traian sandu-cioran-eliade fondamentalisme orthodoxe ou recentrage européen fascisme

7/31/2019 Traian Sandu-Cioran-Eliade fondamentalisme orthodoxe ou recentrage europen fascisme

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dans Jean Bessire et Judit Maar, Histoire de la littrature et jeux dchange entre centres etpriphries, les identits relatives des littratures, Paris, LHarmattan, Cahiers de la Nouvelle Europe,2010, pp141-150

Identits et centre-priphrie

Mircea Eliade et Emil Cioran : fondamentalisme orthodoxeou recentrage europen du fascisme priphrique roumain ?

Ladhsion au fascisme dEliade et de Cioran1 se fonde, par bien des aspects, sur despostulats diamtralement opposs : fallait-il stabiliser la socit autour dune radicalisationdes valeurs religieuses, agraires et autochtonistes Eliadeou bien la mettre en mouvementpar la force dune modernisation brutale pour retrouver le cours majeur de lhistoireeuropenne, industrielle et totalitaireCioran ? Les thories modernes du fascisme renvoient un tournant culturaliste dit du new consensus , qui souligne au contraire le caractre derupture radicale introduite par les mouvements fascistes. Ils apparaissent comme de nouvellesreligions politiques laques2, des mouvements rvolutionnaires dans leurs pratiques3 et des

idologies modernistes promettant une renaissance des nations ainsi prises en mains4

.Prcisment, ce quon appelle idologie dans un mouvement fasciste ne se rduit passeulement au curdoctrinaire, idel, du programme tabli, il ne se cantonne pas aux fameusesdfinitions ngatives les anti- communisme, smitisme, parlementarisme, libralisme ,ainsi que lultranationalismeventuellement teint dautochtonisme et de religion dans lescas des fascismes en pays agraire , populisme ouvririste et agrarien, tous ncessaires maispas suffisants. En fait, il faut prendre au srieux le refus des fascistes laborer desprogrammes5 au profit de structures, de manifestations rituelles tmoignant au sens fort dunefoi politique, dune idologie, qui ne se rduit donc pas au noyau idel. Le simple contenu lafois ultranationaliste et syncrtique, dj prsent la fin du XIXe6, nest renouvel aprs 1918que par sa radicalisation, la massivit de la mobilisation sociale et la ralit concrte de son

application. La mixture aux influences plurielles et htrognes qui est servie aux militants dela nouvelle foi relve davantage de la potion magique que de la liste programmatique parpoints.

Dans cette division dfinitionnelle du fascisme, Eliade reprsenterait davantage lenoyau idel ultra-autochtoniste, la fois fondamentaliste orthodoxe, ruraliste et partisan dubasculement de la Roumanie vers ses chres tudes orientalistes. A linverse, Cioran est duct du style occidental de la rvolution moderniste, industrialiste et urbaniste, en sachant queladoption du style fasciste entendu comme lensemble des modes de pense et de vieoccidentaux, de la production conomique lesthtique dynamique, structure et remplit

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Les ouvrages fondamentaux, auxquels je renvoie le lecteur et auxquels je ne me rfrerai pas au cours de cettetude spcifique, sont ceux dAlexandra LAIGNEL-LAVASTINE, Cioran, Eliade, Ionesco, L'oubli du fascisme,Trois intellectuels roumains dans la tourmente du sicle , PUF, 2002, 557 p, de Florin URCANU, Eliade, le

prisonnier de lhistoire, Paris, La Dcouverte, 2003, 540 p, et Marta PETREU, An Infamous Past : E.M. Cioranand the Rise of Fascism in Romania, Londres, Ivan R. Dee Publisher, 320 p.2 Emilio GENTILE, La religion fasciste, Paris, Perrin, 2002, 354 p. et Quest-ce que le fascisme ? Histoire etinterprtation, Paris, Gallimard, 2002, 528 p..3 George MOSSE,La Rvolution fasciste, Paris, Seuil, 2003, 269 p..4 Roger GRIFFIN,Modernism and Fascism, Londres, Palgrave Macmillan, 2007.5 Voir, par exemple, Roger GRIFFIN, loc. cit., p.19.6 G. MOSSE, op. cit., p.12 : Le nationalisme exacerb des fascistes nenrichit gure cette dfinition et p.16-17 : Ctait un mouvement politique nouveau qui ninventa jamais rien de neuf . Voir aussi Codreanu, LaGarde de fer, op. cit. (chapitres sur sa dette envers I.C. Cuza) et T. Sandu, De lantismitisme au fascisme en

