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CARMEN STOEAN

EMILIA BONDREA

ANCA VASILACHE

NOTIONS DE PRAGMATIQUE ET APPLICATIONS

Descrierea CIP a Bibliotecii Naionale a Romniei STOEAN CARMEN Notions de pragmatique et applications / Carmen Stoean, Emilia Bondrea, Anca Vasilache. Bucureti: Editura Fundaiei Romnia de Mine, 2005 92 p.; 20,5 cm. Bibliogr. ISBN 973-725-352-3 I. Bondrea, Emilia II. Vasilache, Anca 81'373.612

Editura Fundaiei Romnia de Mine, 2005

Redactor: Andreea DINU Tehnoredactor: Brndua DINESCU Coperta: Marilena BLAN-GURLUI Bun de tipar: 04.07.2005; Coli de tipar: 5,75 Format: 16/61x86 Editura i Tipografia Fundaiei Romnia de Mine Splaiul Independenei nr. 313, Bucureti, sector 6, O.P. 83 Tel/Fax: 316.97.90; www.SpiruHaret.ro e-mail: [email protected]

UNIVERSITATEA SPIRU HARETFACULTATEA DE LIMBI I LITERATURI STRINE

CARMEN STOEAN EMILIA BONDREA ANCA VASILACHE

NOTIONS DE PRAGMATIQUE ET APPLICATIONS

EDITURA FUNDAIEI ROMNIA DE MINE Bucureti, 2005

Contribuia autorilor: Carmen STOEAN Cap. I, II Emilia BONDREA Cap. III.1 Anca VASILACHE Cap. III.2

SOMMAIRE

Avant-propos . I. LNONCIATION (Carmen Stoean)

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1. mile Benveniste: lappareil formel de lnonciation .. 9 2. Les paramtres de lnonciation ... 15 3. Lappareil formel de lnonciation ... 24 II. LES THORIES CLASSIQUES DES ACTES DE LANGAGE (Carmen Stoean) 1. La thorie du langage performatif de J.L. Austin . 2. La thorie de J. Searle: la structure des actes de langage . 3. Lacte illocutionnaire 4. La drivation illocutoire ... 5. Conclusions la thorie classique des actes de langage ... III. APPLICATIONS 1. Exercices sur les dictiques (Emilia Bondrea) . 61 2. Exercices sur les actes de langage (Anca Vasilache) ... 80 Bibliographie slective .. 91 34 40 48 52 59

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AVANT-PROPOS

Comme on peut le constater, ce livre est trs modeste, au point de vue de ses dimensions. Et, peut-tre, pour certains, lest-il aussi au point de vue du contenu. Les auteurs doivent donc sexpliquer l-dessus. De prime abord, il faut savoir quil sagit dun aperu de pragmatique rdig lintention des tudiants de lenseignement distance, qui ne bnficient pas de cours ni de sminaires hebdomadaires o lon pourrait sattarder sur les explications ncessaires la comprhension correcte et prcise de la thorie. Deuximement, le texte thorique reprend les notions indispensables la comprhension des thories de lnonciation et des actes de langage. On a laiss de ct toute information qui aurait donn lieu des confusions, toute interprtation susceptible de semer le doute et dalourdir la comprhension. On sest content du minimum indispensable lappropriation de lessence des thories mentionnes. De ce point de vue, le texte thorique, bien que rduit comme dimension, est trs consistant au point de vue du contenu. Troisimement, lexprience didactique nous a prouv que la quantit dinformation contenue dans ce texte suffit pleinement recouvrir les activits didactiques prvues pour un semestre universitaire. Le texte thorique est accompagn de deux sries dexercices, la premire concernant la thorie de lnonciation, la seconde la thorie des actes de langage. Ces exercices sont accompagns de leur corrig, ce qui permet aux tudiants dun ct de vrifier7

le degr dassimilation de la thorie et dun autre ct de vrifier les solutions donnes et de trouver les explications justificatives aux solutions correctes. Une partie des exercices est emprunte aux ouvrages indiqus en bibliographie mais les corrigs appartiennent exclusivement aux auteurs qui sen sont charges. Nous esprons que cet instrument de travail va reprsenter laide ncessaire aux tudiants intresss bien russir leur examen de pragmatique et se former une ide, quelque gnrale quelle soit, sur ce phnomne particulirement passionnant quest la pragmatique. Les auteurs

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I. LNONCIATION

1. EMILE BENVENISTE: LAPPAREIL FORMELDE LNONCIATION

La thorie de lnonciation dE. Benveniste ne se prsente pas comme un tout organique, une somme sur le langage et ses diffrents aspects systmiques et fonctionnels. Ses ides sur le systme de la langue et sur la spcificit de lemploi de cette dernire sont disperses dans plusieurs articles et tudes, publis depuis 1966. En faire une synthse nest pas chose facile. Les aspects qui relvent de la problmatique de lnonciation sont: lorganisation systmique de la langue; le fonctionnement de la langue; lappareil formel de la mise en fonctionnement de la langue. 1.1. Deux constatations de Benveniste pourraient reprsenter le point de dpart de son analyse, savoir: La constatation de la diffrence profonde entre le langage comme systme de signes et le langage comme exercice par lindividu (Maingueneau, 1976 : 104); La distinction faite entre le langage en tant que systme de signes et son emploi implique une autre distinction entre les conditions demploi des formes et les conditions demploi de la langue. Les conditions demploi des formes sont un ensemble de rgles fixant les conditions syntactiques dans lesquelles les formes peuvent ou doivent normalement apparatre Ces rgles demploi sont articules des rgles de formation pralablement9

indiques (Benveniste, 1969 : 13). Elles ne sont pas identiques aux conditions demploi de la langue. Les conditions demploi de la langue relvent dun mcanisme total et constant qui, dune manire ou dune autre, affecte la langue entire. (id.) Ce mcanisme est lnonciation, dfinie dabord par Benveniste comme ...mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel dutilisation mais aussi comme acte dappropriation de la langue, conversion de la langue en discours, acte par lequel le locuteur mobilise la langue pour son compte, ou prend la langue pour instrument. Cet acte est le fait du locuteur qui sapproprie la langue pour effectuer un ensemble doprations afin de construire et faire passer un message. Le rsultat de lnonciation est le discours qui renvoie lacte mme de produire un nonc et non pas au texte de lnonc. (id.): Avant lnonciation, la langue nest que la possibilit de la langue. Aprs lnonciation, la langue est effectue en une instance de discours, qui mane dun locuteur, forme sonore qui atteint un auditeur et qui suscite une autre nonciation en retour. (id.). Le procs dappropriation de la langue et de production d noncs prsente trois aspects : la ralisation vocale de la langue, lacte physique que suppose toute mission dnonc (lacte locutoire dAustin); le mcanisme de cette production ou la smantisation de la langue: Cest la question de voir comment le sens se forme en mots ou la transformation du sens en mots; lanalyse de lnonciation dans le cadre formel de sa ralisation, cest--dire la recherche des marques formelles de lnonciation. (id.) Lnonciation ne peut pas tre saisie directement mais seulement travers ses produits, les noncs. T. Todorov affirmait que Nous ne connatrons jamais que des nonciations10

nonces. (1970 : 3-11). Cela veut dire que pour comprendre le fonctionnement de lnonciation, il faut analyser les noncs et certaines de leurs formes constitutives. Pour Benveniste, lnonciation comprend trois oprations: le locuteur sapproprie lappareil formel de lnonciation et il nonce sa position de locuteur par des indices spcifiques; Ds quil se dclare locuteur et assume la langue, il implante lautre en face de luiToute nonciation est, explicite ou implicite, une allocution, elle postule un allocutaire, ou interlocuteur; Enfin, dans lnonciation, la langue se trouve employe lexpression dun certain rapport au monde. La rfrence est partie intgrante de lnonciation. (Benveniste, 1969 : 14). Toutes ces caractristiques sont mentionnes dans la dfinition que Benveniste donne de lnonciation: ...mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel dutilisation. Le discours, dira-t-on, qui est produit chaque fois quon parle, cette manifestation de lnonciation, nest-ce pas simplement la parole ? Il faut prendre garde la condition spcifique de lnonciation: cest lacte mme de produire un nonc et non le texte de lnonc qui est notre objet. Cet acte est le fait du locuteur qui mobilise la langue pour son compte. (.) Le locuteur sapproprie lappareil formel de la langue et il nonce sa position de locuteur par des indices spcifiques, dune part, et au moyen de procds accessoires, dautre part. (Benveniste, 1969). Les indices (indicateurs) spcifiques mobiliss par le sujet parlant pour la ralisation de son nonciation constituent un sous-systme complexe de signes de la langue. Benveniste les considre des signes vides qui nont pas dexistence, cest-dire qui nexpriment rien, qui nont aucun contenu en dehors de lnonciation produite. Ils sont les mmes pour tous les locuteurs mais, chaque emploi, ils reoivent un autre contenu, unique. Ces signes sont constitutifs de lnonciation et, en mme11

temps, renvoient lacte mme de production ou, mieux, aux paramtres de lacte dnonciation. Il sagit des indices de personnes, temporels, dostention et des types de phrase: Les indices de personne renvoient linstance du discours o ils sont produits. Il sagit du couple je-tu, oppos il. Je dsigne la personne qui nonce la prsente instance du discours contenant je. Tu dsigne celui que je pose comme lindividu qui il sadresse dans la prsente instance du discours. Je et tu nont pas dexistence en dehors de la parole qui les profre: je se rfre lacte de discours individuel o il est prononc, et il en dsigne le locuteur .ne peut tre identifi que dans une instance de discours et qui na de rfrence quactuelle. La ralit laquelle il renvoie est la ralit du discours. Cest dans linstance de discours o je dsigne le locuteur que celui-ci snonce comme sujet. (Benveniste, 1966 : 262) ...Je nemploie je quen madressant quelquun qui sera dans mon allocution un tu. Cest cette condition du dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en rciprocit que je deviens tu dans lallocution de celui qui son tour se dsigne par jeLe langage nest possible que parce que chaque locuteur se pose comme je dans son discours. De ce fait, je pose une autre personne, celle qui, toute extrieure quelle est moi devient mon cho auquel je dis tu et qui me dit tu. (id. : 260). Pour Benveniste, les pronoms personnels sont le premier point dappui pour cette mise au jour de la subjectivit dans le langage (id. : 262) qui signifie en fait laffirmation de la prsence du locuteur. A la diffrence de je et tu, il est la marque de la non-personne. Il appartient la syntaxe de la langue et reprsente un invariant non personnel, dfini par son absence de la situation dnonciation. Son fonctionnement langagier et linguistique est diffrent de celui de je-tu: tandis que ces derniers nont de valeur quen relation avec lnonciation, il reoit des valeurs de ses relations avec dautres formes dun12

