sujet. Tout discours est un univers propre, une reprsentation qui se suffit elle-mme. Le concept de schmatisation vise traduire ce quoi rpond tout discours: un projet du sujet. Tout discours est dabord le spectaculaire dune structuration opre par son sujet (G. VIGNAUX, 1976: 214). Il sagit bien des interventions ncessaires un sujet pour constituer son discours: invention, proposition, disposition, articulation.

1.2. La schmatisation rappelle la thtralit, notion labore par G. VIGNAUX (1976) dont les lments constitutifs sont - comme nous lavons dj vu - les acteurs, les procs, les situations et les marques doprations. Dans le mme esprit, E. LANDOWSKI (1983) tmoigne dune conception scnographique de lnonciation. Selon lui, tout discours est un simulacre en construction ; tout sujet parlant est, en fait, un masque. La narrativisation de lnonciation, conue comme scnographie dans le discours implique une interaction smiotique entre actants, procs et situations, ralise du point de vue langagier par des oprations discursives.Le discours procde dune simplification des lments (acteurs, procs, situations) suffisants pour la reprsentation quil engendre. En mme temps, la schmatisation dtermine progressivement son micro-univers.Les significations que le discours vhicule doivent tre imagines et perues en tat dincompltude, comme lest un schma. La stratgie discursive est alors de dgager une situation qui ne comporte que des connaissances dfinitivement sres sous forme de jugements susceptibles dassurer une situation infrant ladhsion, la dcision (G. VIGNAUX, 1976: 215).La cohrence du schma discursif assurera une compltude interne qui contrebalance lincompltude mentionne ci-dessus et cette cohrence est schma pour autrui, de telle sorte quil y pourra introduire les lments qui lui semblent encore ncessaires la reprsentation ainsi constitue. La stratgie du discours est en consquence de paratre non seulement schma mais champ dactivit pour autrui (G. VIGNAUX 1976: 216). Et par ailleurs, le mme logicien crira que le discours est lieu du sens et l une des formes privilgies daction sur lextrieur: cest une action virtuelle (G. VIGNAUX, 1976: 214).Soient ces deux exemples de textes, o lon pourra aisment observer la schmatisation du discours:(1) Lhomme est un roseau, le plus faible de la nature; mais cest un roseau pensant (B. Pascal, Choix de penses).(2) Javais toute une pile de dossiers devant moi et je les feuilletais. Joseph Leborgne tait tendu dans son fauteuil, devant le radiateur lectrique. Il avait les yeux clos.Comme je cessais un instant de tourner les pages, je lentendis soupirer avec lassitude: Pas celui-l ! Je tressaillis. Je ripostai: Comment pouvez-vous savoir quel est le dossier que je viens douvrir ? Cest le dossier 16... Je ne lui ai pas donn dautre titre !...Le papier bulle de la chemise est plus rugueux que le papier des autres chemises.... Et pourquoi avez-vous dit: " Pas celui-l ! " ? Parce que cest une affaire dempoisonnement et quil nexiste rien de plus laid que ces affaires-l... Laid, vous entendez ! Dun morne faire pleurer !... Et il en est ainsi de toutes les affaires dempoisonnement... On dirait que cette arme est rserve des cas spciaux, la fois tragiques et mesquins... Cen tait assez pour me dcider examiner le dossier, qui commenait par un extrait du journal de Fcamp

(G. Simenon, Les 13 Mystres). On peut distinguer dans le discours de lnonciateur des propos qui rpondent trois fins distinctes:(a) Poser le cadre de la schmatisation, cest--dire voquer des objets, rappeler des faits et les enrichir;(b) Rpondre par avance aux questions et aux doutes de lallocutaire;(c) Empcher ou rfuter les contre-discours que lallocutaire pourrait tenir. Le contre-discours est la manisfestation dun refus qui exclut tout autant lincomprhension que le doute.Lexigence (a) se retrouve dans lexemple (1), mais aussi dans (2); (b) et (c) se retrouvent dans (2), surtout dans la rplique: Pas celui-l ! , mais aussi dans la rplique: Parce que cest une affaire dempoisonnement... , qui justifie le caractre dunicit du dossier 16, ainsi que linterdiction de le feuilleter.

1.3. La schmatisation exige de son auteur quil dispose dun certain nombre de reprsentations de la situation de discours et de son auditoire. Cette hypothse apparat clairement lorsquune mme forme peut donner lieu des sens distincts. ce sujet, J.-Bl. GRIZE (1978) accompagne les exemples:Attention au chien ! et Attention aux enfants !du commentaire suivant: Je ne savais pas, disait un tranger, que chez vous les enfants taient particulirement mchants (J.-Bl. GRIZE, 1978: 47).Les reprsentations sont celles du locuteur / nonciateur; les images sont proposes par le discours. Si les reprsentations ne peuvent tre quinfres partir dindices, les images peuvent, en principe, tre dcrites sur la base des configurations discursives.

1.4. Une schmatisation propose essentiellement trois sortes dimages: celle de lnonciateur / locuteur: im (A); celle du destinataire / allocuteur: im (B); celle de la situation dont il est question: im (T).Soit linformation smantique: mauvais temps , pluie , temps nuageux .Limage de lnonciateur apparat dans:(3) Malheureusement, le temps sera trs nuageux sur le nord-ouest. Sur lest, instabilit avec de nombreuses averses entrecoupes dclaicies. Il sy agit dun nonciateur effac mais engag, vu la prsence du modalisateur malheureusement.(4) La radio annonce quune zone de mauvais temps avec des pluies discontinues touchera la moiti nord du pays et descendra vers le sud en cours de journe. Lnonciateur en est un tmoin neutre.(5)La radio aurait annonc que le temps serait trs nuageux sur le nord-ouest. Sur lest, il y aurait des pluies discontinues. Lnonciateur en est un tmoin effac mais engag.(6)Je sais quil pleuvra et quil fera mauvais temps de par mes rhumatismes. Lnonciateur en est prsent et ncessairement engag.(7) Jai entendu la radio annoncer que le temps sera trs nuageux et quil pleuvra dans tout le pays. Lnonciateur en est un tmoin prsent.Limage du destinataire apparat dans:(8) cause du mauvais temps, des pluies discontinues et du brouillard, les automobilistes sont pris de ne pas rouler toute vitesse.Limage de la situation dont il est question, la thmatisation discursive apparatra dans:(9)Le temps sera trs nuageux sur le nord-ouest. Sur lest, instabilit avec de nombreuses averses entrecoupes dclaicies (PARIS - MATCH, le 27 sept. 1985).Limage de la situation est fortement pertinente dans les exemples (1) et (2). Il est ais de thtraliser le discours schmatisant, propos par le texte de G. SIMENON: ses acteurs, les procs, les situations et les marques doprateurs.

1.5. La schmatisation est constitue doprations de dterminations. Celles-ci sont de quatre sortes:(a) Oprations constitutives dobjets, qui agissent comme des thmatisations, des localisations de lobjet X dans un prconstruit (voir lexemple (1)), de slection dune partie de lobjet X (voir (1) et (2))(b) Oprations de prdication, introduisant des prdicats de forme diverse.(c) Oprations de restriction, qui marquent les limites entre lesquelles la prdiction sera prise en charge par le locuteur. Les quantificateurs en sont des exemples particuliers. Dans (2), toute une pile de (dossiers), les, rien, dun morne ( faire pleurer), toutes les, le, etc. sont des quantificateurs qui restreignent les limites de la prdication. Les morphmes de temps, despace, de circonstance marquent galement des oprations de restriction.(d) Oprations de modalisation, indiquant le type de prise en charge de la prdication par le sujet. Ainsi, loprateur nonciatif bien, modalisateur que nous avons esquiss dans le chapitre antrieur, tmoigne dune certaine prise en charge de linformation par le locuteur.