Roumanie ; naissance du Roumain nouveau rgnr par la rvolution de droite , dans Analele UniversitiiBucureti, Anne X, 2008, pp32-46 (consultable en ligne sur : http://www.fspub.ro/Home/analele-stiinte-politice), ainsi que La Garde de Fer : mthodes de mobilisation et dencadrement , loc. cit..
http://www.fspub.ro/Home/analele-stiinte-politicehttp://www.fspub.ro/Home/analele-stiinte-politicehttp://www.fspub.ro/Home/analele-stiinte-politicehttp://www.fspub.ro/Home/analele-stiinte-politicehttp://www.fspub.ro/Home/analele-stiinte-politice


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lidologie fasciste, puisque le noyau idel a dj t mis en place dans la crise irrationaliste fin de sicle vingt ans auparavant.

Trois points organisent cette comparaison :

IPosition : centralit dune Roumanie orientale et ternelle contre priphrie duneRoumanie a-historique

IIOption : les choix idels divergents

IIIAction : les deux rvolutions idologiques convergentes

IPosition : centralit dune Roumanie orientale et ternelle

contre priphrie dune Roumanie a-historique

Voici ce qucrit Eliade en fvrier 1937 propos de la mission de la jeunesse

roumaine dans un article dont le titre vaut dfinition, do part la mission de laRoumanie ? :

Cette mystiquequi nest pas neuve, car elle se trouve sur nos lieux depuis que se formait le peupleroumainconcide avec la soif de la nation entire de renouveler son me, de se renforcer et de se spiritualiser. Ce que nont pas russi raliser ou conserver les peu ples occidentaux, tentons-le, ralisons-le. 7

Nous avons ici affirms dun mme mouvement la nature heureusement spirituelle du

peuple roumain et sa chance davoir une jeunesse structure par le Mouvement lgionnaire.Eliade hrite ici de toute une paisseur de limage de lOccident en Roumanie, techniquementavanc mais ayant perdu sa spiritualit au contact dune technique desschante. Le centre

peut, grce au spiritualisme du Mouvement, se retrouver nouveau en Orient quil nauraitjamais quitt, mme aprs les alas de la chute de Constantinople, mais qui aurait simplementperdu de sa visibilit en raison de loccupation ottomane et du retard technologique. Eliadeparticipe aussi dune tendance scientifique assez gnrale en Europe aprs le choc de laPremire Guerre mondiale de besoin de spiritualit orientale aprs lchec du positivismeoccidental.

Eliade ne se contente pas de valoriser la priphrie spirituelle est-europenne chellecontinentale. Descendant lchelon national, il redresse au passage la fiert de lintellectuel

provincial authentique face au Bucarestois superficiel, sinsrant ainsi dans la dialectiqueclassique dans cet espace de fort contraste ville-campagne :

Le lgionarisme mettra fin au complexe dinfriorit de la province. En vrit, lidal lgionnaire,idal dpre spiritualit chrtienne peut tre vcu partout au milieu de la communaut roumaine. 8

Le miracle lgionnaire permet donc enfin de rsoudre le dernier des grands problmesde la Grande Roumanie de lentre-deux-guerres : la disparit des territoires annexs et desnombreuses minorits qui sy trouvent.

7 ELIADE, Mircea, De unde ncepe misiunea Romninei ? (o commence la mission de la Roumanie ?), dansTexte legionare i despre romnism (textes lgionnaires et sur le roumanisme ), dits par Mircea

HANDOCA, Cluj, Ed. Dacia, 2001, p158, p47-49, ici p48.8 Idem, Provincia i legionarismul (la province et le lgionarisme), dans Vremea du 13 fvrier 1938, ibid.,p80.