texte. Il acquiert une valeur anaphorique, par exemple: Jai rencontr Pierre. Il voulait me parler. Les indices temporels sont, en premier lieu, les temps verbaux mais aussi, des mots dautres classes capables didentifier le moment de lnonciation ou des vnements dnots. Les formes temporelles se dterminent par rapport au moment de lnonciation. Le temps concident avec le moment de lnonciation est le prsent, dfini par Benveniste comme proprement la source du temps parce que cest par rapport ce prsent quon repre le pass et le futur: .ce prsent qui se dplace avec le progrs du discoursconstitue la ligne de partage entre deux autres moments quil engendre et qui sont galement inhrents lexercice de la parole : le moment o lvnement n est plus contemporain du discours, est sorti du prsent, et doit tre voqu par un rappel mmoriel, et le moment o lvnement nest pas encore prsent, va le devenir et surgit en prospection. (Benveniste, 1974 : 74). Ltude des relations entre les temps grammaticaux met en vidence que ces derniers ne semploient pas comme les membres dun systme unique mais se distribuent en deux systmes dnonciation diffrents, lhistoire et le discours. Lnonciation historique a pour point de dpart temporel un vnement repre, accompli dans un moment diffrent du prsent de lnonciation: En mai 1796, trois jours aprs lentre des Franais, un jeune peintre en miniature, un peu fou, nomm Gros, clbre depuis, et qui tait venu avec larme, entendant raconter au grand caf des Servi ( la mode alors) les exploits de larchiduc,..., prit la liste des glaces imprime sur une feuille de vilain papier jaune. (Stendhal, La chartreuse de Parme). Elle se caractrise par labsence de lintervention du locuteur dans le rcit et par lemploi de la 3e personne, lexclusion des personnes de lnonciation, je-tu. Les temps verbaux propres sont le pass simple, limparfait, le plus-que-parfait et, aussi, un futur priphrastique valeur13

prospective (Csar devait mourir peu aprs) ou un prsent intemporel. Le temps fondamental est le pass simple (ou laoriste) dont le repre est lvnement rapport lui-mme. Lnonciation discursive se construit autour et partir du prsent de lnonciation qui est aussi le moment de lvnement dnot. Elle recouvre tous les genres o quelquun sadresse quelquun, snonce comme locuteur et organise ce quil dit dans la catgorie de la personne. (Benveniste, 1966 : 237-245). Lnonciation discursive emploie toutes les personnes, en marquant lopposition je-tu / il et les temps prsent, futur, pass compos, imparfait, plus-que-parfait. Le pass compos est le correspondant du pass simple (de laoriste) sur le plan du discours, il tablit un lien vivant entre lvnement pass et le prsent o son nonciation trouve place. Cest le temps de celui qui relate des faits en tmoin, en participant. (id.). Le parfait (pass compos) rattache lvnement au prsent de lnonciation qui lui sert de repre. La diffrence entre les deux types dnonciation sappuie sur leur rapport particulier au locuteur et au moment de lnonciation sans aucune influence des genres discursifs. Les deux formes peuvent se manifester lcrit aussi bien qu loral. Les indices dostentation ou indicateurs de la deixis .organisent les relations spatiales autour du sujet pris comme repre: ceci, ici, maintenant et leurs nombreuses corrlations cela, hier, lan dernier, demain. (Benveniste, 1966 : 263). Lnonciation exprime non seulement la position centrale du locuteur lors de cet acte mais aussi ses relations avec ses partenaires et ses rapports avec son propre discours. Benveniste pose que lnonciation donne les conditions ncessaires aux grandes fonctions syntaxiques. Ds lors que lnonciateur se sert de la langue pour influencer en quelque manire le comportement de lallocutaire, il dispose cette fin dun appareil de fonctions savoir: linterrogation qui suscite une rponse, lintimation14

(linjonction), lassertion. (Benveniste, 1969 : 15-16). Quant aux rapports du locuteur avec son nonc ou avec sa propre nonciation, ils sont exprims par les modalits. 1.2. Aux termes de la prsentation des points forts de la thorie benvenistienne, simposent quelques remarques en ce qui concerne sa contribution la constitution de la linguistique nonciative: il tablit un niveau danalyse suprieur la phrase, le niveau du fonctionnement discursif du sujet et aussi les instruments ncessaires pour lanalyse; en dcouvrant les structures nonciatives fonctionnant au niveau de la phrase, il explique pourquoi la phrase ne fait pas partie du systme formel de la langue; il place au centre de lactivit nonciative le sujet parlant, lEGO, par rapport auquel on dtermine tous les autres paramtres temporels et spatiaux, y compris lallocutaire; ses analyses font le passage de la linguistique de la langue la linguistique de lnonciation. 2. LES PARAMTRES DE LNONCIATION 2.1. Les paramtres de lnonciation reprsentent les repres personnels, spatiaux et temporels de ce quon appelle une situation dnonciation, cest--dire lensemble constitu par le cadre et les protagonistes dune nonciation. 2.1.1. De faon gnrale, lnonciation est dfinie comme lacte de production dun nonc. Dans une situation particulire, un locuteur-nonciateur adresse un/des nonc(s) son allocutaireco-nonciateur. (Riegel, 1994 : 575). 2.1.2. Plusieurs caractristiques de lnonciation ont t mises en vidence dans les tudes qui lui ont t consacres.15

Lnonciation est un acte individuel dutilisation de la langue. Ceci est vrai dans la mesure o chaque acte dnonciation est unique car support par un nonciateur et un destinataire particuliers, dans le cadre dune situation particulire. Mais part ce ct individuel, lnonciation prsente un schma gnral, invariant travers la multiplicit des actes dnonciation. (Maingueneau, 1981 : 15). Et cest grce ce schma rptable quon a pu tablir et dfinir les paramtres de lnonciation. Lactivit de production des noncs met en uvre plusieurs mcanismes et oprations qui concernent non seulement lmission de signaux audibles et visibles mais pralablement le choix des mots et leur ordonnancement (Baylon & Mignot, 1994 : 91), suivant diverses contraintes syntaxiques et smantiques. La mise en fonctionnement de la langue est faite moyennant un ensemble de mcanismes spcifiques, commun plusieurs locuteurs et quil faut absolument respecter pour que lnonciation russisse. Lnonciation ne peut jamais tre tudie en elle-mme, au moment de sa production, mais seulement travers son produit qui en porte les traces, lnonc. On parle dans ce cas, de la dimension rflexive de lactivit linguistique : lnonc ne rfre au monde quen rflchissant lacte dnonciation qui le porte (Maingueneau, 1976 b : 36-37). Lnonciation n est pas seulement lactivit de lnonciateur. Lors dune interaction verbale, chaque nonciateur rgle son/ses nonciation(s) suivant les ractions de son partenaire. Ltude de lnonciation dpasse le cadre de la linguistique. La diversit des faits prendre en considration, larticulation des productions langagires, leurs productions et le monde engagent la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, les thories de la littrature. (Fuchs & Le Goffic, 1985 : 119).16

2.2. Le locuteur 2.2.1. Les termes de la linguistique nonciative qui dfinissent le protagoniste metteur du message (de lnonc) ne se recouvrent pas entirement, quant leur contenu. Locuteur-sujet parlant-destinateur- nonciateur ne se rapportent pas une seule et mme personne. Les plus frquents sont locuteur et nonciateur. 2.2.1.1. Le locuteur se dfinit comme lauteur de lacte de parole, le sujet parlant effectif qui produit matriellement lnonc. Il peut parler pour son propre compte, tre donc lorigine de lnonciation ou bien rapporter les paroles de quelquun dautre, en tre un porte-parole. Il peut aussi tre une personne relle ou fictive, un groupe quelconque plus ou moins dfini, la sagesse des nations, lopinion publique, le on. (Baylon & Mignot, 1994 :91) Ce concept part dune situation de parole et sappuie sur le fait que toute situation de parole fait intervenir des interlocuteurs: le locuteur et lallocutaire (Fuchs & Le Goffic, 1985 : 144) Le locuteur a linitiative de la parole et tant quil la garde, il garde aussi linitiative dans le dialogue. Cest un avantage net par rapport au destinataire car cela lui permet dorienter le cours du dialogue, de choisir ce qui est dire, la faon dont il faut le dire, etc. (Baylon, Fabre & Mignot 2001 : 169). 2.2.1.2. Lnonciateur se dfinit comme celui qui est attribue lnonciation de lnonc (Fuchs & Le Goffic, 1985 : 144), celui qui revient la responsabilit intgrale du message (Baylon & Mignot, 1994 : 91) Ce terme se rfre plus directement lopposition mise en place entre nonc et nonciation. (Fuchs & Le Goffic, 1985 : 144) Dans la plupart des cas, le locuteur effectif sidentifie lnonciateur et alors la double rfrence du dictique je ne soulve plus aucun17

problme. Mais il y a des cas o lemploi de je par le locuteur ne renvoie pas soi-mme, mais quelquun dautre qui peut tre mme le destinataire. Par exemple, dans les noncs: (1) Jai bien dormi, je vais venir avec maman. (une mre sadressant son bb: emploi hypocoristique); (2) Il est mignon, le toutou. (hypocoristique); (3) De quoi je me mle ? (nonc dit pour refuser quelquun le droit la parole, en lui signifiant quil nest pas concern); (4) Alors, nous faisons un petit tour ? (dit par une infirmire qui propose un malade de faire un peu dexercice); (5) Quest-ce quelle veut ? (le cas dun commerant demandant une cliente ce quelle dsire acheter) Maingueneau, 2003 : 4) ; les indices de personnes ne renvoient pas au locuteur mais au destinataire (1, 3, 4) ni au dlocut (2, 5) mais toujours au destinataire. Pour Maingueneau, la suite de Culioli, lnonciateur est le point origine des coordonnes nonciatives, le repre de la rfrence mais aussi de la prise en charge modale. (id. : 2). Le couple locuteur/ nonciateur met en vidence que dans tout ce que nous disons il y a une part de nos propos dont nous ne sommes pas lnonciateur. (Fuchs & Le Goffic, 1985 : 145). 2.2.1.3. Le locuteur, nonciateur ou non, se dfinit en tant que tel par rapport la personne laquelle il sadresse, par rapport son destinataire. En mme temps, ds quil se pose comme sujet parlant, il implante lautre en face de lui. (Riegel, 1994 : 575) et le pose comme allocutaire. 2.2.2. Par son discours, le locuteur se rfre au monde, lextra-linguistique, de deux faons: en introduisant dans son nonc les traces de lactivit dnonciation (qui nest pas seulement linguistique);18

en choisissant comme objet de son discours un lment de la ralit extra-linguistique et en sy rfrant. Cela veut dire que la rfrence fait partie intgrante de la situation dnonciation car il serait difficile de ltudier hors contexte. 2.3. Lallocutaire 2.3.1. Benveniste considre comme une caractristique de lnonciation laccentuation de la relation au partenaire. Au niveau dclaratif, il reconnat lexistence et limportance du protagoniste qui est adress lnonc du locuteur du moment quil reconnat limportance du dialogue mais il lui attribue un rle purement passif. Lexistence mme du destinataire nest possible que par la mdiation du locuteur. (Eluerd, 1985 : 73) Ds quil se dclare locuteur et assume la langue, il implante lautre en face de lui, quel que soit le degr de prsence quil attribue cet autre. Toute nonciation est, explicite ou implicite, une allocution, elle postule un allocutaire. (Benveniste, 1970). Le locuteur et lallocutaire sont alternativement protagonistes de lnonciation dans le sens que chacun prend la parole lorsque son tour vient. Les deux rles, locuteur-allocutaire sont rversibles, interchangeables. 2.3.2. Mais cela ne suffit pas pour videntier le rle de lallocutaire. Celui-ci nest pas seulement le partenaire qui des paroles sont adresses ni seulement celui qui, attendant son tour, se transforme de rcepteur en metteur. Lallocutaire est un partenaire part entire, y compris en situation de rception. Cela veut dire que mme si le locuteur organise son discours suivant ses propres buts et sa propre stratgie, lors de lchange verbal il sera oblig dadapter son discours, sa stratgie et les moyens mis luvre suivant la raction de lallocutaire. Le locuteur a linitiative de lchange et du choix de lobjet de discours mais lallocutaire peut, par son attitude, changer lorientation de lchange, lobjet du discours et par consquent, la finalit mme de lacte de communication.19

