socioanalyse et psychanalyse

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    Socioanalyse / Psychanalyse

    Du sujet dans la communication

     À l’heure de la spécialisation des savoirs, tenter de faire dialoguer socioanalyse et psychanalyse1 risque de passer pour un pari ubuesque ou, pire, de relever d’une mode… passée de mode.Qui pourtant, en situation d’entretien de type ethnographique, n’a jamais expérimenté la

    nécessité de saisir sous l’angle psychologique le matériau empirique pour mieux analyser ce quise laisse entendre dans ce qui se dit, pour comprendre la manière dont des déterminationsinconscientes (au sens freudien) opèrent sur la perception de soi et du monde social ? Etcomment ceux qui recueillent les douloureuses équations du désir n’éprouvent-ils pas lanécessité de rattacher celles-ci à des évolutions de la société, des structures familiales, de laparenté, de l’économie, des institutions, pour en comprendre les ressorts ? Les approchesanthropologiques de la communication invitent pourtant à mobiliser des sources théoriquesque, par routine académique, l’on pourrait juger incompatibles au premier abord. La puretédisciplinaire qui invite à disjoindre socioanalyse et psychanalyse paraît non seulement releverd’un dogmatisme quelque peu aveugle, mais aussi constituer un véritable obstacle à lacompréhension des formes contemporaines de subjectivité, à la manière dont les individus sontamenés à se vivre en sujet, aux relations qui les associent et au fil desquelles leurs identités seconstruisent, aux différences qui les divisent, aux rapports qu’ils nouent durablement à eux-mêmes et à l’ordre social.

    L’ambition du présent dossier consiste d’abord à inviter les chercheurs de différents horizons(sociologie, anthropologie, psychanalyse, communication, histoire, science politique…) àrenouer le fil d’un dialogue trop tôt rompu. Non pas qu’il n’existe pas, ici ou là, des travauxtémoignant de cette volonté de dépassement des cloisonnements disciplinaires2 mais celle-ci serésume trop souvent à une entreprise individuelle et elle n’aborde pas frontalement la questionde la conception même du sujet. Car s’il existe un dénominateur commun entre psychanalyse

    et socioanalyse et si ce dénominateur commun a valeur de point d’ancrage pour touteanthropologie de la communication, c’est bien dans la conception du sujet qu’il faut lechercher… ou dans ce qui en tient lieu3.

    1 On esquisse un rapprochement non pas entre la sociologie en général et la psychanalyse en général mais, entrecertaines approches sociologiques inspirées notamment par les travaux de P. Bourdieu ou de N. Elias et, parailleurs, pour faire simple, la psychanalyse d’inspiration freudo-lacanienne. Pour justifier ce rapprochement, unnom et une catégorie peuvent servir de premier fil directeur : C. Lévi-Strauss, le symbolique.2  Cf. en ce sens B. Zarca,  « Triple démarche pour une transformation de soi. Psychanalyse, socio-analyse et

    autobiographie », Le Coq-héron, Erès, 2009, n°198.3

     V. de Gaulejac, « L’injonction d’être sujet dans la société hypermoderne : la psychanalyse et l’idéologie de laréalisation de soi-même », Revue française de psychanalyse , PUF, 2011, vol. 75, n°4.

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    Pour ce faire, trois axes d’analyse et de problématisation ont été retenus.

    DU SOCIAL AU PSYCHIQUE DU PSYCHIQUE AU SOCIAL

    Ce premier axe a pour objectif d’expliciter deux séries de questions convergentes :-  comment et sous quelles formes l’analyse sociologique et anthropologique saisit-elle

    l’intériorité psychique ? Quel statut accorde-t-elle à l’inconscient et commentl’appréhende-t-elle ? Qu’est-ce que présuppose et implique la reconnaissance de cetinconscient ? En quoi diffère-t-il mais aussi en quoi s’accorde-t-il avec l’inconscient ausens psychanalytique ?

    -  comment et sous quelles formes la psychanalyse, de son côté, saisit l’intériorisation par

    le sujet de contraintes sociales « structurantes » ? Comment la subjectivité est-elleinstituée, modelée au travers de processus de communication structurants tels quecertains rites de la vie sociale et de la vie familiale ? Peut-on travailler sur le(s) sujet(s) del’inconscient sans confronter la conceptualité freudienne et lacanienne à des évolutions

    des structures familiales, économiques, sociales qui nous sont contemporaines ?Comment le social advient-il en situation d’analyse ?