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En face, Cioran donne la rplique articule dune Roumanie petite puissance sansimportance :

Les carences initiales de la Roumanie (cas typique dune culture au destin mineur) nont jamais tcorriges ou compenses par un amour conscient de la puissance. 9

Plus loin, il se prononce contre le clivage traditionnel repris par Eliade des Europensorientaux censment plus profonds, car ayant sauvegard la spiritualit chrtienne face lunivers dsenchant des Occidentaux, matres superficiels de la nature :

Les formes occidentales ont t notre salut, non le fond oriental. Situs la priphrie de lEurope,dans le pire des climats spirituels, pas Orient et loin de lOccident, nous navons pas eu dautre choix que detourner nos regards vers le couchant, jentends vers notre levant. Nont-ils pas remarqu que les traditionsspirituelles du Sud-Est europen sont des plus insignifiantes 10

Eliade avait dj rpondu aux premiers articles et confrences de Cioran ds 1933 parun texte intitul : ne plus tre roumain 11, dans lequel il persifle propos de la nouvelle

mode parmi les jeunes intellectuels et crivains : ne plus tre roumains, regretter quils sontroumains, mettre en doute lexistence dune spcificit nationale et mme la possibilit delintelligence cratrice de llment roumain. Il avait remis cela en 1935 avec leroumanisme et les complexes dinfriorit 12, une poque o il navait pas encoreofficiellement bascul du ct de la Garde de fer, mais o il voquait dj le problme juif et o il reconnaissait que certains complexes dinfriorit pouvait natre lors des transitions et

des crises de croissance , mais que limportant ctait de ne pas en garder des squelles unefois la crise passe : donc, contrairement aux Juifs complexs, les Roumains ont un prsent etsurtout un avenir radieux devant eux grce leurs ralisations historiques plus ou moinsrcentes :

Je ne comprends pas, nanmoins, pourquoi nous devons nous empresser avoir aussi nos complexesdinfriorit. Personne ne nous y oblige. LEtat roumain est un Etat jeune, et la confiance quon lui porte a t

jusquici inbranlable. Il sest trouv des malins pour plaisanter avec esprit lgard de cette confiance

aveugle dans notre destin. Mais il ny a pas de quoi plaisanter. Le Roumain croit en soi, la Roumanie croit en samission historique.

Les Juifs ont le droit de sagiter, parce que leur destin est de dmontrer lexistence par les plus

tragiques efforts humains. Ils peuvent se considrer perscuts, car ceci les aide survivre. Nous navons pas

besoin de stimulants pour survivre. Nous navons pas besoin dintransigeance et dintolrance, vices trangers notre structure. Le roumanisme na aucun rle crateur en politique. Il existe dans lhistoire, et cela suffit. 13

Cette tranquille assurance concernant le destin de la Roumanie, la confiance dans la

simple inertie historique comme gage dun avenir brillant et son refus apparent de la radicalitnationaliste en politique sont nanmoins trompeurs. Avant cette conclusion rassurante, Eliadeavait envisag la possibilit, face la prsence de minoritaires trop nombreux aux postes decommande[, de les sortir] par la concurrence, par nos propres forces, par les loisadministratives au besoin 14. Simplement, la confiance envers le destin roumain permettaitdviter une violence signe de faiblesse.

9 CIORAN, Emile, Transfiguration de la Roumanie, Paris, LHerne, 2009, 344p., p114.10 P110.11 P89_92.12

Ibid., p127-129.13Ibid., p128-129.14Ibid.


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Cioran dveloppait bien entendu la thse inverse de la ncessaire rvolution politiquepour se dgager dun pass historique ou plutt, prcisment, a-historique vgtatif etinsignifiant :

Un peuple na de destin dans le monde qu partir du jour o il a franchi le seuil de lhistoire. Cequi importe dans lhistoire, cest lascension et la ruine des grandes cultures, ainsi que les conflits irrductibles

qui les opposent. Alors que leur tragdie se joue dans le thtre dombres et de lumires de la vie, cest dans un

clair-obscur mineur que se consume celle des petites cultures, qui livrent une bataille douloureuse pour vaincreleur anonymat et sabandonner enfin aux jouissances de lhistoire. Etant sous-historiques, cest--dire sous leseuil des grandes cultures, elles ne peuvent relever leur niveau quen brisant leur propre continuit. Ladiscontinuit par rapport leur destin est la condition de leur affirmation. 15

Donc les positions des deux amis sont radicales et radicalement divergentes au dpart.Ce vritable gouffre entre Eliade et Cioran sur la situation de leur pays dans lespace europense traduit dans les options en termes dides qui tendent lespace public national.

