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À ma mère

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À ma mère

TEODORA CRISTEA

STRATÉGIES DE LA TRADUCTION Troisième édition

© Editura Fundaţiei România de Mâine, 2007 Editură acreditată de Ministerul Educaţiei şi Cercetării prin Consiliul Naţional al Cercetării Ştiinţifice din Învăţământul Superior

Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României CRISTEA, TEODORA

Stratégies de la traduction / Teodora Cristea. – Ed. a 3-a. - Bucureşti, Editura Fundaţiei România de Mâine, 2007

Bibliogr. ISBN 978-973-725-863-2 811.133.1'25(075.8)

Reproducerea integrală sau fragmentară, prin orice formă şi prin orice mijloace tehnice, este strict interzisă şi se pedepseşte conform legii.

Răspunderea pentru conţinutul şi originalitatea textului revine exclusiv autorului/autorilor

Redactor: Georgeta MITRAN Tehnoredactare: Marcela OLARU,

Coperta: Radu DAN, Cornelia PRODAN

Bun de tipar: 17.05.2007; Coli tipar: 17 Format: 16/70×100

Editura Fundaţiei România de Mâine

Bulevardul Timişoara nr.58, Bucureşti, Sector 6 Tel./Fax: 021/444.20.91; www.spiruharet.ro e-mail: [email protected]

UNIVERSITATEA SPIRU HARET FACULTATEA DE LIMBI ŞI LITERATURI STRĂINE

TEODORA CRISTEA

STRATÉGIES DE LA TRADUCTION Troisième édition

EDITURA FUNDAŢIEI ROMÂNIA DE MÂINE

Bucureşti, 2007

7

SOMMAIRE AVANT-PROPOS……………………………………………………………………..

11

INTRODUCTION 1. LA GRAMMAIRE DE LA TRADUCTION COMME STRATÉGIE D’APPRENTISSAGE DE LA LANGUE CIBLE

1.1. La grammaire de la traduction - un concept dynamique ……………………...

13

1.2. La grammaire de la traduction - contenu d’une thématique …………………..

14

I- ère section: L’UNITÉ DE TRADUCTION

2. UN CONCEPT CLÉ DE LA TRADUCTOLOGIE ………………………….. 19

2.1. La statut de l’unité de traduction (UT)…………………………….…………..

19

2.2. Cohésion et insécabilité de l’UT……………………………………………… 20 2.3. Rapports quantitatifs entre l’unité source et l’unité cible……………………...

22

2.4. Conclusion……………………………………………………………………..

23

Sujets de devoirs……………………………………………………………….

24

Références bibliographiques………………………………………………….. 26

3. UNITÉS DE TRADUCTION ET NIVEAUX FONCTIONNELS……………. 27

3.1. Niveau fonctionnel et traduction………………………………………………

27

3.2. Conclusion……………………………………………………………………. 28 Sujets de devoirs……………………………………………………………….

28

Références bibliographiques………………………………………………… 29

4. LE NIVEAU MORPHO-SÉMANTIQUE ET LA MISE EN ÉQUIVALENCE………………………………………………………………

30

4.1. Traits inhérents et 30

8

traduction………………………………………………….. 4.2. Unité morphématique et traduction …………………………………………..

31

4.3. Conclusion……………………………………………………………………..

37

Sujets de devoirs……………………………………………………………….

38

Références bibliographiques………………………………………………….. 40

5. LE NIVEAU LEXÉMATIQUE: L’HÉTÉRONYMIE…………………………….

41

5.1. Les relations hétéronymiques………………………………………………….

41

5.2. La lexémisation idiosyncrasique……………………………………………….

42

5.3. Les fourches lexicales………………………………………………………….

48

5.4. Conclusion……………………………………………………………………..

55

Sujets de devoirs…………………………………………………….…………

55

Références bibliographiques………………………………………………….. 57

6. L’UNITÉ PHRASTIQUE: LA PARAPHRASE INTERLINGUALE …………...

58

6.1. La phrase est-elle une unité de traduction?……………………………………

58

6.2. Types et sous-types de paraphrases interlinguales…………………………….

59

6.3. Entre la phrase et le texte: la phrase complexe…………………….…………. 60 6.4. L’interface phrase-texte………………………………………………………..

64

6.5. Conclusion……………………………………………………………………..

66

Sujets de devoirs……………………………………………………………….

66

Références bibliographiques…………………………………………………...

68

7. L’UNITÉ DE TRADUCTION TEXTUELLE……………………………………. 69

7.1. Micro-et macro-structure dans l’acte traductif…………………….…………..

69

7.2. Cohérence textuelle et traduction……………………………………………...

70

7.3. Conclusion……………………………………………………………………..

95

Sujets de devoirs………………………………………………………………

95

9

Références bibliographiques…………………………………………………..

97

II-ème section: STRATÉGIES ET TACTIQUES DE LA TRADUCTION

8. LA DÉMARCHE DU TRADUCTEUR: RÈGLES STRATÉGIQUES ET RÈGLES TACTIQUES………………………………………………………..

101

8.1. La traduction - un processus interprétatif complexe………………………….. 101 8.2. Les règles tactiques et le choix des moyens de transfert du sens……………...

102

8.3. Procédés de traduction et niveaux fonctionnels……………………………….

104

8.4. Conclusion……………………………………………………………………..

107

Sujets de devoirs………………………………………………………………

108

Références bibliographiques…………………………………………………..

109

9. LES TRADUCTIONS DIRECTES………………………………………………..

110

9.1. L’emprunt direct……………………………………………………………….

110

9.2. Le calque……………………………………………………………………… 111 9.3. La paraphrase littérale………………………………………………………… 113 9.4. La paraphrase directe par permutation………………………………………...

113

9.5. La paraphrase par réorganisation du schéma actanciel……………………….. 115 9.6. Conclusion……………………………………………………………………..

117

Sujets de devoirs……………………………………………………………….

117

Références bibliographiques…………………………………………………...

119

10. TRADUCTION ET RÉORGANISATION GRAMMATICALE: LA TRANSPOSITION…………………………………………………………...

120

10.1. Réorganisation grammaticale et constante sémantique……………………..

120

10.2. Types et sous-types de transpositions………………………………………

121

10.3. Transpositions simples……………………………………………………...

122

10.4. Transpositions complexes ………………………………………………….

134

10.5. 138

10

Conclusion………………………………………………………………….. Sujets de devoirs…………………………………………………………… 139 Références bibliographiques………………………………………………..

141

11. IMAGE DU MONDE ET TRADUCTION : LA MODULATION……………... 142

11.1. Le changement de perspective dans l’acte traductif………………………...

142

11.2. Types et sous-types de modulations………………………………………...

142

11.3. La modulation des tropes lexicalisés………………………………………..

145

11.4. Phraséologie catachrétique et modulation…………………………………..

151

11.5. La modulation phrastique : la paraphrase par double antonymie………….. 154 11.6. Conclusion…………………………………………………………………. 158

Sujets de devoirs…………………………………………………………… 159 Références bibliographiques………………………………………………..

161

12. LA MISE EN RELATION DES SITUATIONS ÉNONCIATIVES : L’ÉQUIVALENCE……………………………………………………………….

162

12.1. L’équivalence - essai de définition………………………………………….

162

12.2. L’équivalence ou comment relier réalité et structure…………….…………

163

12.3. Conclusion…………………………………………………………………. 170 Sujets de devoirs…………………………………………………….……... 171 Références bibliographiques………………………………………………..

172

13. TRADUCTION ET MISE EN RELATION DES STRUCTURES SOCIO-CULTURELLES : L’ADAPTATION…………………………………...

173

13.1. Traduction et barrières socio-culturelles……………………………………

173

13.2. Le composant périlinguistique et la traduction……………………………..

174

13.3. Conclusion…………………………………………………………………. 178 Sujets de devoirs…………………………………………………….……... 178 Références bibliographiques………………………………………………..

179

III-ème section: PROPOSITIONS POUR LA MISE EN OEUVRE D’UNE

APPROCHE ONOMASIOLOGIQUE DANS L’ACTE TRADUCTIF

11

14. SÉMASIOLOGIE ET ONOMASIOLOGIE DANS L’ACTE TRADUCTIF …..

183

14.1. Structuration conceptuelle et structuration linguistique…………………….

183

14.2. Acte traductif et solidarité des approches sémasiologique et onomasiologique…………………………………………………………

184

14.3. Répertoires parallèles et niveaux fonctionnels……………………………...

186

14.4. Conclusion……………………………………………………….…………

191

Sujets de devoirs…………………………………………………………... 192 Références bibliographiques………………………………………………

192

15. EN GUISE DE CONCLUSION: DE LA DÉPENDANCE À LA MAITRISE 193

Bibliographie sélective……………………………………………………….. 194 Sources des exemples…………………………………………………………

195

12

AVANT-PROPOS

„Mettre l'accent sur ce qu'on appellera la dimension instrumentale de l'acte de traduction, c'est fournir d'emblée un contrepoids - combien salutaire - à la conception néfaste, longtemps prédominante, de traduire comme une pratique purement intuitive, esthétique, relevant de l'art et non de la technique et tournant résolument le dos à toute science. ”

(PAUL BENSIMON)

Le débat sur la traduction a surtout porté sur l'appréciation des performances: les uns, soucieux avant tout de la qualité du texte traduit préconisent des objectifs très ambitieux, les autres regardent avec effroi les obstacles, parfois infran-chissables, qui se dressent devant eux.

Mais il existe au moins deux façons de se situer face à la traduction. Envisagée et présentée tantôt comme un fait accompli, tantôt comme un processus, la traduction comporte des points d'interrogation et des traitements différents suivant ces deux modes d'approche.

