hermann rauschning-le-temps-du-delire-librairie-universelle-de-france-1948

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Un livre imprimé sur papier d'après-guerre, et traduit dans la plupart des langues européennes... Ce livre indique, en 1946-48, une direction, un cadre, un programme, tout en situant les problèmes européens dans leur juste dimension Métaphysique... Ce livre a permis à l'Allemagne de survivre, de formuler un espoir, de se projeter dans le futur... /... Pourtant, en 1946-48, ce livre est le témoignage d'une certaine candeur... Dans sa volonté d'espoir pour l'Europe, l'auteur a pu penser que la guerre était finie... La guerre idéologique, et le "double enfermement" préparé pour la conscience Européenne, n'était pas encore parvenu aux oreilles des hommes : c'est probablement cela le "Temps du Délire"... un délire qui se prolonge jusqu'au jour où un certain degré de Vérité est saisi et atteit...

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  • 1.~c:) 0=- ~~z 11z::r::u 1 :l ~Iif)~[4~~.~ l:: l:: c;l 8 ~r l :~ Q)::r::;)rl

2. -/ 3. _: 4. 5. ~ c~0: ~~-zzB 1 11.=1 .~ ,~~~w.1)::J 0" C ...~b 3 .~ .g ... 0Q.en.JI"t"~~;:::: ~e..J {;~~Q ~ ..,t..~ :- :::10 cu~~~:,N5 ~E--t~ :;"oC)Q~ ,/~ ~0u. 7. "INTRODUCTION _ _e, qui jouissait alors de la grande paix de ~~l~aor de Csar-Auguste, dont un r~gartL!:f.k.o spectif sur la rcenle priode ae troubles nationaux el wils, de lulles sociales et oliti ues our lordre de l Orbis lerrarum Il, a nomma LE EMPS DULIRE. Faudra-Hl qua noire tour nous traversions une semblable priode pour connatre enfin le temps dsir dune paix assure el durable? Les forces concenlres qui firent explosion dans la dernire catastrophe universelle, reprsentenl beaucoup plus que ceUes ouverlemenl engages dans la lutte entre diffrents groupes dEtats, pour oblenir ou pour sup primer une hgmonie. Tout ce qui se droule sur lel1 continenl europen depuis une gnration,sous forme de guerres, de rvolutions el de contre-rvolutions, de luttes sociales, dans lanarchie de la dissolution el dans lordre de contrain,te dun nfJuvel absolulrsme, labsolu;- 2 lisme dmocratigue, constilue davantage que de simplesa..vnements donl les motifs seraient limits notre con tinent. Il sagit bien des rpercussions dune transmu-J 1 talion unwerselle, de la dcom ositi n dune civilisa-IttOn qUL, en lani qUOCCL entale;stait affirmee au cours trhe continuit historique par son contenu caractris tique. Cette dissolution a lransform profondmenl les rapports entre nations. Le concept de nation, au sens quil avait jusqualors, est devenu problmatique, La nation sesl identifie aux grandes formes de lEtal 1 de la socit, des institulions et des organes de la vie politique el sociale: Lordre conomique, en proie dinsolubles contradictions, connat une crise perma nente. En revanche les impulsions naturelles de la 1socit, de lElat, saffaiblissent. L~olofl.~~s et, les l normes svan issent dans un rocessus dLalecil ue singulier qui les amne se masquer r cLproquement,7 8. LE TEMPS DU DLIREIJg ...... 9. INTRODUCTION i sur le pass, tetle paix que nQ.us autres considrons/1 comme noire propre Mche.La conception la plus rpandue jusquici tient la paix du monde pour assure par la victoire des nations pacifiques sur les Etats agresseurs et par la des- truction dfinitive de leurs moyens propres ritrer leur agression. Pareil jugement des choses est com- prhensible en temps de guerre. Dans une guerre, cest la condition lmentaire de la victoire que dl! se res- treindre st1"ictement au bul vis par la politique de puissance. Or., cest plutt au moment de la victoire militaire que fa disparition de la puissance des vaincus se traduit immdialement par de nouveaux anlago- nismes lintrieur de la coalition victorieuse. Ces antagonismes dintr~ts ne peuvent ~tre supprims par des dclamations de la bonne volont, si sincre ft-elle, parce quils sont la ralit. Ils ne se peuvent harmo- niser par de simples institutions. La politique de puis- sance ne se supprime pas; elle ne peut que se sublimer. Pareille sublimation exige un systme de Il checks andbalances 7l, au sens de la constitution amricaine, sys- tme de contrle et de contrepoids dans le cadre dun quilibre organis. Elle exige avant tout d~s e.ri,!cipes et des normes universels,sprituelsermoraux.~ais avanl que pareil syslme dun quilibre de puissances sublim puisse se consliter, il est nces- saire de parvenir un quilibre provisoire, brut, dter-min par les moyens de puissance. Equilibre qui sera.invitablement instable, problmatique. Cela veut direquune paix ne saurait ~tre conquise quau cours dun long procs dadaptation .dont les crises ncessiterontdes corrections constantes, dans la mesure o lonparviendra crer un systme stable de contrles et decontrepoids efficaces et tablir une concidence gJ:!- J raie des buts et des normes de la socit humaine. Celle adaptalwn est difficile une poque de muta-tion et de confusio1l.gnrale des normes et des notio!1fde droit, des principes et des conceptions de lordrepolitique et social. La paix, pour celte raison, ne peutse fonder exclusivement sur la politique de puissance.Elle nesl pas simplement la fin dun conflit. Elle nepeut se gagner que par une ~e remporte~ur la9 ,. 10. LE TEMPS DU DLIRE dissolution critique dans toutes les sphres de notre lvlisation. La paix est elle-mme vi~JJl.JfJJ1!ise. Qui 8 occupe du problme de la e:..aix future ne saurait luder la question: quelle est la fl!@de _~jse de notre temps; quelles sont ses impulsions? Sans avoir rpondu cette question pralable, tous les efforts en vue dun ordre de paix, qui ne partent que de domaines partiels,si comptents et si levs que soient ceux qui les entre prennent, errent ncessairement. Cest l la faiblessede nombre douvrages pacifistes que .leurs propositionset leurs analyses ne procdent point de lindissolubleenchevtrement de tous les. domaines de la vie sociale,. mais se limitent intentionnellement au domaine particulier la comptence de leur auteur : soit que lonaborde le problme de la paix du point de vue de lapolitique de puissance et quon savise den trouver lacl dans labaissement dfinitif des vaincus, dans lasuppression de tous risques dagression par un systme dalliances; soit que du point de vue conomique,on envisge un arrangement pratique de coopration;soit quon identifie la paix avec lavnement dun~gime soci~l"auqu~l~l!..w.lit la rvolutio!}T!lniv~ielle;soit enfin quTon juge suffisante la seule Xlstence dinstitutions et dorganismes juridiques. Tous ces effortsrestent infructueux sils ne provoquent pas une dcisionqui doit tre prise en pleine connaissance de tous lesmotifs et de tous les facteurs de notre crise. Ltude qui va suivre se propose dlucider les perspectives dune paix authentique et durab~Toute autre plication de lesprtii1Xji7z7iiiSde la dissolution deunotre monde serait ngative. Parejl.le poque na fIJilleJJ,besoin des preuves du DcTm de J~Q~iht. Maisdans une catas~rophe comme celTe qJ!~J1Qjy-!d.a.rationa dt1 traverser, non- seuleme1lloptiq..l{e s perd, Mn, Slinenn jU$te. proporlion des problm~s se fausse,: mais le danger rside dans la solution illusoire quel. ~on va chercher sur la VOle de la non rsistance. Solution de courts-circuits , Ide limprovisation dilelfltante. Ajournement dune dcision dans 1f}J)pir 4unel sorte de procs dalo-liqu-iiitio~_ du problme. Mais les vnements qui se droulentont port la politique bien au del du niveau o la tactiqul, les arrangements 10. 11. INTRODUCTIONhabiles, les ezpdients ne peuvent gure plus offrirqu,un simulacre phm!.e__ de solution. Ce fut labsence de dcisions t dactions en tempsvoulu qui a rendu plus tard inluctable la tatastrophe 1 de la seconde guerre mondiale. Ce fut la connaissanceinsuffisante des forces et des motifs capitaux de ceucrise qui emp~cha une dcision en temps voulu. Riennaggrave autant les difficults dune paix future durableque linterprtation vulgaire selon la~uelle un mondenon prvenu se serail vu dll jour au lendemain livr des agressions brutales. Le monde disposait alors demeilleurs moyens quaujourdhui pour viter la catas-trophe. Seule lanalyse des motifs de celle abstensionnous conduit au cur de la crise. est une prsomptueuse entreprise que de vouloirreviser des jugements et des conceptions communmentreus. La simplification des problmes et lmotiona-lisme qui aUeint jusquau;x personnalits dirigeantes,rendent difficile la juste connaissance de lenchalne-ment des faits., Men are not guided by the jads, bgtwhat the.1J belielle loJiJJie1Jf.lS -{Eshommes ns.. seJ laissent pas mener par des faits, mais par ce guilstiennent pour des faits). Voil ce que.orman Angel":).,il y a prs dun demi-sicle, avait dgag comme lundes motifs de la Grande Illusion . A une poqueremarquable surtout dans le feeding hungry emo-lions , o la sductiolpar labsurde ou par lextrme( est un phnomne commun, le formellement simple,lexcitant apparaU comme lessence de la ralit. Or, le rand ril d lavenir immdiat rside dansIIIlanta Onlsme es di rents ronts politiques, socix ~et ldologiques, an agonlsme qUl peul devenir infran-chissable et absolu, parce que la guerre et les prlTlini-naires de paix ont supprim une zone centrale et mdia-trice: Une zone qui, mme sous la forme grimaanteIdu national-socialisme et du fascisme, par son hosti-lit lOccident comme lOrient, avait empch queces derni~rs ne se trouvassent lun par rapport lautredans une contradiction absolue. Pareille contradictionne peul conduire qu un tat qui rendraiti"!Rl?Ssible grPtoute !lucld~lf0!J_ ratj~nneiledE_1uge.tifnl; qUL permet- ytrait aux mottons pormqus el socla1es de satfrmer 11 12. LE TEMPS DU DLIRE l.:} j_112 13. INTRODUCTION ~- ,~~ .. 14. , 15. , 16. LB PAROXYSMB DB LA GU.BRRB La secnde guerre mondiale na reu sa marquedistinctive quau cours de sa dernire phase: cestlinvention, labore dans son sein, de linstrumentdu total suicide du genre humain, qui eri Jaffle tiinedtune poque, le dbut dune poque nouvelle. Lelancement de la bombe atomique porta la guerre son paroxysme.. La paix sest vu poser sa tche laplus difficile : le contrle de linstrument. Le dveloppement de lus~ge des chars dassautdans la premire guerre mondiale a dtermin la stratgie de la seconde. Larme atomique rvolu tionne lordre social et la pohtIque de puissance denotre monde. Au cours de cette dernire guerre, ladcision ne fut pas influence par cette arme. Le sort de la guerre tait dcid avant son lancement. En revanche, elle rend inluctables des dcisions. pour lapaix, dcisions complexes que les dirigeants des nations victorieuses eussent volontiers voulu voir ajourner. Lexistence de cette arme porte galement son c~ la cJlse dans laquelle seabattent la socitJi eUa civilisation humaine epUls pIUSlrs:geDfiitiOns, par suite de lacclratIon constnte des refontes rvolutionnaires de sa structure. Ainsi, un vnement technique particulier d~ient dune manire sans pr cdent dans lhistoire humaine, le promoteur de la rvolution universelle. Dans limpossibilit naturelle o lon tait de pr yoir ses inexorables consquences~ le lancement de la bombe permit lillusion que cette. arme, guimp,le fait de ses monstrueux ravages, allait ncessairement contraindre lhumanit il Ta paix universelle. Or, ce 1sont les instruments par lui-mme. fabriqus qui, aujourdhui, dominent lhomme; cc nest pas lhomme 17 17. LE TEMPS DU m::LlREqui domine ses instruments, par lusage quil en fait.Lhomme a sans doute appris