2. LA JUSTIFICATION

2.1. Les oprations de justification correspondent au fait que le locuteur virtuel A s'adresse un autre locuteur virtuel, son allocutaire B, et que celui-ci peut refuser d'admettre ce qui est nonc. Il faut donc que A fournisse B des raisons de 'croire' ce qui lui est propos.

Rappelons que J.-Cl. ANSCOMBRE et O. DUCROT (1983: 163) parlent d'argumentation lorsqu'un discours comporte au moins deux noncs E1 et E2 dont l'un est donn pour autoriser, justifier ou imposer l'autre; le premier est l'argument, le second est la conclusion.

E1 : Il fait chaud.

E2 : Allons la piscine.

10) (a) Allons la piscine, puisqu'il fait chaud.

b) Il fait chaud, allons donc la piscine.

2.2. La schmatisation du discours est comparable un organisme continuellement soumis deux types de contraintes: contraintes internes et contraintes externes.

Si les premires sont ncessaires pour assurer la cohrence et la cohsion du discours, les secondes rsultent de la prsence de l'allocutaire B, donc de la reprsentation que le locuteur A se fait de ses doutes, de ses questions, de ses refus possibles. On a affaire deux exigences principales. L'une doit faire accepter ce qui est dit et l'autre doit en assurer la cohrence.

Il est possible de prter l'allocutaire B deux sortes de questions:

A) Pourquoi est-ce ainsi ?, question qui surgit lorsqu'un nonc s'oppose, ou semble s'opposer, ce qur J.-Bl. GRIZE (1981) appelle un 'prconstruit lgal', c'est--dire au fond une loi ou une rgle du sens commun. La rponse se trouve dans une explication.

Soit ce texte dans lequel Haroun TAZIEFF explique la production des tremblements de terre et des ruptions volcaniques:

11) Les sismes se produisent lorsque les roches, quelque part dans l'corce terrestre ou dans la partie suprieure du manteau, dans cet ensemble que l'on nomme la lithosphre, se brisent soudain parce que l'accumulation des contraintes auxquelles les soumettent des forces intratelluriques, fort mystrieuses encore mais videntes, dpassent le seuil de leur rsistance mcanique. Cette rupture banale provoque un branlement, lequel se propage au travers de la plante, branlement d'autant plus important que l'est le mouvement relatif, de part et d'autre de la fracture, des morceaux de lithosphre que cette fracture spare (Haroun Tazieff, Les illusions de la prvision , in Science et vie, septembre 1983).

L'autre type de question que l'on peut prter l'interlocuteur est:

B) Pourquoi dire cela ? et, plus gnralement, Pourquoi faire cela ? La rponse est une justification.

12) Les grandes personnes m'ont conseill de laisser de ct les dessins de serpents boas ouverts ou ferms, et de m'intresser plutt la gographie, l'histoire, au calcul et la grammaire. C'est ainsi que j'ai abandonn, l'ge de six ans, une magnifique carrire de peintre. J'avais t dcourag par l'insuccs de mon dessin numro 1 et de mon dessin numro 2 (A. de Saint-Exupry, Le Petit Prince).

2.3. Le statut des stratgies discursives et des noncs propres la justification dpend des reprsentations que A se fait de son interlocuteur B. Trois situations peuvent ainsi se prsenter (voir ce sujet, J.-Bl. GRIZE, 1981: 14):

a) B est suppos accepter ce qui est dit. On parle alors de constats et de faits.

b) Le locuteur estime que B ne sera pas immdiatement convaincu. L'nonc sera en consquence tay et on parlera d'une thse ou bien il dcoulera d'un autre nonc, constat ou fait, et nous avons alors une consquence.

c) Enfin, le locuteur rclame la participation active de B et l'on aura des hypothses, des questions et des injonctions.

Nous illustrerons par un exemple chacun de ces types d'noncs.

D'une faon trs gnrale, on dira la suite de J.-Bl.GRIZE (1981) que la dtermination est la simple attribution d'un prdicat (R) un objet (t).

Si t est l'objet la terre , et R le prdicat tre rond , la dtermination donnera: la terre est ronde, ce qu'on notera par: R (t). Ds lors, le statut d'un nonc dpend exclusivement de la faon dont le sujet nonciateur prend en charge la dtermination.

2.3.1. Le constat nat si la dtermination est directement asserte par A, sans modalits ni indications de la source d'information. Aussi les noncs:

13) La terre est ronde.

14) Une manire commode de faire la connaissance d'une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt (A. Camus, La Peste).

15) Un malade a besoin de douceur, il aime s'appuyer sur quelque chose, c'est bien naturel (A. Camus, La Peste).

reprsentent-ils des constats.

Il parat que, sous l'angle dialogique, l'exclamation peur tre considre comme un simple constat. La phrase Comme c'est joli ! peut tre conue comme un constat, mais aussi comme un fait.

Si on n'indique pas leurs sources nonciatives, les interjections (Hein !, tiens !, a alors !, hlas !) apparaissent comme des constats.

2.3.2. On parle de faits si l'on est en prsence de modalits de dicto ou d'une indication de la source d'information.

Dans l'exemple (2), l'nonc:

16) Il n'existe rien de plus laid que les affaires d'empoisonnement (G. Simenon), mis par le policier Joseph Leborgne est un fait.

Il en est de mme de : (17) Le grandes personnes aiment les chiffres (Saint-Exupry), dont le locuteur est le personnage le Petit Prince.

Soit aussi cet autre exemple:

18) 20 mars 1938. La presse de ce matin donne le chiffre de 2783 personnes disparues sans trace en France l'anne coule. Il est certain que dans nombre de cas, il s'agit de fugues et d'vasions dlibres pour chapper une famille ou une pouse odieuses (M. Tournier, Le Roi des Aulnes).

Dans le dernier cas, on donne par la date, crite en gras, et le sujet agrammatical la presse de ce matin la source d'information.

Les modalits discursives mobilises pour dcrire les faits peuvent se noter par Mod l D, o D = 'dtermination'.

Modalits et sources d'information confrent la solidit et la crdibilit des noncs.

Les faits et les constats prsentent les dterminations d'objets comme directement rfutables.

2.4. Les thses et les consquences sont des noncs arguments, c'est--dire des noncs considrs comme ne se suffisant pas eux-mmes.

2.4.1. On parle de thse lorsque l'argumentation est d'ordre explicatif ou justificatif. J.-Bl. GRIZE (1981: 16) schmatise la thse par la configuration lmentaire suivante:

l........................................ D1 Thse

l.............................. D2 Explication / Justification

Qu'on se rapporte, ce sujet, l'exemple (11). Soit galement le texte suivant:

19) C'est l'analyse, patiente l'extrme, des ondes sismiques qui a permis de connatre la structure profonde de la plante, cet embotement de sphrodes concentriques - corce, manteau suprieur, asthnosphre, manteau infrieur, noyau gaine - la rigidit diffrente, aux densits et sans doute aux tempratures croissantes, embotement qui permet de comparer la terre un uf gigantesque dont la coquille est tout aussi mince, proportionnellement, que celle d'un uf. Mais cette coquille n'est pas, pour la terre, monolithique. Elle est un puzzle sphrique de plaques imbriques et qui se meuvent les unes par rapport aux autres, s'cartant ici pour s'affronter l [...] (Haroun Tazieff , art. cit, in Science et vie, septembre 1983).

L'exemple ci-dessus nous rvle un fait trs gnral: la majorit des thses sont tayes sur plus d'un nonc au point qu'il est possible de considrer certains titres comme des thses l'appui desquelles concourt tout le texte. L'exemple (19) a pour titre C'est l'analyse des ondes sismiques qui a permis de connatre la structure profonde de la plante (Haroun Tazieff, art. cit, in Science et vie, Les grandes catastrophes, septembre 1983).