IIOptions : des choix idels divergents

Lengagement aux cts des lgionnaires de la part dEliade est laboutissement dun

processus assez long, qui stale sur plusieurs annes, et qui correspond un refus de la prise

de position politique comme solution mdiocre et imitatricepour lapptit de spiritualit de lajeune gnration. Plusieurs textes, partir de 1932, mettent en avant ce choix litiste de celuique la jeune gnration saccordait pour reconnatre comme son principal meneur. Ainsi, dans contre la droite et contre la gauche de fvrier 1934, Eliade renvoie dos--dos nonseulement les violences communiste et nazie, mais galement linsertion des idologiesmarxiste et fasciste dans lespace politique roumain :

Il y a quelques annes taient la mode les critiques apportes la gauche marxiste et son idologie

dans son ensemble, pour un motif trs simple et, au fond, trs sage : la gauche marxiste et le communisme, enlespce, reprsentent une idologie demprunt, calque daprs des modles trangers (occidentaux ou russes).

Depuis environ un an, on essaie lintroduction dune autre idologie trangre, peut-tre plus

dangereuse que la premire : lidologie fascisto-hitlriste, base sur la lutte de race et de religion, sur lechauvinisme inhumain et sur un patriotisme ridicule.

Ce que nous cherchons droite ou gauche, je ne lai jamais compris. Des hooligans et des

barbares sont et les communistes incendiaires dglises et les fascistes perscuteurs de Juifs. 16

Par la suite, lorsquil et bascul du ct fasciste, il tenta de manire bien illusoire dedfendre le mme rejet de la politique comme volont du pouvoir dans la cit au bnfice

dune rvolution spirituelle, que le fascisme reprsentait certainement sa faon travers larvolution anthropologique de l homme nouveau ainsi que les thses no-totalitaristesdEmilio Gentile et de Roger Griffin le confirment mais qui ne pouvait pas laisser desplages de libert trop grandes la sphre intellectuelle, dans le cadre de la tendance lemprise totale sur lensemble de la vie sociale17 :

15 CIORAN, ibid., p103 et p105.16 ELIADE, Contra dreptei i contra stngei (contre la droite et contre la gauche), dans Credina du 14 fvrier1934, ibid., p95-97, ici p95-96.17 Sur ces hsitations dEliade quant la politique intellectuelle venir dun ventuel rgime lgionnairevictorieux, voir mon article, A rgime nouveau, Panthon littraire nouveau : crire lhistoire dune littrature

lgionnaire venir , actes du colloque Frontires de lhistoire littraire, organis Paris les 9 et 10 novembre2007 par Jean BESSIERE et Judit MAAR, Paris, LHarmattan, Cahiers de la Nouvelle Europe, 2008, 198pp,p123-132.


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Plusieurs signes nous montrent, toutefois, que la Roumanie a aussi un autre destin. Dans de trsnombreux articles que nous publions depuis quelques annes dans cette feuille, nous recevons avec une certainemfiance la vogue du primat du politique. Dans des circonstances particulires, jai mis laccent sur le faitque seul un primat du spirituel peut valoriser le travail de la jeunesse. Faire de lhistoire peut aussi signifierfaire un homme nouveau, avec un autre sens de lexistence. 18

Cette rvolution anthropologique doit dboucher sur une rvolution sociale qui nesaccompagne pas forcment de la domination dune catgorie sociale sur une autre, mais qui

passe par lapaisement des tensions de la socit moderne typique du corporatisme fasciste.En reprenant le texte sur la province et le lgionarisme, on constate quEliade fournit, de

faon tacite, un vritable programme de solutions aux maux de la vie moderne. Aprs avoirainsi rgl le clivage Eglise-Etat au bnfice du spirituel, le clivage centre-priphrie lchelle europenne en faveur de lOrient et le clivage ville-campagne en redressant la fiertde la soi-disant priphrie provinciale, Eliade sattle vaillamment avec loutil lgionnaire-fasciste dapaisement des tensions sociales et trente ans avant la thorisation des clivages dessocits modernes par Stein Rokkan au dernier des clivages, celui qui divise proltaire et

bourgeois, patron et employ :