contrler la majeurepartie des forces naturelles, mais il a commenc enrevanche par perdre le contrle de soi-mme: Devant la satisfaction du fait de lextraordinaireefficacit de larme propre abrger la dure de laguerre, du fait aussi que ce furent les Etats-Unisqui triomphrent dans la course essoufflante depareilles armes destructives, les consquences militaires, politiques et-sociales ainsi que les perspectivesmorales gardrent tout dabord un aspect purementschmatique. Ce nest que peu peu que lon pritconscience des iBluctables rpercussions sur la totalit de la vie humaine et que lon fut contraint .deconclure que lexistence de cette arme obligerait lesnations recourir des moyens nouveaux et extraordinaires de garantir la paix universelle. Mais le vrai problme ne consiste pas dans le contrle de cette arme, quil sagisse, pour les EtatsUnis et lAngleterre, den monopoliser le seCret, ouden faire linstrument capital ou accessoire dunepolice de paix des United Nations. Cette inventionsoulve bien plutt un tourbillon sans fin de problmes, parce que loin de supprimer la politique depuissance, comme se limagine le vulgaire, elle donnebien plutt cette politique de nouvelles, inconcevables et violentes impulsions. La puissance tend au maximum de son domainede souverainet. Elle aspire au monopole total etpermanent. Telle est son essence. Jusqu prsentce monopole demeurait irralisable. La puissance sevoyait limite toujours par dautres sphres de puis. sance dgale grandeur, ou par des conditions naturelles des domaines qui rendient impossible un contrle efficace et durable. Dornavant, cet instrumentde dvastation garantit la nation, un groupe ou une lite dff~rsonJ!es qui en seraient les dtenteurs,( le maximum de puissance un degr qui dpassetoute imagination. Il faudrait que les hommes ne fussent plus hommespour quils rsistassent la tentation dassurer ux-mmes, leur nation, leur classe sociale, lins 18 18. LE PARADOXE DE LA VICTOIRE ,trument de la puissance et de la domination totale- ne serait-ce que pour viter de choir dans la totaledpendance dune autre nation, dune autre classeou dun groupement de personnes. Le fait que lespremiers russir cfilUe: arme furent les dmocraties occidentales, peut sans doute, de prime abord,donner un aspect rconfortant aux perspectives. Maissi cest un motif de soulagement pour les vainqueursque de savoir lAllemagne et le Japon exclus de lusagede cette arme, il nen reste pas moins que cet instrument de puissance absolue, non seulement en estun dans le conflit entre nations, mais encore procure les chances de domination totale lintrieurdune socit. Il peut fonder la dictature absoluedune classe, dun groupement de personnes. n peuttre utilis autant pour le maintien qllfl pour Je bouleversement dun ordre social.or; le monde ne se trouve pas seulement dans untat o lquilibre des forces est absolument renvers.En proie la plus grande crise sociale qui lait. encore. secou, deux conceptions antinomiques de la SQ"itJjle dchirent. en vue de leur affirmation universelle.Situation psycholOgIque et spIrItuelle o les cepsuresmorales lgard du recours Ia yiolence ont disparu chez les nations mmes qui, au dbut de laguerre, rprouvaient toute politique de puissance ensoi. n faut que linvention dune arme aussi dvastatrice, linstant mme dune profonde dchance desnormes thiques et du triomphe dun ralisme ,dun pragmatisme pour qui la jouissance et la violence valent comme le suprme lment de la ralit,que pareille invention soulve la question suivante :~. labus de celte arme peut-il seulement tre vit ? Nl~,.lelle pas la pomme satanique dOris, jete en pleinecrise de notre civilisatIon quelle v pulvrIser commeles CItes JaponaIses? _. Cest l une grosse erreur de croire que lhommeait rellement progress par une quelconque invention au cours de la grande rvolution technique. Cettedernire invention non plus ne saura..it refondre sanature, mais ne fait qualourdir encore le fardeau 19 19. LE TEMPS DU DLIREdj si pesant que, pour lui, constitue la tche de serendre matre des possibilits techniques sans quellesaboutissent ncessairement son autodestruction.Il lui faut tenter de rationaliser et de restreindrelusage des forces nouvellement dchanes, linstant mJlle o lut chappe le plus essentiel dSdnl) armature morale, lirite des sicles et des ~a-tIons. .. -S-ans se perdre ncessairement dans des considrations moralisantes, nul ne peut nanmoins luderla constatation que le dveloppement technique leplus rcent et le plus bouleversant qui ouvre lesextrmes sourcs dnergie cosmique, loin de contribuer dabord au progrs et au confort paisible et civilisateur de lhumanit, tels la machine vapeur,llectricit, le moteur " explosion, fut port samaturit par la recherche dun moyen de destruc( tion sans prcdent. Cest apparemment donner raisonaux interprtes pessimistes de notre civilisation, quede raweler ainsi que lessence de la technique servle hon pas dans son application en faveur dun plusgrand confort, mais comme moyen de destruction . Pour .autant quil sagit de la volont de la majorit crasante des peuples anglo-saxons, il ne sauraity avoir aucun doute quant lintention 11e mettrecette arme au service dune paix durable. En outre,avant mme que la bombe atomique ft connue, cefut sans doute le dsir de soutenir ar cet instrumentmasique une SOCIumverse e es na Ions qUlrendratt dsormaIs Impossibles des conflits rsolu!!! parla VIOlence. Mais ICI lon touche au noyau des difficllits futures comme aux hmites de lefQcacit dela bonne volont de tous les participants. Lexistencede la nouvelle arme ne permet plus dajourner lancessaire dcision apporte sur les problmes lesplus litigieux de ce temps: la structure politit;uef Qes Ruissances dans uu ordre uD~el, les garan lesinstItutionnelles et les formes de cet ordre, le contenuet la lorme de la socit humaine, les problmes delEtat, des systmes conomiques sans ngliger lesdroits et la destination de lhomme. Pour ne saisirquune seule rflex10n sur cet ensemble de problmes,20 20. LE PARADOXE DE LA VICTOIREle contrle de cette arme et de son utilisation ne contraint-il pas la discipline et la vigilance les plusrigoureuses, nimpose-t-il pas 1.1n rgime universelautoritaire assist dune police secrte omnipotentetendue tous les domaines? Cela nassure-t-il pas un groupement de person_nes, quelle quen puisseM.reTacoinposition, un monopole de puissance jusqualors inimaginable? De ce. fait tous les lmentsdun ordre dmocratique libral ne sont-ils pas jetspar-dessus bord? La dictature absolue dune inamovible lite dirigeante nest-elle pas ainsi cre aumoins virtuellement parmi les nations qui dtiennent le monopole de cette arme, ou dans lorganisation universelle qui ce monopole se voit dlgu? A partir de la dcouverte de cette arme, l~e~pour la domination universelle et lEtat mondialsemblent en fait tre devenus mvitaDfes. Ainsi larmede la destructIon totale accentue-t-eUe tous les roolmes, tous les conflits,JnIen:e an 1 aucune scurit.Elle apporte un nouvel lment dinquitude, et leplus grand, dans la priode de la paix. Au lieu dassurer ,la paix, cette arme est capable de dterminer une course{ effrne vers les moyens dun monopole de puissancetotal. et absolu dans le monde. Quelle quen soitlissue, la bombe atomique est le visible symbole dece que la guerre nest nullement termine par unesimple victoire, ni la paix assure par le total, asservissement des vaincus sous le contrle des vainqueurs.La dialectique_ de ~.erre a bien plutt con!it de nouveaux et priJ~Illbles problmes, cependantque la garantie dTa paIX exige des mesures infinimentplus graves que lextermination dfinitive du dangerdhgmonie dhier. LE DILEMME DES CONTRADICTIONSLargument le plus premptoire contre la guerreen tant que moyen politique, cest sa strilit. Ellene rsout aucun problme, elle naboutit pas mme une suppression des conflits qui lavaient provoque. Les victoires militaires peuvent confirmer dfi 21 21. LE TEMPS DU DLI~E. nitivement des situations nouvelles qui commencent saffirmer ou bien en ajourner limportance. Elles n~ peuvent en ralit que transformer les conflits, sous lapparence dune dcision. Ou bien encore elles peuvent dissimuler une dfaite relle des vainqueurs . sous les dehors du triomphe dune hgmonie. Cest le passage des ides et des principes des vaincus aux vaingueurs qui conduit au paradoxe de la victoire. Il faIt des vainqueurs daujourdhui les conquis de demain.La seconde guerre mondiale a prcipit les vain queurs dans le dilemme de contradictions difficiles rsoudre. Ils se trouvent dans la situation para doxale dtre sur le point de sapproprier les ides et les principes directeurs des vaincus. Ils ont pour une part nullement ngligeable contribu par leur vic toire promouvoir ce que par la guerre ils voulaient supprimer.La guerre sest termine par un tat dhgmonie dans lequel il ny a et il ne peut y avoir ni un qui libre naturel des forces, ni un quilibre orgams, cest--dire un constitutionalisme intgral des rap ports entre nations. A sa place sest dvelopp une sorte de rgime autoritaire des trois grandes. puis sances mondiales en vue dgaliser les antagonismes au sein dun ensemble inconsistant de nations, orga nisme qui, pour lessentiel, repose sur la simple bonne volont la coopration et qui, par sa nature, est beaucoup moins stable que lancien concert euro pen ou la politique an~laise des power, fort mcom prise. Le jeu de la politIque de puissance, pour cette raison, fort loin de se trouver sl,lpprim ou contrc51 par la victoire allie, se poursuit, camoufl. En dpit des institutions et des organismes supranationaux, le .facteur de puissance est, plus que jamais dans lhistoir, la ralit proprement dite de lvolution politique. ...Le problme de la puissance continue de se poser du fait quelle constitue limpulsion la plus impor tante, non seulement dans les relations internatio nales, mais encore lintrieur de la socit dans les relations entre groupements politiques et sociaux22 22. LE PARADOXE DE LA VICTOIREavec leurs intrts antagonistes. Sous la surface delordre lgal, clate la lutte entre danciens et de nouveaux facteurs pour le contrle exclusif de la socittandis que saffrontent deux conceptions sociales opposes, lune lgale exprimant lancien rgime, lautre,rvolutionnaire et progressiste, annonant des tapesfutures. Cest bien l ce qui caractrise aujourd)luilagitation sociale, sinon dans toutes les nations, dumoins dans ta plupart. . Le conflit antinomique des deux rgimes sociauxtels quils se prsentent sous leur forme la pluslabore respectivement aux Etats-Unis et danslU.R.S.S. et, par ailleurs, la situation trouble dansla plupart des autres pays, rendent impossible quune association, plus ou moins relche, de nationsgroupes sous une sorte de condominium fodal destrois grandes puissances, vienne se substituer unquilibre stable et organis sous forme dune dmocratie constitutionnelle des nations. Car le constitutionalisme entre nations ne peut, pas plus que laconstitution dune socit, reposer sur deux conceptionscontradictoires ni sur labsence de toute conception. Le problme de la puissance en politique extrieurene saurait jamais tre rsolu tant qu lintrieurrgne la confusion rvolutionnaire. La lutte pour lepouvoir social menace de dchaner la lutte entrenations. Pourtant la lutte pour lexclusivit du pou:voir social dtermine le problme de la puissanceentre nations. Comme chacune des conceptions enltte pour leur