Dans le premier cas, l'accent porte sur les rapports entre l'objet à traduire et l'objet traduit. Or, nous pensons que la lumière doit aussi être braquée sur l'acte traductif, sur le travail que le traducteur doit effectuer en amont. C'est donc dans la

13

deuxième ligne que ces reflexions s'inscrivent, en insistant sur les moyens plutôt que sur les fins, sur les mécanismes mis en branle plutôt que sur les résultats. Ce livre se veut un instrument destiné à aider le traducteur à se prémunir contre les multiples risques auxquels il s'expose lorsqu'il entreprend de restituer un texte T de la langue source en langue cible.

Mais, telle que je la conçois, la traduction a des implications stratégiques évidentes dans l'acquisition de la langue cible beaucoup plus profondes qu'une description, si détaillée soit-elle, des procédés de traduction pourrait avoir. Elle met en cause non seulement des aspects ponctuels, mais aussi et surtout un ensemble d’éléments que comporte l'utilisation dynamique des instructions contenues dans le texte de base.

À la question qui pourrait se poser: pourquoi tenter d'écrire sur la traduction un livre d'orientation essentiellement didactique alors que cette activité est insaisissable, soulevant des problèmes chaque fois différents, j'essaierai d'apporter en réponse deux raisons qui, je crois, justifieront l'approche adoptée. La première raison est liée à ma profession: en tant qu'enseignante je suis assez impliquée dans mon métier pour me sentir obligée de réfléchir à ce qui se passe autour de moi. Et je me suis aperçue que, bien que la traduction occupe dans notre enseignement une place de premier ordre, non seulement comme technique de classe mais aussi comme test d'évaluation des connaissances, il n'existe pas un système cohérent de pratiques traduisantes. L'idée de ce livre est née de la conviction que tout enseignement institutionnalisé implique la mise en jeu d'un faisceau de stratégies convergentes. C'est alors que j'ai découvert le rapport très étroit entre la traduction et l'analyse contrastive. Celle-ci m'est apparue comme un moyen plus sûr de faire sortir la traduction didactique de l'empirisme étroit où elle risque de s'enfermer si elle se contente de ne résoudre que des aspects particuliers de mise en équivalence. Ce qui se joue dans notre activité didactique ce n'est pas seulement une relation entre deux textes, le texte de départ et le texte d'arrivée. C'est un jeu investi par le rapport tout entier entre deux langues, la langue base et la langue cible.

La deuxième raison à l'origine de cet essai découle directement de la première. La mise en perspective de la traduction sous la double influence des barrières que l'on doit franchir quand on passe d'une langue à l'autre et de la valeur résiduelle de la langue base fournit les éléments nécessaires à la mise en place d'un outil susceptible d'orienter l'expression de l'apprenant.

Ce livre s'efforce également de montrer le parti que l'on peut tirer des commentaires systématiques des textes bilingues.

Ces quelques remarques pourraient conduire à une reformulation du titre choisi: Les stratégies de la traduction ou la traduction comme stratégie d'appren-tissage. D'apprentissage de la langue cible d'abord, stratégie d'apprentissage d'un métier ensuite.

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Introduction

1. LA GRAMMAIRE DE LA TRADUCTION COMME STRATÉGIE D'APPRENTISSAGE DE LA LANGUE CIBLE

1.1. La grammaire de la traduction - un concept dynamique Dès que la traduction se constitue en activité spécifique elle devient objet

d'évaluation et champ de théorisation. Objet d'évaluation parce qu'elle porte un regard critique sur les résultats, champ de théorisation pour autant qu'elle ambitionne à former un ensemble cohérent de données généralisables.

Dans cet essai je m'efforcerai de montrer que les réflexions sur la traduction comme instrument d'apprentissage de la langue étrangère, en l'occurrence le français, permettent de s'engager dans la voie d'une stratégie soucieuse d'intégrer dans leur variété et leur complexité les possibilités qui s'offrent à l'apprenant d'actualiser le texte (ou l'avant-texte) en évitant les fautes interférentielles. Mais au préalable, il m'a paru souhaitable de rassembler, pour leur conférer cette portée stratégique, des réflexions sur les possibles démarches à suivre dans l'analyse de la traduction.

Cette analyse comporte deux ordres de démarches complémentaires: • Une démarche en amont visant à identifier les unités de traduction, à répertorier

leurs équivalents en langue cible, à examiner des stratégies alternatives, à interroger donc la traduction dans sa généralité.

J'ai mis en évidence précédemment l'importance qu'il faut attacher dans l'acquisition d'une langue étrangère au concept de dynamique de la traduction comme

15

démontage des mécanismes de transcodage1. À l'opposé de l'évaluation des traductions comme performances présentes, l'analyse des traductions du point de vue des opérations qui conduisent au texte d'arrivée est une analyse de potentiel relative au futur. C'est une interrogation sur la nature et la fonction des instruments sur lesquels s'appuie la traduction. Elle concerne donc la construction de cet objet particulier qu'est le texte d'arrivée. C'est le domaine de ce que les ouvrages classiques désignent par le terme de „stylistique comparée” ou de ce que l'on pourrait appeler „grammaire de transcodage”, terme qui laisse transparaître l'orientation didactique dont elle procède.

• Une démarche en aval qui correspond à des nécessités objectives au niveau des tâches à résoudre.

En matière de pratique traduisante, la première obligation est de tirer le meilleur parti des ressources recensées et évaluées au préalable. L'attention qu'il convient d'apporter à la maîtrise de ces ressources doit être d'autant plus soutenue que leur acquisition est coûteuse.

Entre les deux démarches mentionnées il existe des boucles de rétroaction. Cet aller et retour incessant, ce jeu d'échanges confrontant dans un discours toujours réajusté un stock d'informations - les inventaires parallèles - et l'imprévu qui surgit avec chaque texte de départ est le gage d'une visée à la fois dynamique et systématique de la traduction.

La pratique traduisante comporte trop de variables pour qu'on puisse correc-tement les maîtriser autrement que par l'intermédiaire d'un outil assez flexible pour permettre à l'apprenant/traducteur de ne pas se laisser submerger par le foisonnement des problèmes particuliers. Naturellement, les inventaires de structures parallèles ne doivent pas conduire à l'idée que l'on peut inférer de façon mécanique les solutions de traduction. Tout traducteur sait par expérience que son choix est hypothéqué par de multiples facteurs et que ses initiatives sont vouées à l'échec si elles ne répondent pas à une double exigence: ne pas trahir l'intention, explicite ou implicite, du texte de départ et se soumettre aux mille contraintes qui, dans la langue d'arrivée, sont dues à un enchevêtrement de la langue et de la culture.

En deça de cette infrastructure qu'est la grammaire de transcodage s'étend le vaste champ de la liberté d'invention, mais il ne faut pas oublier que même dans ses hardiesses la traduction reste aussi une démarche rationnelle astreinte aux normes.

1.2. La grammaire de la traduction – contenu d'une thématique L'objet de la grammaire de la traduction, qui englobe la grammaire du

transcodage, peut être vu comme une mesure des convergences et des divergences entre la langue source et la langue cible qui s'articule sur la mise en place d'un réseau de structures symétriques interlinguales. L'objectif final de ce type de grammaire est de métamorphoser la symétrie en équivalence de conditions d'emploi.

1 Pour l'opposition entre traduction et transcodage v. T. Cristea, Contrastivité et

traduction, TUB, 1982, pp. 15 sqq.

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Il convient donc, et c'est ce qui constituera la trame des développements qui suivent, d'esquisser une problématique, d'en étudier les ouvertures et les incidences.

La variété des éléments susceptibles d'être pris en compte est évidemment très grande et le degré de détail extrêmement fin. Aussi est-il nécessaire de fixer certaines limites en fonction du but précis que j'ai assigné à la grammaire de la traduction. Dans la mise en place des structures symétriques on s'attachera à préciser les contraintes du transfert et à dégager les stratégies alternatives en laissant ouverte la voie à d'autres solutions.

Plusieurs démarches peuvent être suivies pour explorer le champ de la traduction. Elles relèvent toutes des techniques comparatives mais la constante de la comparaison reste le procédé de la comparaison; ce n'est que le point de départ qui est différent. L'approche peut être orientée en deux directions opposées:

- selon la première c'est le niveau de description (lexématique, phrastique, transphrastique) qui subordonne les procédés de traduction, ce qui fait que le même procédé se retrouve à des niveaux différents;

- selon la seconde, de nature onomasiologique, c'est la zone conceptuelle ou l'intervention communicative qui subordonne les procédés de traduction.

Confrontée aux difficultés d'organiser un domaine aux caractéristiques aussi variées, la grammaire de la traduction doit opérer une sélection dictée par la démarche adoptée. Les différents chapitres de cet essai sont structurés autour de deux thèmes majeurs:

- la découverte des unités de traduction Par des procédés de segmentation des textes sont mises en évidence des unités

qui, à différents niveaux de description, sont transférables dans la langue cible par des équivalents de structuration identique ou différente;

- la mise en place et la description des procédés de traduction À partir de l'analyse de textes bilingues seront examinées les équations de

traduction, en distinguant entre les contraintes relevant de la contrastivité et les options relevant des stratégies alternatives.

Quant aux démarches adoptées, dans une première partie on étudiera les procédés de traduction identifiés aux niveaux de description mentionnés. Une deuxième partie sera consacrée à l'étude de quelques zones conceptuelles et de leur incarnation linguistique dans les deux langues comparées.