2.3.3. Tout comme dans le cas du locuteur, dans le cas de lallocutaire aussi, les diffrents termes employs ne recouvrent pas la mme ralit et nexpriment pas le mme type de relation entre les deux protagonistes de lchange verbal. Il sagit des termes: destinataire allocutaire rcepteur nonciataire cononciateur. Les plus frquents sont destinataire, allocutaire et co-nonciateur. Destinataire et allocutaire prsentent linconvnient de renvoyer des partenaires auxquels on sadresse directement mais qui ne sont pas viss par lnonc, le vrai destinataire tant diffrent. Co-nonciateur veut mettre en vidence la position dgalit de lautre, qui est cens remplir le mme rle que lnonciateur. (Maingueneau, 2003 : 2). 2.3.4. Mme si la linguistique de lnonciation, aprs Benveniste, essaie de changer de perspective, en sorientant vers le statut de lallocutaire et sa contribution au procs dnonciation et reconnat que les deux protagonistes sont galement ncessaires, le locuteur ne cesse de rester le point origine, la source de lnonciation et de lallocutaire. Le procs dnonciation reste une activit oriente dune source vers un but. 2.4. La non-personne reprsente les entits qui ne sont pas susceptibles de prendre la parole, de prendre en charge un nonc ou d assumer un acte dnonciation. Le terme appartient Benveniste qui la prfr celui de 3e personne de la tradition grammaticale. Une fois quon la met en opposition avec le couple nonciateur-cononciateur (Maingueneau, 2003 : 3), cette non-personne est suppose appartenir la situation dnonciation. Elle peut s identifier au dlocut, ce dont les interlocuteurs parlent et dans ce cas, la non-personne dsigne aussi bien des objets , des tats de choses que des personnes.20

2.5. Le contexte 2.5.1. Le cadre rfrentiel dun nonc est constitu par les protagonistes de lacte de communication, lespace dans lequel cet acte a lieu et le temps de son droulement. A cela sajoutent dautres dterminations qui largissent lacception du terme contexte, savoir: les caractristiques psychologiques, sociales, institutionnelles des protagonistes, lexprience vcue dans laquelle lnonciation est cense venir sinsrer. (Fuchs & Le Goffic,1985 : 150-151), les diffrents types de comptences que les protagonistes ont chacun, les expriences et les savoirs quils partagent en commun. En un mot, tous les paramtres avec lesquels Kerbrat-Orecchioni a enrichi le schma de la communication de Jakobson. 2.5.2. Le rle du contexte est important dans lidentification du rfrent ou des rfrents du message et dans linterprtation du message par lallocutaire. On considre que ce dernier construit linterprtation dun nonc lmentaire ou dun texte travers des instructions extraites des divers plans du contexte. (Maingueneau, 2003 : 5). 2.6. Lnonc 2.6.1. La dfinition classique envisage lnonc comme le produit de lacte dnonciation. Il reprsente la partie directement saisissable de lacte de communication. (Baylon & Mignot, 1994 : 90). Parmi les caractristiques dfinitoires de lnonc, il faut mentionner: lnonc est le seul lment et le seul moyen en mme temps laide duquel on peut tudier le procs dnonciation vu quil comporte les traces de lopration qui lui a donn naissance, lnonciation. (id.), traces dont les dictiques sont les marques;21

la prsence des traces de lnonciation au niveau de lnonc signifie que lnonc rflchit sa propre nonciation (Maingueneau, 1981:10); lnonc a donc une double dimension: dun ct, il vhicule un contenu et dun autre ct, il dcrit le procs dnonciation qui le produit (id.); tout comme lnonciation, lnonc prsente un double aspect, gnral et particulier. Le contenu vhicul par un nonc reste stable au-del de la multiplicit des vnements nonciatifs qui le rendent possible. (Maingueneau, 1981 : 6). On parle dans ce cas de lnonc-type. En fonction des diverses nonciations qui peuvent le prendre en charge, diffrentes du point de vue du temps, de lespace, des protagonistes de lacte dnonciation, lnonctype garde son contenu, mais il change de sens. On parle dans ce cas dnonc-occurrence. (id.). Par exemple, lnonc-type Le chat de ma tante est sur le tapis a un contenu stable : il transmet toujours la mme information. Mais suivant la situation dnonciation o il est employ donc chaque nouvelle occurrence il va changer de rfrents et de sens et tre peru comme une constatation, un avertissement, une proposition, etc. 2.6.2. Cela signifie que linterprtation dun nonc sappuie sur plusieurs lments oppositionnels : La premire opposition est lopposition nonc/ phrase. Lnonc constitue une unit de communication lmentaire, une squence verbale doue de sens et syntaxiquement complte. (Maingueneau, 1996 b : 35-36). La phrase reprsente une structure linguistique abstraite, conue en dehors dun contexte, doue dun sens linguistique ou descriptif. La deuxime opposition est celle entre sens et signification. La signification concerne la phrase et rsulte de22

la combinaison entre le sens descriptif (linguistique) de la phrase et le sens rfrentiel, obtenu par lidentification des rfrents de la phrase. Le sens concerne lnonc et reprsente le rsultat de la combinaison entre la signification de la phrase et les lois du discours qui agissent pour lidentification des lments du contexte qui assurent linterprtation correcte de lnonc. Strawson parle de trois types de signification. Les deux premiers correspondent la signification de la phrase, le troisime constitue avec les deux premiers le sens de lnonc: A. Il y a un premier niveau de comprhension dune phrase o la phrase est parfaitement intelligible mme si le rcepteur ne connat pas les rfrents. Cest la signification linguistique. Par exemple, la phrase Le Prsident a exprim lopinion que cinquante ans est lge idal pour ce poste. peut tre comprise mme si on ne sait pas de quel prsident ou de quel poste il sagit. B. A un second niveau, il faut connatre lidentit du prsident et la nature du poste pour accder une comprhension plus profonde de la phrase. Cest le niveau de la signification rfrentielle. C. A un troisime niveau, on parle de la signification complte ou globale: il sagit du sens que le locuteur attribue, dj, son nonc, lintention quil poursuit en le produisant: il veut par exemple communiquer que le prsident en question a un candidat favori. (in Fuchs & Le Goffic, 1985 : 124). Mme si lanalyse linguistique spare les niveaux de signification pour une meilleure comprhension, la dmarche interprtative dun nonc est oriente inversement, car ce niveau ce nest pas une addition de signes qui produit le sens, cest au contraire le sens (lintent) conu globalement, qui se ralise et se divise en signes particuliers qui sont les mots. (Benveniste, 1974 : 64).23

3. LAPPAREIL FORMEL DE LNONCIATION 3.1. Dfinition et caractristiques gnrales Sous cette dnomination, Benveniste a regroup lensemble des signes de la langue qui renvoient aux paramtres de lnonciation. Il sagit des signes nomms embrayeurs (de langlais shifters Jakobson), lments indiciels, symboles indexicaux, expressions sui-rfrentielles, dictiques (Pierce), indicateurs (Benveniste), chacun de ces termes visant mettre en relief lune ou lautre de leurs caractristiques. Le plus frquemment employ est le terme dictique, adjectif correspondant au grec deixis = action de montrer (Baylon, Fabre & Mignot, 2001 : 168). Les dictiques identifient et manifestent les trois repres fondamentaux de lnonciation, organiss sur laxe moi-icimaintenant / ego-hic-nunc ainsi que les paramtres qui en drivent : le locuteur (moi) qui prend la parole; lallocutaire instanci par rapport et grce je-locuteur, celui qui je sadresse, la non-personne, ce ou ceux qui fait/font lobjet de parole; lespace (ici-hunc) o se trouve le locuteur et o a lieu lchange verbal; le temps (maintenant-nunc) de lchange, pendant lequel le locuteur se trouve dans lespace indiqu. On peut donc dire que les dictiques ont la fonction dinscrire les noncs-occurrences dans lespace et dans le temps par rapport au point de repre que constitue lnonciateur. (Maingueneau, 1981 : 21). La premire caractristique des dictiques est de rflchir lnonciation et par cela, leur propre occurrence. Cest pourquoi on les appelle sui-rfrentiels. Cela veut dire que, tout dabord, ils dsignent les lments constitutifs de lnonciation mais, en mme temps, ils permettent lidentification de ce quils dsignent, savoir: je dsigne, chaque occurrence, lindividu qui emploie je pour se poser en locuteur et pour parler de lui-mme. Chaque24

fois quon entend quelquun prononcer je, nous savons quil sagit dun individu qui se pose en locuteur; tu dsigne lallocutaire, lindividu dsign par je comme destinataire de son message; ici et maintenant ne peuvent dsigner que lendroit et le moment o est produit lnonc contenant tous ces signes; il/elle dsigne llment (objet ou individu) qui fait lobjet de lchange. Lautre caractristique qui en dcoule est que les dictiques nont pas de rfrent dfinitif et immuable (Baylon & Mignot, 1994 : 46) parce qu chaque nouvelle occurrence, la ralit laquelle ils renvoient est diffrente. (La rfrence est le processus de mise en correspondance des units linguistiques avec les lments de la ralit extralinguistiques). Dans Je te promets de temmener au cinma ce soir, je, te/t, ce soir dsignent chaque fois autre chose suivant que lnonc est produit par une mre qui veut rcompenser son enfant, par un mari qui veut se faire pardonner, par un jeune homme qui veut faire plaisir sa fiance, etc. Dans chacun de ces cas, la situation dnonciation est diffrente et, par consquent, les paramtres nonciatifs le sont aussi. Les dictiques se trouvent la base de la distinction opre entre les noncs dont les reprages se rapportent la situation dnonciation, noncs embrays, et ceux dont les reprages se rapportent un terme de lnonc, noncs nonembrays. (Maingueneau, 1996b : 33-34). Cette opposition recouvre, en fait, lopposition classique de Benveniste histoire/ discours. Les dictiques remplissent une double fonction : ce sont des signes qui appartiennent au systme de la langue ou bien des symboles qui dsignent de la faon la plus gnrale les lments constitutifs de lnonciation ; ils sont en mme temps des index (indices) car ils dsignent de faon particulire ces lments en leur prsence, cest--dire en prsence de leur rfrent, et par cela ils reoivent un sens dtermin (Maingueneau, 1981).25