affirmation exclusive se voientpatronnes par lune des grandes puissances, il estinvitable quil y ait une action rciproque ent.re lesluttes intrieures et les luttes extrieures. Aussi laguerre, au lieu de dboucher sur une priode de paix,aboutit avec certitude non seulement une srie detransformations rvolutionnaires, mais encore la luttepour le pouvoir exclusif dune classe sociale et la refonte de la socit peut tout instant se rpercuter en un conflit extrieur. Comme il nexiste point dautorit arbitrale pour la rsolution des conflits sociaux et quil ne peut gure en exister, le conflit entre ordres sociaux reprsente)a source intarissable 23 23. , LE TEMPS DU DLIRE de nouveaux conflits extrieurs, encore que cela naboutisse pas ncessairement de nouvelles guerres mondiales, mais . une priode de guerres civiles. Condamne sur le plan international, la doctrine de la violence na nullement t stigmatise sur le plan de la lutte sociale, au sein de laquelle cette doctrine est ne.La pense simpose alors de chercher tablir la paix dans les conflits sociaux par les preuves de bonne volont que lun des antagonistes donnerait en recevant dans son sein les lments de lautre, esprant un rapprochement progressif et une galisation des forces. Or, vouloir alfsurer la paix sociale en notre temps par un appeasement savrerait une illusion non moindre que la tentative dassurer la paix ext rieure par des concessions un adversaire rvolu tionnaire et agressif. Ctait bien ce genre de solution laquelle tendaient en principe les propositions et les espoirs de certains groupes influents lintrieur qes grandes dmocraties occidentales, supposant que lunique garantie du maintien de la paix serait dans une volution radicale vers la gauche dans toutes les nations.Or, cest bien plutt le contraire qui est vrai j en effet- et cest l quapparat le dilemme proprement dit de la victoire - la ralisation des principes socia- . listes par la nationalisation de lconomie, la forma tion dun Etat de services sociaux , lentre de plu sieurs autres nations dans lantichambre du socia lisme, le capitalisme dEtat, tout cela loin de mener la solidarit internationale du socialisme, aboutit au... national-socialisme. Le national-socia lisme soffre aux points de sortie les plus diffrents comme la voie de la moindre -rsistance. Solution qui offre lapparence dune synthse des rgimes sociaux contradictoires o coexisteraient les lments essentiels des deux rgimes. Le national-socialisme se prsente ainsi comme le moyen apparemment le plus facile ou comme le seul qui demeure encore disponible pour rsoudre les conflits conomiques. Il est par suite dune situation politique irrsolue la seule volution consquente qui mne une24 24. LE PARADOXE DE LA VICTOIREnation une discipline nationale et sociale de lamasse des citoyens, discipline ncessaire la st1retde lEtat qui connatt la menace et la pression dungigantesque Etat totalitaire comme adversaire ventuel. Ce national-socialisme peut contenir peineou rien de ce qui caractrisait le national-socialismeallemand aux yeux des contemporains (encore quilne sagisse l que daccidents ns de la situation particulire de lAllemagne). Ces nouveaux brands dunsocialisme national nen seront pas moins identiquesdans leurs facteurs rels les plus importants aveccelui qui a surgi en Allemagne. Le danger-xiste quunr~me, que la victoire des allis paraissait avoir extermm chez les vaincus, ressuscite non plus chez cesderniers, mais bien chez les allis mmes comm laforme rgnante du rgime politique et social de lrefuture. Pareille victoire du rgime national-socialiste pourrait bien tre en fonction dune srie de dveloppements tragiques de dcomposition et de dissolutiondes anciennes pax:ties intg;antes de la culture occidentale. LEtat devient lunique et suprme ralit,le suprme garant dun ordre donn en un tempsde disiolution progressive. En outre se manifeste unetendance lisolement conomique et politique, tendance qui na gure besoin de se perdre dans lideallemande dune conomie grand espace vital autarchique, mais qui favorise llaboration dempiresgants dont certaines nations seront le foyer. En toutcas,cest l un modle politique sorti de .larsenal dunational-socialisme allemand. Ce faisant, les grandes impulsions de la vie sociale. et politique du dix-neuvime sicle se voient videsde leur contenu, dprcies ou perverties. La grandeimpulsion socialiste linstant mme de sa victoireextrieure devient absurde. Le nationalisme, particulirement dans sa rfrence A-tEtat en tant ql.,(EtaLnational ou en tant que dmocrati nationale dontlide directrice dominait encore la paix avant lapremire guerre mondiale, na plus dobjet ds que lasouverainet des petits et moyens Etats, base surune tradition nationale, est abroge; en effet, par le25 25. LE TEMPS DU DLlHEfacteur dun nouvel ordre de grandeur pratiqu dans la politique de puissance, les petits Etats se voient ravals au Tang de clients ayant perdu toute ind pendance dans certaines sphres dinfluence, par rapport aux grands Etats mondiaux rests seuls sou verains au plein sens du terme. Absurde galement le vieux libralisme avec son immortelle ide de la libre expansion conomique dans le monde. Avec la nationalisation de Fconomie et le dclin du libra lisme, la way of life", le mode de vie des dmocraties occidentales perd son ingrdient essentiel qui ne rside pas dans le caractre conomique de leur vie sociale, mais dans le caractre priv de la vie per sonnelle. Labandon du libralisme concide avec une nationalisation ou une dsapprobation progressive de le~semble des relations qui constituent la vie bour geoise.Ainsi, dentre les fissures et les joints et par-dessus le bord de la pix naissante, jaillit comme fruit pro prement dit de la victoire cela mme contre quoi les puissan~es occidentales tout au moins staient dfen dues durant cette guerre. Or, cest partir de leur infection inconsciente et -involontaire par les prin cipes et les ides national-socialistes que les pui~ances occidentales courent vraiment le danger de perdre la base de leurs normes thiques et de leurs principes politiques propres.La seconde guerre mondiale, loin de rsoudre la crise universelle, na fait quaccentuer et prcipiter dans le chaos la transformatIon de la civilisation occidentale. Quelques observations permettront den lucider les dftails. .Ce fut lillusion du dix-neuvime sicle dattendre de la victoire des ides librales et du libre-change de la socit bourgeoise le triomphe dune inter co~munication mondiale des nations qui apporterait une re de paix au monde. Et ce fut jusqu lheure prsente lesprance du vingtime sicle de voir dans la ralisation des doctrines socialistes la naissance dune communaut universelle des peuples qui ren drait impossibles les guerres et les conflits.Au sein du libralisme universel du dbut du dix26 26. LE PARADOXE DE LA VICTOIRE.neuvime sicle, se dvelopprent le libralismenational et limprialisme conomique du dclinde ce sicle, qui aboutirent lpoque des guerresmodernes sous la pression des conflits dintrtsentre nations. La ralisation des principes socialistesfait entrer le monde non pas dans le sicle de lasolidarit internationale, mais dans lre du socialismenational. Quest-ce que le socialisme national pris au senslarge du terme? Le socialisme national consiste dans lapplicationdes principes et des lments de lordre socialiste lespace national isol. Il reprsente le msusage oula perversion des moyens dordre socialistes aux finsdune politique nationaliste de puissance avec leconcours dun Etat autoritaire ou bien en vue de laformation de ce dernier. Il est facile dobjecter que le socialisme ne se peutraliser tout dabord qu lintrieur dun espacenational isol. Il savre cependant quil demeurefix ce premier stade; ce nest q,uau del dunesrie de conflits entre des orientations diverses etentre Etats, dans la lutte pour le monopole exclusifdune seule puissance privilgie, quil parvient lafaveur de la rvolution universelle sa phase suprieure, soit internationale.Une communaut nationale qui se socialise, dveloppe une discipline de masse aspirant au chauvi( nisme, lisolement et la position conomique pri vilgie au dtriment des autres communauts nationales. Loin darriver ncessairement une solidaritcorrectrice des intrts nationaux, ayant pour baselordre social commun tous, les Etats socialistesIl hritent l) bien plutt en totalit les intrts et lesconflits internationaux de la politique de puissancede lancien rgime social. Non seulement ils en sontles hritiers, mais encore ils les remplissent avec un pathos social nouveau.Cest bien l la tragdie dune grande ide et dune~ grande esprance sociales, qu linstant mme de sa1 ra!is~tion politique et de sa vict?Ir~ ext~rieure la.. sOClabsI!!.e _"perde totalement sa SIgnIfication et sa 27 27. LE TEMPS DU DLIRE nature dans les plus grandes sphres de puissance de lunivers, en Angleterre et en Russie sovitique. Le triomphe. du .socialisme. se transforme ainsi en une victoire du national-socialisme.Or, ntait-Ir pas inluctable que le socialisme, en voie de passer de lutopie il. ltat de science sociale- pour rappeler ici le clbre ouvrage de Friedrich Engels - et de la science sociale il. la ralit poli tique, se dveloppt de manire analogue, en pas- sant de sa forme dhumanitarisme cosmopolite il. celle dun Etat national, comme ce fut le cas pour lide et la ralisation pratique du libralisme? Pas plus que ce dernier ne cesse dtre libral du fait dtre pra tiqu par une nation dtermine, - ainsi pourrait-on argumenter, - le socialisme national ne perd nces sairement sa missioh socialement progressiste il. lint rieur dune nation et, partant, il. lintrieur de la com munaut des nations civilises. Si on limine ce qui caractrise le nationalisme allemand, son anti smitisme, sa doctrine raciale, il se trouve- que certaines formes dorganisation dveloppes par le national-socialisme allemand seraient parfaitement acceptables au service dune mission socialiste authen tique: Il ny aurait plus aucune raison de rcuser une pratique nationale du socialisme.Pareille argumentation, si lucide quelle paraisse, ne tient pas compte cependnt du facteur dcisif qui . agit dans laccouplement des principes socialistes et nationalistes : ce sont en effet les moyens et les mthodes appliqus il. lducation dun ordre socialiste dans lisolement national qui dterminent une vo lution contraignante, non point le contenu et les buts moraux ou immoraux de cet ordre. Il est vrai que les caractristiques particulires du national-socialisme allemand procdrent dune idologie nationaliste particulire. Or, ce sont les mthodes de sa ralisation qui ont dvelopp les actes de violence. Et ce sont ces mthodes de ralisation du socialisme qui, dans tousles brands, sont les mmes et qui saffirment commela chose essentielle aux dpens de toutes les bonnesintentions.. Les mthodes absorbent le contenu et le nationalisme le socialism. Il nest quune voie qui 28 ~ 28. LE PARADOXE. DE LA VICTOIREpermette datteindre une solidarit globale universelle entre les sy:stmes sociaux de socialisme nationaldans une union. internationale : la soumission desint~ts nationaux et la dl~a~ion des droits Parmi elles, lUnion sovitique st en apparence ,absorbe dans un conflit paralysant entre des aspirations imprialistes et panslavistes et les tches deralisation de la rvolution proltarienne mondiale.En ralit, la volont lanime avec une consquencedairain, dtablir