2.4.2. Les consquences peuvent tre reprsentes comme suit:

l D1

l D2 Consquence

Dans l'exemple (2), le micro-discours final reprsente une consquence:

2)(a) - Et pourquoi avez-vous dit: Pas celui-l ? - Parce que c'est une affaire d'empoisonnement et qu'il n'existe rien de plus laid que ces affaires-l... Laid, vous entendez ! D'un morne faire pleurer!... Et il en est ainsi de toutes les affaires d'empoisonnement... (G. Simenon, Les 13 Mystres).

Les consquences sont des oprations discursives qui appuient une dtermination sur une autre.

Les connecteurs argumentatifs eh bien, alors, et introduisent une consquence, en enchanant l'nonc ou les noncs Q avec les nonciations P antrieures. Qu'on examine la structure smantique des discours ci-dessous:

(20) CSAR: Bien entendu, je ne souponne pas sa vertu ! Je n'ai rien vu, je ne sais rien. Mais s'il y a eu entre vous des conversations... des caresses... eh bien, il vaut mieux vous marier le plus tt possible. Crois-moi... (M. Pagnol, Marius).

(21) Tout mon tre s'est tendu et j'ai crisp ma main sur mon revolver. La gchette a cd, j'ai touch le ventre poli de la crosse et c'est l, dans le bruit la fois sec et assourdissant, que tout a commenc [...]. J'ai compris que j'avais dtruit l'quilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage o j'avais t heureux. Alors, j'ai tir encore quatre fois sur un corps inerte o les balles s'enfonaient sans qu'il y part. Et c'tait comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur (A. Camus, L'tranger).

Dans une perspective nonciative (O. DUCROT, 1980), la diffrence entre eh bien et alors consisterait dans le fait que seule l'expression eh bien peut prsenter l'nonciation de l'nonc suivant Q comme consquence de ce qui est affirm dans l'nonc prcdent P.

Soit:

(22) Nous nous sommes promis de tout nous dire. Eh bien, je ne pars plus,

alors, impossible ici, serait possible seulement si l'acte d'nonciation accompli tait lui-mme objet d'une assertion explicite et apparaissait donc comme un vnement du monde, au lieu d'tre simplement montr, attest au sens o l'nonc atteste l'vnement que constitue son nonciation.

Il faudrait avoir:

(23) Nous nous sommes promis de tout nous dire. Alors je t'annonce que je ne pars plus (O. DUCROT, 1980: 41).

cet gard, dans (21), alors est l'indice de la conscution parce que l'nonc qu'il introduit: j'ai tir encore quatre fois sur un corps inerte est un vnement du monde, un fait; c'est l'assertion d'une action commise par le personnage, vrai dire un aveu.

2.5. Dans les hypothses, les questions et les injonctions la participation de l'allocutaire / interlocuteur est plus manifeste.

2.5.1. Par dfinition, celui qui propose une hypothse accepte que l'interlocuteur n'y souscrive pas. Il s'ensuit qu'un locuteur ne peut asserter sans autre ce qui dcoule de l'hypothse et qu'il est rduit ne prendre en charge, et ventuellement dfendre, que la liaison entre les noncs. L'opration sera note comme suit:

Le petit rond marque l'articulation entre deux dterminations.

Soit cet exemple, o l'on remarquera l'expression de deux hypothses:

24) - Qu'est-ce que l'honntet ? dit Rambert, d'un air soudain srieux.

- Je ne sais pas ce qu'elle est en gnral. Mais dans mon cas, je sais qu'elle consiste faire mon mtier. - Ah ! dit Rambert, avec rage, je ne sais pas quel est mon mtier. Peut-tre en effet suis-je dans mon tort en choisissant l'amour. Rieux lui fit face: - Non, dit-il avec force, vous n'tes pas dans votre tort. Rambert les regardait pensivement. - Vous deux, je suppose que vous n'avez rien perdre dans tout cela. C'est plus facile d'tre du bon ct (A.Camus, La Peste).

La premire hypothse est fournie par l'articulation entre les deux dterminations: Je ne sais pas ce que l'honntet est en gnral et Je sais que dans mon cas elle consiste faire mon mtier (paroles profres par le personnage Tarrou). Cela sera not par le petit rond. La seconde hypothse est l'articulation entre les dterminations suivantes: la rplique de Rambert soutenant Peut-tre suis-je dans mon tort en choisissant l'amour et celle du docteur Rieux le rassurant: Non, vous n'tes pas dans votre tort. remarquer la prsence du modalisateur pistmique peut-tre.

Soit aussi un second exemple, o l'hypothse est marque - entre autres - par le si implicatif :

(25) On appelle couramment chane de montagnes toutes les zones de relief important qui sillonnent la surface du globe. Cette dfinition strictement morphologique n'est pas en fait celle des gologues. Pour eux, une chane de montagne est - ou a t - une zone de relief forme par suite de mcanismes de compression affectant une large portion de l'corce terrestre et o les roches ont t notablement dformes. Si l'on adopte ces pralables, on s'aperoit que la plupart des grands reliefs sous-marins, les reliefs de l'Afrique Centrale, ou, plus prs de nous, le Massif Central, ne sont pas proprement parler des montagnes (Article Naissance, vie et mort des montagnes , in Science et vie, La Terre, notre plante, dcembre 1977).

La structure polyphonique et argumentative de ce texte est vidente. La dfinition pose au dbut est le fait d'un nonciateur, diffrent du locuteur / scripteur de texte. La deuxime proposition fournit un dmenti cette assertion dfinitionnelle. La troisime proposition recle l'hypothse: Pour les gologues, une chane de montagnes est - ou a t - une zone de relief forme par suite de mcanismes de compression de l'corce terrestre... Une fois cette hypothse pose (ces pralables, dans le texte), il s'en dgage une implication, en l'occurrence, une consquence: on s'aperoit que la plupart des grands reliefs sous-marins, X, Y, ne sont pas proprement parler des montagnes.

Il y a dans l'hypothse l'esquisse d'un dbat entre nonciateur et locuteur, entre nonciateur et son destinataire, entre locuteur et allocutaire.

2.5.2. La valeur argumentative de la question sera examine dans un chapitre part. La question totale, l'interrogation rhtorique mais aussi certaines questions partielles reprsentent une stratgie discursive de nature argumentative.

26) Sait-on encore parler le franais ? est le titre d'un ample dossier sur la configuration actuelle et l'avenir du franais en France (L'EXPRESS, 24 aot 1984).

Et nous glanons des exemples de ce dossier. D'abord, l'intertexte, qui justifie tous les commentaires qui s'en suivront:

27) Victor Hogo ne reconnatrait pas sa langue, noye sous les emprunts, malmene par l'argot, l'informatique et mme la littrature... volution ou dclin ? La question vaut d'tre pose. Sereinement.

Ensuite, un petit passage, extrait de l'ditorial:

28) Faut-il pleurer ou bien en rire ? La question, en tout cas, se pose - et se la posent avec nous ceux qui, l'tranger, se font toujours une certaine ide de notre langue: parlons-nous encore le franais ou, tout simplement, quel franais parlons-nous ? (Andr Pautard, L'EXPRESS, 24 aot 1984: Sait-on encore parler le franais ?)

La valeur argumentative de la question est-ce-que P ? repose sur les caractristiques suivantes:

1) une assertion pralable de l'nonc P;

2) l'expression d'une incertitude du locuteur concernant P;

3) la demande faite l'interlocuteur de choisir entre donner une rponse du type P (donc affirmative) et une rponse du type ~ P (donc ngative) (voir J.-Cl. ANSCOMBRE et O. DUCROT, 1981).