Il sensuit que les dictiques ne sont pas des signes vides car ils ont chacun, un sens gnral, ils renvoient un rfrent. Leur rfrent est un rfrent abstrait, correspondant lun ou lautre des paramtres de lnonciation. Le dictique je a pour rfrent la personne qui, dans nimporte quelle situation dnonciation, assume le rle du locuteur. De mme, le rfrent de tu est la personne qui, dans nimporte quelle situation dnonciation, se voit attribuer le rle de destinataire. 3.1.1. La catgorie des dictiques est constitue: des indices de personnes qui dsignent les participants lnonciation; des indices de lostention qui dsignent le lieu de lnonciation ou bien lobjet de parole. On les appelle ainsi car leur ralisation vocale accompagne un geste dsignant lobjet auquel ils rfrent; des indices temporels. 3.2. Les dictiques personnels Benveniste employait le terme dictique uniquement pour les indices dostention mais son emploi sest tendu aux indices personnels aussi. On fait entrer dans la classe de ces dictiques: les pronoms personnels de premire et deuxime personnes, singulier et pluriel; les possessifs, prdterminants et substituts, se rapportant aux personnes du dialogue, locuteur et allocutaire; certains emplois de lindfini on dsignant les participants de lnonciation; certains appellatifs, noms communs ou propres, du type maman, papa, ami, Pierre, etc. quand ils dsignent le destinataire du message (lallocutaire).26

3.2.1. Les personnes du dialogue Les pronoms personnels je-tu dsignent les personnes du dialogue. Je occupe une position spciale car il nest pas seulement, au niveau systmique, le sujet grammatical de la phrase mais aussi le pivot, le point origine du dialogue: celui qui s autodsigne je assume le rle de locuteur donc dinitiateur du dialogue et en mme temps, il choisit qui sadresser, donc il choisit la personne qui devient tu, allocutaire. Daprs Maingueneau (1981), je-tu reprsentent la fois des morphmes grammaticaux, appartenant la langue et des signes inscrits dans une nonciation unique, o ils rfrent en marquant quun sujet sempare du systme et ouvre un rapport rversible quelquun quil pose comme allocutaire. Je-tu constituent une paire indissociable. Les deux rles respectifs locuteur, allocutaire sont interchangeables car, tour de rle, les protagonistes du dialogue sont, chacun, locuteur et allocutaire. Cela signifie aussi que les deux remplissent un rle actif quand ils se posent en locuteur et un rle passif, dcoute, quand ils deviennent allocutaire. Les pronoms nous-vous reprsentent des pronoms amplifis et non pas le pluriel de je-tu: nous dsigne un locuteur collectif, vous dsigne un allocutaire collectif. Il y a des cas o nous et vous peuvent dsigner une seule personne. Il sagit du nous de majest, employ par les personnes publiques et officielles (prsident de la rpublique, monarque, prfet, premier-ministre) et du nous de lauteur ou de modestie, employ dans les ouvrages didactiques, les prfaces des livres et dont le rle est dintgrer le destinataire lnonciateur. De mme, vous peut tre pronom de politesse (pour les autres valeurs). La paire je-tu renvoie des personnes parfaitement dfinies par la situation dnonciation qui, obligatoirement, sont prsentes et en contact et qui sont a priori des sujets parlants.27

Du point de vue du systme, je-tu nont pas de substituts possibles, cest--dire un autre lment linguistique qui les remplace : nom, pronom, etc. Dans certains types de discours, tu est employ avec une valeur gnrique pour personnaliser des noncs impersonnels valeur gnrale et pour constituer lallocutaire en partie prenante du procs : Les prix te montent une allure folle depuis dix ans ! On trouve aussi un datif thique dont le rle est dintgrer lallocutaire dans lnonc titre de tmoin actif, bien quil ny ait aucun rle dans le procs: Alfred te perce ce coffre en cinq minutes ! (Maingueneau, 1981 : 17) 3.2.2. La non-personne La non-personne ou le dlocut reprsente lobjet du discours, ce dont le locuteur et lallocutaire parlent. Il peut sagir dune personne aussi bien que dun objet, prsent ou absent de la situation dnonciation. Le dlocut fait partie de la situation de locution car, sans objet de parole, linterlocution locuteur-allocutaire naurait pas lieu,mais son rle est purement passif. Mme si le dlocut est une personne prsente dans la situation, elle ne peut pas prendre la parole, cest un non-allocutaire. Le dlocut est dsign par: le pronom personnel il; tout GN accompagn dun prdterminant dfini, possessif ou dmonstratif renvoyant au rfrent concern; des substituts pronominaux personnels, possessifs ou dmonstratifs. Ces lments renforcent leur valeur dictique par le fait que leur emploi accompagne un geste dostention, un geste qui indique le rfrent : Prenez ce livre !, Regarde-le ! Le pronom personnel il na pas seulement la fonction dictique de dsigner lobjet de parole, le dlocut. Sil est28

employ pour remplacer un GN commun ou propre qui a t introduit antrieurement dans le discours, il na plus une valeur dictique mais une valeur anaphorique :le contexte de son emploi nest plus un contexte situationnel mais un contexte linguistique, le cotexte: a. Alors, quest-ce que nous allons faire ? Vous, Marie, vous restez ici, mais il viendra avec moi. il dictique. b. Jai dit Pierre de passer nous voir. Il ma dit quil viendrait un de ces jours. il anaphorique, substitut de Pierre. Il peut galement avoir une valeur impersonnelle ou unipersonnelle quand il sert de support aux verbes qui ne peuvent pas tre rattachs aux autres personnes, je, tu, il dlocut. Il sagit des verbes mtorologiques (il pleut, il neige) ou des verbes qui comportent un sujet grammatical et un sujet logique du type: Il est arriv un accident. Dans ce cas, il symbolise lattache de tout vnement lunivers qui lui prexiste et dont, invitablement, il fait partie. Il symbolise ce quon appelle la personne dunivers (Cervoni, 1987, passim), lment abstrait, de grande gnralit. Il y a des linguistes qui considrent quil nest pas un dictique car pour tre dictique, il doit manifester la proprit de rflexivit et renvoyer lun des lments du cadre nonciatif. Et lon considre que lobjet de parole fait partie dun univers extrieur lunivers de la locution. De mme, linterprtation dictique implique llargissement du cadre nonciatif qui devra comprendre lobjet de parole. De la sorte, la deixis sera illimite car elle devra inclure tous les substituts qui peuvent dnoter cet objet. (Cervoni, 1987, passim). Nous lavons dj dit, il dsignant le dlocut doit faire partie de la deixis car sans le dlocut objet de parole linterlocution nexisterait pas. Cette opinion est soutenue dailleurs par Berrendonner (1981 : 61) qui considre que il dictique29

est au mme titre que les tres dsigns par je et tu un argument dictique rfrant un participant du procs de communication Le plus remarquable me parat tre ici que lunivers, cest--dire le contexte de tous les schmas de la communication, conu comme entit rfrentielle globale, doive tre considr comme un participant actif de lvnement dinterlocution, et non seulement comme une circonstance inerte. 3.3. Les dictiques temporels Appartiennent cette catgorie: le paradigme entier des formes temporelles qui se dterminent par rapport EGO, centre de lnonciation (Benveniste, 1970); certains adverbes et certains groupes prpositionnels indiquant le temps: aujourdhui, hier, demain, la semaine dernire, jeudi prochain, cette semaine, le mois pass, etc. 3.3.1. Le moment de lnonciation reprsente le repre partir duquel on dtermine les deux poques, passe et future. On considre que le moment du droulement du procs dnot dans lnonc produit est concident avec le moment de lnonciation, moment o le locuteur produit cet nonc. La forme temporelle apte exprimer cette concidence est le prsent de lindicatif. Sur laxe temporel, le prsent de lindicatif reprsente le moment zro, ayant sa gauche les temps du pass imparfait, pass compos et sa droite, les temps du futur, futur proche et futur simple. Cest ainsi que sorganise laxe temporel du discours, oppos par Benveniste laxe temporel du rcit. Les vnements passs ou futurs marqus sur cet axe du discours ont tous comme point de repre le moment de lnonciation. Du point de vue systmique, chaque forme temporelle simple (non-accompli) dnotant lun de ces vnements, correspond30

une forme compose (accompli): prsent pass compos; imparfait plus-que-parfait; futur futur antrieur. 3.3.2. La localisation temporelle du procs nest pas effectue seulement grce aux temps verbaux mais par tout lnonc. A lintrieur de celui-ci, on peut rencontrer dautres lments adverbes et locutions adverbiales, groupes prpositionnels qui permettent le reprage temporel du procs. Ces lments sorganisent suivant le rapport quils tablissent avec le moment de lnonciation. Ainsi, on emploie: pour la concidence: aujourdhui, maintenant, en ce moment, cette heure-ci, ce matin-ci; pour le dcalage antrieur (pass): hier, avant-hier, la semaine passe, lanne dernire, le mois pass ; pour le dcalage postrieur (futur): demain, aprs-demain, dornavant, la semaine prochaine, lanne prochaine, le mois prochain. Kerbrat-Orecchioni (1980), Riegel, (1994 : 578) y ajoutent des adjectifs, des prpositions valeur dictique: actuel, pass, prochain, avant, aprs, etc. 3.4. Les dictiques spatiaux Le point de repre des dictiques spatiaux est reprsent par lendroit o se trouve le locuteur au moment o il produit son nonc, endroit dsign par ladverbe ici. Par rapport cet endroit, on tablit les deux directions de laxe spatial la proximit et lloignement sur lequel se place lobjet de parole. Les dictiques spatiaux sont des lments dostension : ils accompagnent toujours un geste du locuteur indiquant llment qui constitue lobjet de parole, le dlocut si celui-ci est prsent dans la situation. Les lments du systme constituant la catgorie des dictiques spatiaux sont:31

les dmonstratifs, prdterminants et pronoms; les prsentatifs; les lments adverbiaux. 3.4.1. Les dmonstratifs Dans le cas des pronoms, on considre comme dictiques purs les dmonstratifs neutres a, ceci, cela. Les dmonstratifs adjectifs accompagnent un nom et, de cette faon, ils restreignent la classe des rfrents du GN: Pour arriver sur lautre rive, il faut prendre le bateau / ce bateau. Le syntagme ce + GN renvoie un objet qui appartient lunivers du discours connu aux interlocuteurs. (Maingueneau, 1981 : 22). Les dmonstratifs sont accompagns des particules ci, l pour marquer la proximit ou lloignement du rfrent concern par rapport au locuteur. Ils remplissent non seulement une fonction dictique mais aussi une fonction anaphorique, de reprsentants, dans le cas o lobjet de parole nappartient pas au contexte situationnel mais au contexte linguistique (le cotexte): Marie ma annonc que Pierre a russi ses examens de fin danne. Cela ma beaucoup rjoui. Cela anaphorique, substitut de la subordonne prcdente. 3.4.2. Les prsentatifs ont la fonction dattirer lattention de lallocutaire sur lapparition de rfrents nouveaux: Voici/ voil Pierre qui arrive. Ils peuvent aussi tre reprsentants, dans les mmes conditions que les dmonstratifs: Je ne veux plus jamais entendre parler de lui ! Voil ce quelle ma dit. Voil a pour rfrent la rplique reproduite dun discours direct antrieur, donc un rfrent cotextuel.32