un meilleur fondement de sa proprescurit et de lexpansion de la rvolution mondiale,tout en sassurant, par le monopole de direction de larvolution communiste, dun instrument dcisif de puissance dune {Jualit exceptionnelle. La Russie 3~ 39. LE TEMPS DU DLIRE est la nation la plus dynamique, aussi a-t-elle pujusqu prsent imposer sa volont dans toutes lesquestions relevant de la politique de puissance. Cestelle qui a enregistr les gains en potentiel de pui~sanceles plus considrables de cette guerre. LUnion sovitique est sans doute infrieure aux Etats-Unis quant son quipement industriel et son matriel de guerre;et nullement en mesure de faire face une coalitiondes U.S.A. et du Commonwealth britannique. En peudannes cependant, la faveur des possibilits dedveloppement de lUnion sovitique, cette infriorit pourra tre du tout au tout c01Jlpense; sa situation stratgique exceptionnellement centrale garantit la Russie le contrle de lensemble du continentEurasien. Lautre grande puissance, lAngleterre, engage enune tr.ansformation imprvisible de sa structuresociale, dtermine par des motifs tant nationalistesque socialistes, et sefforant tant bien que mal de maintenir son ancienne position privilgie, tout enovoulant en faire bnlicier de larges masses popu laires par un ordre social nouveau, se voit la fois paralyse et partage dans sa volont. Son dvelop pement peut dQoucher sur un nationalisme rvolu tionnaire, un nouveau cromwellianisme et aboutir un national-socialisme prononc. Elle peu~ ainsi . tomber dans une contradiction brutale avec ses inten tions politiques actuelles et dans une hostilit pro: nonce lgard de la Russie ,sovitique. Les articu lations de sa sphre de puissance, disperses sur toute la surface du globe, dterminent, par ailleurs, une dispersion de sa puissance militaire et dans les conditions modernes d la guerre, lui garantissent peine lachance de dfendre efficacement un seul de sesmembres contre un adversaire de mme rang. Leslignes vitales de son empire se trouvent concider- avec les limites des zones dinfluence et de puissancede lUnion sovitique; cette dernire occupant toujours une position centrale alors que lAngleterre .noccupe que des positions extrieures, ce qui confredes avantages une puissance maritime, mais ce quila voue linfriorit lpoque des armes volantes.40 ", 40. LE PARADOXE DE LA VICTOIRE:Il est vrai qu la place du maintien dun empire quil nest plus possible de tenir dans ses parties essen tielles, lAngleterre dcouvre une nouvelle et fruc tueuse. mission exercer en tant que puissance dirigeante dune zone moyenne europenne, zone de mdiation, zone dune association des membres de lEurope, sans la Russie. Mais la ralisation dune pareille tche est troitement dpendante de la France; elle se heurterait, lopposition la plus vigoureuse de la part de lUnion sovitique qui, ds maintenant, possde de solides points dappui dans tous les pays europens. La politique anglaise pour cette raison ne repose pas seulement sur une base troite et problmatique de puissance, elle est ga lement paraly~e par des contradictions et des possi bilitsencore troubles qui ne seront pas claircies de sitt et qui font de lAngleterre un facteur inconnu et incertain.La troisime puissance mondiale, les Etats-Unis,est ~ortie de la guerre comme la plus forte du monde,suprieure toutes les autres, et pleinement en mesure dassumer la responsabilit de lensemble de lapolitique mondiale. Elle possde, du fait de la bombeatomique, du moins pour le prsent, mais dans unepriode dcisive, linstrument dune puissance absolue.La plus grande faiblesse de la politique amricainetient son caractre dfensif, son hsitation remplir sa vocation missionnaire au nom de lide que,prcisment, les Etats-Unis reprsentent. Cest lecaractre offensif, religieux, dynamique de la politique russe qui confre lUnion sovitique sa force etson assurance de succs en dpit de son infrioritmatrielle. Une volont consquente et consciente deson but est toujours celle qui simpose une volontcontradictoire ou incertaine.Face une pareille situation, la coopration indispensable la paix du monde des trois gran~es puissances mondiales ne peut signifier quune chose, savoir que le plus puissant en volont impose sesintentions politiques. Jusqu prsent, la cooprationdes trois grands dans la guerre et dans la premirephase de la paix a consist essentiellement dans41 . 41. LE TEMPS DU DLIRE lapprobation don~e aux exigences de la Russie par les deux ,puissances occidentales. Elle nest rendue possible que par des concessions qui, contraires leurs intrts, reprsentent le sacrifice non seulement de principes et dimpondrables idologiques, mais encore de facteurs de puissance trs rels. Tout ce qui a pu tre enregistr titre d succs la faveur dune remarquable transformation de la politique amri caine, en tant que restriction des aspirations russes au cours des ngociations relatives aux traits depaix avec les ex-partenaires europens de laxe, toutcela reprsente peine beaucoup plus quun refoulement russi des premires tentative~ expansionnistes avec le retour desquelles il faudra compter.Lvolution probable du condominium des troisgrands sera celle de tous les condominium de lhistoire : une fois limins les plus faibles partenaires dutriumvirat, les deux grandes puissances restes seules face face se verront engages dans une luttefinale pour lhgmonie exclusive sur le monde. Ainsi, lissue de la guerre cre une situation depuissance dont le dynamisme intrieur ne laisse . son tour que deux possibilits : soit la formationdune Socit des Nations libres, base sur un constitutionnalisme faisant respecter lgalit des droits et des devoirs de tous leUlembres; soit lEtat universel absolu et total qui, dans la possession exclusive du monopole de puissance sous sa double forme dhgmonie et de suprme instance sociale, rgne sans restriction sur toutes les nations et sur tous les Etats et dispose sa guise de toutes les fonctions conomi ques et sociales.Le dilemme de la politique de puissance. que nous a laiss la guerre stend et saccuse du fait que le cpnflit entre nations, sous la pression des dvelop pements r.volutionnaires, doit invitablement se retourner en un conflit lintrieur de la socit. Si une certaine coopration sous la direction des trois Grands.parvient encore neutraliser les conflits entre nations durant la phase prsente; aucune mesure ne saurait rduire les conflits de puissance lintrieur de la socit. 42 42. LE PARADOXE DE LA VICTOIRECest de la crise sociale que dpend la dcision dela~ix ou de la poursuite de la guerre mondiale avecd tres moyens, avec les moyens de la rvolutionmo diale. Tandis que lattention du monde est con- en e, du fait des conflits extrieurs, sur les rap-POl entre nations, et amene exclure les actes deviolence en politique extrieure, la doctrine de laviolence contjnue de rgner sur la lutte des classeset des groupements de personnes dont lenjeu ser~la puissance sociale et le contrle de lEtat. Leconflit latent entre les grands Etats se liquidera surle terrain de la lutte rvolutionnaire pour la concep-tion de lordre social et le regroupement de puissancequil dterminera. Si la troisime guerre mondialedevait devenir invitable, elle se livrerait de toutevraisemblance sous forme de rvolution. II est dessymptmes qui prouvent que le monde est djengag dans la premire phase de cette guerre. Elleserait inluctable, en dpit du Conseil de scurit etde la position autoritaire des grands Etats, si on ne- russissait pas surmonter la grande crise socialedune manire volutionniste en frayant la voie lagrande paix alors possible.LA GRANDE CRISE DE LA SOCIT HUMAINEET LA LUTTE POUR LAFFIRMATIONDE LA VALIDIT EXCLUSIVE DUN ORDRE SOCIAL Une autre illusion de notre poque, cest de croireque lon puisse tablir une paix durable par unrglement isol des rapports entre nations sansrsoudre en mme temps la lutte pour lordre socialet le pouvoir exclusif quil implique. Avec la lutted,e deux conceptio;ns de la socit sexcluant lunelautre, on pntre lintrieur de la grande crisedans laquelle la civilisation humai~e sest vue engagepar un long enchanement de rvolutions extrieureset intrieures, matrielles et spirituelles. Cette crise,de ce fait, est devenue universelle comme jamais aupa-ravant. Crisetotale, embrassant toutes les sphres delexistence humaine et non pas simplement partielle, 43 43. LE TEMPS DU DLIRE :/ ,conomique et politique. Crise du contenu et delessence de la socit humaine au sens absolu, nonpas seulement de ses formes et de ses institutions,progressant. par del ses cadres traditionnels vers unordre rationnel. Cette crise sattaque par consquent la plus intime substance de la civilisation mmecomme jamais prcdemment. Deux conceptions de la socit se polarisent dans leur antagonisme, luttent pour leur affirmationexclusive. Lexclusivit quelles exigent lune etlautre ne repose pas sur une aspiration arbitraire aupouvoir et laffirmation. Les deux ordres ne peuventse dvelopper et saffirmer pleinement quen postulant leur universelle validit: lune en ne pouvant queplus ou moins mal surmoRter les troubles depuis lon~temps accumuls en elle, lautre en estimant pOUVOIrsurmonter progressivement son caractre agressif et. parvenir la phase suprieure de ses principesdordre. Cest cette tendance la validit universelle etexclusive qui pousse la lutte sociale pour le pouvoir se retourner, dans son dveloppement, en une lutteentre nations. Ainsi, il nest pas seulement difficiledviter que la guerre mondiale se poursuive sous.forme de lutte rvolutionnaire intrieure; la lutteJrvolutionnaire peut tout instant dchatner de nouvelles guerres entre nations. Au cours des priodes degrandes crises historiques, la guerre comme la rvolution sont les deux formes dexpression, se relayantlune lautre, du mme processus de dcompositiongnrale.. Les deux ordres sociaux qui se font face sont : lasocit bourgeoise librale et la socit proltariennecommuniste, ou aussi la socit capitaliste et la socitsocialiste, la socit de lacquisition prive et la socitcollectiviste. Il est utile de choisir une dfinition dontle sens ne soit pas compltement us dans la luttepolitique quotidienne et qui souligne lintention dene pas opposer une socit mauvaise, condamnable,et une autre idalement bonne) une socit dungosme pervers et une autre altruiste, une socitractionnaire et une autre progressiste, mais bien 44 44. LE PARADOXE DE. LA VICTOIREde re otmattre qe deux conceptions gales quant aurang, gales en droits, deux conceptions lgitimespourbonnes raisons luttent pour leur validit, etque pa consquent, il est impossible de comprendrela natu de la grande crise si lon sen tient au pointde vue e la lutte des classes. Il conviendra doncdoppos lune lautre la libre socit personnalisteet la so t du service social. Il est cessaire de corriger les conceptions populaires et mmunment acceptes, mais partiales, surla natur et le caractre de la socit. Rien- quelinterpr tion unilatrale de la nature de l socitest une arme dcisive dans la lutte pour lordre et. le pouvoir sociaux. Il ne suffit pas de ne retnir dela nature sociale que son caractre conomique et declasse. Le_ systme conomique comme llaborationdun caractre de classe sont tous deux les forcescaractristiques de la ralisation dune socit. Ilsne dfinissent pas sa nature. Cest surtout par soncredo que se forme une socit humaine. Le credoreprsente la somme et la cohsion intgrale