Pour ce qui est du dernier trait, notons que si l'on s'en tient aux questions fermes, il faut bien admettre que B peut, en principe, rpondre par oui ou par non. Il s'ensuit que A doit prendre toutes sortes de dispositions discursives pour fermer pratiquement une des voies. La question contraint ainsi l'interlocuteur un choix discursif. 2.5.3. Transpose dans un contexte argumentatif, l'injonction tmoigne de ce que l'interlocuteur est convi une activit; la fonction phatique du langage y est prdominante.

29) Ma mre, derrire la grille bombe de la fentre, nous regardait partir.

Surtout, dit-elle, prenez garde aux tramways! (M. Pagnol, La gloire de mon pre). (30) Dessinez soigneusement les trois bissectrices d'un triangle et vous verrez qu'elles se coupent en un mme point (exemple emprunt J.-Bl. GRIZE, 1981: 17). La formulation de (30) semble tre logiquement quivalente : (30)(a) Si vous dessinez soigneusement... , vous verrez que... C'est que l'injonction remplit, dans les situations didactiques, un rle particulier. 2.6. Parmi les oprations de justification, il convient de citer aussi l'analogie et l'opposition ou la diffrence. (31) Volcans et tremblements de terre ont pas mal de choses en commun, dont le fait d'tre, la plupart du temps, engendrs par les jeux des plaques tectoniques, ce qui les localise, pour la plupart, aux marges de ces dernires. Ils ont aussi en commun d'tre les seules manifestations violentes de la nature qui soient exclusivement telluriques, au contraire des cyclones tropicaux, des inondations, des scheresses, lesquels dpendent pour l'essentiel des relations que notre plante entretient avec le soleil. Si les effets des ruptions et ceux des sismes affectent la surface de la plante - et l'humanit qui l'habite - ces sismes et ces ruptions sont engendrs en profondeur (Haroun Tazieff, art. cit, in Science et vie, septembre 1983). L'analogie y est marque par avoir (pas mal de choses) en commun, l'opposition par au contraire de. remarquer aussi, dans le dernier nonc de (31), la prsence du si 'contrastif' ou 'adversatif', marqueur d'un discours de forme alternative si P, Q, paraphrasable par P tandis queQ, d'une part P, d'autre part Q. Pour les besoins de sa cause, toute argumentation schmatise et tend radicaliser, selon qu'elle met en uvre ce que Ch. PERELMAN appelle les 'techniques dissociatives', c'est--dire les relations de diffrence ou d'analogie qu'elle construit au sein du rfrent. 2.7. La dfinition est une opration justificatrice qui contribue faire de l'argumentativit une stratgie discursive de paraphrase interprtative. L'argumentation est ainsi une manire de voir le monde et de l'exprimer linguistiquement. C'est un choix de stratgie discursive. Argumenter, cela revient noncer certaines propositions qu'on choisit de composer entre elles. Rciproquement, noncer, cela revient argumenter, du simple fait qu'on choisit de dire et d'avancer certains sens plutt que d'autres (G. VIGNAUX,1981: 91).

Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA (1958) ont esquiss avec finesse les possibilits argumentatives des dfinitions. Deux aspects, intimement lis, mais qu'il faut nanmoins distinguer - parce qu'ils concernent deux phases du raisonnement - sont alors envisager:

a) les dfinitions peuvent tre justifies, valorises, l'aide d'arguments;

b) elles sont elles-mmes des arguments, plus prcisment des arguments quasi-logiques.

Soient ces exemples:

1) L'homme est un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant (B. Pascal, Choix de penses).

32) La Hollande est un songe, monsieur, un songe d'or et de fume, plus fumeux le jour, plus dor la nuit, et nuit et jour ce songe est peupl de Lohengrin (A. Camus, La Chute).

Procd d'indentification complte, qui prtend identifier le definiens avec le definiendum, la dfinition doit pourtant distinguer ce qui est dfini de ce qui le dfinit. Tel est le cas de ces dfinitions par approximation ou par exemplification o l'on demande expressment l'auditeur de fournir un effort de purification ou de gnralisation lui permettant de franchir la distance qui spare ce que l'on dfinit des moyens utiliss pour le dfinir (Ch.PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA, 1958: 283).

Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA distinguent, la suite de Arne NAESS [15], quatre espces de dfinitions:

a) Les dfinitions normatives, qui indiquent la faon dont on veut qu'un mot soit utilis. Cette norme peut rsulter d'un engagement individuel, d'un ordre destin d'autres, d'une rgle dont on croit qu'elle devrait tre suivie par tout le monde; (b) Les dfinitions descriptives, qui indiquent quel est le sens accord un mot dans un certain milieu et un moment donn;

c) Les dfinitions de condensation, qui indiquent les lments essentiels de la dfinition descriptive;

d) Les dfinitions complexes, qui combinent, de faon varie, des lments des trois espces prcdentes.

Les exemples (1) et (32) ci-dessous seraient des dfinitions de condensation mais aussi des dfinitions complexes.

Les dfinitions des types (a) - (d) reprsentent soit des prescriptions, soit plutt des hypothses concernant la synonymie du definiendum et du definiens.

Qu'on observe aussi le caractre argumentatif de la dfinition dans l'exemple suivant:

33) Le hros, c'est celui qui met sa vie dans la balance. Ce n'est pas forcment celui qui verse le sang (PARIS-MATCH, le 30 aot 1985).

On y remarque que le second nonc renferme un dmenti qui contribue surenchrir sur la valeur argumentative de la dfinition descriptive prsente dans le premier nonc.

2.8. Les oprations justificatives de recours une autorit permettent au locuteur A de se dcharger sur un tiers.

Soient ces exemples:

34) Faut-il redouter les risques sismiques en France ? Pour Haroun Tazieff, sans aucun doute. Car, partout o des tremblements de terre se sont produits dans le pass, il s'en produira de nouveaux dans l'avenir (Science et vie, septembre 1983).

35) Il faut surtout retrouver la saveur du parler national, ft-il tenu se montrer flexible.

Faute de quoi, on s'expose s'entendre demander dans quelques volapuk: Parlez-vous encore le franais ? . Faute de quoi, surtout, on devra convenir, avec Chateaubriand, que parvenues leur apoge, les langues restent un moment stables; puis elles redescendent sans pouvoir remonter (L'EXPRESS, 24 aot 1984).

remarquer que dans (34) l'argument de l'autorit est exprim par une citation.

Souvent, la dfinition est intrinsquement enchane l'opration de recours l'autorit:

36) Le stress est une rponse biologique de l'organisme toute demande qui lui est faite , selon la dfinition du Pr. Hans Selye, un mdecin canadien qui imposa ce concept (L'EXPRESS, le 5 juillet 1985).

3. L'ORGANISATION ET LA COHRENCE 3. Les oprations de cohrence contribuent engendrer la composante discursive du langage. Elles permettent donc l'insertion d'une phrase dans la cohrence / cohsion du texte. C'est le lieu de la bonne formation ou grammaticalit textuelle et discursive. Ces oprations mobilisent simultanment les mcanismes syntaxiques, smantiques et pragmatiques du langage.

3.1. Les oprations ou rgles de cohrence se ramnent quatre types:

(a) rgles de rptition;

(b) rgles de progression;

(c) rgles de non contradiction;

(d) rgles de relation.

Nous renvoyons, pour une tude dtaille de ces rgles, M.TU|ESCU (1980: 109 - 131). Il suffira d'observer chacun de nos textes de (1) (36) pour tudier le fonctionnement de ces rgles ainsi que leur nombreux aspects.

La fonction organisatrice du discours dtermine donc les oprations de cohrence ou les relations smantico-pragmatico-syntaxiques entre phrases qui seront insres dans la composante discursive. G. VIGNAUX (1976) y distingue trois sortes d'oprations:

(a) celles qui sont marques par des connecteurs comme en effet, or, donc, car, puisque, parce que;

(b) celles qui sont marques par des connecteurs comme et, ou, si, que formalise la logique de la dmonstration;

(c) celles, enfin, qui, au moyens d'oprateurs comme mais, pourtant, d'ailleurs, cependant, etc., expriment des nuances d'opposition.