Quand nos congnres se rendront compte quune vie ne se ralise pas par la conqute deshonneurs et des rangs sociaux ; quand au lieu de parvenir tout prix, de lgosme et de la lutte pourlexistence, natront dans nos mes dautres idaux , de sacrifice anonyme, de travail discret, dhrosmesans rcompense, alorsle paysage, le confort, le milieu et toutes les autres valeurs extrieures nexerceront

plus leur funeste influence, quelles exeraient jusqu peu. 19

Cioran possde une approche doctrinaire tout aussi diamtralement oppose celle deson ami Eliade que ltaient dj leurs visions de la situation de la Roumanie sur la cartecontinentale. Ds son sjour universitaire en Allemagne en 1933, il se prend denthousiasme

pour le nazisme, et cette attraction ne se dment nullement au cours de la dcennie : Je crois quil y a peu dhommes mme en Allemagne qui aient une admiration plus grande pour

Hitler que moi. Pour les couches qui ne prennent pas part directement lhistoire il ny a pas de plus grandetragdie que la dmocratie. Les paysans voudraient que tout se fasse par-dessus leurs ttes : ainsi, la dictatureest pour eux le paradis sur terre. 20

Ainsi, il propose la solution inverse pour tirer la Roumanie de sa mdiocrit enpriphrie de lespace et de lhistoire continentaux : faire de la politique et accepter le pouvoirimpitoyable du chef charismatique :

La politique jentends autant par l ses valeurs que lhomme politique senracine dans la vie

beaucoup plus profondment que lesprit. Car le politique sert et exprime les valeurs vitales, alors que le spirituelcrot pendant les rpits de la vie. 21

Bref, pour un pays comme la Roumanie la recherche dun saut qualitatif

rvolutionnaire vers la grande puissance, donc vers lentre dans lhistoire, la seule solutiontait la dictature dun chef la fois autoritaire et apprci par les masses pour des raisonsirrationnelles :

18 ELIADE, De unde ncepe misiunea Romniei ? , loc. cit., p47-48.19 P79-80.20 CIORAN, Renunarea la libertate (la renonciation la libert) publi dans Vremea du 21 mars 1937, dans

Ideologie si formaiuni de dreapta n Romnia (idologie et formations de droite en Roumanie), sous la directionde Ioan Scurtu, vol. IV, 1934-1938, 2003, p.320-322.21 CIORAN, Transfiguration, op. cit., p278.


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Un grand gnie politique doit tre par excellence un dominateur. Celui qui sait, sans pouvoircommander, ne vaut rien. Parce quelle admet un contrle et une intervention extrieurs dans les actes du chef, ladmocratie annule leur prestige mythique et les place parmi les simples mortels, elle explique leur ascension parla seule chance. 22

Avouons que le chef politique idal apparat, dans ces passages, davantage comme undictateur purement autoritaire, couronn de succs dans ses entreprises, et moins comme unchef populiste charismatique. Pour parler en termes historiographiques concernant le domainede la fascistologie, il se prsente moins comme laspirant au pouvoir totalitaire mobilisant lesmasses dans le cadre dune religion politique intriorise par les masses dcrit par un EmilioGentile ou un Roger Griffin, que comme un dictateur combinant fascination charismatiquefonde sur des motivations multiformes extrieures et autoritarisme mprisant lgard dupeuple que lon trouve chez Roger Eatwell23. Le mpris de Cioran pour les paysans expliquelargement sans doute limpossibilit de concevoir un chef vritablement en prise avec lesmasses dans la Roumanie rurale ; sa description de la circulation de la fascination entre Hitleret les Allemands pourrait se rapprocher davantage du modle totalitaire, mais il faut bienreconnatre que limpossible fusion entre un chef dexception et les populations supposesamorphes des campagnes nincite pas Cioran une rflexion sur la politique comme religion, mais plutt comme mlange dadoration mythique du chef comme pontife thocrate et decynisme machiavlien de ce dernier.