3.4.3. Les lments adverbiaux sont dabord les adverbes et les locutions adverbiales proprement-dits qui constituent un micro-systme doppositions (Maingueneau, 1981 : 23) du type: ici/l / l-bas; prs / loin; en haut / en bas; gauche / droite; devant / derrire, etc. Sy ajoutent les groupes prpositionnels qui peuvent localiser lobjet de parole par rapport lendroit o se trouve le locuteur ou linterlocuteur: Le livre est devant toi. Le chat est sous le fauteuil. Dans la classe des adverbiaux, lopposition proximit / loignement est illustre par lopposition ici/ l mais, cause de lemploi de plus en plus indiffrenci de ces deux adverbes, lopposition sest neutralise de sorte que pour la refaire, on a fait appel un troisime terme, l-bas. La nouvelle configuration en est:l (neutre)

ici proximit

l-bas loignement(Kerbrat-Orecchioni, 1980)

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II. LES THORIES CLASSIQUES DES ACTES DE LANGAGE

1. LA THORIE DU LANGAGE PERFORMATIFDE J.L. AUSTIN

1.1. Les sources de la thorie des actes de langage Deux sont les sources de la thorie classique des actes de langage: lopposition la thorie descriptiviste (reprsentationnaliste pour Rcanati). Dans les confrences William James quil donne en 1955 Harvard, J.L. Austin slve contre la thorie descriptiviste, quil appelle de faon pjorative lillusion descriptive, conformment laquelle la fonction du langage est de dcrire la ralit: un nonc dcrit un certain tat de choses ou affirme une certaine ralit et, par rapport cet tat de choses / cette ralit, il ne peut tre que vrai ou faux. Par exemple, les noncs: Il pleut depuis trois jours., Jean a perdu son train. sont vrais si ltat de choses voqu savre tre vrai et faux si ltat de choses concern ne se vrifie pas dans la ralit. Austin constate quil y a des noncs dclaratifs qui ne dcrivent et naffirment aucune ralit, mais bien au contraire, crent / instaurent une ralit: On en est venu penser communment quun grand nombre dnonciations [utterances] qui ressemblent des affirmations, ne sont pas du tout destines rapporter ou communiquer quelque information pure et simple des faits Toutes les informations, vraies ou fausses, ne sont pas pour autant des descriptions (Austin, 1970 : 38 39) Il sagit dnoncs du type: Oui [je le veux] prononc lors de la crmonie du mariage.34

Je baptise ce bateau le Queen Elizabeth. Je donne et lgue ma montre mon frre dans un testament. Je vous parie six pence quil pleuvra demain. (id. : 41) Il sensuit que la fonction du langage est tout autant dagir sur la ralit et de permettre celui qui produit un nonc daccomplir, ce faisant, une action. (Moeschler & Auchlin, 2000 : 135). Cette conclusion fonde la seconde source, savoir la conviction suivant laquelle lunit minimale de la communication humaine nest ni la phrase ni une autre expression mais laccomplissement de certains types dacte (Searle, 1972) et justifie linclusion de la thorie des actes de langage dans une thorie largie de laction. 1.2. Enonc constatif / nonc performatif En tudiant diffrents types dnoncs dclaratifs, Austin opre une premire distinction entre : noncs (ou nonciations cf. la traduction) constatifs qui, mme sils ne servent pas tous dcrire une ralit (ou un tat de choses) peuvent tre sanctionns comme vrais ou faux: Il meurt. Il fait chaud ici. Tu feras ton devoir maintenant. Le taureau est en train de foncer. noncs performatifs qui ne dcrivent aucune ralit mais servent, au contraire, instaurer une nouvelle ralit et qui ne peuvent tre ni vrais ni faux mais heureux ou malheureux: Je te promets de temmener au cinma demain. Je te prie de faire plus dattention ses discours. Jexige quon mobisse. Les noncs constatifs sont soumis aux conditions de vrit alors que les noncs performatifs dpendent des conditions de flicit dtermines par lexistence de procdures conventionnelles,35

parfois institutionnelles (mariage, baptme, etc.), et de leur application correcte et complte, des tats mentaux appropris ou inappropris du locuteur, du fait que la conduite ultrieure du locuteur et de linterlocuteur soit conforme aux prescriptions lies lacte de langage accompli. (Moeschler & Auchlin, 2000 : 136). 1.3. Performatif explicite / performatif implicite (primaire) En poursuivant son analyse, Austin fait remarquer que les noncs performatifs prsentent tous la mme particularit syntaxique, savoir : ce sont des noncs la 1re personne du singulier de lindicatif prsent avec des verbes du type: ordonner, prier, promettre, inviter, demander, etc. En mme temps, il identifie dans la catgorie des noncs constatifs certains qui correspondent des performatifs mme sils nont pas la structure syntaxique mentionne: Je temmnerai demain au cinma peut fonctionner comme une promesse, tout comme Je te promets que je temmnerai demain au cinma. Cette remarque lui permet doprer une deuxime distinction entre performatif explicite et performatif primaire (implicite). Le premier type dsigne un nonc dclaratif qui nomme lacte accompli et qui comporte dans sa structure un prfixe qui exprime sans ambigut la performativit de lnonc: Je vous ordonne de quitter cet tablissement jusqu ce soir. Je te prie de me ficher la paix. Je vous demande dattendre encore un instant. Le second type dsigne un nonc o lacte accompli nest pas nomm mais il sera identifi grce au contexte : La sance est ouverte. Je te ferai comprendre tout cela. Tu finiras tes devoirs avant que ton pre ne rentre.36

Austin constate galement que les noncs constatifs dsignent tous des actes implicites dassertion et quils se laissent tous paraphraser par des performatifs explicites, ce qui lui permet de conclure que toute phrase est potentiellement performative, le rle des verbes performatifs du type affirmer, dclarer, ordonner, etc. tant dexpliciter la force performative de la phrase : Je viendrai ce soir Je te promets de venir ce soir. Il fait froid ici Jaffirme quil fait froid ici. La sance est ouverte. Je dclare la sance ouverte. Il faut donc retenir que sont des performatifs primaires tous les noncs dont la structure syntaxique ne contient pas un marqueur explicite de performativit (force illocutionnaire, voir infra): Il meurt, Voulez-vous du caf ?, tandis que la structure syntaxique des performatifs explicites contient ce marqueur: Je dclare (jaffirme) quil meurt, Je vous demande si vous voulez du caf. Dans le cas des performatifs primaires, le marqueur (ou formule performative) est explicit dans la reprsentation smantique de lnonc (Sadock, 1974). Dans le cas des performatifs explicites, le marqueur se retrouve dans la structure syntaxique de lnonc. Tout nonc performatif se dfinit par son caractre suirfrentiel : en mme temps quil reprsente un certain tat de choses dont on vise linstauration, il se prsente comme nonc accomplissant un certain acte de parole. Employ normalement afin de provoquer certains faits bien dtermins.., il est ncessaire quil ait un caractre causateur. (Larreya, 1979 : 19). Llment CAUSE, qui dfinit ce caractre, figurerait dans la structure smantique de lnonc performatif et devrait tre accompagn dun autre trait [+ VOLITION], cens rendre compte du fait quun acte de langage performatif consiste produire dlibrment certains effets La prsence du trait [+ VOLITION] est une seconde condition ncessaire pour quun37

nonc soit performatif. (id.) Dans la structure smantique de lnonc, le prdicat central se caractriserait par une dualit de sens exprime par les deux concepts causation et volition qui rendrait difficile la paraphrase dun nonc performatif. 1.4. Types dactes de langage Cette deuxime distinction fait surgir une difficult: on constate que le mme nonc peut tre soumis tantt aux conditions de vrit (sil se manifeste comme un constatif pur: Le chat est sur le paillasson.), tantt aux conditions de flicit (sil se manifeste comme un performatif: Jaffirme que le chat est sur le paillasson). Cest pourquoi, Austin prfre laisser de ct cette distinction entre types dnoncs et distinguer entre types dactes de langage. Lexamen dtaill dun nonc lui permet de distinguer trois types dactes de langage : lacte locutionnaire / locutoire qui reprsente lactivit linguistique proprement dite, lactivit de dire ou le dire. Il se dcompose en trois sous actes: lacte phontique qui consiste en la production des sons, lacte phatique qui reprsente la combinaison des mots en phrase et lacte rhtique qui consiste employer les mots dans un sens et avec une rfrence plus ou moins dtermine. Cet acte est accompli par le fait de dire quelque chose. lacte illocutionnaire / illocutoire est un acte qui se superpose au premier, un acte effectu en disant quelque chose. Il sagit dactes du type: questionner, rpondre, renseigner, rassurer, avertir, etc. lacte perlocutionnaire / perlocutoire est accompli par le fait davoir dit quelque chose et relve des consquences de ce que lon a dit, consquences qui ne font pas partie intgrante de lacte locutoire, elles surviennent aprs. Dire La sance est38

ouverte implique un certain nombre de consquences: les participants se taisent, quelquun prend la parole, etc. Austin distingue, donc: lacte locutoire (et les actes phontique, phatique et rhtique quil inclut) qui possde une signification; lacte illocutoire o le fait de dire a une certaine valeur; et lacte perlocutoire, qui est lobtention de certains effets par la parole. (Austin, 1970 : 129). 1.5. Les classes dactes illocutionnaires Lobjet central de la thorie des actes de langage est lacte illocutionnaire. Pour Austin, lacte illocutoire nest pas une consquence directe de lacte locutionnaire, mais une valeur , ou une force que lacte locutoire acquiert en plus, du fait de la volont du locuteur, et non de faon strictement induite par son sens littral le mme nonc peut tre profr pour rassurer, pour effrayer (Blanchet, 1995 : 32). Cette force ou cette valeur sappelle force/valeur illocutoire de lnonciation et elle peut tre identifie grce la structure syntaxique de lnonc (dans le cas du performatif explicite) ou bien grce au contexte de production de lnonc (dans le cas des performatifs primaires). Ltude de cette force/ valeur permet Austin dtablir cinq classes dactes illocutionnaires; Les verdictifs qui permettent au locuteur de se prononcer sur ce quon dcouvre propos dun fait ou dune valeur, mais dont, pour diffrentes raisons, on peut difficilement tre sr: acquitter, condamner, dcrter que, estimer, calculer, coter, apprcier, etc. Les exercitifs renvoient lexercice de pouvoirs, de droits ou dinfluences: dsigner, renvoyer, excommuniquer, nommer, ordonner, voter pour, lguer, condamner, etc. Les promissifs se caractrisent par le fait que lon promet, ou que lon prend en charge quelque chose: promettre, convenir de, contracter, se lier, donner sa parole, jurer de, parier, etc.39