3.2. Le placement de ces oprations est rgi par un ordre de disposition des arguments dans le discours. Cet ordre est destin orienter la pense de l'auditoire dans une direction souhaite. Il dtermine par l mme les formes de relations entre phrases; et il

constitue aussi, lorsque l'auditeur le saisit comme tel, un certain type de relation globale avec l'orateur-nonciateur.

Il existe des connecteurs discursifs (lisez argumentatifs) qui marquent les tapes du raisonnement, l'ordre de l'argumentativit.

Une numration argumentative commence par d'abord qui signifie en premier lieu et avant toute chose s'il s'agit de marquer l'importance dans la gradualit. Ensuite enchane un vnement discursif un vnement antrieur; il est alors synonyme de en second lieu:

(36) D'abord, je ne veux pas; ensuite je ne peux pas (LE PETIT ROBERT).

Tout d'abord est synonyme de avant toute chose ou premirement.

Puis marque la succession des vnements dans le temps , la succession . Souvent il introduit le second, le troisime terme d'une nonciation et il est par ailleurs parasynonyme de et, plus.

Chapitre IIILe concept de POLYPHONIE

1. Ce concept fut labor par O. DUCROT (1980) l'intrieur d'une thorie nonciative de la langue. Conformment l'ide de polyphonie, dans l'interprtation des noncs on entend s'exprimer une pluralit de voix, trs souvent diffrentes de celles du locuteur. L'existence de plusieurs degrs dans la destinarit permet de comprendre un nonc comme:

(1) Ce que je dis s'adresse moins toi qu' ton frre.

L'hypothse de l' altrit constitutive de tout discours est conue par O. DUCROT (1980) dans le sens que la pense d'autrui est constitutive de la mienne et il est impossible de les sparer radicalement (O. DUCROT, 1980: 45).

L'laboration de la thse de la polyphonie amena O. DUCROT formuler deux distinctions importantes.

1.1. La premire vise l'opposition locuteur / vs / allocutaire. Si le locuteur est celui qui profre l'nonc, l'auteur des paroles mises, l'allocutaire est la personne qui l'nonciation est cense s'adresser, l'tre qui les paroles sont dites.

1.2. La deuxime distinction vise la corrlation nonciateur / vs / destinataire.

L'nonciateur est l'agent-source des actes illocutionnaires, l'instance qui assure le contenu de l'nonc et se porte garant de sa vrit.

Le destinataire est la personne cense tre l'objet des actes illocutionnaires, le patient de ces actes.

1.3. Une conclusion importante s'en dgage: le locuteur d'un message peut tre diffrent de l'nonciateur qui s'y exprime; au mme titre, l'allocutaire est souvent diffrent du destinataire de l'acte perform.

De cette faon, on peut tirer - dans un discours - les consquences d'une assertion qu'on n'a pas prise en compte, dont on s'est distanci, en lui donnant pour responsable un nonciateur diffrent du locuteur.

Ainsi, si l'acte illocutionnaire au moyen duquel on caractrise l'nonciation est attribu un personnage diffrent du locuteur L, le destinataire de cet acte pouvant alors tre diffrent de l'allocutaire, et identifi, par exemple, au locuteur L. C'est le cas de:

(2) Jean m'a annonc que le temps se remettrait au beau. J'irai la campagne demain.

La polyphonie entrane donc une troisime distinction, fonctionnant deux niveaux, locuteur / vs / nonciateur et allocutaire / vs / destinataire.

2. Il y a des morphmes, des types d'noncs qui favorisent, voire imposent, la lecture polyphonique. Il est signaler que celle-ci est fortement dclenche par des expressions comme selon X, ce que dit X, en croire X. Ainsi, aprs:

(3) ce que dit ma mre, le temps va changer,

il est fort probable de trouver des enchanements concernant la mto, par exemple:

(4) Je prends un lainage,

que des enchanements concernant le sujet grammatical:

(5) * Elle broie du noir, ma mre.

Les stratgies argumentatives telles: l'interrogation,la ngation polmique, le dmenti, la rfutation de la cause, le paradoxe, la litote, l'ironie ne sauraient tre comprise sans faire recours au concept de polyphonie.

3. Ce concept s'avre tre fort utile pour dcrire l'opposition smantico-pragmatique existant entre car et puisque.

Ces deux morphmes servent introduire un nonc E2 qui justifie l'nonciateur d'un premier nonc E1.

(6) Allons la piscine (E1) puisqu 'il fait chaud (E2). car

3.1. Car est impossible employer, dans une conversation, pour reprendre en E2 une information qui vient d'tre communique par l'allocutaire. On s'imagine mal - note O. DUCROT - un dialogue tel:

(7) - Ce qu'il fait beau aujoud'hui ! (=E2)

- Eh bien, allons la piscine (=E1), car il fait beau aujourd'hui (E2).

Par contre la rplique avec puisque sera parfaitement normale:

- Eh bien, allons la piscine (=E1), puisqu'il fait beau (=E2). Ce qui rend car impossible, c'est que le locuteur prtende dire E2 sur la simple foi de l'allocutaire, qu'il le dise parce que l'allocutaire l'a dit. En revanche, il peut trs bien dire E2 s'il le prend sous sa responsabilit, s'il le reprend son propre compte - en signalant seulement qu'il parle en conformit avec l'allocutaire (O. DUCROT, 1980: 48). Un nonc qui rapporte les dires de l'allocutaire sera, par consquent, normal:

(8) - Eh bien, allons la piscine (E1) car, comme tu l'as dit, il fait (vraiment / diablement) beau aujourd'hui (E2).

Il en rsulte que l'nonciateur, responsable de l'assertion faite en E2, doit tre identifi, dans le cas de car, avec le locuteur.

3.2. Puisque prsente la situation inverse. En introduisant E2 par puisque, le locuteur fait s'exprimer un nonciateur dont il se dclare distinct et qu'il identifie l'allocutaire. Le locuteur ne s'engage pas sur E2 titre personnel, il n'en prend pas la responsabilit, bien qu'il puisse se dclarer par ailleurs d'accord avec E2. Cela explique - soutient O. DUCROT (1980: 48) - la possibilit de puisque dans le raisonnement par l'absurde, quand l'hypothse formule en E2 est justement celle que le locuteur combat ou rejette. Cela explique d'autre part le fait, dcrit souvent par la prsupposition, que E2, mme lorsqu'il n'est pas la reprise d'une rplique antrieure de l'allocutaire, est prsent comme dj connu ou dj admis par celui-ci. Ensuite, l'hypothse de la valeur polyphonique de puisque explique pourquoi il est difficile, aprs puisque, d'introduire dans E2 un modalisateur comme vraiment, qui marque que l'assertion dont il fait partie est le fruit d'une exprience personnelle. Au mme titre, il est difficile d'introduire dans puisque E2 les modalisateurs sacrment et diablement, qui sont des espces d'interjections adverbialises et impliquent, par consquent, un engagement personnel du locuteur dans l'assertion [16].

3.3. Le cas de la diffrence polyphonique entre car et puisque illustre clairement que le locuteur de l'nonciation peut tre distinct de l'nonciateur de l'assertion - mme lorsqu'il se dit personnellement d'accord avec ce qui est assert (c'est le cas de puisque E2, lorsqu'il ne s'agit pas d'un raisonnement par l'absurde).

D'autre part, le locuteur peut s'identifier avec l'nonciateur - mme lorsqu'il signale en outre que l'assertion a t dj faite par quelqu'un d'autre (car, comme tu l'as dit, E2). Ce qui est pertinent, pour que locuteur et nonciateur concident, c'est que le locuteur se prsente comme la source de l'acte de l'assertion, c'est--dire comme celui qui garantit sa vracit (O. DUCROT, 1980: 49).