De multiples interrogations sont nécessairement soulevées, qui concernent aussi bien l'équivalence des intentions à travers les barrières de la structuration linguistique spécifique. Il s'agit dans ce cas d'une symétrie de fonctionnement discursif, beaucoup plus délicate à manier en raison de ces conditionnements contextuels.

Précisées sous l'éclairage de la dimension didactique, les finalités de la grammaire de la traduction vont de pair avec les procédures d'analyse mises en oeuvre et avec les critères appliqués dans la sélection et la classification des données.

Les textes bilingues fournissent un matériel très riche et incohérent au premier abord, mais leur examen n'en fait pas moins émerger l'existence d'un donné structuré selon certaines règles de correspondance. Si imparfaite que soit cette procédure à cause des dysharmonies qui peuvent exister entre le texte de départ et le texte d'arrivée, elle

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n'en sert pas moins à délimiter l'aire en dehors de laquelle les solutions ne sont plus admises.

Pour des raisons que j'exposerai au fil des chapitres, il est nécessaire de se servir dans la conduite de la recherche d'autres instruments qui relèvent de divers modèles de description en accord avec le domaine qui est pris en compte. De tels instruments doivent déboucher sur le concept de symétrie interlinguale établie à partir d'un axe de symétrie, le donné commun.

On peut donc conclure que toute traduction suppose une analyse du texte de départ, actuel ou virtuel, une stratégie conduisant à une répartition des charges sémantico-pragmatiques sur des unités de la langue cible et une finalité qui n'est autre chose que l'expression linguistique d'une signification symétrique de celle réalisée en langue de départ.

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I-ère section

L'UNITÉ DE TRADUCTION

19

2. UN CONCEPT CLÉ DE LA TRADUCTOLOGIE

“Le problème de l'unité de traduction, c'est-à-dire celui qui concerne la possibilité d'identifier des éléments formels facilitant ou venant corroborer des procédures analytiques, nous semble capital pour l'établissement d'une démarche d'investigation scientifique dans le domaine traductologique.”

(MICHEL BALLARD)

2.1. Le statut de l'unité de traduction (UT) Le traitement d'un texte T en vue de sa traduction exige une inteprétation sous un

tout autre angle, une relecture prenant en compte de multiples facteurs, tant linguistiques que langagiers. Les formes particulières que revêt une opération de traduction se cristallise autour de deux pôles:

- le repérage des UT - l'identification du résultat du transfert Ces deux opérations sont complémentaires et leur relation peut être considérée

comme une boucle entre l'identification de l'UT en langue de départ et sa traduction en langue cible. L'UT est une entité qui se révèle en tant que telle au cours du transfert, elle évoque un avant et un après et, par conséquent, comporte une idée de chronologie, de processus. Ceci implique que l'on s'interroge sur la nature des transformations par rapport à un état antérieur.

L'UT est une entité à double face, car les deux codes, celui de la langue source et celui de la langue cible sont réunis par une relation interlinguale qui émerge à la suite de deux exégèses intralinguales à travers lesquelles on recherche la signification commune:

signification L L' exégèse relation exégèse intralinguale interlinguale intralinguale

La qualification d'interlinguale appliquée à cette relation implique que soit donné à la traduction un champ comparatif qui apparaît comme un ensemble éclaté, comme un lieu d'affrontement entre segments linguistiques de structuration et de niveau différents. Il résulte que l'exégèse du texte de départ impose des procédures d'analyse essentiellement différentes, parce qu'elles poursuivent une finalité différente

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de celles pratiquées normalement dans la tradition lexico-grammaticale, souvent périmée et désaccordée par rapport aux exigences de la mise en équivalence interlinguale. Aussi ne s'agit-il pas de construire l'ensemble de données en fonction d'une pareille analyse, mais de réévaluer les unités constitutives du texte de départ dans la perspective qui les laisse passer en langue d'arrivée. L'analyse pratiquée en langue de départ ne se superpose pas nécessairement à la segmentation effectuée en vue de la traduction.

Mais l'UT n'est pas qu'une unité à double face, elle a aussi un double statut suivant que l'on prend en compte la relation qui s'institue entre les deux entités appartenant aux deux langues en contact de traduction (aspect dynamique) ou le résultat de la mise en relation (aspect résultatif statique). Une fois reconnu ce double statut, d'opération et de résultat de l'opération, on peut en tirer des conclusions normatives et constituer des classes d'UT qui deviennent ainsi autant de solutions de traduction transférables à d'autres textes.

2.2. Cohésion et insécabilité de l'UT

Dans la stylistique comparée classique, le principal critère servant à identifier et à caractériser les UT est la cohésion.Définie comme „le plus petit segment de l'énoncé dont la cohésion des signes est telle qu'ils ne doivent pas être traduits séparément” (J.P. VINAY et J. DARBELNET, 1958: 38), le concept d'UT a connu des reformulations qui prennent en compte une autre dimension: l'insécabilité1. Ainsi, M.PERGNIER appelle UT „chaque segment du texte traité d'un jet par le traducteur, étant entendu que nous ne donnons à ce terme aucune valeur universelle et qu'il n'est pas censé recouvrir un découpage intrinsèque du texte ni représenter son mode de découpage obligatoire pour la traduction” (1978/1980: 240). Mais il faut remarquer que les deux critères, celui de la cohésion et celui de l'insécabilité de la séquence à traduire, invoqués dans la redéfinition du concept n'agissent pas toujours conjointement. Dans l'opération traduisante, des relations complexes s'instaurent, qui font intervenir non seulement la cohésion, révélée par certaines propriétés sémantico-grammaticales de l'unité (telles que l'impossibilité d'individualiser, de qualifier, de quantifier l'un des constituants ou de lui substituer un synonyme), mais aussi la (non)compositionnalité c'est-à-dire la possibilité de calculer le signifié de l'unité complexe à partir de la somme des signifiés de chaque constituant pris séparément. Plusieurs cas peuvent se présenter:

1) L'unité source est non cohésive et compositionnelle; c'est un groupement libre sécable et traduit terme à terme:

o rochie elegantă - une robe élégante o rochie foarte elegantă - une robe très élégante o rochie albă foarte elegantă - une robe blanche très élégante

1 Pour une discussion du concept v. M. BALLARD, „L'unité de traduction essai de

redéfinition d'un concept”, in M. BALLARD (éd.), La traduction à l'université, Presses Universitaires de Lille, 1993, p. 223-254.

21

2) L'unité source est cohésive et non compositionnelle, auquel cas il existe trois types de transfert:

a) l'unité source est sécable en dépit de son caractère cohésif et non compositionnel. C'est le cas d'un assez grand nombre de locutions verbales qui répondent aux tests de la cohésion, mais qui n'en sont pas moins transférées terme à terme. Ainsi, dans une locution roumaine telle que a lua cuvîntul, le constituant nominal ne peut être individualisé (*a lua acest cuvînt) ni quantifié (*a lua un cuvînt, *a lua mai multe cuvinte). Il est également impossible de substituer au substantif ou au verbe un synonyme (*a-şi însuşi cuvîntul, *a lua vorba). Ce caractère cohésif existe dans l'expression correspondante du français prendre la parole (*prendre cette parole, *prendre une parole, *prendre plusieurs paroles, *prendre le mot etc.). C'est le cas également d'un grand nombre de locutions, qui tout en étant cohésives, sont constituées d'unités transférées individuellement: a lua loc - prendre place, a cădea de acord - tomber d'accord, a-şi face sînge rău - se faire du mauvais sang, a lăsa în părăsire - laisser à l'abandon, a-şi cîntări cuvintele - peser ses mots etc.

b) l'unité source est sécable en ce sens que l'un des constituants au moins se trouve en correspondance directe: a înghiţi găluşca - avaler le morceau/la pilule, a fi mînă spartă - être un panier percé, etc.

c) l'unité source est insécable, tous les constituants étant transférés par des correspondants indirects: a fi în toi - battre son plein, a trage la măsea - lever le coude, a pune cruce la ceva - en faire son deuil etc.

Le tableau ci-dessous rend compte de ces possibilités de transfert:

Unité source Transfert Unité cible (1) non cohésive

compositionnelle sécable

a lua o carte

direct (littéral) -

non cohésive compositionnelle

prendre un livre

(2) cohésive non compositionnelle

a) sécable

a lua cuvîntul

b) sécable

a lua pe cineva cu binişorul

c) insécable

a o lua pe ocolite

direct (littéral) -

indirect (modulé)

indirect (global) -

cohésive non compositionnelle

prendre la parole

prendre qn. par la douceur

tourner autour du pot

22

Comme il résulte de ces exemples, l'insécabilité est une catégorie translinguale qui est révélée par le transfert, la cohésion et la (non)compositionnalité jouant un rôle secondaire dans le transfert.

2.3. Rapports quantitatifs entre l'unité source et l'unité cible

Si l'on se propose d'établir un rapport entre la structuration des unités mises en correspondance, on peut surprendre de nombreuses redistributions d'informations dans le passage de la langue source à la langue cible. Ainsi, l'information portée dans la langue source par une seule unité peut être répartie dans la langue cible sur plusieurs unités ou, au contraire, une information véhiculée par plusieurs unités peut être concentrée sur un nombre plus réduit de séquences. On parle dans le premier cas de dilution et dans le second de concentration. Il faut faire remarquer que ces divergences de structuration de nature quantitative apparaissent soit comme des contraintes imposées par la lexémisation différente, soit comme des solutions optionnelles du traducteur.