Les comportatifs reprsentent un groupe trs disparate qui a trait aux attitudes et au comportement social: sexcuser, remercier, dplorer, compatir, rendre hommage, critiquer, applaudir, souhaiter la bienvenue, faire ses adieux, etc. Les expositifs sont employs dans les actes dexposition: explication dune faon de voir, conduite dune argumentation, clarification de lemploi et de la rfrence des mots: affirmer, nier, remarquer, renseigner, prvenir, dire, rapporter, tenir pour, postuler, argumenter, etc. (Austin, 1970 : 153 162). Cette classification nest pas tenue comme acheve et parfaite (id.) et soulve assez de difficults dinterprtation. Elle a t, dailleurs, critique par nombre de linguistes dont Searle lui-mme. 2. LA THORIE DE J. SEARLE: LA STRUCTURE DES ACTES DE LANGAGE 2.1. Rgle normative / rgle constitutive Searle continue la thorie des actes de langage dans la direction de la thorie de laction car il affirme que Lhypothse sur laquelle repose cette tude est donc que parler une langue, cest adopter une forme de comportement rgie par des rgles. (Searle, 1972 : 59). Les rgles auxquelles se rapportent Searle sont de deux catgories: rgles normatives dont la fonction est de rgir une activit prexistante, une activit dont lexistence est logiquement indpendante des rgles On retrouve dans cette catgorie les rgles de politesse qui gouvernent des formes de comportement qui leur prexistent; rgles constitutives qui fondent (et rgissent galement) une activit dont lexistence dpend justement de ces rgles. et qui ont la forme X compte pour Y dans le contexte C. Lhypothse de Searle prend donc la forme suivante: Dune part la structure smantique dune langue peut tre considre40

comme lactualisation, suivant des conventions, dune srie densembles de rgles constitutives sous-jacentes, et dautre part, les actes de langage ont pour caractristique dtre accomplis par lnonc dexpressions qui obissent ces ensembles de rgles constitutives. (id. : 76). Lorientation de Searle fait que la thorie des actes de langage concerne lanalyse de la langue et de la signification dans la prise de parole du locuteur conue comme une vritable action, comparable une action matrielle ralise par exemple avec la main. (Blanchet, 1995 : 30). 2.2. Le principe dexprimabilit La premire contribution de Searle la thorie austinienne est la formulation du principe dexprimabilit, principe selon lequel tout ce que lon veut dire peut tre dit: Pour toute signification X, et pour tout locuteur L, chaque fois que L veut signifier (a lintention de transmettre, dsire communiquer, etc.) X, alors il est possible quexiste une expression E, telle que E soit lexpression exacte ou la formulation exacte de X. (Searle, 1972 : 56-57). Ce principe exprime en fait le refus de Searle de sparer comme Austin le fait le sens descriptif et le sens pragmatique de la phrase : Puisque toute phrase doue de sens peut , de par sa signification mme, tre utilise pour effectuer un ou une srie dactes de langage particuliers, et puisque tout acte de langage ralisable peut en principe recevoir une formulation exacte lintrieur dune ou de plusieurs phrases (en admettant que la situation le permette), il sensuit que ltude de la signification des phrases et ltude des actes de langage ne forment pas deux domaines indpendants, mais seulement un seul, vu sous deux aspects diffrents. (id.: 54 55). Du principe dexprimabilit dcoulent deux autres lments qui sont devenus les notions centrales sur lesquelles sappuie la thorie de Searle: celle dintention et celle de41

convention. Searle affirme que tout locuteur est anim, lors de la communication, dune double intention : communiquer son interlocuteur le contenu de sa phrase et, en mme temps, faire reconnatre ce dernier cette premire intention grce des rgles linguistiques conventionnelles qui fixent la signification de la phrase et font reconnatre cette premire intention par la production dune phrase en vertu des rgles conventionnelles qui gouvernent linterprtation de cette phrase dans la langue commune. Par exemple, en produisant lnonc Je te promets que je viendrai demain, le locuteur poursuit une double intention: a. promettre de venir et b. faire reconnatre cette intention par la production de la phrase Je te promets de venir demain en vertu des rgles conventionnelles qui gouvernent linterprtation de cette phrase dans la langue commune. (Reboul & Moeschler, 1998 : 30). 2.3. Les types dactes de langage Searle se consacre, par la suite, ltude de la structure des actes de langage, en fait de lacte illocutionnaire. Vu que, dans la classification des actes dAustin, lacte rhtique , qui introduit le sens, tait partie constitutive de lacte locutionnaire, Searle propose une autre classification qui marque plus clairement la distinction entre les diffrents types dactivits langagires; noncer des mots (morphmes, phrases) = effectuer des actes dnonciation ; rfrer et prdiquer = effectuer des actes propositionnels; affirmer, poser une question, ordonner, etc. = effectuer des actes illocutionnaires. Searle a des doutes sur lexistence des actes perlocutionnaires mais il les accepte dans des termes semblables ceux dAustin. Le rapport entre les trois premiers types dactes se manifestent de la manire suivante: il arrive parfois de produire42

des actes dnonciation sans pour autant produire des actes propositionnels ou illocutionnaires. Il est assez difficile de produire un acte propositionnel sans produire en mme temps un acte illocutionnaire et il est impossible de produire un tel acte sans produire un acte propositionnel. 2.4. Structure de lacte illocutionnaire et rgles constitutives Une autre contribution importante de Searle consiste distinguer dans la structure dun nonc ce qui relve de lacte illocutionnaire lui-mme et quil appelle le marqueur de force illocutionnaire et ce qui relve du contenu propositionnel et quil appelle le marqueur de contenu propositionnel. Cette distinction met en vidence que proposition (contenu propositionnel) et acte illocutionnaire ne sont pas confondus. La formule canonique de lacte illocutionnaire F(p), o F est la force illocutionnaire et p le contenu propositionnel, illustre justement cette distinction. Dans lnonc Je promets que je viendrai, je promets = marqueur de force illocutionnaire, je viendrai = marqueur de contenu propositionnel. (Searle, 1972 : 69). Toute phrase se caractrise par un potentiel de force illocutionnaire (= le type de force illocutionnaire associ cette phrase en vertu de sa modalit : dclarative, interrogative, imprative), et un potentiel de contenu propositionnel (= le type de contenu auquel la phrase est associe par sa signification descriptive) La conjonction de ces deux potentiels constitue le potentiel dacte illocutionnaire de la phrase (Recanati, 1981 : 153-162). Le sens dun nonc est dtermin par ladjonction dune force illocutionnaire un certain contenu propositionnel. La formule de Searle partage lacte de langage en un vouloir dire (= F) et un dire (= p).43

Le contenu propositionnel reprsente laction dont le locuteur demande la ralisation ou affirme lexistence. La force illocutionnaire est une valeur (conventionnelle) abstraite, attribue aux expressions linguistiques, qui appartient au sens de lnonc (meaning of the sentence) et qui rend possible la reconnaissance du type dacte accompli (ordre, prire, promesse, etc.). Le propre de la force illocutionnaire et dtre reconnue et comprise. La reconnaissance et la comprhension sont le fait de linterlocuteur et constituent leffet illocutionnaire (= faire en sorte que soit compris le sens de ce qui est dit et la force avec laquelle cest dit, daprs Austin). Elles assurent laccomplissement de laction dnote dans le contenu propositionnel, cest--dire latteinte de leffet perlocutionnaire de lacte illocutionnaire. LYONS (1980 : 351) attire lattention sur la distinction entre leffet perlocutionnaire dsir (par le locuteur) et leffet perlocutionnaire rel (la rponse de linterlocuteur). Ce dernier peut correspondre au premier et dans ce cas lacte est accompli: en demandant quelquun Ouvrez la fentre ! celuici ouvre effectivement la fentre; ou bien il peut tre contraire : en demandant quelquun Ouvrez la fentre ! celui-ci pour des raisons qui le concernent refuse douvrir la fentre et, dans ce cas, lacte nest pas accompli. La force illocutoire prsente plusieurs composantes laide desquelles on peut identifier les diffrentes valeurs quune mme force peut acqurir suivant le contexte : le but illocutionnaire dtermine la direction dajustement (voir infra) et se dfinit par la tentative linguistique du locuteur de dterminer la ralisation de laction mentionne dans le contenu propositionnel; le mode daccomplissement reflte lattitude du locuteur face linterlocuteur au moment de la ralisation de laction; les conditions sur le contenu propositionnel prcisent le caractre de laction dnote;44

les conditions prparatoires portent sur la capacit de linterlocuteur daccomplir laction demande; la condition de sincrit exige que le locuteur dsire ou veuille sincrement laccomplissement de laction concerne. le degr de puissance indique lintensit avec laquelle le locuteur dsire laccomplissement de laction dnote dans le contenu propositionnel. (Vanderveken, 1988 : 107 129). Une fois constitue la formule canonique, Searle dcrit / tablit les conditions ncessaires et suffisantes pour quun acte soit accompli avec succs et sans dfauts. (1972 : 72) Ce sont les rgles constitutives dun acte illocutoire: les rgles prparatoires qui portent sur la situation de communication (les interlocuteurs parlent la mme langue, ils parlent srieusement, etc); la rgle de contenu propositionnel prcise la nature du contenu de lacte accomplir; les rgles prliminaires qui portent sur le savoir ou la croyance du locuteur concernant les capacits, intrts et intentions de linterlocuteur ainsi que la nature du rapport entre les interlocuteurs; la rgle de sincrit dfinit l tat psychologique du locuteur; la rgle essentielle spcifie le type dobligation contracte par le locuteur ou linterlocuteur par lnonciation de lacte en question; les rgles dintention et de convention qui dcrivent les intentions du locuteur et la faon dont il les met en application grce des conventions linguistiques. (in Moeschler, 1985 : 31). 2.5. Critres de classification des actes illocutionnaires Searle a reproch Austin que sa classification des actes illocutoires nest pas une classification dactes mais une classification de verbes qui ne sappuie pas sur des principes45