4. L'analyse polyphonique explique, d'une manire nuance, le sens pragmatique de d'ailleurs.

(9) Je ne veux pas lire cet crivain: il est trop ennuyeux (P), et d'ailleurs je n'aime pas son genre (Q).

En articulant par d'ailleurs deux lments smantiques P et Q, on accomplit successivement deux actes d'argumentation A1 et A2. En A1, on emploi P en faveur de la conclusion r, puis, en A2, on utilise Q en faveur de la mme conclusion. D'autre part, on prsente P (l'argument employ en A1) comme suffisant pour que le destinataire D1 de A1 admette la conclusion r. En ce qui concerne A2, d'ailleurs ne dit rien sur le caractre suffisant ou non, par rapport au destinataire D2, de l'argument Q qui y est utilis: Q peut tre prsent aussi bien comme dcisif que comme seulement favorable la conclusion r.

Dans le cas o l'nonciation de P d'ailleurs Q est donne comme adresse un unique allocutaire, le locuteur construit deux images successives de son allocutaire. Dans la premire, lie au fait qu'il est destinataire de l'acte A1 (prsent comme argumentativement suffisant), il apparat comme homme se satisfaire de l'argument P, ce qui amne lui attribuer les dispositions psychologiques ncessaires pour cela. La seconde image tient au fait qu'en ajoutant A2 A1 et en vertu des maximes griciennes de la coopration (quantit, qualit, pertinence et manire), le locuteur dira ce qu'il considre utile de dire. L'allocutaire, assimil D2, va donc apparatre comme ayant besoin, pour admettre la conclusion r, de l'argument Q. Ainsi le locuteur de d'ailleurs donne l'impression qu'il a, entre l'nonciation de P et celle de Q, modifi l'image qu'il se fait de son allocutaire, ou au moins, qu'il a envisag d'autres hypothses ce sujet. Ces deux constructions successives de l'interlocuteur furent tudies avec finesse par O. DUCROT dans cette stratgie discursive qu'il appelle la logique du camelot (1980). En donnant l'allocutaire un second argument en prime , on fait semblant de revenir sur l'ide qu'on se faisait de lui [17].

4.1. L'interprtation polyphonique du morphme d'ailleurs est le fait de deux facteurs: d'abord le sens de ce connecteur argumentatif qui exige deux actes d'argumentation successifs, dont chacun a son destinataire et dont le premier est prsent comme suffisant. C'est la notion de polyphonie, entranant la distinction entre le rle d'allocutaire, relatif l'nonciation, et celui de destinataire, relatif l'activit illocutoire, qui permet de parler de destinataires diffrents sans rien prjuger sur l'unicit ou la non-unicit de l'allocutaire (O.DUCROT, 1980: 236).

Le second facteur qui amne cet effet de ddoublement tient aux conditions situationnelles prises en compte au moment de l'interprtation des noncs. Il faut que la situation interprtative permette l'identification des deux destinataires avec un allocutaire unique (ou avec un groupe unique d'allocutaires). En mme temps, il faut que puisse jouer la loi de discours de l'exhaustivit, exigeant que la parole soit utile , ou - en d'autres termes - les maximes conversationnelles de GRICE (dont surtout la maxime de la pertinence). Grce ces maximes, l'acte d'argumentation A2 apparatra comme ncessaire, ce qui contredit l'image de l'allocutaire tablie partir de l'acte A1, et conduit ainsi un ddoublement dans la reprsentation de l'interlocuteur.

4.2. Que le locuteur veuille bien appliquer cette analyse polyphonique, de nature smantico-pragmatique, au texte suivant o apparat le connecteur argumentatif d'ailleurs, marqueur de la logique du camelot :

(10) - Mon cher ami, dit l'oncle, vous saurez que le vin est un aliment indispensable aux travailleurs de force, et surtout aux dmnageurs. Je veux dire le vin naturel, et celui-ci vient de chez moi ! D'ailleurs, vous-mme, quand vous aurez fini de dcharger vos meubles, vous serez bien aise d'en siffler un gobelet ! (M. Pagnol, La gloire de mon pre).

On y remarquera facilement que l'acte d'argumenter A2, prsent dans l'nonc d'ailleurs Q, devient ncessaire, puisque dans A1 nous avions un constat, une assertion, tandis que dans A2 on a une promesse, une prvision jointe un engagement : je vous promets de vous donner un verre de ce vin quand vous aurez fini votre travail.

5. Le concept de polyphonie n'est pas sans rapport aux 'univers de croyance' et aux 'images d'univers', concepts fondamentaux de la thorie smantico-logique de Robert MARTIN (1983, 1987, 1992).

6. Le comportement discursif des adverbes de phrases ou modalisateurs certes et peut-tre trouve une explication pertinente dans l'approche polyphonique.

6.1. Soit l'exemple suivant, comment par O. DUCROT (1984: 229 - 230). Vous me proposez d'aller faire du ski et je rejette votre proposition en vous rpondant:

(11) Certes, il fait beau, mais j'ai mal aux pieds.

Les noncs de ce genre mettent en scne deux nonciateurs successifs, E1 et E2, qui argumentent dans les sens opposs, le locuteur s'assimilant E2 et assimilant son allocutaire E1.

Bien que le locuteur se dclare d'accord avec le fait allgu par E1, il se distancie cependant de E1: il reconnat qu'il fait beau, mais ne l'asserte pas son propre compte.

C'est que l'emploi du modalisateur certes est impossible si le locuteur s'assimile l'nonciateur assertant P. Le locuteur s'assimile un second nonciateur, celui qui argumente contre la sortie projete, alors que le premier est assimil quelqu'un d'autre, peut-tre, par exemple, l'allocutaire. Dans le seconde partie de l'nonc, on accomplit un acte primitif , acte d'affirmation, et, plus particulirement, d'affirmation argumentative.

lire O. DUCROT (1984: 230), l'acte de la premire partie de l'nonc en est un driv, un acte de concession , qui consiste faire entendre un nonciateur argumentant dans un sens oppos au locuteur, nonciateur dont on se distancie (tout en lui donnant une certaine forme d'accord).

6.2. Comme le locuteur de certes, celui de peut-tre ne s'associe pas au contenu comment: il ne l'asserte pas pour son propre compte.

Soient ces noncs avec le modalisateur peut-tre, oprateur de possibilit:

(12) a. Peut-tre que Paul a vendu sa voiture.

b. Peut-tre Paul a-t-il vendu sa voiture.

c. Paul, peut-tre, a vendu sa voiture.

d. Paul a peut-tre vendu sa voiture.

e. Paul a vendu sa voiture, peut-tre.

propos de ces exemples, M symbolisera peut-tre et p l'nonc sur lequel cet adverbe porte (Paul a vendu sa voiture).

Comme H. NLKE (1993: 173 - 181) l'a dmontr, toute nonciation de la structure M(p) introduit deux nonciateurs:

Ep, qui le locuteur (-en-tant-que-tel) ne s'assimile pas;

Em, qui le locuteur (-en-tant-que-tel) s'assimile.

Ep affirme la vrit de p.

Em ajoute en tant que commentaire que:

(i) il n'a pas de preuve ni en faveur de p, ni en faveur de non-p;

(ii) il est conscient du fait que Ep a apparemment une preuve en rserve en faveur de p;

(iii) tout en tant solidaire de Ep, il accepte l'orientation argumentative que celui-ci attache p (H. NLKE, 1993: 174).