denormes, de convictions, de conventions et darticlesde foi politiques, sociaux, thiques et spirituels quiont leurs racines dans la croyance en une destinationde lhomme. Le credo, loin dtre la superstructureidologique de lordre conomique et du caractrede classe de la socit, constitue sa cellule germinaleet son indispensable et constant moteur. Un credosocial ne justifie pas rtroactivement un situationde puissance dtermine selon les classes lintrieurde la socit, ni le systme conomique valable. Lecredo dtermine les impulsions et les motifs sociauxproprement crateurs. Ce nest que lorsque ces derniers steignent que le caractre de cl~sse et ltatconomique passent au premier plan et deviennent leseul contenu de la socit. Laffirmation du caractre exclusivement conomique de la socit constitue dj un credo. Formu lation dune interprtation matrialiste de la viehumaine. La collusion de la doctrine du caractreconomique de la socit avec le matrialisme historique, pour cette raison, nest pas seulement logique,45 45. LE TEMPS DU DLIREmais invitable. Or, en soulignant la divisi enclasses, on aboutit un autre motif caractr tiquede la dsintgration sociale, celui de laffi ationde chaque position de puissance comme l mentessentiel de la ralit dun ordre social. On aboutit la doctrine de la violence comme luniqu moyende modifier la situation de puissance l ntrieurdune socit. Souligner sa division en classe conduitpar consquent non seulement dune mani e logiquemais encore invitable professer la doctrine de lapuissance comJ;Ile ralit sociale dernire et suprme.Pour autant que chaque socit repose sur un credodun contenu quelconque, il nest point de sociologiequi ne soit jusquen ses dernires prsuppositionsune profession de foi, mais non pas une connaissance(Be-kenntnis, aber nicht Er-kenntnis). Pour cette raison, ,une socit ne saurait jamais tre conue, _projejete et organise dune manire exclusivement scientifique et rationnelle. Sans insister davantage sur lecontenu du credo des deux conceptions sociales quicaractrisent leur pathos, leur thique, leur climatsocial, il suffit de savoir gue lide dune socit fut entout temps conue comme ,expression de sa nature, etqu lpoque o devinrent conscients deux-mmes lesdeux ordres qui aujourdhui sexcluent rciproquement, lordre bourgeois libral comme lordre socialiste proltarien ne firent point exception la rgle.Ce sont les interpx:tations exubrantes des idologues et des utopistes de la priode juvnile dunesocit qui rvlent davantage quant sa nature et ses impulsions que les interprtations ralistes etscientifiques des, priodes ultrieures. Les philanthropes et les philosophes des lumires du- dix-huitime sicle avaient une image plus juste de la socitque les singuliers dfenseurs dun ordre libral qui,dans leur concurrence avec lordre collectiviste,tayent leurs apologies par les critres dun progrstechnique plus rapide, dun standard de vie communsuprieur ou dune plus grande productivit. Et cestaux utopistes et non pas aux socialistes scientifiquesque revient le mrite du grand pathos social quiremplit pour une bonne part la politique intrieure46 46. LE PARADOXE DE LA VICTOIREdu -neuvime sicle, pathos auquel ladversairedu so ialisme politique ne peut pas non plus se soustraire.. San insister ici sur les origines de la rupture de lasocit en deux ples de conceptions antagonistesau cou des grandes rvolutions du dix-huitime etQ.u dix euvime sicles, polarit qui se substitue la va dit dun ordre universel et unique propre certai es priodes de lhistoire, il est ncessairedaUirer attention sur le fait que les credo des deuxordres s trouvent en un remarquable rapport decompens Jln et de correction mutuelles. Il devientalors pos ble de parvenir une tolrance mutuelleau moins ans les normes thiques et idologiques etde trouve dans une rgnration du credo le moyendune coo ration pratique.Il est cependant nces~aire dattirer ds mainte- .nant lattention sur une circonstance importante, savoir le rapport entre lextinction dun credo socialet la doctrine de la violence. Cette relation intrieurelinonce les phnomnes du national-socialisme et dufascisme comme conscutifs au caractre matrialiste et contraignant de la socit en mme temps quecomme ractions contre son caractre exclusivementconomique et rationaliste. Le national-socialisme, par lapplication de doctrines et de mthodes poli tiques importantes, devient, pour ainsi dire, dun seul coup, la raction contre les deux conceptions sociales prcdemment caractrises, en mme temps quune synthse pervertissante des lments de cha cune delles. Du point de vue de la socit librale, il apparat comme un dveloppement radical de la dictature totalitaire du rgime collectiviste; du point de vue de ce dernier, comme lextrme et le violent moyen dfensif du capital priv et de la raction bour geoise. Les deux points de vue sont faux, quoique chacune des deux interprtations fasse ressortir des dtails rels. Or, du fait que la guerre; par sa victoire totale, a extermin le national-socialisme et le fascisme dans leurs pays dorigine, il en rsulte la situation para doxale qui veut que par la suppression de lennemi 47 47. LE TEMPS DU DLIRE commun, encore que jug de part et dautre~eIaon contradictoire, les deux ordres sociaux qui sub istenttous deux en tant que vainqueurs saffrQntent bruta lement sans intermdiaire. Lanantissem nt dunational-socialisme accentue lntithse et l ostilit polarisante des deux ordres sociaux entre x.Quels en seront les effets?Cela contribuera-t-il dvelopper Fun 0 lautrede ces deux ordres, voire tous les deux, da s le sensdu national-socialisme? On ne saurait con ster quele socialisme national, face : de nombreux roblmescritiques, se recommande comme la solutioqui tend la moindre rsistance. La tentation q exerce le .national-socialisme nest pas lie au caraCtre progressiste ou ractionnaire de ses tenants et aboutis-sants. Il peut ,tre appliqu soit dans le sens dunedictature de droite, soit dans celui d.une dictaturede gauche. Le nazisme vient soffrir la foiscomme ordre et comme mthode parce quil estIl libre quant aux valeurs , parce quil est ralismesans principes, parce quil est la dernire forme efficace de lordre, quand toute norme et toute valeursont teintes et quun credo social et spirituel ne peuvent plus se constituer. Il est le dernier ordrepossible, cest--dire un ordre de contrainte. Ilsoffre comme chappatoire au sein de la crise ten dant en son dernier stade au chaos total et lanarchie universelle. Il constitue logiquement la phaseintermdiaire qui mne de lEtat socialiste nationalabsolu, par del le sper-empire socialiste, lEtatuniversel totalitaire du monopole de la puissance etde la domination. L danger de la victoire dun ordre national-socialiste repose sur deux lments : laffranchissemntabsolu par rapport aux valeurs, le ralisme - onpourrait dire aussi nihilisme - et sur la doctrinede la violence comme lunique moyen accessible dansla lutte pour le pouvoir.Il est ncessaire, en un monde qui a la mmoire sicourte, de se rappeler le fait que ~a doctrine de laviolence comme moyen lgitime dans la lutte pOlitique a t dveloppe. par le socialisme militant 48 48. LE PARADOXE DE LA VICTOIREme thorie en France, comme pr.atique en Russie) en ncti.on de la tborie de la lutte des classes. Le nati nal-socialisme a traduit ceHrend de rsoudre des problmes dhier, sans voir ceux daujourdhui, quandil ne sagit pas de prvoir ceux de demain. Les efforts tents jusquici pour garantir. la paixcherchent assurer la paix future par un rglementdes conflits dhier, sans se rendre compte des dangersqui a p p r o c h e n t .Une paix purement pratique Il demeure strile. Peuttre agirait-elle dans une situation o il ne seraitques~ion que dun conflit de puissance. Cest l levice foncier de la paix quelle ne termine un conflitde puissance que dans la sphre extrieure et le veuilleterminer dfinitivement. Les auteurs de cette paix sesont rendus impermables cette vrit lmentairequune guerre comme la prcdente ne constituequune tape dans la crise de refonte ou de dcadence de notre socit et de notre civilisation. Traiterune tape de cette crise comme sil II ne sagissaitque dun antagonisme de puissances, revient donner la paix un caractre fictif. ,A .~ _ Etablir comment la guerre, la crise les refQnt~srvolutionnaires -des structures sont actuenement)connexes, voil qui aurait d. faire lobjet des examens pralables les plus urgents dans lintrt dunepaix efficace. On ne saurait carter cette connexion et simplifier de la sorte les problmes, sans risquer des solutions ncessairement fausses. 189 89. LE TEMPS DU DLIRELa paix pratique amne une nouvelle conf~sion. Elle prcipite dans des alternal.ives errones ou par ttrop simplistes. Or, il est facile dgarer une nati~n , JJl:ar de fausses alternatIves. Cest toujOU.rs l le mmo0.E! )ene lus efficace aUnerausse ropagand~~y-a quun OUI ou un non. OU5... :!lJLpas P9ur-.!un? Vous tes forcment pour lautre. Vous soulignez les faiblesses de la constitution des nations unies et vous tes un American Firsier, un IsoLaiionisi. Vous voyez toutes lest calamits qui naIssent de lanantissement de lAllemagne et vous tes un crypio-nazi. Vousz... rejetez le bolchevisme comme un ordre social qUi,) transfr en Occident, ne pourrait que erovoquer une chute un niveau infrieur de civllisatlOn : st que vous prparez. la troisime guerre mondIale contre la Russie.Il est tonnant de voir quel point ce genre dargu)~ mentation a. cours parmi les personnes cultives et!3 capables de jugement. Elle rappelle dune manire effrayante le genre de discussions en ATIemaIi avant lessor et ravnemen u na IOna -socla Isme. uand les alternatives et les Critres subIssent cette simpli fication grossire et que les politiques, mme intel ligents, ne sont plus en mesure de reconnatre une ralit toujours complexe comme un phnomne" complexe : alors la libert menace de prir avec laJ facult de jugement. ~.Aussi les alternatives de la crise contemporaine ne-!.disent point: voie internationaliste de la paix ou voie nationaliste; enchevtrement universel ou conclu sion isolationiste; responsabilit partage lgard de lunivers ou contentement de soi-mme dans sa_sphre propre; mais.ces alternatives dIsent bien :-quelle est la sorte, dinternationalisme qui se base sur le principe dune libre administration autonome, jouissant de lgalit des droits parmi dautres, celui du. make-believe ,de lUnion socialiste univer!elle sous le contrle dictatorial dune puissance dirigeante ou bien celui dun ordre profondment structur en un -systme de ~checks and balances )? .Les alternatives ne disent point: rvolution oujJ~~stauration mais bien: quel genre de rvOIUOr~ quel90 90. LE PARADOXE DE LA VlCTOIRE)f genre de restauration? Elles neencore national-socia sOCIalisme ou natiOnalisme, ou disent pas non pluslisme, mais bien: quel genre de socialisme? quel genre JI.13.de nationalisme? Enfin elles ne disent pas : ~uerre- contre la Russie ou capitulation devant la RUSSIe, ni:1 bouleversement sanglant litique, quau lendemain de la chute de Napo lon les Etats monarchiques de lEurope avaient pu pratiquer lgard de la France de Talleyrand,. ne pouvait, dans latmosphre de laprs-guerre, que se heurter des difficults pour les dmocraties lib rales face lAllemagne vaincue.Ce fut le Prsident des Etats-Unis qui indiqua un chemin passant entre Charybde et Scylla qui viterait la fois un dveloppement rvolutionnaire de