Il y a paraphrase interlinguale par réduction lorsque le nombre des signifiants est plus réduit en langue cible (UT concentrée):

(i) O ţărăncuţă ca asta să mă respingă pe mine care în saloanele bucureştene aveam reputaţia de mare cuceritor de inimi femeieşti?

(i') Une petite paysanne de rien du tout me repousser, moi qui dans les salons de Bucarest avais la réputation de tombeur?

(L. Rebreanu, I, 84-56) (ii) Lucian bătea nervos cu degetele pe genunchi. (ii') Lucian tambourinait nerveusement sur ses genoux.

(T. Popovici, 107-113) Il y a paraphrase interlinguale par expansion dans les deux cas suivants: a) l'unité est diluée lorsque la même information est portée par un nombre plus

grand de signifiants: (iii) Sună lung dar nimeni nu răspunse. (iii') Il appuya longuement sur le bouton de la sonnette mais personne ne

répondit. (T. Popovici, 612-642)

(iv) Cizmele lui înalte, împintenate... (iv') Ses hautes bottes munies d'éperons...

(P. Pardău, 107-113)

(v) Pînă în clipa cînd izbucnise scandalul, Răducanu le fusese diriginte. (v') Jusqu'au moment du scandale, Răducanu avait été leur professeur principal.

(T. Popovici, 11-12) b) l'unité est étoffée lorsque des mots ou des séquences qui ont besoin d'être

épaulés sont renforcés par une intervention du traducteur: (vi) … ştia el unde trebuia să aştepte şi unde nu.

23

(vi') ... (il) savait où il fallait s'attarder et où il devait passer son chemin. (J. Bart, 218-10)

(vii) ... o aşteptau porţiile zdravene cu fasole cu cîrnaţi. (vii') ... l'attendaient de sérieuses portions de saucisses aux haricots blancs.

(P. Pardău, 130-40) Notons également qu'il existe des locutions figées qui sont plus étoffées dans une

langue que dans une autre: a fi la cuţite cu cineva - être à couteaux tirés avec qn. cu mîinile legate - mains et poings liés a fi înghesuiţi ca sardelele - être serrés comme des harengs en caque bun ca pîinea caldă - bon comme le pain (est bon)

La contrepartie de l'étoffement est l'omission, le traducteur ne considérant pas comme nécessaire de traduire certains éléments du texte de départ:

(viii) Lungiţi la rînd, sub peticul de umbră la baza piramidei de bulgări de cărbuni, dormeau doborîţi hamalii, negri, pe jumătate goi.

(viii') Couchés à la file, dans l'ombre d'un tas de charbons, les dockers, fourbus, noirs, à demi nus, dormaient.

La dilution et l'étoffement sont beaucoup plus fréquents que la concentration, car ce qui compte en traduction c'est de rendre le texte d'arrivée explicite.

2.4. Conclusion

Les traductologues ont eu raison de mettre en vedette l'importance de l'identification des unités de taduction. Si les traducteurs chevronnés sont guidés par l'intuition et par l'expérience plutôt que par une ligne de conduite fondée scientifiquement, il en va autrement pour le traductologue dont le rôle est justement de démonter les mécanismes de mise en correspondance de l'unité source avec l'unité cible, afin d'en tirer des enseignements d'ordre général. „... par la force des choses le problème de l'unité de traduction est étroitement lié aux conceptions que l'on a de la traduction, à la croyance que l'on a (ou non) en la possibilité de la théoriser” (M. BALLARD, 1993: 224).

Il est évident que notre recherche, dans la mesure où elle envisage la traduction non seulement comme un métier mais aussi et surtout comme une stratégie didactique, ne saurait se contenter d'une attitude qui nie toute valeur généralisable à l'unité de traduction comme concept opératoire. Le scepticisme de certains théoriciens ne semble d'ailleurs pas être justifié par la pratique traduisante elle-même, qui n'est autre chose que la valorisation d'une expérience sous la forme d'un répertoire systématique de solutions de traduction. Aussi croyons-nous qu'il est absolument nécessaire de fournir aux traducteurs débutants des points de repère dans la quête des unités de traduction. C'est un processus dynamique, où la connaissance de la langue source et celle da la langue cible déterminent l'efficacité de la mise en équivalence. Les décisions portant sur la segmentation du texte de départ ne peuvent pas être prises indépendamment de l'accumulation d'informations spécifiques. Il s'agit d'un vecteur de capacité à

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reconnaître dans le texte de départ les unités sémantiquement insécables et pragmatiquement pertinentes.

SUJETS DE DEVOIRS

• Illustrez à l'aide d'un texte de votre choix l'interrelation unités source - unités

cible. • Quels sont les multiples rapports entre les propriétés structurelles d'insécabilité,

de cohésion et la propriété sémantique de (non)compositionnalité? • Analysez à l'aide d'un texte de votre choix les rapports quantitatifs entre les

unités source et les unités cible tels qu'ils se manifestent dans le transfert. • Divisez le texte suivant en unités de traduction: Rămas în picioare în apropierea uşii deschise, noul venit părea incomodat, îşi

răsucea în mînă o pălărie veche, neagră. Nu mai suporta să se ştie cercetat cu răceală şi condescendenţă. Atîta doar că Andrei îi desluşise pe faţă un zîmbet discret, rece, dispreţuitor ce contrasta cu agitaţia mîinilor. - Credeam că o să te uimească îndrăzneala mea, spuse nesigur Redman. Acum eşti mare, celebru, o somitate. Am vrut de multe ori să pătrund în cabinetul tău. Odată am urcat pînă sus dar o secretară m-a anunţat că nu primeşti.

(A. Buzura, Orgolii) • Expliquez la contraction des UT dans les textes suivants:

Afară erau înşirate cîteva mese de lemn vopsite în verde

(J. Bart)

Dehors, les tables vertes en bois s'alignaient

Puse o întrebare banală asupra chipului cum lucrează dragele de tip nou.

(J. Bart)

Il posa une question banale sur la manoeuvre des nouvelles dragues.

Soarele rămînea ascuns în perdele de neguri cenuşii.

(J. Bart)

Le brouillard cachait le soleil.

Cerul întreg era o mare de văpăi scrijelită de dîrele roşii ale trasoarelor.

(T. Popovici)

Le ciel tout entier était une mer de flammes, sillonnée par les traceurs.

• Étudiez les procédés de dilution et d'étoffement dans les textes suivants:

Azi am fost frivolă, nu gospodină.

(T. Popovici)

Aujourd'hui j'ai été frivole, je ne me suis pas occupée du ménage.

În restul zilelor pînă la patruzeci, regina juca rolul diferitelor personaje din scrisoarea lui Ulise.

Les autres jours, ceux qui restaient pour que leur total montât à quarante - la reine jouait le rôle des différents personnages décrits dans les lettres d'Ulysse.

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(P. Pardău) Regina rămase pe gînduri.

(P. Pardău)

La reine restait plongée dans ses pensées.

• Analysez les rapports entre les unités source et les unités cible du texte suivant:

Un prieten de cînd lumea, aşa-mi păruse, deşi înainte de anul acela – 1910 – nici nu-i bănuiam măcar fiinţa pe lume. Se ivise în Bucureşti cam o dată cu întîile frunze. De atunci îl întîlnisem mereu şi pretutindeni.

Un ami de toujours, c'est ce qu'il m'avait semblé, bien qu'avant cette année – 1910 – je n'eusse même pas soupçonné son existence. Il avait paru à Bucarest en même temps que les premières feuilles ou presque. Depuis, je l'avais rencontré sans cesse et partout.

De la început îmi făcuse plăcere să-l văd, cu timpul căutasem chiar prilejul. Sînt fiinţe care prin cîte ceva, uneori fără a şti ce anume, deşteaptă în noi o vie curiozi-tate, aţîţîndu-ne închipuirea să făurească asupră-le mici romane. M-am mustrat pentru slăbiciunea ce-am avut de asemenea fiinţe; nu destul de scump era s-o plătesc în păţania cu sir Aubrey de Vere? De data asta peste curiozitate se altoia covîrşitor un simţămînt nou: o apropiere sufletească mergînd pînă la înduioşare.

(M. Caragiale, 93-34)

Dès le début, j'avais pris plaisir à le voir et j'en étais rapidement arrivé à en rechercher l'occasion. Il y a des êtres qui éveillent en nous, on ne sait souvent comment ou pourquoi, une vive curiosité, pous-sant l'imagination à en faire les héros de petits romans. Je me suis souvent reproché l’attrait que de telles créatures m’inspirait; n’avais-je pas été près de payer cher mon aventure avec sir Aubrey de Vere? Mais cette fois-ci un nouveau sentiment accablant s’ajoutait à la curiosité: une affinité spirituelle qui s’accompagnait d’attendris-sement.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BALLARD, M., 1993 - „L'unité de traduction. Essai de redéfinition d'un concept”, in La

traduction à l'université, Presses Universitaires de Lille, 223-258.

GARNIER, G., 1985 - Linguistique et traduction. Éléments de systématique verbale comparée du français et de l'anglais, Caen, Paradigme.

26

LADMIRAL, J.-R., 1979 - Traduire. Théorèmes de la traduction, Paris, Payot.

LEDERER, M., 1987 - „La théorie interprétative de la traduction”, in Le Français dans le Monde, Numéro spécial août-septembre, 11-17.

MALBLANC, A., 1966 - Stylistique comparée du français et de l'allemand, Paris, Didier.

MOUNIN, G., 1963 - Les problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard.

PERGNIER, M., 1973 - „Aspects linguistiques de la traduction”, in Études de linguistique appliquée, no. 12, 26-38.

PERGNIER, M., 1980 - Les fondements sociolinguistiques de la traduction, Paris, Champion.