Le locuteur est donc nonciateur de peut-tre et seulement de peut-tre. En tant que locuteur de l'nonc, il n'assume pas le contenu sur lequel porte cet adverbe modalisateur. Peut-tre n'est pas l'objet d'une affirmation. Il est seulement ajout en tant que commentaire.

souligner que des diffrences smantiques notables s'instaurent entre les noncs de sous (12) dans leurs enchanements textuels. Ces diffrences peuvent tre expliques par l'analyse polyphonique.

Que l'on compare les exemples de sous (12) et les trois enchanements prsents dans (13):

(13) a. Mais je n'en suis pas sr.

b. Mais Marie n'a pas vendu la sienne; l, j'en suis sr ! c. Mais il n'a pas vendu sa maison; l, j'en suis sr !

Le locuteur qui envisage l'enchanement (13)a, a tendance choisir (12)a. C'est que dans (12)a, peut-tre ajoute un commentaire au contenu pris comme un tout, et (13)a devient la continuation normale. L'antposition Q a pour effet une minimalisation du rapport entre l'adverbe et le FOYER, ce qui favorise une mise en contraste de l'nonc tout entier. C'est la position prfre des valuatifs et des connecteurs, lesquels, justement, vitent ce rapport (H. NLKE, 1993: 176).

Le locuteur qui envisage l'enchanement (13)b choisira l'nonc (12)c (ou bien il mettra un accent d'insistance sur Paul), car, dans ce cas, le commentaire porte sur l'lment Paul, qui sera contrast dans (13)b. Dans (12)c, l'adverbe dclenche une sorte de focalisation du sujet grammatical, qui conduit souvent un changement de thme.

Enfin, le locuteur qui envisage l'enchanement (13)c, choisira l'nonc (12)d ou (12)e, ce qui produit l'effet aprs coup. Dans ces noncs, peut-tre porte sur le FOYER neutre (sa voiture).

S'il fonctionne comme lment seul dans les rponses, peut-tre a une signification positive.

Ce fait explique la grammaticalit de (14)a et b et l'agrammaticalit de (14)c:

(14) - Tu viendras demain ?

a. - Oui, peut-tre.

b. - Peut-tre.

c. *- Non, peut-tre.

7. L'approche polyphonique du comportement nonciativo-discursif de tous ces morphmes prouve la fausset de la thorie de l'unicit du sujet parlant. Le postulat selon lequel l'nonc isol fait entendre une seule voix s'est avr faux. La polyphonie est constitutive de tout nonc renvoyant au processus de son nonciation. Selon une formule chre O. DUCROT, le DIT dvoile les traces de son DIRE. Le sens des noncs recle un commentaire de l'nonciation beaucoup plus pertinent que selui qui s'exprime dans l'accomplissement des actes illocutoires.

La thorie de la polyphonie ajoute l'altrit externe , propre aux actes de langage, une altrit interne , propre au phnomne de l'nonciation.

Chapitre IVARGUMENTATION ET DMONSTRATION

0. Ensemble de stratgies discursives visant l'adhsion du destinataire, l'argumentation est base sur une logique discursive.

Nanmoins, il faut distinguer, ds le dbut, le propre de l'argumentation du propre de la dmonstration.La distinction DMONSTRATION /vs/ ARGUMENTATION se ramne la distinction plus gnrale LANGAGE(S) ARTIFICIEL(S) /vs/ LANGAGE NATUREL, ou, celle plus prcise RAISONNEMENT /vs/ LOGIQUE NATURELLE.

Un raisonnement est un discours tel que, certaines propositions tant poses [en laissant en suspens la question de leur vrit et de leur fausset] et par cela seul qu'elles sont poses, quelque autre proposition en rsulte soit ncessairement, soit de faon plus ou moins probable (R. BLANCH, 1973: 12 - 13 ).

Parmi les raisonnements, la dduction est l'objet d'un thorme en logique. Une dduction est une suite de propositions obtenues partir des propositions initiales (hypothses) l'aide d'une rgle (ventuellement de plusieurs) ; la dernire proposition de la suite est appele conclusion. Une dmonstration est une dduction pour laquelle on n'a pas d'hypothses autres que les axiomes de la thorie.

ARISTOTE, au dbut des Topiques, distinguait deux types de raisonnement: la dmonstration, d'une part, et le raisonnement dialectique, de l'autre. Pour lui, la dmonstration a pour point de dpart ou prmisses des connaissances vraies ou premires , c'est--dire certaines. Au contraire, le raisonnement part des prmisses qui sont seulement des opinions admises.

La perspective dans laquelle se plaait ARISTOTE en tablissant cette distinction tait celle du raisonnement dductif. Celui-ci part de propositions initiales et conduit, lorsqu'il est rigoureusement men, des consquences qui en rsultent ncessairement. seule diffrence entre dmonstration et raisonnement dialectique tiendrait la nature des prmisses, non la procdure de dduction proprement dite, qui serait commune aux deux formes.

Les choses ne sont pas si simples. Les historiens admettent qu'ARISTOTE a labor sa thorie du raisonnement dductif - qui est essentiellement sa thorie du syllogisme - aprs avoir crit l'essentiel de son tude du raisonnement dialectique (qui figure dans la suite des Topiques).

Or, le point de dpart de cette tude se trouve dans la rflexion sur les changes qui interviennent dans la discussion et - comme le mot le suggre - le dialogue (P. OLRON, 1983: 33 - 34).

On sait qu'ARISTOTE concevait la dialectique comme l'art de raisonner partir d'opinions gnralement acceptes. Le terme de 'dialectique' a dsign pendant des sicles la logique elle-mme. Pourtant, depuis HEGEL et sous l'influence des doctrines qui s'en sont inspir, il a acquis un sens fort loign de son sens primitif et qui fut gnralement accept dans la terminologie philosophique contemporaine.

Nanmoins, l'esprit dans lequel l'Antiquit s'est occup de dialectique et de rhtorique tenta de concilier la dimension logique avec la dimension sociale. C'est cette direction de pense qui fit fortune dans la thorie moderne de l'argumentation.

1. LES CINQ TRAITS DE L'ARGUMENTATION SELON O. REBOUL

1. Les cinq traits essentiels qui distinguent l'argumentation de la dmonstration sont - selon O. REBOUL (1991: 110) - les suivants:

(1) L'argumentation s'adresse un auditoire.

(2) Elle s'exprime en langue naturelle.

(3) Ses prmisses ne sont que vraisemblables.

(4) Sa progression est sans ncessit logique stricto sensu.

(5) Ses conclusions ne sont pas contraignantes.

Dans ce qui va suivre, nous allons ajouter ces traits d'autres, tout en intgrant analytiquement les postulats ci-dessus.

2. ARGUMENTATION, RAISONNEMENT NON-CONTRAIGNANT,SUBJECTIVIT ET INTERACTION

2. Une dmonstration fonctionne l'intrieur d'un systme formel et, ce sujet, elle est correcte ou incorrecte, il n'y a pas de milieu. Et si elle est correcte, elle se suffit elle-mme, il n'y a rien y ajouter. Au contraire, l'argumentation n'a jamais cette rigueur contraignante. Sa validit est affaire de degr: elle est plus ou moins forte. Contrairement ce qui se passe dans une dmonstration, o les procds dmonstratifs jouent l'intrieur d'un systme isol, l'argumentation se caractrise par une interaction constante entre tous ses lments (Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS- TYTECA, 1958: 255). L'argumentation n'est pas close: on peut toujours viser la renforcer en accumulant des arguments convergents.Que l'on compare, cet gard, les deux textes suivants: la dmonstration du thorme de Pythagore et un texte argumentatif Plante verte ou dsert strile ?, forte valeur persuasive, bas sur un acte directif d'adhsion l'Organisation Internationale de conservation des ressources naturelles mondiales.

2.1. Le thorme clbre attribu Pythagore s'nonce ainsi:le carr construit sur l'hypothnuse d'un triangle rectangle est gal la somme des carrs construits sur les autres cts. C'est le thorme du carr de l'hypothnuse.