IIIAction : les deux rvolutions idologiques convergentes

Au fond, Eliade et Cioran parviennent au mme rsultat, lactivit politique au sein du

Mouvement lgionnaire, mais en nempruntant pas la mme voie. Eliade y arrive parladhsion aux contenus idels explicites vhiculs par la propagande lgionnaire, lexigence

spirituelle dynamique au sein dune contre-socit spirituelle qui finit par remplacer la socitinsatisfaisante que propose la Grande Roumanie, tandis que Cioran y parvient par le choc dumouvement totalitaire et du chef charismatique jets toute allure contre la socit agraire etla religion traditionnelle passablement amorphes. La nature idologique de la Garde de fersavra ainsi pleinement adapte la socit roumaine et payante en termes de recrutement etde massification du mouvement fasciste roumain : tout en correspondant lidologie fascisteeuro-synchrone moderniste, urbaine, industrialiste, dynamique et violente qui attirait, limage de Cioran, les jeunes cadres urbains, dynamiques mais peu nombreux de la Roumanietraditionnelle, il noubliait pas la phrasologie traditionaliste, ancre de lidologieractionnaire et raciste Blut und Boden qui pouvait attirer les cadres ruraux tels que lesprtres et les instituteurs de campagne, qui combinaient religiosit ancestrale et nationalisme

plus moderne24

.

Ainsi, le 27 juin 1937, Eliade signa un court article au titre parlant : rvolutionchrtienne :

Lanne 1937 a signifi le dbut de la lutte entre gnrations. Non la lutte entre anciens et jeunes comme on la cru et cela a t dit longtemps mais la guerre entre deux mondes : dun ct le monde ancien qui

22Ibid., p281.23 EATWELL, Roger The Concept and Theory of Charisma , in A. COSTA-PINTO, R. EATWELL et S.U.LARSEN (eds), Charisma and Fascism in inter-war Europe, (Londres, Routledge, 2007, et Explaining

Fascism and Genocide : the Three Dimensions of Charisma and the Four Dark Sides of Nationalism , PoliticalStudies Review, 4, 2, 2006.24 Voir, entre autres, SANDU, Traian, De lantismitisme au fascisme en Roumanie , loc. cit..


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croit dans la panse (le primat de lconomique et du politicianisme), et de lautre ct le monde nouveau quiosait croire en lEsprit (le primat du spirituel). Le mouvement de la Jeunesse de 1927 est n avec lma consciencede cette mission historique : changer lme de la Roumanie, subordonnant toutes les valeurs une seule valeursuprme : lEsprit. Subordination qui signifie, surtout dans la phase hroque sacrifice, renonciation soi,ascse. Le sens historique de ce mouvement jeune nest absolument pas difficile dchiffrer. Ayant ses sourcesvives dans le christianisme et le christianisme signifie le renversement de toutes les valeurs elle tente la

formation dun homme nouveau. Si elle russit jusquau bout [la mission historique de la jeunesseroumaine] si elle comprendra, ainsi, toute la communaut roumaine ce sera la plus grande rvolution dusicle. 25

Par la voie du christianisme oriental, Eliade parvenait ainsi aux mmes conclusions dela rvolution gnrationnelle de la jeunesse roumaine impose lensemble de la

communaut nationale en vue dune rgnration dont la phrasologie passiste esttrompeuse, tant les valeurs du pass invoques ici taient mythiques et renvoyaient en ralit la rvolution anthropologique de l homme nouveau fasciste.

Ainsi, dans le numro de la semaine prcdente du mme hebdomadaire, Eliade avaitclairement, au nom de cette rvolution, procd au renversement goculturel du rapport

centre-priphrie sur le continent europen : Dans la Roumanie daujourdhui na pas lieu une nouvelle Rforme. Au contraire, cest un

approfondissement de la plus vieille forme de vie chrtienne : lorthodoxie. Mais notre orthodoxie pourraitbientt briller et dominer lEurope entire. Quand lEurope entire reconnat que les hommes ne peuvent pastre conduits de faon chrtienne et que seul un primat politique donne une signification un peuple laRoumanie soffre la folie de montrer lOccident quune parfaite vie civile ne peut seffectuer qu travers une

vie authentiquement chrtienne, et que le plus superbe des destins quun peuple peut se trouver es t de faire delhistoire par des valeurs supra-historiques. 26

Malgr le refus de la politique, Eliade organise quand mme une lutte civile,gnrationnelle et idologique, spirituelle mais pas seulement symbolique, puisque le

Mouvement lgionnaire / Garde de fer agissait bel et bien dans le sicle, rvolver et bulletinlectoral la main. Et lors des lections de dcembre de la mme anne, pour lesquellesEliade avait dailleurs fait campagne passablement mdiocre, dailleurs, ne sachant pasparler aux paysans !27, la Garde de fer atteignit un score denviron 15,5% des voix, ce quifaisait delle le troisime parti le plus important.