SELESKOVITCH, D. et LEDERER, M., 1984 - Interpréter pour traduire, Paris, Didier.

VINAY,J.P. et DARBELNET, J., 1958 - Stylistique comparée du français et de l'anglais, Paris, Didier.

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3. UNITÉS DE TRADUCTION ET NIVEAUX FONCTIONNELS Les unités de sens ne sont pas mesurables quantitativement; elles prennent vie lorsqu'un nombre suffisant de mots rencontre les connaissances pertinentes qui leur donneront une existence éphémère; les unes après les autres elles s'agrègent à ce qui a déjà été retenu, formant ainsi un sens plus général...

(MARIANNE LEDERER)

3.1. Niveau fonctionnel et traduction L'analyse des textes bilingues révèle l'existence d'unités signifiantes qui se

placent à des niveaux différents et qui se combinent entre elles par masses croissantes pour former des unités de rang supérieur pertinentes pour l'interprétation sémantico-pragmatique.

Une première distinction oppose deux types de niveaux fonctionnels établis en fonction du caractère autonome ou non autonome des entités:

a) entités non autonomes (niveau morpho-sémantique et morpho-lexical) b) entités autonomes (niveau phrastique - indépendant du contexte et niveau

énonciatif - dépendant du contexte) L'étude des unités du premier niveau se place plutôt dans un cadre contrastif,

étant dans la plupart des cas du domaine des contraintes linguistiques. Ainsi, le transfert des morphèmes grammaticaux est dominé par l'organisation des catégories en systèmes, qui - peuvent présenter des divergences de nature à poser des problèmes au traducteur. Ce n'est que plus récemment que les traductologues ont commencé à s'interroger sur la nature d'unité de traduction d'un mophème grammatical: „Le temps d'un verbe n'est-il pas une unité?” (M. BALLARD, 1993: 225). Le choix d'un morphème ou d'un autre peut être imposé par une contrainte du système ou, si ce morphème se charge de valeurs énonciatives particulières, ce choix peut être le résultat d'une option préférentielle du traducteur. L'objectif immédiat d'une analyse ciblée sur l'organisation des catégories grammaticales en systèmes comparés serait de mettre en lumière les formes que prennent les éléments qui permettent aux lexèmes de fonctionner dans des unités de rang supérieur. Ce sont ces unités qui décident de la mise en équivalence à ce niveau.

Quant au niveau morpho-lexical, le transfert en langue cible des unités de ce genre est dominé par un ensemble de facteurs caractérisant la structuration lexicale de chacune des langues engagées dans l'acte traductif: découpage spécifique de la réalité, capacité dérivationnelle, structuration analytique ou synthétique, configu-ration sémantique, polysémie divergente, etc. En partie, mais seulement en partie, la solution des problèmes de transfert revient au dictionnaire bilingue.

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En tant qu'unité syntaxique considérée hors contexte, la phrase apparaît comme unité de traduction au moment où sont prises en compte les règles structurelles. Le traducteur doit référer l'unité signifiante au code linguistique impliqué. Il est obligé donc d'opérer des restructurations imposées par ce code afin d'assurer une mise en équivalence correcte, c'est-à-dire conforme au protocole de la langue cible. L'opération traduisante ne saurait en aucune manière s'arrêter là, car dès que le traducteur réfère l'unité signifiante, et il est impossible de ne pas le faire, aux conditions de sa production, il opère sur des énoncés et non sur des phrases. Les traductions terme à terme (directes) peuvent donner l'illusion que nous avons affaire à des unités phrastiques que l'on met en rapport:

(i) Automobilul aluneca, tăcut şi grăbit, pe bulevardul Colţea. (i') La voiture glissait, silencieuse et pressée, sur le boulevard Colţea.

(L. Rebreanu, I, 27-19) L'énoncé apparaît clairement comme une UT lorsque la traduction ne peut

s'effectuer qu'à partir d'une perception globale faisant intervenir la dimension pragmatique. La prise en compte de l'instance énonciative (espace-temps de la communication, co-énonciateurs, intentions énonciatives) implique souvent une réorganisation très profonde des moyens linguistiques mis en oeuvre:

(ii) Nu este adevărat! Ia te uită! Nu este adevărat! (ii') Ce n'est pas vrai! Écoutez-moi ça! Ce n'est pas vrai!

(T. Popovici, 526-645)

3.2. Conclusion Les unités de traduction sont délimitées à la fois par la cohésion des séquences

phrastiques et par la prise en compte de la dimension pragmatique, ce qui fait que le traducteur opère sur le texte par des traductions fragmentaires successives et par leur intégration dans l'unité supérieure. Les correspondances que le traducteur établit exigent que l'on passe par l'analyse du niveau micro-structurel pour arriver à une équivalence des conditions d'emploi. Mais quelles que soient les solutions adoptées dans la traduction, il est évident que l'étude des caractéristiques syntactico-sémantiques dépasse largement le cadre d'une description linguistique immanente.

Les différents niveaux fonctionnels des unités signifiantes doivent faire l'objet d'une série d'analyses comparatives dont l'objectif premier serait de séparer ce qui, dans la traduction, est grammaticalement contraint de ce qui est optionnel, ce qui est imposé par le code linguistique de ce qui relève des conditions d'emploi.

SUJETS DE DEVOIRS

• Comment l'opération traduisante s'organise-t-elle par masses croissantes? • Quels seraient d'après vous les rapports qui s'instaurent entre les divers niveaux

fonctionnels et la traduction? • Quelles sont les conséquences pour la traduction de la distinction

phrase/énoncé?

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• Divisez le texte suivant et analysez-en le niveau fonctionnel: – Am chemat şi doctorul, e mort zău... – On a fait venir le médecin, je te dis

qu'il est mort. – Degeaba... – Inutile… – Poftim? – Tu dis? – Degeaba, repetă Anastasia. Şi atunci se auzi un pocnet de armă. Apropiat, la un pas. Emil căzu cu faţa la pămînt, lat. Ea ţipa ca o nebună. încă un foc de armă şi încă unul.

– Inutile, répéta Anastasia. Et on entendit alors une détonation. Tout près, à deux pas. Emil tomba visage contre terre, à plat dans la poussière. Elle hurla comme une folle. Encore un coup de feu. Encore un.

Satul se scufundă într-o linişte de piatră stinsă. Ea vru să fugă spre cel care trăsese, dar nu ştia unde. Putea de oriunde să tragă. Dar nu mai trase. Se aplecă spre Emil, turbată, să-i ridice faţa din ţărînă. Simţi în palmă fruntea lui umedă. încă un foc de armă, groaznic, parcă tras lîngă ureche.

(D.R. Popescu, 87-385)

Le village sombra dans un silence de roches mortes. Elle voulut courir vers celui qui avait tiré, mais où était-il? Les coups auraient pu venir de partout. Et ils avaient cessé. Elle se pencha sur Emil, comme prise de démence, souleva son visage de la poussière. Elle sentit dans sa main son front moite. Encore un coup de feu, terrible celui-là, tout près de son oreille.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BALLARD, M., 1993 - „L'unité de traduction, essai de redéfinition d'un concept”, in La

traduction à l'université, PUL, p. 223-262.

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4. LE NIVEAU MORPHO-SÉMANTIQUE ET LA MISE EN ÉQUIVALENCE

Les langues diffèrent essentiellement par ce qu'elles doivent exprimer et non par ce qu'elles peuvent exprimer.

(R. JACKOBSON)

4.1. Traits inhérents et traduction L'équivalence de traduction est conditionnée par la découverte des traits

linguistiquement pertinents dont l'expression est obligatoire dans les langues en relation de langue source à langue cible. La sélection de ces traits peut être différente, de sorte que ce qui est pertinent dans la langue source peut ne pas l'être dans la langue cible et inversement.

Si nous analysons la phrase roumaine Scriu scrisori dans la perspective de sa mise en français, nous constatons qu'un certain nombre d'informations ne sont pas fournies par l'expression linguistique, ce qui fait que cette phrase est ambiguë si on la considère hors contexte:

- les oppositions de personne (locuteur /vs/ délocuté), de nombre (singulier /vs/ pluriel) et de genre (masculin /vs/ féminin) ne sont pertinentes qu'en français où les formants grammaticaux sont choisis en fonction de ces distinctions;

Ces oppositions se présentent de la manière suivante:

Roumain Traits distinctifs marqués Français Sujet

personne nombre genre

Je/ils/elles

Scriu

Verbe (ÉCRIRE) temps mode nombre

écris/écrivent

Scrisori Objet (LETTRE) nombre indéfini

des lettres

- les oppositions de temps et de mode sont pertinentes dans les deux langues (en

français elles sont marquées en fonction de l'environnement, la forme du présent de l'indicatif de la première personne étant identique à celle de la deuxième personner de l'indicatif et de l'impératif, et celle de la troisième personne du pluriel de l'indicatif étant identique à celle du subjonctif présent); le nombre ne doit être marqué qu'en français;

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- les traits de nombre et de définitude de l'objet direct sont pertinents dans les deux langues.

La phrase roumaine ne peut être désambiguïsée en vue de la traduction en français que si l'on dispose d'informations supplémentaires fournies par le contexte situationnel.

4.2. Unité morphématique et traduction

Les unités morphématiques grammaticales qui sont des unités non autonomes se laissent classifier en deux types généraux:

– les grammèmes liés (les flexions) – les grammèmes libres (prépositions, prédéterminants du nom, etc.) Dans ce qui suit nous allons examiner, dans la perspective du transfert en langue

cible, deux types d’unités morphématiques, appartenant l’une au premier type (le nombre), l’autre au second type (le prédeterminant possessif en concurrence avec le datif possessif ou l’article défini). A ce niveau, le traducteur doit identifier les facteurs qui règlent les dissymétries de nature contrastive qui existent entre les deux langues et observer les contraintes qui pèsent sur le transfert.