lEu rope, aux consquences imprvisibles, sous la double direction de lAllemagne et de la Russie, et le retour lquilibre- instable davant 1914 qui, tout ins tant, avait menac de se scinder en deux coalitions antagonistes pour finir par un gaspillage de forces sans aucun rsultat de 1914 1918. Chemin trac par le plan rvolutionnaire dun quilibre organis au sein dune Ligue des Nations. Ainsi, les dmocraties de lOccident, poursuivant llaboration de leur grande conception librale de la socit civile jusqu sa forme de socit universelle des peuples, couronnaient la structure de lide librale ne au cours des rvo lutions du dix-huitime sicle, capable de sopposeI 93, 93. LE TEMPS DU DLIRE la rvolution proltarienne de lOrient. Au milieu dune pareille dmocratie universelle, les Etats-Unis trouvaient leur place en tant que la puissance conci . liatrice et garante de lquilibre mondial. Position que dj lancien Prsident Thodore Roosevelt avait prvue lorsque, dans un entretien intime, il avanait que: cc ... in fact we ourselves are becoming, owing to our strength and geographical situation, more and1 .. . more the balance of power of the whole glob.e (1).Or, cette fonction conciliatrice des Etats-Unis dans un concert universel des puissances net pas d sexercer seulement loccasion dune crise aigu, comme le rle li dun deus ex machina Il qui sauve la situatjon quand tout espoir est perdu. Leur partici pation la politique mondiale - si toutefois il sagissait vriment de rompre avec la traditionnelle restriction aux intrts de lhmisphre amricain --: cette participation et d tre permanente et orga nique. Lide de la Socit des Nations constituait . le cadre dans lequel serait assume la responsabilit, sans cesse partq.ge, pour lvolution politique sur les continents et les mers~ Ctait l une forme particu lirement approprie aux principes et aux ides poli tiques des Etats-Unis et conue de telle sorte que les citoyens amricains eussent d la comprendre.Il nest pas tonnant que le London Daily Mail parlt du premier message du Prsident comme ~tant un li abslracl ponlifical slalement of a future interna tional moralily Il. Mais on a de quoi tre surpris quau lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que la ralit des apprhensions de Wilson relatives linluctabilit de. nouvelles guerres se trouve dmon tre, des cercles dirigeants de son propre parti se rclament dun ralisme Il analogue celui que le journal londonien exprimait voici un quart de sicle.La vrit est que lli idologue II Wilson, lunique raliste de son temps, avait su parfaitement recon natre le changement dcisif survenu dans les rap ports de puissance entre nations : lre de lquilibre des forces, automatiquement efficace, prconis par(1) Bea.rd and Beard: The rise 01 american civilisation. 94 94. LE PARADOXE DELA VICTOIRElAngleterre, tait dfinitivement rvolue. Wilson.conut alors la Socit ,des Nations, non point lafaon dun rve utopique, mais comme la leon raliste tirer des eXpriences les plus rcentes, savoirque, pour viter lanarchie totale et de nouvellesguerres, il ne restait plus quune solution unique :lquilibre organis, sous forme dune socit constitutionnelle des nations, par lexlension du constitutionnalisme aux relations enlre les peuples, organisationqui, un jour, raliserait le plus profond des mythesmodernes: Paix sur la terre (1). Ds 1918, loinde ~tre quun beau rve et un simple dsir, leconsti~utionnalisme dans les rapports entre nationstait une simple ncessit. Or, il na pas t ralis. La Socit des Nations,finalement organise sous forme dune $"olution decompromis, reprsentait rien moins quun constitutionnalisme. Malheureusement, elle entretint dans devastes milieux lillusion que, par elle, le jeu de la politique de puissance se trouvait supprim et quonavait atteint un ordre raisonnable dans les relatiQnsentre les peuples. Il est aujourdhui fort gratuit d~constater que la politique de puissance stait en faitinstitue comme le vritable metteur en scne desreprsentations genevoises. Pareille volution deschoses tait fatale. Elle devait se reproduire infailliblement pour lO.N.D., pour autant quon naboutirait pas une authentique dmocratie constitutionnelle entre nations. Latmosphre si caractristique de Genve, faite dillusions, dhabilet danslarrangement de solutions qui ne rsolvent rien, dedemi-mesures et d,e comme si agrables entendre,cette atmosphre a largement contribu au fait quela seconde guerre mondiale na pas t prvenueen temps opportun, cest--dire lors de lapparitionde graves symptmes de crise, en dpit des moyensdaction crasants dont disposaient alors les nationspacifiques. On galvaude la leon qui ressort des expriences de(1) cr. W.-J. Elliot: ln The Pragmalic Reuoll in PoUlics, NewYork 1928, p. 499.95 95. LE T~MPS DU DLIRE lentre-deux-guerres, si prcieuse et si ncessaire pour lavenir, ds quon savise dexpliquer, avec la dsinvolture propre notre gnration, pourquoi cette guerrene fut pas vite. Personne ne saurait nier que lesmoyens, tant de la Socit des Nations que des puis sances occidentales, particulirement crasants, eus sent suffi, tout au moins jusquen 1936 et peut-tre mme jusquen 1938, empcher des agressions, si les nations composant la S.D.N. eussent t unani mes. Pourquoi ne le furent-elles point? Cette ques tion mne au cur du problme de la politique depuissance.. Un systme international de contrats, ina~evet manquant des conditions essentielles du constitu tionnalisme, se trouve en tat dinfriorit face unsystme c( naturel ) dquilibre de puissance. Ce der-.nier, au moins, garantit de manire provisoire untat de paix et peut ragir contre des modificationscritiques, tandis que le premier ne cre que lillusionde la scurit. Ce nest pas la politique de puissance lintrieurdun systme naturel dquilibre qui aboutit ncessairement la guerre et la crise, mais bien lillusionquil existe un quilibre contrlable, alors quen ralit une crise de la plus grande intensit entrane lesnations dans une refonte rvolutionnaire de structure dont la violence exclut tout quilibre. Une association de nations, si bien organise soitelle, nest. point par elle-mme une garantie de paix. Elle est bien plutt susceptible de provoquer desrises par lillusion dun ordre viable, en induisant omettre des ,mesures opportunes de scurit quoffrirait la politique de puissance. Les dmocraties occidentales entrepriren,t de monter deux chevaux la fois. Elles aspiraient unepolitique de paix et de dsarmement suivant lesidaux admirablement articuls dune communautuniverselle de nations se dveloppant jusqu ltat:du Royaume de, Dieu sur la terre, base sur la rprobation de la violence comme moyen politique. Ordans le mme temps, elles poursuivaient une politiquede puissance imprialiste sans tirer les consquences. .96 96. LE PARADOXE DE LA VICTOIllEquimplique toute politique de puissance} cest- dire de t~nir en rserve la plus forte concentration possible de moyens daction.Il est difficile la longue de vouloir se procurer les avantages des deyx termes dune alternative} rci proquement exclusifs. Le jour vient o lon se trouve face aux dsavantages combins de lune et de lautresolution. Ce ne fut point le dfaut de volont} mais bien la contradiction et le choix de moyens inad quats qui furent cause de leur impuissance emp cher la guerre. ,. .Le rpit que lissue de la premire guerre mondiale avait accord aux puissances occidentales ne fut pas mis profit.Pour la Russie} boulevard de la Rvolution proltarienne} ,la priode qui suivit une guerre puisante constitue galement une priode de rpit. Nous signons prsent la paix pour reprendre haleine } avait dclar Lnine au septime jour du Congrs du parti communiste russe} dans son grand discours sur la guerre et la paix (le 7 mars 1918)} relativement la politique extrieure de lavenir: (( Si lon ne sait pas sadapter) si lon est incapable de se mettre platventre dans la boue, alors on nest point un rvolutionnaire} mais un bavard. La rvolution ne sauraitvenir aussi rapidement quon lavait escompt} soit entant que rvolution socialiste universelle} soit en tantque r~volution socialiste allemande, Dans les payso le capitalisme avait enseign chaque homme laculture et lorganis-ation dmocratiques} on ne sauraitcommencer la rvolution sans prparation. Lnous nen sommes encore quaux dbuts convulsifs desrvolutions socialistes. (La plus grande difficult) I~plume histori ue de la rvolution en1Russie ..!ionsisterait pour cette raIson dans Il!.. n cesait de dclencher la Rvolution internalionale)ccomplir la transition de notre Rvolution} strfetement nationale} la Rvolution universelle . Car}( t nt ue la r~volulion socialtste naaincu )~dans seau res a s aubli ue sovittquerisque de tomber en esclavage. Nous ne savons pascombien de temps la reprise dhaleine va durer, -0)974, 97. LE TEMPS DU DLIREmalS nous essaierons de profiler de cel inslant derpil .LUnion sovitique a poursuivi cette politique,consciente de son but, jusqu la guerre dagressioncontre-rvolutionnaire prvue par elle. Elle, -ehercha exploiler la polilique de la scuril collective delagonisante Socit des Nations, et lorsque cettepolitique choua, elle se servit du pacte de nonagression conclu avec ~r, suivant en cela lexhortation de L.nipe, selon laquelle: cc seule une rsislanceutilitaire, eTrrace la raction serI la Rvolution ). Il esl possible , avait prdit Lnine, qJl.e lAllemagne en coopration avec le Japon ... nous dpce elnous lrangle... Notre laclique doil lre: allendre,ajourner la guerre, lluder, nous replier. La proccupation cruciale de lUnion sovitiquedurant le rpIt entre les deux guerres, tait" de savoirsi la scission allait encore une fois se produire entreles puissances imprialistes, qui durant la premireguerre mondiale, avait offert la rvolution communiste la chance de son slarl; ou si toutes les puissancescapitalistes et fascistes se rassembleraient en unegrande coalition pour une offensive gnrale contrela puissance rvolutionnaire dirigeante. Tant quela Russie ne serait pas assez forte pour se dfendreavec un succs prvisible contre nimporte quellecoalition, le ~ut capital de la politique russe ne pouvait tre que dempcher toute coalition, sinon mmede favoriser une nouvelle guerre entre les puissancesimprialistes . ; . Jusqu ce quclie une rvf?lution inlernalionale,embrassanl plusieurs pays, qui soil assez t~rle pourvaincre limprialisme inlernational, le aevoirlmmial aes socialistes eslde nenlreprendre aucune lulleconlre {es ganls de limprialisme, dluder les lulles,dallendre, jusquau momenl o la Lulle enlre imprialistes Les aura affaiblis davantage el rendu la rvolutionimminenle dans les autres pays )) (1).Les mouvements contre-rvolutionnair.es du fascisme et du nazisme auraient pu devenir un danger(1) Lnine: De la maladie infantile de gauche el du petit-bourgeoi,i,me.98 98. ..;-.. ~l------~~ .