Malgr sa condescendance envers lorthodoxieet le choix de limitation politique dela modernit et de la radicalit occidentales, Cioran aboutit aux mmes conclusions en matiredaction politique aux cts du Mouvement lgionnaire quEliade. Dans son chapitre V, Guerre et rvolution , il fait lapologie de la guerre dagression comme sentiment fortdexistence pour un tat, et celle de la rvolution comme clatement des carcans sociaux

permettant lmancipation et le progrs de la socit :

Pendant la Grande Guerre nous avons conquis ce qui tait nous, ce qui nous appartenaitnous noussommes conquis. Et cela ne correspondait pas une initiativenationale, puisque nous y avons t entrans. Laguerre dagression seule peut donner un sentiment de puissance. Provoquer la guerre, tout est l. Lechristianisme a apport une justification thologique la pauvret et la misre, a consacr la condition des

25 ELIADE, Revoluie cretin (rvolution chrtienne), dans Buna Vestire du 27 juin 1937, op. cit., p50-51,ici p50.26Idem, O commence la mission de la Roumanie , loc. cit., p49.27 Voir le tmoignage de Mircea Nicolau du 26 juin 2000, dans ara, Legiunea, cpitanul, Micarea legionar n

documente de istorie oral (le pays, le Lgion, le capitaine, le Mouvement lgionnaire dans les documentsdhistoire orale), sous la direction de Mariana CONOVICI, Silvia ILIESCU et Octavian SILIVESTRU, Bucarest,

Ed. Humanitas, coll. Radio Romnia, 2008, 383p,, p120-125.


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pauvres et la bnie. Les renouvellements sociaux se produisent toujours de bas en haut, ceux qui se trouventen bas sont potentiellement les plus forts. La rvolution a pour raison dtre la permabilit sociale. Ensemparant du pouvoir, les formes primaires de la vie font voler en clats la hirarchie rigide et artificielle

momifie par une classe puise et assurent le seul renouveau possible de la socit. 28

En articulant deux pages dintervalle et, en fait, au sein de tout ce chapitre guerre

imprialiste et rvolution sociale dans un mme complexe de renouvellement vitaliste de lanation lintrieur et lextrieur de ses frontires par la guerre dexpansion et par le

renouvellement rvolutionnaire, Cioran sengage clairement aux cts du mouvement fascisteroumain. Le 27 novembre 1940, alors que le Mouvement lgionnaire tait associ au pouvoirdu gnral Ion Antonescu depuis septembre et que Corneliu Codreanu avait t assassin deuxans auparavant, en novembre 1938, par un roi Carol II qui refusait dabandonner de fait lepouvoir entre les mains du chef fasciste, Cioran pronona un discours radiodiffus la gloiredu Capitaine , comme les lgionnaires appelaient Codreanu, le profil intrieur duCapitaine 29:

Avant Corneliu Codreanu, la Roumanie tait un Sahara peupl. Ceux qui se trouvaient entre ciel etterre navaient aucun contenu, sinon lattente. Quelquun devait venir. En nous gmissait lavenir. Dans lundentre nous, il bouillait. Et il a rompu le doux silence de notre existence et nous a obligs exister. Les vertusdun peuple ont pris son aspect. La Roumanie, de tous ses efforts, se dirigeait vers la puissance.

La foi dun homme a donn naissance un monde, qui laisse en arrire la tragdie antique de

Shakespeare. Et ceci dans les Balkans ! 30

Ainsi se referme la boucle entame par Cioran et Eliade, chacun partant d un ctoppos et aboutissant au mme point gomtrique de la foi dans le chef fasciste charismatiquedestin transfigurer la Roumanie moderne.

28 CIORAN, op. cit., p256-258.29 CIORAN, Profilul interior al Cpitanului (le profil intrieur du Capitaine), discours radiodiffus du 27

novembre 1940, publi dans Glasul strmoesc du 25 dcembre 1940 ; voir le texte sur le site no-lgionnaire :http://miscarea.net/profilul-capitanului.htm30Ibid..
http://miscarea.net/profilul-capitanului.htmhttp://miscarea.net/profilul-capitanului.htmhttp://miscarea.net/profilul-capitanului.htm

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