4.2.1. Le nombre nominal Une étude comparative du système du nombre nominal en français et en roumain

est de nature à révéler d'une part une organisation identique du nombre, fondée sur l'existence de deux termes oppositionnels, le singulier et le pluriel et d'autre part, une exploitation partiellement divergente de ces deux termes. Il résulte de l'analyse des exemples qu'il n'y a pas recouvrement total des deux morphèmes de nombre, un singulier pouvant correspondre à un pluriel ou inversement:

L L' sing. sing. plur. plur.

Plusieurs cas sont à prendre en considération lorsqu'on établit une équivalence de traduction:

a) La divergence se trouve sous la dominance stricte du thème nominal • C'est la cas, en premier lieu des noms singularia / pluralia tantum: chinul fricii - les affres de la peur întunericul adînc - les profondes ténèbres (i) Trebuie dus de aici molozul. (i') Il faut emporter les gravats (décombre, plâtres)

(Cl. Dignoire, 1988, 25 sqq) (ii) ... en quête d'un logement lors de ses fiançailles. (ii') ... în căutarea unei locuinţe încă de la logodnă.

(Ph. Hériat,31-38) (iii) În atelier regăsea mirosul de talaş.

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(iii') Dans l'atelier il retrouvait l'odeur des copeaux.

(iv) A plecat în zori. (iv') Il est parti à l'aube. • L'usage a imposé dans certaines séquences tantôt la forme du singulier,

tantôt celle du pluriel, cet usage pouvant être divergent: urmărire judiciară - poursuites judiciaires ultima dorinţă - les dernières volontés îngrijire medicală - les soins médicaux locul crimei - les lieux du crime forţa armată - les forces armées a cumpăra lemne - acheter le/son bois a da onorul - rendre les honneurs a veni cu mîna goală - venir les mains vides a avea mînă liberă - avoir les mains libres a face spirite - faire de l'esprit a avea simţul răspunderii - avoir le sens des responsabilités

(Cl. Dignoire, 1988: 25 sqq) En français, les noms de couleur peuvent se combiner normalement avec le

morphème de pluriel, tandis qu'en roumain cette combinaison est interdite ou rare; plusieurs possibilités s'offrent au traducteur dans ce cas:

• on emploie le singulier (v) Il ne resta plus que l'ardoise épurée du ciel, au-dessus du rempart nébuleux.

Mais celui-ci passait aux blancs et aux grisailles, tandis que le ciel rosissait. (v') N-a mai rămas decît tăblia curată a cerului, deasupra meterezului de nori care

trecea de la alb la cenuşiu în timp ce cerul se rumenea. (Cl. Lévi-Strauss, 53-72)

• pour rendre le pluriel de la diversité on se sert en roumain d'un terme introducteur général qui rend l'idée de pluriel (nom support-étiquette collective):

(vi) Le paysage céleste renaissait dans une gamme de blancs, de bleus et de verts.

(vi') Peisajul ceresc renăştea într-o gamă de alb, de albastru şi de verde. (Cl. Lévi-Strauss, 53-72)

(vii) Sur la gauche, un voile inaperçu s'affirme soudain comme un caprice de verts mystérieux et mélangés.

(vii') în stînga, un văl care trecuse neobservat se afirmă deodată ca un capriciu al unor tonuri de verde amalgamate şi misterioase.

(Cl. Lévi-Strauss, 54-72)

• Ce n'est qu'exceptionnellement qu'on se sert du pluriel dans la traduction en roumain:

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(viii) Ainsi, au spectacle des ors et des pourpres, la nuit commençait-elle à substituer son négatif où les tons chauds étaient remplacés par des blancs et des gris.

(viii') Astfel, spectacolului cu aur şi purpură noaptea a început să-i substituie negativul său, în care tonurile calde erau înlocuite cu alburi şi griuri.

(Cl. Lévi-Strauss, 54-72) b) Le singulier distributif peut être rendu par un pluriel (ou inversement): (ix) Primele săgeţi al soarelui ce iese din mare aprind în inima noastră flacăra

bucuriei de a trăi. (ix') Les premières flèches du soleil qui sort de la mer allument dans nos coeurs

la joie de vivre. (J. Bart, 232-115)

(x) Pe terenul de sport al Comisiei, un grup de tineri jucau tenis, în cămăşi de mătase, pantaloni albi şi pantofi speciali cu pingele de azbest.

(x') Sur le terrain de sport de la Comission, un groupe de jeunes gens jouaient au tennis, en chemise de soie, pantalons blancs et sandales à semelle d'amiante.

(J. Bart, 224-97) (xi) Ascultîndu-i, Penelopa privea cum răsare din adîncuri luna de argint, trăgînd

după ea umbrele corăbiilor scufundate. (xi') Tout en les écoutant, Pénélope regardait la lune d'argent émerger des

profondeurs et tirer derrière elle l'ombre des navires engloutis. (P. Pardău, 125-28)

c) Un pluriel intensif peut apparaître comme équivalent d'un singulier en langue cible:

(xii) ... apa molcomă a Teuzului tîrîndu-se leneşă pe sub răchitele pleoştite. (xii') ... les eaux tranquilles du Teuz se traînant paresseusement sous les saules

pleureurs. (T. Popovici, 42-50)

(xiii) Apostol Bologa mergea liniştit, parc-ar fi scăpat de toate grijile. Sudorile i se uscaseră pe faţă şi pe gît.

(xiii') Apostol Bologa marchait tranquillement, comme un homme qui aurait échappé à tous ses soucis. La sueur avait séché sur sa figure et son cou.

(l. Rebreanu, III, 295-21) d) Dans un contexte négatif, l'opposition singulier / pluriel s'annule souvent, ce

qui peut conduire à des traductions divergentes: (xiv) Viaţa ar fi tristă fără nici o taină. (xiv') La vie serait trop triste s'il n'y avait pas de mystères.

(P. Pardău, 128-30)

4.2.2. Le possessif La principale divergence qui sépare le roumain du français est le traitement

de l’opposition possession aliénable/vs/possession inaliénable. Les langues incarnent de manière différente les idées rattachées à ce que l’on appelle par une formule devenue célèbre „la sphère personnelle”. Les linguistes n’ont pas manqué d’observer le comportement particulier des noms qui relèvent de ce domaine référentiel.

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On sait que le français réserve l’emploi du datif possessif à la seule possession inaliénable, principalement aux noms qui désignent des parties du corps humain. Le roumain, en échange, connaît une très grande „extension” de l’inaliénable, extension qui englobe tous les objets avec lesquels il s’établit une relation associative, ce qui entraîne un emploi extrêmement large du datif possessif. Encore faut-il savoir exactement ce que l’on entend par possession inaliénable, car les distinctions ontologiques ne sont pas à même de rendre compte du traitement linguistique différent. La ligne de partage entre la possession aliénable et la possession inaliénable n’est pas tracée de la même manière dans les deux langues et ce sont plutôt les propriétés distributionnelles des équivalents qui se trouvent à la base de ces variations linguistiques pouvant provoquer des distorsions dans la traduction. Ainsi, les noms des „facultés de l’âme” ne sont pas traités en français comme des inaliénables, ce qui impose comme réalisateur du rapport de possession l’adjectif possessif:

(xv) Privind-o, gîndul mi se pierdea fără sfîrşit în fărîma-i de cer vînăt. (xv'́ ) Tout en la regardant, ma pensée se perdait à l’infini dans le pan de ciel mauve.

(M.Caragiale, 37-93) (xvi) Năpădit de o dulce aromeală, îmi lăsam visările să nască şi să se

topească în voie în noianul de armonii sublime. (xvi') Envahi par une douce langueur, je laissai naître et se fondre à son gré

ma rêverie dans la nuée d’harmonies sublimes. (M.Caragiale, 36-93)

Les facteurs qui déterminent le choix de l’un ou de l’autre des principaux

marquers du rapport de possession sont les suivants: – la position que le nom-objet possédé occupe dans la phrase (sujet, objet

direct, complément prépositionnel) – le trait inhérent du nom-objet possédé (aliénable/inaliénable) – la nature du verbe de la phrase – la position intra- ou extra-phrastique du nom-objet possédé – la présence d’un qualifiant auprès du nom-objet possédé.

• L’objet possédé est sujet de la phrase

Si la possession est aliénable, le prédéterminant possessif est obligatoire en français, tandis qu’en roumain on peut employer le datif possessif:

(xvii) Cravata îi spînzura pînă la genunchi. (xvii') Sa cravate pendait jusqu’aux genoux.

(T.Popovici, 210-271) C’est également la solution la plus fréquente dans le cas de la possession

inaliénable (Npc)1, bien que le datif ne soit pas exclu en français:

1 Npc = nom de partie du corps humain

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(xviii) Bărbia îi tremura. (xviii') Son menton tremblait.

(M.Preda, II, 190-102) (xix) Obrazul buhăit i se strîmbă caraghios. (xix ') Son visage bouffi grimaçait, ridicule.

(T.Popovici, 109-168) (xx) Urechile începură să-i ţiuie. (xx') Ses oreilles bourdonnaient.

(T.Popovici, 114-175) Notons que le datif possessif peut apparaître en français: (xxi) Mîinile îi tremurau. (xxi') a) Ses mains tremblaient. b) Les mains lui tremblaient. (xxii) îi bătea inima. (xxii') a. Son coeur battait encore. b. Le coeur lui battait encore.