clairs. Labsence de principes clairs et cohrents fait que les classes dAustin se recouvrent largement entre elles et certaines mme manquent compltement dhomognit. (Searle, 1982 : 49). Cest pourquoi il entreprend dabord ltablissement dun ensemble de douze critres censs permettre une classification objective et pertinente: le but de lacte illocutoire, la direction dajustement entre le mot et le monde, les tats psychologiques exprims, les diffrences dans le contenu propositionnel dtermines par des mcanismes lis la force illocutoire, la force avec laquelle le but illocutoire est reprsent, les statuts respectifs du locuteur et de linterlocuteur et leur influence sur la force illocutoire de lnonc, les relations de lnonc avec les intrts du locuteur et de linterlocuteur, les relations au reste du discours, les diffrences entre les actes qui passent ncessairement par le langage et ceux qui peuvent saccomplir avec ou sans le langage, la diffrence entre les actes institutionnels et les actes non-institutionnels, lexistence ou non dun verbe performatif correspondant lacte illocutoire, le style de laccomplissement de lacte. (in Moeschler & Auchlin, 2000 : 138-139). De ces douze critres, quatre seulement sont considrs comme rellement opratoires pour cette classification, savoir: Le but illocutionnaire reprsente la finalit de lacte illocutoire; il fait partie de la force illocutoire (voir supra) mais ne la recouvre pas et exprime lessai du locuteur de faire quelque chose par son interlocuteur, ou par soi-mme.Dans les tudes ultrieures, le but illocutoire est divis en lintention illocutoire du locuteur qui exprime son intention daccomplir un acte illocutoire et lintention de communication de celui-ci qui exprime son intention de faire comprendre linterlocuteur son intention de raliser un acte illocutoire. Le but illocutoire peut tre commun plusieurs types dactes (promesse, ordre,46

par exemple) qui se distinguent cependant par leur mode daccomplissement. La direction dajustement dtermine le rapport que lacte illocutoire introduit entre ltat de choses et les mots qui le dsignent ( le contenu propositionnel). Ltat psychologique exprim par le locuteur ou, dune faon gnrale, lattitude du locuteur lgard du contenu propositionnel. Ce critre correspond la condition de sincrit des rgles constitutives. Le contenu propositionnel, correspondant la condition de contenu propositionnel. 2.6. Les classes dactes illocutionnaires Sur la base de ces quatre critres, Searle tablit les classes dactes illocutoires suivantes: Les assertifs: but illocutoire = engager la responsabilit du locuteur sur lexistence dun tat de choses; direction dajustement = des mots au monde; tat psychologique exprim = la croyance que p: affirmer, prdire, avertir, etc. Les directifs: but illocutoire = essayer de faire quelque chose par lauditeur; direction dajustement = des mots au monde; tat psychologique = la volont , le souhait, le dsir : ordonner, supplier, plaider, prier, solliciter, demander, etc. Les promissifs: but illocutoire = obliger le locuteur faire quelque chose; direction dajustement = des mots au monde; tat psychologique = intention: promettre, faire serment, faire vu, etc. Les expressifs: but illocutoire = exprimer un tat psychologique; direction dajustement = ce critre nest pas pertinent; tat psychologique = celui qui est manifest par le but illocutoire : sexcuser, fliciter, remercier,etc. Les dclarations: but illocutoire = provoquer un changement par notre dclaration; direction dajustement = des mots au monde et du monde aux mots; tat psychologique = nest pas pertinent.47

3. LACTE ILLOCUTIONNAIRE 3.1. Dfinition de lacte illocutoire On la dj dit, lacte illocutionnaire / illocutoire constitue lobjet central de la thorie des actes de langage et des tudes et recherches qui y ont trouv leur raison dtre. En nous appuyant sur les textes fondateurs de la thorie, sur les ouvrages qui sen rclament mais aussi sur ceux qui sy opposent et ne lui pargnent aucun reproche quant aux insuffisances, erreurs, incertitudes dinterprtation ou de raisonnement, nous essayons de faire le point sur ce concept en prsentant quelques unes de ses caractristiques de diffrentes natures. Pour Searle (1972 : 86), lacte illocutionnaire est lacte par lequel le locuteur entend produire un certain effet sur son interlocuteur en lamenant reconnatre lintention quil a de produire cet effet. 3.2. Caractristiques de lacte illocutionnaire Un acte illocutionnaire consiste en la ralisation dune action visant la transformation de la ralit. Les diffrents types dnoncs reprsentent des tats de choses sur des modes divers :une assertion reprsente un tat de choses comme tant rel, et est vraie sil lest effectivement, alors quun ordre reprsente un tat de choses comme devant tre ralis par le destinataire, et est obi sil lest effectivement. (Recanati, 1979 b : 12) Un acte illocutionnaire est un acte intentionnel dans le sens que son interprtation approprie est conditionne par la reconnaissance, de la part de linterlocuteur, du caractre intentionnel de son nonciation. Pour que lnonciation ait un caractre intentionnel, il ne suffit pas que soit communiqu intentionnellement un certain contenu propositionnel, il faut aussi que linterlocuteur reconnaisse que ce contenu est48

communiqu intentionnellement. (Recanati, 1979 a : 180). Luptake de linterlocuteur (sa reconnaissance de lintention du locuteur de lui communiquer intentionnellement quelque chose) est une des conditions essentielles de laccomplissement de lacte de parole. Un acte illocutionnaire est un acte conventionnel au sens o il nexiste que relativement linstitution linguistique et au sens o cette institution rgit leur accomplissement en associant un certain type dactes un certain type de phrase. Le caractre conventionnel est galement dtermin par le fait que la ralisation de lacte est soumise certaines conditions demploi, nommes conditions de russite par Austin et conditions de satisfaction par Searle. Ces conditions demploi dfinissent le degr dapproprit contextuelle de lacte, cest--dire son adquation au contexte dans lequel il apparat, adquation qui est fonction de: 1. les circonstances et les personnes impliques dans lacte de langage, 2. lintention des personnes impliques, 3. le type deffet associ son nonciation. (Moeschler, 1985 : 24). On parle galement du caractre conventionnel dun acte illocutionnaire en se rapportant lensemble des rgles constitutives (voir supra) . Un acte illocutionnaire est un acte institutionnel dans le sens que les changements quil produit sont le rsultat du respect ou de la violation dun ensemble de normes. Il ne sagit pas des normes linguistiques imposes par linstitution langagire mais dun ensemble de droits et dobligations qui dfinissent la relation des interlocuteurs et qui peuvent tre respects ou viols. (Moeschler, 1985 : 34). Un acte illocutionnaire est un acte de nature contextuelle et cotextuelle. (id. : 24). Le contexte a le rle de compenser limprcision quant la force illocutionnaire dont se trouve investi un nonc. Le cotexte devient opratif surtout dans lanalyse des actes de parole lintrieur dune squence49

conversationnelle. Cest lui qui dcide de ladquation ou de la non-adquation de lacte lensemble de la conversation. 3.3. Ralisation de lacte illocutionnaire 3.3.1. Les actes de parole (illocutionnaires) peuvent tre accomplis directement ou indirectement. Par lacte de parole direct, le locuteur nonce une phrase par laquelle il communique exactement et littralement ce quil dit; son intention est de produire sur linterlocuteur un certain effet illocutionnaire, en amenant ce dernier reconnatre son intention de produire cet effet en vertu de la connaissance que celui-ci a des rgles qui rgissent lnonciation de la phrase. La production de leffet illocutionnaire prconis par le locuteur est conditionne par la capacit de linterlocuteur de distinguer entre le sens attribu lnonc par le locuteur (speaker utterance meaning) et le sens de la phrase (sentence meaning). Tout nonc , employ dans laccomplissement dun acte illocutionnaire, a un sens quil garde indpendamment de la situation de communication o il est nonc et qui se manifeste par le marqueur de force illocutoire (cette partie de la structure dune phrase qui indique le type dacte accompli par le locuteur: lordre des mots, laccent, lintonation, le mode verbal, le verbe performatif, la modalit). Des noncs tels que: Pourquoi ne pars-tu pas ? Il fait chaud ici, Sois sage ! ont la force illocutionnaire dune question, dune assertion et, respectivement, dun conseil. En accomplissant un acte de parole direct, le locuteur nattribue son nonc un autre sens (speaker utterance meaning) que celui exprim par le marqueur de force illocutoire, son intention visant communiquer exactement et littralement ce sens. Lidentit entre le sens de lnonc et le sens que le locuteur lui attribue dans une situation de communication donne est le50

propre des actes de parole directs et constitue un critre didentification des actes de parole indirects. 3.3.2. Les actes directs se prsentent sous la forme des performatifs primaires ou des performatifs explicites. Aux premiers correspondent une structure syntaxique propre un certain type de phrase (assertive, imprative), ou bien dautres combinaisons syntagmatiques: Il neige depuis hier soir. Venez, les enfants ! Sil vous plat ! Madame ! Un instant, je vous prie, etc. Aux deuximes correspond la structure canonique constitue du prfixe performatif = la phrase principale (le modus) dont le sujet est le pronom de 1re personne singulier et le verbe est un performatif lindicatif prsent et du marqueur de contenu propositionnel = la compltive (le dictum): Je vous demander de ne plus parler. Je promets de finir mes devoirs avant 8 heures. Je veux que tout le monde apprenne cette bonne nouvelle, etc. Nous avons prsent supra les arguments qui fondent le rejet des performatifs explicites comme moyen daccomplissement direct des actes de parole. Nous prsentons ci-dessous nos arguments en faveur de la thorie contraire: les performatifs explicites reprsentent un moyen daccomplissement direct des actes de parole. Les voil: De faon gnrale, les contenus explicites sont considrs, logiquement, premiers et lexistence des contenus implicites est dcouverte partir des contenus explicites parce quun contenu implicite prsuppose obligatoirement un contenu explicite mais linverse nest pas obligatoire. Je te demande de ne pas crier est explicitement une requte et implicitement une assertion. Dfinissant les modalits nonciatives comme les finalits51

assignes la formation de lnonc par le locuteur, filtres par une grammaire de lnonciation, CL. MULLER considre que mme les actes drivs sont en fait des primitifs par leur intention : une question comme Vous avez France Soir ? utilise comme une requte, est bien au dpart dans lintention du locuteur une requte : cest une requte qui utilise la question dans la stratgie adopte. (1991 : 18). La valeur explicite s actualise chaque occurrence de la phrase et ne permet pas de drivation. Ainsi, par exemple, lnonc cit sera toujours interprt comme une requte adresse linterlocuteur de ne pas crier tandis que la forme de phrase correspondante Ne crie pas est beaucoup plus ambigu quant la force illocutoire actualise. Il ny a que le contexte qui pourra prciser laquelle des valeurs spcifiques de la force illocutoire prescriptive est actualise lors de son nonciation, le mme nonc tant susceptible dexprimer tantt une requte, tantt un ordre ou bien un conseil. La forme explicite savre donc tre plus contraignante, quant linterprtation de la force, que le performatif primaire. La diffrence entre le performatif primaire et le performatif explicite est une diffrence de degr dexplicitation non pas de ralisation directe ou indirecte dun acte illocutoire. Le performatif explicite dnote explicitement le type dacte illocutoire accompli par lnonciation de lnonc performatif. La forme de phrase a besoin du contexte pour quon puisse prciser la valeur illocutoire spcifique actualise. 4. LA DRIVATION ILLOCUTOIRE 4.1. Fonctionnement de la drivation illocutoire Dfinissant les actes de parole indirects comme laccomplissement dun acte illocutoire par lintermdiaire dun autre acte illocutoire, SEARLE distingue du point de vue du locuteur,52

lacte manifest comme acte indirect au moment o, en nonant une phrase et transmettant exactement et littralement ce quil dit, le locuteur implique la prsupposition, de lacte direct qui nimplique pas cette information, obtenue seulement par la connaissance de la situation de communication donne. Le marqueur de force illocutoire, prsent dans la structure syntaxique ou dans la reprsentation smantique, dtermine lappartenance de lnonc une certaine classe dactes de parole; lintention du locuteur et la situation de communication lui attribuent un autre sens par lequel il sassocie une autre classe dactes illocutoires. Du point de vue smantique, lnonc accomplit deux actes illocutoires: par lacte secondaire (secondary illocutionnary act) on communique le sens littral de la phrase (sentence meaning); par lacte primaire (primary illocutionnary act) on communique le sens que le locuteur veut ou croit communiquer (speaker utterance meaning). 4.2. Interprtation de lacte driv (indirect) Le problme soulev par linterprtation des actes de parole indirects concerne la manire dont le locuteur parvient communiquer, en mme temps, le sens de lnonc et le sens quil lui attribue dans la situation de communication donne ainsi que la manire dont linterlocuteur parvient comprendre exactement les intentions du locuteur, cest--dire la manire dont on organise, dans un contexte situationnel, la stratgie conversationnelle. Searle explique que le locuteur parvient exprimer non seulement le sens littral mais aussi son propre sens grce, entre autres, un arrire- plan de donnes contextuelles partages par le locuteur et par linterlocuteur et des conventions sociales galement reconnues et partages.53