--- LE PARADOXE DE LA VICTOIREmortel pour lexistence de lUnion sovitique} si leurpolitique agressive navait galement menac lespuissances occidentales et} pour cette raison mme}touff dans luf toute vellit} cest--dire jusquausimple fantasme dune coalition anti-communiste. Lapolitique des puissances occidentales ayant pour butde laisser lAll~magne et la Russie suser mutuelle-ment} afin dassurer une fois de plus lEurope occi-dentale un rle prdominant pour le temps dunegnration} put tre pare par le contre-coup russequi} derechef} scinda en deux groupes limprialismeuniversel; tant et si bien que} pour employer lespropres termes de Lnine sur lheureuse circonstanceque la guerre mondiale avait offerte la Rvolution} les deux gigantesques bandes de brigands II ne furentpas mme c( de se coaliser conlre nous ll. Une fois deplus (c limprialisme ll) du moins jusquen 1941} eutdaulres soucis que celui de soccuper de nous ".1 Or) quand plus tard lagression fasciste se pro-duisit en effet c.ontre la forteresse de la R.volution}les dmocraties occidentales, - assimiles en tantque puissances capitalistes} par la Russie sovitique}au fascisme et au nazisme comme ne formant aveceux que le mme imprialisme universel -.-, se virentcontraintes soutenir les Soviets dans leur luttedfensive la vie la mort} .pour sauver .)eur propreexistence. Alliance par.adoxale} mais provisoirementsalutaire aux deux camps.. La paix spare germano-russe de 1918} qui parais;sait assurer lAllemagne la victoire, savra enralit comme la base de lessor ultrieur de laRussie; le pacte entre Staline et Hitler, en 1939} fut un degr suprieur cela mme que Lnine dans sondiscours de 1918 avait si passionnment dfenducomme la ligne de sa politique extrieure : la sauve-garde de la Rvolution bolchevique et de la Russieelle-mme. La reprise dhaleine ll} de 1918 1939} setrouva ainsi exploite dune manire grandiose parles dirigeants sovitiques} pour la cause de la rvo-lution universelle et pour la scurt de la Russie. Une fois de plus lissue de l. guerre a procur auxpuissances une reprise dhalei~e ll) ni plus ni moins99 99. LE TEMPS DU DLIREquune. reprise dhaleine, quun simple rpit. Lesprliminaires de paix, tels quils furent fixs dans lesconfrences entre les trois Grands et au cours desngociations ultrieures des United Nations, nontpas apport davantage. Durant ce rpit, ce nestpas seulement le bilan des gains et des pertes, desmodifications de la position de puissance des diffrents tats qui se ralise, quon ne peut encore tablirde faon certaine dans les conditions particulires dela guerre et de ses rpercussions immdiates, dautantque trop de problmes dpendent non moins de la. situation intrieure que de la situation extrieure desnations. Ce ne sera quau cours de ce rpit que spanouiront les lignes de la nouvelle ralit et quellesdlimiteront le terrain pour une politique de paixconstructive. Ilest cependant hors de doute que le~ perspectivesde lexploitation de ce rpit au sens dune paix durablene sont .gure prometteuses. On a bien vu, lors desprliminaires de paix, que rien na t retenu par lespuissances occidentales de leurs expriences du premier rpit lissue de la premire guerre mondiale,et quelles nen ont pratiquement tir aucune conclusion, si ce nest une technique et une tactique plushabiles. Aucune promesse de prosprit ou dune conomied (c labondance ne saurait faire illusion quant au fait que .lOccident se trouv, prsent, face unetche quasi insoluble, si tant est quil veuille sim plement saffirmer dans la situation gnrale. Au lendemain de la premire guerre. mondiale, Charles E. Hugues, lancien juge de la Cour Suprme des Etats-Unis, avait ainsi formul le tragique dve loppement dont son pays se voyait dores et dj menac: c( We may weil wonder... welher consliiulional government as hereiofore mainlained in this republic could survive another greal war even vicloriOusly waged Il (1). (1) Nous pouvons ,an, doute nous demander ... ,i le gquvernement constitulionnel tel quil fut maintenu jusquici dan, celte Rpublique, . pourrait survivre une autre grande guerre, mtme vtctorieuse. Beard and Beard: The Rise of American Civilisation. (II. 671). 100 100. LEPARADOXE DE LA VICTOIRECe conslilulional. governmenl appartient-il aux premiers lments dune normalit quil nous fautrenoncer rcuprer? La tche la plus lmentairequi simpose prsent aux Etat$""Unis est de maintenir et de dvelopper leur forme politique, indissolublement lie au contenu de son ordre social. Lamenace que des puissances extrieures comme d~s~uissances intrieures font peser sur cet ordre naas diminu du fait de la victoire sur le nationalsocialisme. La pression quexercent les tensions intrieures- sest accrue un tel d~gr que de violentesexplosions peuvent tout instant se produire et que,si lon parvient encore les viter, cette pressionpourrait dterminer une volution qui, par: exemple,en Angleterre, sous les apparences du progrs, nefait que dtruire la socit. Or, sans mme que cettedestruction se produise ncessairement, les consquences immdiates de la guerre ne sauraient se traduire autrement que par une refonte de la civilisation anglo-amricaine. La constante disponibilit laction des tats totalitaires contraint les tatsdmocratiques dordre libral vivre dans une constante disponibilit dfensive. Lun des buts les plusessentiels de la premire guerre mondiale se trouve,au lendemain de cette seconde guerre, plus reculque jamais.Au dbut de la premire guerre mondiale, le colonelHouse avait envisag comme alternative de la victoire, soit lhgmonie russe en Europe, soit latyrannie du militarisme. La fin de la dernire guerrea combin de manire paradoxale les deux termesde lalternative :. la position hgmonique de laRussie, plus cela mme que Woodrow Wilson considrait dans le cas dune victoire allemande commela consquence la plus dsastreuse, savoir une position de puissance dans le monde qui modifierait lecours ,de Iotre civilisation et ferait des Etats-Unisune nation militaire (( would change t.he course ofour civilisation and make the United States a military nation Il). Rien ne dfinit laggravation de lasituation de manire plus frappante que la ncessit irrvocable pour les Etat~-Unis de demeurer une101 101. LE TEMPS DU DLIREnation militaire, en dpit de lcrasante dfaite delAllemagne. LOccident se voit dfinitivement accul la position dfensive, quant ses idaux et principes dordre.Il a cess d~ccomplir sa tche missionnaire, laqu~lleexerce comme elle le fut en 1919, ne fut plus quunsursaut dinitiative et de dynamisme. Cette positioncrera-t-elle une psychose de ligne Maginot ?Longtemps avant lavnement de Hitler, un livfranais dun certain retentissenient sintitula LaDfense de lOccident. .Livre caractristique de lesprit /ngatif qui se manifeste aussi dans le domaine de laguerre dfensive spirituelle. Or, lOccident mme existe-t-il encore? LAngleterre, au seuil dun tragique glissement au. rang depuissance secondaire, comme ce fut le cas de la Franceaprs la premire guerre mondiale, est sur le pointde se dtourner des principes occidentaux et de faireun pas dcisif vers le capitalisme dEtat, dont Lninedclarait, voici un quart de sicle, qucc il reprsenteun pas inluctable vers le socialisme.. LOccident Sfst rtrt~ci. Il continue de se rtrcir.Les prliminair S de paix ont favoris ce processus un degr qui ne sexplique que par la totale mcon:naissance des ralits. Il est invitable que ce processus de rtrcissement ne se rpercute sur lhmi. sphre occidental. Si lEspagne, le Portugal, lItalie,la France, deviennent des bastions avancs du socialisme, du capitalisme dtat, sils adoptent les formesradicales dun communisme rvolutionnaire ou dveloppent une dictature du proltariat, les membreslatins de lhmisphre occidental ne seront pas mme de se tenir lcart de pareilles ides, de pareilsmouvements. Ainsi 1 Occident , somme toute, nesincarne plus gure que dans une seule nation : lesEtats-Unis. Mais eux-mmes ne sont-ils pas sur le point - ou ne courent-ils pas le danger - . de serenoncer eux-mmes? Ainsi simpose la premire tche de 1 Occident Ilqui consistera ce quil,se consolide lui-mme,sla bore plus purement et rcupre le terrain perdu deses ides dordre.102 102. LE PARADOXE DE LA VICTOIRE La Russie en tant que prfiguration et noyau dunnouvel Empire dOrient naissant (faut-il dire Romeorientale?) vient de conclure la premire grandephase cratrice de sa rvolution. lntrieurement etextrieurement consolide) son organisation ne saurait tre bouleverse par aucune puissance. En tantque noyau de la socit socialiste, la Russie sapprteds lors entrer dans la seconde phase de ralisation de la Rvolution: lexpansion du socialisme sousforme dune union supranationale, embrassant lesrpubliques socialistes du monde. Le dbut sentrouve dj accompli par lintgration de la Polognecomme des Etats baltes et balkaniques dans sonorbite. Cette intgration) accepte du point de vueanglo-amricain comme la mise en valeur lgitimedune sphre dintrts) constitue infiniment plus etreprsente. une avance importante dans la ralisationinternationale du socialisme : avance qui seffectuedans lunique voie de ralisation concevable du socialisme. Aussi bien) ce pas en avant constitue un dbutet non point une conclusion, comme ce serait le cassil ne sagissait que de la simple exploitation dunesphre dintrts.Quant savoir quels seront les Etats qui suivront dans ce processus dincorporation lUnion supranationale des Rpubliques socialistes et quel moment , se produira leur (( Anschluss )l)voil qui chappe toute prvision et dpend en grande partie de la seule apprciation) que lUnion sovitique fera elle-mme de lopportunit et de luUlit dune pareille entreprise. Quil sagisse l dun processus lent et organique) non point dune aventure dlirante, sauvage et confusment rvolutionnaire qui ne serait ni dans lintrt ni dans lesprit des pIanistes froidement rationnels de lUnion sovitique, cest bien ce quannonce ltablissement de rgimes de coalition socialiste-rformiste bour geoise dans la zone extrieure de la sphre dinfluence russe) en Autriche, et dans les zones doccupation russe en Allemagne. Il sagit bien l de vritables ( gouvernements Kerensky - qui sont autant de retardations Il concertes dun plocessus de rvo lution dont la violence chappera progressivement 103 103. LE TEMPS DU DLIRE tout contrle occidental. Etapes intermdiaires que le socialisme - scientifiquement pIaniste - nestime pas pouvoir brler impunment, moins de circonstances graves, comme par exemple lexplosion dune guerre civile qui contraindrait acclrer le processus.La reprise dhaleine , cette fois encore, sera sans aucun doute exploite conformment aux grandes directives indique.s par les Pres de la doctrine socia liste : lattente, lexclusion de risques inutiles, une progression pas pas, lastique~ susceptible mme de compromis passagers et provisoires. Car les Doc teurs du Socialisme nopt pas en vain mis en vidence les longues douleurs de lenfantement de lasocit nouvelle... Et celle socit nouvelle nest son tour quune abstraction qui ne saurait se raliserautrement que par une srie de tentatives multiples,imparfaites, mais concrtes, de crer tef ou tel Etatsocialiste Il, avait dit explicitemnt Lnine.Les exgtes des questions russes qui prtendentsavoir de faon prcise que lUnion sovitique aurait_depuis longtemps effectu une conversion politique,objecteront que lorientation de Lnine ne seraitplus valable au lendemain de cette guerre sous lesauspices dune association pacifique de toutes lesnations en tant que United Nations. A quoi lonpourrait rtorquer par les propres paroles de Lninemettant en garde contre la faute vidente de laisserlibre cours aux aboyeur.s et aux hros vocifrateurs quise laissent entratner par un radicalisme enflamm, maissavrent incapables dun travail rvolutionnaire consquent, rflchi, bien pes, tenant compte 4es transitions les plus difficiles ... Il On pourraIt ajouter cet.autre mot de Lnine : Lancer des phrases retentissantes est le propre de lintelligence petite-bourgeoiseet dclasse. Ceserait en effet sous-estime; la conscience du but et la discipline de fer de la crationpolitique et sociale du bolchevisme, que dadmettre uninstan~ quP, cette conscience se soit renie elle-mme,cela au lendemain de la conclusion victorieuse de lapremire phase de sa ralisation, pour la seule raisonquelle ne proclame pas constamment en phrasesretentissantes ses intentions de rvolution universelle.104 104. ...LE PARADOXE DE LA VICTOIREIl nen reste pas moins quune extinction prcocede limpulsion rvolutionnaire en Russie nest pasabsolument inconcevable. La rvolution" non seulement entredans sa seconde phase, mais encore ellepasse une seconde gnration de ralisateurs.