• L’objet possedé est objet direct

Les traductions sont indirectes, à un datif possessif du roumain il correspond en français un adjectif possessif, si la possession est aliénable:

(xxiii) A venit cu mine să vă facă portretele. (xxiii') Elle est venue avec moi pour faire vos portraits.

(M.Preda, 221-110) (xxiv) Cîrciumarul îşi goli cu oarecare silă paharul… (xxiv') Le patron vida son verre un peu à contre-coeur…

(M.Eliade, 247-249) La combinaison d’un prédéterminant possessif et d’un datif possessif est

possible et même fréquente en français, le datif exprimant dans ce cas un bénéficiaire ou un perdant de l’action:

(xxv) îmi spală cămaşa. (xxv') a. Il lave ma chemise.

b. Il me lave ma chemise. (xxvi) I s-au furat bijuteriile. (xxvi') a. On a volé ses bijoux.

b. On lui a volé ses bijoux. (in Cl.Dignoire, 1988)

Si la possession est inaliénable (Npc) plusieurs situations sont à prendre en compte: – il y a transfert direct: datif possessif dans les deux langues; c’est le cas des

structures qui engagent des verbes exprimant des actions préjudiciables ou favorables au possesseur, ou qui révèlent un état émotionnel, ou encore des verbes indiquant des soins corporels tels que: (se brosser, (se) peigner, (se) laver, (s’) essuyer, (s’) éponger, (se) frotter, (se) masser, etc.

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(xxvii) Doamna Gavrilaş îşi frîngea mîinile. (xxvii') Madame Gavrilaş se tordait les mains.

(L.Rebreanu, II, 43-70) (xxviii) îngrozit, Andrei îşi astupă urechile. (xxviii')Horrifié, Andrei se boucha les oreilles.

(T.Popovici, 43-51) (xxix) Bogăţia îi cam sucise capul. (xxix') La fortune lui avait un peu tourné la tête.

(M.Caragiale, 39-94) (xxx) în casa noastră s-au petrecut lucruri multe care mi-au deschis ochii

asupra vieţii. (xxx') Chez nous se sont succédé des événements qui m’ont dessillé les yeux sur la vie.

(G.Călinescu, 70-67) Certains verbes admettent les deux marqueurs de la possession, le prédéterminant

possessif ou le datif possessif dans des structures concurrentes: s’abîmer, se cacher, s’éponger, s’essuyer, se caresser, se lécher, se frotter, se pincer, etc.:

(xxxi) Se ştergea cu batista la ochi, mîngîindu-şi apoi barba. (xxxi') Il portait son mouchoir aux yeux et se caressait la barbe.

(G. Călinescu, 10-6) (xxxii) Soarele îi mîngîia buzele, pleoapele. (xxxii') Le soleil lui caressait les lèvres, les paupières.

(T.Popovici, 74-88) (xxxiii) Ţăranul îşi netezi mustaţa. (xxxiii') Le paysan lissa sa moustache.

(G.Călinescu, 52-49) (xxxiv) … ştergîndu-şi absent obrazul. (xxxiv') Il épongea machinalement son visage.

(M.Eliade, 245-248) En français, la présence d’un adjectif épithète auprès du Npc entraîne

obligatoirement le prédeterminant possessif: (xxxv) îşi şterse cu mîneca vestonului obrazul ud, năclăit. (xxxv') De la manche de son veston, il essuya son visage mouillé, gluant.

(T.Popovici, 438-534) (xxxvi) … mîngîindu-i uşor mîinile slabe. (xxxvi') … en caressant ses mains maigres.

(T.Popovici, 521-639) Si le rapport de possession est assez nettement indiqué par le sens de la

phrase, l’article défini peut apparaître comme le seul marqueur de la possession, mais là encore le roumain se sert le plus souvent du datif possessif:

(xxxvii) îşi lăsase capul pe lîngă urechea bărbatului. (xxxvii') Elle avait posé la tête sur l’épaule de l’homme.

(G. Călinescu, 58-55)

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(xxxvii) Se întinse în aşternut şi-şi închise ochii, ostenit. (xxxviii') Il s’étendit entre les draps et ferma les yeux, rompu de fatigue.

(T.Popovici, 284-345)

• L’objet possédé est complément prépositionnel

Il existe dans les deux langues, le français et le roumain, une classe de verbes qui admettent l’objectivisation du possesseur, l’objet possédé revêtant dans ce cas la forme d’un complément prépositionnel. L’accusatif possessif du roumain peut correspondre à une structure adnominale ou à un datif possessif du français:

(xxxix) S-a spălat pe mîini. (xxxix') a. Il a lavé ses mains. b. Il s’est lavé les mains. (x1) Suslănescu, trecînd pe lîngă el, îl înhăţă de mînă. (x1') Suslănescu, passant près de lui, empoigna sa main.

(T.Popovici, 179-183) L’étonnante variété des moyens dont disposent les deux langues pour

exprimer le rapport de possession accroît les difficultés de la mise en correspondance, la traduction de cette relation référentielle mettant à l’épreuve la compétence du traducteur et sa capacité de maîtriser les facteurs qui doivent être pris en compte dans l’analyse du texte de départ.

4.3. Conclusion

Les divergences signalées au niveau des unités morphématiques tiennent de l’analyse contrastive, mais les résultats d’une analyse comparative ne sont pas sans conséquence pour la mise en correspondance. Le transfert des entités non autonomes soulève des difficultés qui relèvent autant des contraintes imposées par le système de la langue que des variations textuelles. Le traducteur ne peut éviter ces embûches qu’au prix d’une analyse très poussée de tous les facteurs qui exercent une influence sur le choix des moyens d’expression.

Comme nous l’avons vu, les divergences en matière de nombre, morphème lié, se placent soit au niveau du lexème, soit au niveau du syntagme nominal, tandis que celles qui se manifestent dans le domaine du possessif, morphème libre, proviennent des règles de structuration de la phrase, étant détérminées par divers facteurs, tant lexicaux que syntaxiques. Ces difficultés débouchent donc sur d’autres territoires, engageant d’autres niveaux.

Lorsqu’on aborde un texte dans la perspective de sa traduction, les analyses font ressortir des mécanismes insoupçonnés que l’on doit maîtriser. Le traducteur aussi bien que l’enseignant qui forme des traducteurs doivent tirer parti de ces analyses et du jeu des contraintes qui agissent dans les deux langues mises en correspondance.

SUJETS DE DEVOIRS

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• Quels sont les facteurs qui entrent en ligne de compte lorsqu'on établit

l'équivalence des micro-systèmes grammaticaux? • Quelles seraient les coordonnées d'une comparaison de la catégorie du genre

en roumain et en français? • Étudiez quelques divergences dans le fonctionnement de la catégorie du genre

dans la classe des noms /+Animé/ susceptibles d'entraîner des difficultés de traduction.

• Analysez la catégorie du nombre dans les textes suivants:

L'océan offre un reflet huileux et monotone.

(Cl. Lévi-Strauss)

Oceanul are reflexe uleioase şi monotone.

Si l'on veut embrasser un spectacle, il faut prendre la baie à revers et la contempler des hauteurs.

(Cl. Lévi-Strauss)

Dacă vrei să vezi o panoramă trebuie să mergi înapoi în golf şi să-ţi oferi priveliştea ei de la înălţime.

Chaque étage avait sa singularité. (Balzac)

Fiecare etaj avea ciudăţeniile lui .

Omul porni şi el cu calul pe acelaşi drum, urcînd spre cîmp.

(Marin Preda)

Florea Gheorghe se remit aussi en route avec son cheval montant vers les champs.

În clipa aceea, peste coama înaltă a salcîmilor care abia se zăreau spre sat, razele soarelui ţîşniră pe nesimţite şi umplură cu lumina lor roşie întreaga văgăună.

(M. Preda)

À ce moment, par-dessus les hautes cimes des acacias que l'on distinguait à peine dans la direction du village, les rayons du soleil jaillirent soudain, inondant tout le ravin de leur lumière rouge.

• Comparez les structures possessives des textes suivants:

Andrei îşi bău ceaiul privind pe deasupra marginii ceştii. Şi mama îmbătrînise, n-o văzuse niciodată ca acum: părul de un cenuşiu murdar îi scăpa în şuviţe de sub o broboadă multicoloră; avea mîinile subţiri, albe şi degetele mîncate de leşie (…) Ar fi

Andrei but son thé en regardant par-dessus le bord de la tasse. Sa mère avait-elle aussi vieilli. Il ne l’avait pas jamais vue comme à présent. Ses cheveux s’échappent en mèches gris-sale du fichu multicolore; elle avait les mains fines, blanches, mais les doigts

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vrut să se scoale, s-o mîngîie uşor pe mînă şi gestul lui ar fi fost copilăresc şi nou totodată, dar n-o făcu pentru că atunci i-ar fi dat lacrimile. Înghiţindu-şi un oftat, se sculă încet.

(T.Popovici)

rongés par la lessive. Il aurait voulu se lever, lui caresser légèrement la main, et son geste eût été à la fois enfantin et nouveau, mais il ne le fit pas parce qu’il n’aurait pu retenir ses larmes. Étouffant un souplir, il se leva doucement.

• Traduisez les textes suivants:

a) Toujours un peu de brume, entre Mézières et Darchéry, atténue les couleurs, éteint le vert de la grande prairie et des bouquets d'arbres, adoucit le gris bleu des toitures d'ardoise et les ocres des labours qui rapiècent les coteaux. Mais sur les collines les plus lointaines, les masses noires des forêts, les bleus sombres des sarts se juxtaposent durement, révélant dans l'arrière-pays l'Ardenne sombre, hostile.