    Pour préciser ce point, on soulignera que ces questionnements peuvent donner lieusimultanément et complémentairement à des développements d’ordre théorique, basés sur desdiscussions de doctrine, et à des retours sur expérience mettant au jour la manière dont cesquestions émergent de la pratique (pratique d’enquête pour le chercheur en sciences sociales,clinique pour le psychanalyste).

    RETOUR AUX TEXTES

    On reprend ici la même problématique mais, à partir d’auteurs consacrés et de la manière dontchacun d’entre eux a tenté de résoudre, élucider, déplacer la problématique du sujet pour, aufinal, en proposer une conception originale s’inscrivant dans le sillage des grandes blessuresnarcissiques qu’infligèrent Marx et Freud à l’Homme. Si l’on s’interroge par exemple sur lesauteurs qui, en sciences sociales, ont su mobiliser avec profit la psychanalyse, on songeimmédiatement au cas emblématique de N. Elias qui demeure l’un des rares et des plusprolifiques auteurs à avoir assumé simultanément les héritages de Freud, Weber, Husserl sanstrop se préoccuper d’orthodoxie disciplinaire pour le plus grand profit de tous les puristesdisciplinés qui aujourd’hui s’en inspirent. On peut aussi se référer à quelques contemporains

    (dans des registres très différents, V. de Gauléjac4

     ou P. Legendre). Mais n’y a-t-il pas chez unauteur tel que P. Bourdieu qui ne cite pourtant guère la psychanalyse quelque chose comme unenvers social de la psychanalyse qui se lit dans son traitement de la question du père, dans saconception de l’habitus, dans la manière dont il analyse la destinée des agents sociaux, véritablefatum   d’une écriture qui les précède, peut-être aussi dans son attrait pour la penséepascalienne ? Ne décèle-t-on pas dans la conception de l’entretien 5, conçu comme « auto-analyse assistée », un dispositif à la fois similaire et concurrent qui interroge ce qui est en jeudans la relation analytique ? Les belles analyses qu’il consacra aux fils aînés dans le Béarn6 ruralde ses jeunes années invitent en tout cas à saisir les effets de l’anomie autrement que de

    4 Vincent de Gaulejac, « La sociologie clinique entre psychanalyse et socioanalyse », SociologieS   [En ligne],

    Théories et recherches, mis en ligne le 27 avril 2008. URL : http://sociologies.revues.org/1713.5 Cf. P. Bourdieu, « Introduction à la socioanalyse », Actes de la recherche en sciences sociales, 1991, n°90.

    6 Cf. P. Bourdieu, Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Seuil, 2002.

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    manière statistique afin de comprendre comment le désordre social génère souffrances,« casse » subjective, modelant à leur insu l’intimité du vécu des agents.

    Réciproquement, ne peut-on déceler chez Lacan, dans l’emprise de l’Imaginaire et duSymbolique, une dépossession du sujet qui est la condition même de sa socialisation ? En

    d’autres termes, n’y a-t-il pas une anthropologie qui met au jour les raisons pour lesquelles« ça » communique sur un mode qui, fondamentalement, échappe au(x) sujet(s) parce que cedernier reçoit son être (de l’autre et) de l’Autre, du langage qui lui dit qui il a à être ? N’y a-t-ilpas eu aussi chez Lacan un moment durkheimien7 qui l’avait conduit à scruter les variations desstructures familiales et leurs implications sur la structuration des sujets ? Et ne doit-on pasremonter au « mauvais Freud », s’appropriant les poncifs dans l’erre du temps sur lapsychologie des foules ou l’esprit grégaire de la plèbe, pour prendre en considération un fait :quand la psychanalyse ne travaille pas la question sociale, s’abritant derrière d’hypothétiquesinvariants transhistoriques ou recourant aux théories à la mode, c’est le social qui la travaille eten hypothèque la validité ? Dernière question : la clinique n’est-elle pas d’une certaine manièrel’observatoire jamais objectivé de vérités sociales qui devraient rester à l’état d’éclats

    singuliers, comme pour mieux ne jamais faire apparaître une quelconque régularité et renvoyerainsi le sujet à sa seule singularité d’être désirant ?