~avieille gnration des chefs steint. Cest l le pointcritique partir duquel un mouvement dynmiquecommence spuiser. Aussi faut-il reconnatre quela direction po.litique ne dispose au sein du peuplerusse que dlments prdominance slave ou mmeasiatique, susceptibles il est vrai de grandes et violentes impulsions) mais qui dans leurs efforts,dpourvus de la tenacit qui caractrise lhommeanglo-saxon, se relchent soudain pour tomber le:ctrmet oppos dune activi~. absolue:".Pour cett.eraIson rapparat dans les mlheux pohtlques OCCIdentaux lopinion courante, il y a un demi-sicle, lgard de la Russie tsariste, qui ne voit que le Colosse aux pieds dargile ll. Il est certain que laRussie a besoin dune selonde reprise dhaleine. Ilest certain quelle a souffert deffroyables dommagesnon seulement du fait de la guerre, alors que lesEtats-Unis en sortent pratiquement sans pertesnotables avec une industrie qui ne cesse de se dve lopper. La Russie a encore souffert dune surtension deses tches en politique de puissance, et de lubiquit deses intrts rvolutionnaires, tant et si bien quelle sevoit contrainte de prqcder avec lenteur et prudence. Tout ceci pourrait bien contribuer au fait que laRussie demeure enlise dans Ies tches dune rvolution universelle. Mais que cela signifierait-il? Seraitce un soulagement pour le reste du monde? Vraisemblablement non, puisque lunique terme de lalternativequi subsisterait, ainsi que nous lavons dit au dbut,consisterait en une paralysie et en une perversionde la grande rvolution socialiste sous forme dunnouveau genre de national-socialisme.. Or, cest face un pareil danger que se trouvelOccident. A lui galement, sil nest pas en mesuredaccomplir sa grande organisation politique etsociale sous une forme supranationale la mesuredu monde, il ne reste gure que la forme du nationa 105 105. LE TEMPS DU DLIRElisme;socialiste OU du socialisme national. Ce seraitl une singulire rencontre des opposs sur une lignemoyenne, lun procdant du socialisme, lautre dunationalisme. Mais ce serait une rencontre qui nersoudrait rien. UNE GRANDE PAIX Est-il une solution? Est-il un chemin menant horsde la crise; sur lequel se soit engage la civuisationhumaine? Lorsque Jacob Burkhardt prsenta saprofonde analyse des crises historiques, il sabstinte rpondre cette question, mais en insinuantcomme vraisemblable que le processus dune crise nesaurait tre arrt. Si tel tait le cas, lhumanit irait inexorablementvers une effroyable catastrophe. Si elle lui permettaitencore un nouveau commencement, ce dernier consisterait alors refaire le chemin de la civilisationdepuis la racine de la vie la plus primitive. Nous nousrefusons croire pareil fatum inluctable. Nouscroyons galement que ce serait l abandonner unlment essentiel de la nature humaine que daccepterpassivement paieil processus et de ne pas luttercontre pareil destin. Sans doute nest-il point recommandable danimer lopinion publique au moyen dereprsentations dune prosprit sans prcdent, delengraisser tel UP!. chapon au moyen de promesses,au lieu de la prparer aux dangers futurs. Il existenanmoins des chemins et des mthodes pour dgagerle monde de cette crise, non pas en le mettant lcole des sorciers) mais en suivant les lignes et lesorientations que la crise elle-mme manifeste dansses motifs et ses impulsions. . Il nest point de panace, point dUnion now, nide World P()lice Force, ni de gomtrie du quotientde vote dans un parlement universel, ni doccupationdune dure de soixante ans de lAllemagne, ni dedispersion de tous les Allemands par le monde. Ilnest point non plus darmes spciales. Ceux quirecherchent le moyen infaillible, la solution, quipuissent tre clairement expliqus tout homme de106/ 106. LE PARADOXE DE LA VICTOIREcommon .sens, en peu de mots, eux-l doivent se restreindre. Ce qui nous attend est un ttonnementdifficile, qui exige que nous soyons prts toujours chercher des issues nouvelles quand les premiresfrayes ne seraient quimpasses.Il faut partir de cette exp~rience.essentielle : laguerre nest pas un vnement isol qui puisse tretrait pour soi. Il convient de se dbarrasser desreprsentations vulgaires qui ont gonfl jusqucraquer et jusqu briser les colonnes de journauxet les voix provocatrices des radios, pour comprendreque cette guerre, comme la prcdente, constituelune des tapes critiques de la refonte des structuresde notre civilisation se dployant sans cesse avec plus de violence. Il rpond sans dote au besoinhumain dmotions et de ra-etions motionnelles de choisir des coupables, de ramener ce quil y a de plus comple"e au p~us commun dnominateur. Cela est la rigueur comprhensible et tolrable pour la dure de la guerre, mais cre une source de graves erreurs lorsquil sagit daffronter les tches au~hen tiques de la paix- .De toute tWidence, cest exactement lvolution contraire qui sest produite. Plus le rglement de la paix sous forme dune tche pratique devenait urgent et plus les dirigeants politiques des nations victo rieuses sloignaient dune connaissance relle de lenchanement des faits. Cest la voix dun pass depuis longtemps rvolu ql,le lon peroit si lon se remmore cette vrit lapidaire et indiscutable, pro nonce par Herbert Hoover (1), suivant laquelle on peut avoir, soit une paix durable, soit une paix de ,:,engeance, mais certainement pas les deux la fois.On pourrait formuler cela dune manire plus explicite : ou bien on peut obtenir une paix du droit au sens des paroles immortelles que I;..~n prononadans sa seconde adresse inaugurale au cours de .laguerre de Scession (2); il Y a des chances quelle soit (1) Herbert Hoover and Hugh Gibson : Problems 01 a lasting peace. . (2) ... with malice toward none; with charity for ail; with (lrmne88 in the right, as Gad gives us 16 see the right. .107 107. LE TEMPS DU DLIRE...durable. Ou bien une paix de vengeance, basesur le diktat de la violence et de la supriorit desmQyens de puissance, qui aboutira de faon peuprs certaine de nouveaux conflits; mais une pareillepaix, masque par les principes de lquit et, dudroit ne saurait gure conduire qu la dcompositionintrieure de ceux-l mmes qui lont dicte. En un sicle comme le ntre} le caractre de la paixen tant que lreuga dei est de nouveau manifeste;"etlon se souviendra ici de lantique reprsentation dunconciliateur qui ferme labme entre les puissancesantagOnistes et fait dune coopration, non iaB ent~evainqueurs et vaincus, mais entre adVers ires gui vii)Jliit de se comp,~ttre, I$~me de Ia..paix. De grandes crises de PhistOlre se produisent lorsquelunit dune civilisation devient problmatique,lorsque les forces centrifu~es font clater la structurede la communaut essentIelle et, rduisent les forcescentriptes. Une cI:i~~ut tre surmonte quepar le renouement des liens rompm;;la gunson, ~la lremIse en il1at, la concIhationes contrair~s qui,quelle quen soit lapolarlt, comrent une civilisation riche ses impulsions cratrices; Loin de nous lintention de suggrer une paix douce . Il sagit ici dun rglement qui embrassetoutes les nations comme tous les lments dordres sociaux. Il sera donc ncessaire danalifeer, au moins,?S dans. quelques-unes de ses-lignes capita es, la grande-Je! S Jcrise dans ses 0ygies au cours des rvolutions auIIX=huitine, sic e; e vorrqelle inflOence la guerreprcdente et le rpit conscutif exercrent sur lacrise; comme aussi limportance de la stlconde guerremondiale dans le processus de cette crise ainsi queles effets prvisibles des circonstances la veille dela paix actuelle, sur son dveloppement ultrieur. .Il conviendra de distinguer, ce faisant, entretine solution de paix durable qui constituerait,aus;ens d-une liquidation de la crise, un dbut degrande envergure, laborieux, embrassant des ,dizaine!? dannes, et Une paix de cc ncessit qui, aumoins, emp~cherait ce que lavant-pa.ix actuelle peutprovoquer, sans aucun, doute, du faIt de ses rgle-108 108. LE PARADOXE DE LA VICTOIREments de violence, soit le progrs de la dchance delordre, pouvant atteindre un degr tel queiie rendrait impossible absolument toute rgn,ration de lacivilisation moderne. Il convient dajouter ici quelques observations initiales relatives au rglement dune paix de ncessit. Examinons une fois encore le cours de cette gigantesque catastrophe. Nous parlons de guerre mondiale. Mais en ralit, trois guerres isoles se livraientparalllement en Europe, guerres ayant chacune desmotifs et des buts respectifs qui, leur tour, eussentd trouver leur conclusion naturelle dans trois paixrespectives. Du point de vue de lAngleterre et des Etats-Unis,la paix en lon noyau ne saurait constituer autre chose que la fusion dfinitive et indissoluble de deux Commonwealths. qui ne peuvent conserver leur vie, leur libert et leur caractre propres que dans une par.eille fusion. Le motif de la guerre confirme une fois de plus que la Grande-Bretagne ne saurait sub sister sans les Etats-Unis et que ces derniers ne se trouvent l:abri que grce la ceinture de scurit que le Commonwealth britaI1-nique ,forme autour du continent amricain. Il faut que cette vrit lmen taire, confirme par deux guerres successives, devienne le fondement de la paix amricano-britan nique, en Occident comme en Orient, dune commu naut fraternelle, constitutionnelle, indissoluble, la( fraternel association de Churchill, noyau dune socit de nations authentique, reposant sur des principes communs. ,La fusion des deux Com monwealths, - en effet, est seule capable de crerun contrepoids, de puissance lgard de lOrient.LAngleterre prise en elle-mme nest plus unezone moyenne entre lOuest et lEst, au sens opareille zone avait t dclare indispensable lastabilisation- dun quilibre naturelet organis. Or,lAngleterre ne lest pas davantage dans ce qui reste de lEurope occidentale. Ce ne sera que par un travail commuil que les puissances occidentales pourront affirmer et dvelopper leur ordre social. Cette com munaut dintrts vitaux prdomine sur tous les109 109. LE TEMPS DU DLIREantagonismes, en particulier sur les antagonismesconomiques.Les Etats-Unis et le Commonwealth britanniquesont parvenus -tous de~x, par la logique immanentede leur histoire, au stade dvolution o ils ne peuventrisquer un pas de plus et ne doivent le risquer quedans le sens dune grane socit commune, souspeine de se perdre eux-mmes. PaI1eille socit estla base dune grande paix durable pour autant quelleconcerne les puissances occidentales et pour autantque lOccident peut y contribuer. Du point de vue de la Russie, la guerre fut avanttout lagression du fascisme et sa dfaite par la rvolution victorieuse. La vctoire rend inbranlablelordre social de la nouvelle Russie. Or, ce qui importepour elle, ce nest pas une extension de la puissance,mais une dlimitation des s~hres dintrt. LaRussie ne pourrait quaffaiblIr sa scurit et sa