(Fig. 1)(Fig. 2)

Rciproquement, lorsque dans un triangle le carr d'un ct est gal la somme des carrs des deux autres, ce triangle est rectangle.

(La Grande Encyclopdie, Paris, H. Lamirault et Cie, diteurs, Tome 9, 532).

La dmonstration du thorme est la suivante:

Soit ABC un triangle rectangle avec l'angle A droit.

(Fig. 3) Soit D l'intersection de la perpendiculaire mene de A avec l'hypothnuse BC. Alors on a les relations suivantes:

(1) AB = BD BC

(2) AC = CD CB

(o BC ou CB dsigne la longueur du segment BC, etc.)

Dmonstration

Dmontrons, par exemple, la relation (1). On voit facilement que les triangles rectangles ABD et ABC sont semblables, ayant l'angle B commun. Alors, la proportionnalit des cts donne:

AB BD

= ,

BC AB

d'ou la relation (1), q.e.d. La relation (2) se dmontre d'une manire analogue.

Maintenant nous avons tous les lments ncessaires pour dmontrer le thorme de Pythagore.

Thorme de Pythagore: Dans le triangle rectangle ABC, avec A droit, on a la relation:

(3) BC = AB + AC

Dmonstration: En additionnant les relations (1) et (2), on

obtient: AC + AB = BC ( BD + DC ) = BC . C'est exactement la relation (3), q.e.d.

2.2. Plante verte ou dsert strile ? Il est peut-tre encore temps de choisir Depuis des millions d'annes, les forts tropicales de l'Asie du Sud-Est, de l'Amrique latine et de l'Afrique sont les laboratoires chimiques, les jardins botaniques et les zoos naturels de la Terre. Aujourd'hui nous les dtruisons une telle cadence que dans 25 ans il ne restera plus que des lambeaux des forts immenses de Malaisie et de l'Indonsie. Parce qu'elles poussent surtout sur des sols tropicaux pauvres et sont tributaires, pour leurs lments nutritifs et leur reconstitution, du cycle naturel tabli entre les arbres et les animaux, ces forts sont irremplaables. Ds que les arbres sont abattus, l'rosion du sol entre en action et, en quelques annes, ce qui tait fort devient dsert. Nous avons perdu pour toujours la plus grande richesse en plantes et en animaux de la Terre, notre ressource naturelle d'avenir la plus inestimable sans doute. Le pire est que cela frappe des rgions o la misre est dj synonyme de famine. C'est l, probablement, le problme de conservation le plus grave de notre temps. La destruction rsulte de l'ignorance, de l'troitesse d'esprit et de la demande croissante des consommateurs. Mais nous pouvons y mettre fin si nous sommes assez nombreux manifester notre volont. Comment aider En 1980, le WWF et d'autres organisations internationales de conservation ont publi la Stratgie mondiale de la conservation, programme visant dvelopper les ressources naturelles mondiales sans les dtruire. Vous pouvez participer au mouvement international qui s'efforce de faire appliquer la Stratgie. Devenez membre du WWF, ds aujourd'hui. Nous avons besoin de vous et de votre soutien financier. Contactez le bureau local du WWF pour tout renseignement sur les adhsions ou envoyez directement votre contribution au World Wildelife Fund, l'adresse mentionne ci-dessous. Cette lettre est peut-tre la plus importante que vous aurez jamais crite. WWF INTERNATIONAL Secrtariat des Admissions Centre Mondial de la Conservation 1196 GLAND, Suisse POUR LA CONSERVATION MONDIALE (L' Express, 1730, 7 septembre 1984) 2.3. Il est vident que l'argumentation de sous 2.2. s'adresse un auditoire prcis, les groupes sociaux concerns par la sauvegarde de l'environnement.

Par contre, la dmonstration du thorme de Pythagore est conue pour n'importe qui.

Le sujet argument ou l'auditoire est un facteur essentiel dans la structuration de toute argumentation. Quand il s'agit de dmontrer une proposition, il suffit d'indiquer l'aide de quels procds elle peut tre obtenue comme dernire expression d'une suite dductive dont les premiers lments sont fournis par celui qui a construit le systme axiomatique l'intrieur duquel on effectue la dmonstration... Mais quand il s'agit d'argumenter, d'influer au moyen du discours sur l'intensit d'adhsion d'un auditoire certaines thses, il n'est plus possible de ngliger compltement [...] les conditions psychiques ou sociales dfaut desquelles l'argumentation serait sans objets ou sans effet. Car toute argumentation vise l'adhsion des esprits et, par le fait mme, suppose l'existence d'un contact intellectuel (Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA, 1958: 18).

Pour qu'il y ait argumentation, il faut que, un moment donn, une communaut des esprits effective se ralise. Il faut que l'on soit d'accord, tout d'abord et en principe, sur la formation de cette communaut intellectuelle et, ensuite, sur le fait de dbattre ensemble une question dtermine: or, cela ne va nullement de soi (Ch. PERELMAN et L. OLBRECHTS-TYTECA, 1958: 18).

Toute argumentation s'organise donc autour d'un certain type d'auditoire ou sujet argument. L'auditoire prsum est toujours, pour celui qui argumente, une construction plus ou moins systmatise, un lment thorique, abstrait, non la runion d'individus considrer dans leur prsence physique. On peut tenter d'en dterminer les origines psychologiques et / ou sociologiques, les motivations sociales ou professionelles, les centres d'intrt, le niveau de culture, les contraintes situationnelles, etc.[18]

Le statut du sujet argumentant ou instance mettrice marque de son sceau l'argumentation. Le discours reclera toujours les traces sociales, psychologiques, culturelles, situationnelles, langagires de son producteur.

2.4. Il en dcoule que si la dmonstration est objective, l'argumentation, par contre, est subjectivement oriente, elle est un fait langagier de nature nonciative et sociale.

La dmonstration est non subjective, elle est exprime dans un langage symbolique dont chaque terme ou nonc est parfaitement univoque et qui interdit en principe tout investissement nonciatif (M. CHAROLLES, 1979: 64). La dmonstration nous invite comprendre l'vidence.

De par sa nature subjective et sociale, l'argumentation suppose une dyade, c'est--dire un sujet argumentant (nonciateur ou producteur de l'argumentation) et un sujet argument (auditoire ou destinataire de l'argumentation). Dans les argumentations des types propagandiste et publicitaire, conception et diffusion sont l'uvre de groupes. Les instances dirigeantes de partis ou d'entreprises activent des quipes spcialises, charges de dcouvrir et d'organiser les arguments pertinents. Quant aux personnes vises, il s'agit d'un public aussi large que possible: la mobilisation de moyens importants n'a de sens que si elle permet de convertir le plus grand nombre l'adhsion au programme ou l'achat du produit (P. OLRON, 1983: 15).

. ARGUMENTATION, THSE ET SITUATION

3. L'argumentation, comme la dmonstration, dmontre une thse. Mais, par rapport la dmonstration, l'argumentation part d'une situation originellement conflictuelle. Ce conflit, implicite pour la plupart des cas, est rsolu dans la configuration conclusive de l'argumentation, dans son implicite communicationnel. Or, on se rapporte, ce sujet, aux exemples suivants:(3) Pierre gagne beaucoup d'argent, mais c'est un panier percet(4) Quand le dernier arbre sera coup, la dernire rivire empoisonne et le dernier poisson mort, alors l'homme dcouvrira que l'on ne se nourrit pas d'argent (GREENPEACE). Dans (3), mais anti-implicatif rattache l'nonciation de P l'nociation de Q, tout en inversant leurs conclusions argumentatives. Ainsi, de gagner beaucoup d'argent la conclusion qui s'imposerait serait favorable, la personne qui gagne beaucoup devrait en profiter, avoir les moyens financiers, mettre de l'argent de ct, mener une vie