4.3. Marqueurs de drivation illocutoire Lindirection (la drivation) sappuie sur le principe que chaque type de phrase (assertive, interrogative, imprative) a une valeur illocutoire fondamentale (ou valeur primitive) manifeste explicitement en langue, laquelle sajoutent dautres valeurs illocutoires secondaires (ou drives) qui, si certaines conditions dnonciation sont remplies, viennent carrment se substituer la valeur primitive et sactualiser primitivement (Kerbrat- Orecchioni, 1986 : 76). Dans le procs de drivation, la valeur primitive ne sefface pas totalementil faut bien en passer par elle pour atteindre la valeur drive, et mme une fois atteinte cette valeur drive, la valeur primitive se maintient sous forme de trace connotative (adoucissement de lacte de requte). ( id. : 88). Ce qui caractrise les actes drivs cest le fait que le contenu driv, sans vincer compltement le contenu primitif... cesse dtre conot pour devenir lobjet essentiel du message transmettre. (id.): Nous allons avoir besoin de votre aide. valeur primitive: assertion, valeur drive requte. Lindirection se ralise, donc, par lemploi de phrases qui affirment ou questionnent sur lune des conditions de flicit (voir supra) caractristiques de lacte quil sagit deffectuer : asserter ou questionner au sujet de lacte effectuer (la condition de contenu propositionnel): Tu pouseras ce jeune homme que je trouve trs sympathique. affirmer ou interroger sur le pouvoir ou le vouloir de linterlocuteur dexcuter lacte (la condition prliminaire ou prparatoire): Peut-tre, tout lheure, voudrez-vous y envoyer un de nos hommes ? affirmer (mais non point interroger sur elle, vu que le locuteur ne peut pas mettre en cause sa propre sincrit illocutoire) la condition de sincrit: Je vais devoir vous mettre la porte.54

Searle a commenc son tude sur lindirection en travaillant sur les directifs, vu que cette classe dactes illocutoires prsente une certaine justification sociale pour sa manifestation comme actes indirects. Il a constitu un ensemble de six groupes dnoncs tablis en fonction de leur modalit dindirectivit (Blanchet, 1995 : 38) laide desquels le locuteur peut accomplir un acte indirect. Ces groupes se vrifient galement pour dautres classes dactes illocutoires: le premier groupe contient des noncs qui expriment la capacit de linterlocuteur daccomplir lacte prdiqu: Vous ne pouvez pas vous presser, comme vos autres camarades ? Pouvez-vous me passer le sel ? le deuxime groupe est constitu dnoncs centrs sur le dsir / la volont du locuteur que linterlocuteur accomplisse lacte: Je voudrais pourtant bien quon me donne licence. Jaimerais que tu partes. le troisime groupe comprend des noncs centrs sur laccomplissement futur de lacte par linterlocuteur: Les officiers porteront la cravate. le quatrime groupe comprend une autre srie dnoncs centrs sur linterlocuteur mais cette fois-ci sur son consentement pour accomplir lacte: Veux-tu me passer le marteau ?, Ecoutez, monsieur, voulez-vous me rendre un service ? le cinquime groupe comprend des noncs qui justifient, en en prcisant les raisons, laccomplissement de lacte: Je ne sais pas. Peut-tre ferais-tu mieux de rester lhtel pour le cas o il apparatrait. Vous me marchez sur les pieds. le sixime groupe comprend une combinaison des prcdentes ou/et de directifs explicites: Est-ce que je peux vous demander de sortir ?, Si vous pouviez cesser, cela me ferait plaisir.55

4.4. Drivation illocutoire et stratgie infrentielle 4.4.1. Afin de reconnatre un acte de parole indirect, linterlocuteur doit avoir recours une stratgie infrentielle qui consiste tablir dabord que le but illocutoire primaire diverge du but littral, et ensuite ce quest le but illocutoire primaire. (Searle, 1979 : 77) ou, en dautres termes, apercevoir et recevoir le sens littral, et lui conserver jusquau but une certaine validit, le reconnatre comme fallacieux, nen tre pas dupe, effectuer partir de certains indices un calcul permettant daccder au sens vritable. (Kerbrat Orecchioni, 1986 : 148). La stratgie de Searle comporte dix tapes dont la reconstruction schmatique pourrait se prsenter en gros comme suit (Searle, id. : 88). Etape 1 : X ma pos la question de savoir si jai la possibilit de lui passer le sel (fait de conversation). Etape 2 : Je suppose quil coopre la conversation, et que son nonciation a donc un objet ou un but (principes de la coopration conversationnelle). Etape 3 : Le cadre de notre conversation nest pas propre indiquer un intrt thorique portant sur ma capacit passer le sel (information factuelle darrire-plan). Etape 4 : En outre, il sait probablement dj que la rponse cette question est oui (information factuelle darrire-plan). Cette tape facilite le passage ltape 5 mais n est pas essentielle. Etape 5 : Son nonciation n est donc probablement pas une question. Elle a probablement un autre but illocutoire (infrence des tapes 1, 2, 3 et 4). Quel est ce but ? Etape 6 : Lune des conditions prparatoires de tout acte illocutoire directif est que A ait la possibilit daccomplir lacte prdiqu dans la condition de contenu propositionnel (thorie des actes de langage).56

Etape 7 : Donc, une rponse affirmative la question que ma pose X impliquerait que la condition prparatoire sa demande de lui passer le sel soit satisfaite (infrence des tapes 1 et 6 ). Etape 8 : Nous sommes en train de djeuner, et lon se sert normalement de sel table; on se le passe lun lautre, on tente damener les autres le faire circuler, etc. (information darrire-plan). Etape 9 : Il a donc fait allusion la satisfaction dune condition prparatoire dune demande dont il veut probablement que je satisfasse les conditions dobissance (infrence des tapes 7 et 8 ). Etape 10 : Donc, en labsence de tout autre but illocutoire plausible, il me demande probablement de lui passer le sel (infrence des tapes 5 et 9) . Cet ensemble dtapes parcourir combine des principes gnraux de conversation, des informations factuelles darrireplan et la capacit dinfrence de lauditeur et permet Searle de se passer des postulats de conversation et des rgles transformationnelles qui essaient de justifier le passage dune question en profondeur une demande en surface (in Eluerd, 1985 : 169). 4.4.2. Le fait que certaines valeurs illocutoires sont lies des processus linguistiques conventionnels (prsence de marqueurs de drivation) est un indice que le contexte nest pas le seul responsable des interprtations des valeurs drives et que ces valeurs pragmatiques se trouvent inscrites, dune certaine manire, au niveau smantique de la squence. Elles reprsentent, en fait, les intentions pragmatiques du locuteur, prexistantes lnonc. Ces valeurs drives, dont on peut parler en termes deffets de sens co(n)textuels sont considres atteintes lorsque linformation nouvelle interagit avec un contexte form dhypothses existantes, en renforant une hypothse existante57

ou en se combinant avec une hypothse pour livrer une implication contextuelle une conclusion dductible partir de linformation nouvelle et des hypothses existantes conjointement mais impossible dduire de linformation nouvelle et des hypothses existantes prises sparment. (Wilson & Sperber, 1993 : 15). Dans le cas de ces noncs, porteurs de plusieurs valeurs illocutoires, lhypothse existante pourrait tre formule partir de lide pose en principe que la cognition humaine est oriente vers la pertinence; nous faisons attention linformation qui nous parat pertinente chaque nonc comporte, avant toute chose, une demande d attention de lauditeur, le rsultat tant que chaque nonc suscite une anticipation de pertinence. (id.). Si tout nonc doit tre pertinent et apporter une information nouvelle, linterlocuteur trouvera inutile que le locuteur lui communique un nonc portant sur ce que lui, interlocuteur, devrait faire, pourrait faire ou voudrait faire lavenir, vu quen principe, il devrait tre au courant de ses actes futurs et dautant moins un nonc portant sur ce que le locuteur voudrait faire accomplir lavenir. Par un effort de traitement (id.), il finira par formuler comme hypothse existante que si le locuteur lui fait part dun tel nonc, il doit avoir dautres intentions que celle de lui faire part de ses propres dsirs / intentions ou des dsirs, volonts, etc. que lui, locuteur, a. Ds qu il aura compris que lnonc du locuteur nest pas gratuit, les effets contextuels laideront trouver la valeur de lnonc et, consquemment, les intentions du locuteur, savoir: lui ordonner, conseiller, suggrer, ou le prier, etc. daccomplir un certain acte. Ces noncs se prsentent comme des noncs descriptifs dun certain tat de choses qui sera vrai un moment de lavenir mais, en ralit, ils accomplissent une fonction interprtative, car ils reprsentent une pense du locuteur concernant la modification ou linstauration, lavenir, dun tat de choses par le locuteur.58

Les effets de sens relvent dune stratgie de discours que le locuteur adopte afin de ne pas imposer trop brutalement linterlocuteur sa vision sur lavenir de ce dernier. 5. CONCLUSIONS SUR LA THORIE CLASSIQUEDES ACTES DE LANGAGE

Aux termes de cette prsentation, un aperu critique de la thorie des actes de langage simpose. Linsuffisance de la thorie se manifeste dans les points suivants: Lacte de langage ne concerne que lactivit du locuteur. La thorie ne prcise pas les conditions requises par laccomplissement de lacte de langage de lnonciataire, ni la manire dont celui-ci reoit lacte de lnonciateur. Cette perspective doit tre abandonne en faveur de la relati