    OBJECTIVER LA SUBJECTIVITÉ : SUJET SUBJECTIVITÉ

    SUBJECTIVATION

    Ce troisième et dernier axe de problématisation se veut plus ouvert à des thématiquescontemporaines. Il souhaite surtout montrer que l’approche par la communication de certainesthématiques contemporaines d’ordre anthropologique permet de renouveler le regard porté surcelles-ci à la condition de reconnaître le rôle structurant des processus de communication enmontrant notamment que c’est par elle et au travers d’elle que les individus acquièrent leur(s)réalité(s) de sujet au sein de la société. Évidemment, un tel sujet n’a rien d’un cogito (cartésien,kantien ou husserlien) mais s’appréhende comme sujet divisé, agent social, acteur sousl’emprise d’interaction et/ou de relations d’interdépendance… Dès lors, s’ouvre un champ dequestionnement associant modes de subjectivation et domaines de pratiques permettant decomprendre comment de nouvelles formes de subjectivité8  se dessinent dans certainesconfigurations, au sein de cultures déterminées9, comment des individus deviennent « sujet » aufil de pratiques instituantes, comment aussi se redéfinissent des identités, se forgent dessentiments d’appartenance, se modèlent des manières d’être, de penser et de s’engager. Saisir

    les processus de subjectivation sous l’angle de la communication, conditionnant le rapport aumonde des individus, invite ainsi à associer psychanalyse et socioanalyse pour élargir lacompréhension de nombreux phénomènes contemporains autour de la signification de ce quec’est qu’être (être désirant, être travaillant, être parlant…) pour les individus que nous sommes.

    7 On fait référence aux analyses de M. Zafiropoulos développées dans son Lacan et les sciences sociales, PUF,

    2001 qui met tout particulièrement l’accent sur la période 1938-1953.8  Le lecteur peut déceler en filigrane l’influence de problématiques traitées par L. Althusser (Cf. en particulier

    Sur la reproduction, PUF, 1995) et par M. Foucault à la fin de sa vie dans ses livres  L’usage des plaisirs,

    Gallimard, 1984,  Le souci de soi, Gallimard, 1984 et dans ses cours  L’herméneutique du sujet   (1981-1982),

    Gallimard/Seuil, 2001. Plus proche de nous, le vaste projet de réalisation d’une « archéologie du sujet » par

    Alain de Libera, édité en plusieurs volumes à la librairie Vrin, permettra d’étayer historiquement la réflexion.9 Voir en ce sens Le sujet communiste. Identités militantes et laboratoires du moi, sous la dir. de C. Pennetier et

    B. Pudal, PUR, 2014.

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     EN BREF…

    Plus fondamentalement, à l’heure où les SHS et, au travers d’elles, l’attention accordée à lacommunication comme dimension constitutive de la réalité humaine10 enregistrent le primat de

    la relation sur toute forme de substance, autrement dit prennent acte de la dissolution du sujet,que reste-t-il des fictions du sujet ? Et comment faire avec ces fictions prégnantes qui nousassignent d’inconfortables positions institutionnelles et psychiques, qui nous forcent à croire ennotre réalité de sujet, qui modèlent si fortement nos désirs à notre insu ?

    Le dossier se propose donc de montrer qu’une approche par la communication du sujet, c’est-à-dire des formes contemporaines de subjectivité et des processus de subjectivation, présente undouble intérêt :

    -  faire vaciller certains cloisonnements disciplinaires qui entravent la compréhension des vécus associés aux pratiques dans les divers domaines de la sexualité, du travail, durapport à soi et au langage…

    ouvrir un espace d’analyse aux nouvelles formes de subjectivité, à la manière dont seconstituent et se rationalisent des éthos dans des champs de pratiques, à la manièreaussi dont la division sociale du travail suppose des sujets divisibles, ayant incorporé rienmoins que l’ordre social.

    LE CALENDRIER

    Il est conseillé aux auteurs souhaitant présenter un article d’envoyer une courte note d’intention(1000/1500 signes environ) à l’adresse suivante : [email protected] peuvent également se reporter au site de la revue : www.revuepoli t iquesdecom.uvsq.fr/

    Les articles sont à remettre impérativement avant le 30 juin 2016.

    10 N. Elias, Théorie des symboles, Seuil, 2015.