(J. Leroux) b) Voici venir octobre; et aussitôt la fête annoncée, ça et là, par les premières

fusées des érables et des cerisiers, connaît tout son éclat: les cuivres, les bronzes, les chaudrons, les rouges vifs, les rouges sang et les rouges de braise, les flammes jaunes, les tons d'orange et de citron, les lies de vin jettent de tous côtés leur chant de fanfare éclatant. Toute l'étendue forestière, surtout quand la magie du soleil couchant s'y ajoute, n'est qu'une fusion d'or.

(M. Tynaire)

• Traduisez les textes suivants:

a) Inima îi bătea cu putere. – Urechile îi vîjîiau. – Simţea cum i se învîrte capul. – Picioarele începură să-i tremure. – Ochii îi lăcrimau mereu. – Ochii îi străluceau de bucurie. – De cîte ori se gîndea la ea i se strîngea inima. – Faţa îi era prelungă şi osoasă. – Pleoapele îi ardeau din cauza luminii prea puternice. – Dinţii îi clănţăneau atît de tare că nu se mai înţelegea ce spune. – Degetele subţiri îi alunecau pe clape. – Îi ţiuiau urechile.

b) Mi-am strîns lucrurile şi am ieşit din cameră. – Îşi scoase haina şi o puse în dulap. – Trebuia să-şi cureţe hainele pline de praf şi să-şi lustruiască pantofii plini de noroi. – Şi-a şters ochelarii cu batista. – Şi-a spălat toată rufăria şi a pus-o să se usuce la soare. – Îşi bău ceaiul în linişte, apoi se pregăti de plecare. – Ţi-a periat haina cu grijă şi ţi-a pus-o pe marginea scaunului.

c) Încerca să-şi ascundă neliniştea dar nu reuşea. – Copilul îşi înghiţi lacrimile. – Încercă să-şi adune puterile ca să poată porni din nou la drum. – Era un mjloc de a-şi vesti prezenţa. – Îţi pierzi timpul în felul acesta. – Îţi atrag atenţia că trebuie să conduci mai atent.

d) Îşi acoperi faţa cu palmele. – Tîrîndu-şi picioarele, încercă să se depărteze de locul acela. – Îşi netezi uşor părul. – Îşi frîngea mîinile cuprinsă de îngrijorare. – Îşi şterse repede ochii ca să nu se vadă că plînsese. – Îşi drese glasul şi începu să

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vorbească puţin emoţionat. – Îşi muşca degetele cu ciudă. – Îşi strică ochii citind pînă noaptea tîrziu.

e) I-a şters ochii cu batista. – I-a tamponat uşor obrazul cu alcool. – Oboseala îi adîncea trăsăturile delicate ale feţei şi îi încercăna ochii. – Dogoarea îi încingea obrajii.

f) Îl apucă de mîini. – L-a luat de braţ şi l-a condus pînă la uşă. – Îl mîngîie uşor pe obraji cu vîrful degetelor. – O luă de umeri şi o împinse spre uşă. – S-a rănit la mîna stîngă. – L-a înşfăcat de guler şi l-a dat afară. – S-a spălat pe cap. – Am crezut că vrea să-l ia de păr.

g) Băieţii îşi luau bicicletele în timp ce eu mă uitam în mulţime s-o văd pe Maria. Cînd o zării ridicai braţul ca de obicei, dar îmi dădui seama că ea nu ştia că sînt acolo şi o strigai. O văzui că întoarce capul. Atunci ridicai iar braţul. Dar ea nu-mi răspunse printr-un gest asemănător.

Îi întorsei spatele Mariei şi ca să-mi fac de lucru şi să nu stau holbat să mă uit la clipa asta grea, pusei piciorul pe bordura de ciment a grilajului, îmi înodai şireturile deja înodate, îmi scuturai manşetele care n-aveau nimic, apoi îmi luai cărţile şi mi le aranjai liniştit sub braţ. Ridicai privirea: Maria nu mai era.

(M.Preda)

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES CATFORD, M. 1966 - „Les problèmes pédagogiques de la traduction”, in Actes du premier

colloque international de linguistique appliquée, Nancy, pp.266-307.

DIGNOIRE, Cl., 1988 - „Traitement des marques du genre”, in Études contrastives. La structure du groupe nominal et la nominalisation en roumain et en français, Bucureşti, TUB, p. 7-24.

DIGNOIRE, Cl., 1988 - „Traitement des marques du nombre”, in Études contrastives. La structure du groupe nominal et la nominalisation en roumain et en français, Bucureşti, TUB, p. 25-34.

KRZESZOWSKI, T.P., 1976 - „On some linguistic limitations of classical contrastive analysis”, in Papers and Studies in Contrastive Linguistics, Poznan, p. 88-96.

5. LE NIVEAU LEXÉMATIQUE: L'HÉTÉRONYMIE

Pourquoi la traduction n'est-elle pas possible mot-à-mot? Et qu'est-ce qu'un mot? Comment se fait-il que la liste des acceptions d'un mot dans une langue ne coîncide presque jamais avec celle des acceptions du même mot dans une autre langue? Comment se fait-il que telle réalité non linguistique est désignée par un mot

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dans une langue et par un groupe de mots dans une autre- et surtout comment tracer la limite pour faire un dictionnaire entre ces unités lexicales simples d'une part et ces unités lexicales complexes d'autre part; en d'autres termes est-ce que mur de pierres sèches doit figurer dans un dictionnaire bilingue par exemple, et où? Qu'est-ce que véritablement un idiotisme? Y a-t-il des mots ou expressions proprement intraduisibles, et pourquoi le sont-elles?

(GEORGES MOUNIN)

5.1. Les relations hétéronymiques Si deux unités lexicales, simples ou complexes, sont reliées par la relation de

traduction R, elles sont désignées par le terme d'hétéronymes et leur relation R est une relation d'hétéronymie. Ces deux termes indiquent, par leurs éléments constitutifs le caractère partiel et relatif de la synonymie interlinguale. „Les hétéronymes sont des mots employés en traduction, dont les signifiés se trouvent en rapport d'intersection” (R. GALISSON et D. COSTE, 1976: 264). Nous rappelons que le signifié est la forme donnée par une langue particulière aux possibilités de désignation et qu'il n'existe qu'en tant que signifié „français”, „allemand”, etc. (E. COŞERIU, 1976).

Il existe entre les deux langues qui occupent les deux positions respectives de langue source et de langue cible plusieurs types généraux de relations hétéronymiques:

1) Pour une unité lexicale x de la langue source L il existe une seule unité lexicale x' (correspondante de x) dans la langue cible L': hyperglycémie - hiperglicemie.

Ce cas est relativement rare et il concerne plus spécialement les vocabulaires techniques et scientifiques.

2) Pour une unité x de L il existe plusieurs unités qui lui correspondent en L': pince a) cleşte b) cîrlig c) mînă, labă. C'est un cas très fréquent, de polysémie divergente.

3) L'unité lexicale x de L n'a pas de correspondant lexical sous la forme d'une lexie simple en L'

fr. lustre „interval de cinci ani” roum. cuscru „père du gendre ou de la belle fille”. Les relations hétéronymiques divergentes sont autant de difficultés de mise en

équivalence: dans le cas de la polysémie divergente, le traducteur se trouve devant une décision à prendre (il doit choisir, suivant le contexte, le mot convenable dans une série polysémique); dans le cas de la lacune lexicale il doit trouver la périphrase qui recouvre le sens de la lexie simple, unité source.

Les différentes relations lexicales mentionnées peuvent être représentées comme suit:

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Langue Relation L L'

transfert (direct) x x'

fourche lexicale x x, y

x', y'... x'

lacune lexicale x ∅

∅ x'

L'hétéronyme est un concept opératoire, en ce sens que l'on considère comme

équivalent direct par rapport auquel on détermine les divergences de structuration l'équivalent lexical le plus fréquent du point de vue statistique, celui que l’on trouve dans le dictionnaire.

5.2. La lexémisation idiosyncrasique Un des obstacles que le traducteur, autant que l'apprenant, doit franchir touche

aux problèmes spécifiques de la lexémisation c'est-à-dire à la structuration idiosyncrasique des langues engagées dans l'acte traductif. C'est aussi un problème de dictionnaire, de mise en équivalence constante, si possible hors contexte. Ce phénomène concerne les relations qui s'établissent entre la matrice sémantique commune aux deux langues et son „incarnation” par des items lexicaux. C'est à ce niveau qu'apparaissent les divergences les plus notables, qui ne sont, en dernier ressort, qu'une manifestation spécifique des rapports entre le signe et le référent.

Les différences de lexémisation concernent principalement deux aspects de la structuration lexicale:

– les lacunes lexicales – la structure incorporante /vs/ non incorporante. 5.2.1. La notion de „lacune lexicale” est relative, pour autant qu'elle ne se

rapporte pas à l'absence d'un lexème désignant une chose qui n'existe pas dans la civilisation qui „informe” une langue donnée. Les termes de civilisation qui n'ont pas de correspondant référentiel donnent le plus souvent lieu à des emprunts directs venant combler une lacune. Il n'en est pas moins vrai que les lacunes lexicales proviennent d'un certain découpage de la réalité environnante. Il est donc naturel que l'on retrouve des lacunes lexicales dans des zones plus directement conditionnées par l'organisation sociale et historique.

Le terme de lacune lexicale (ou trou lexical) inspiré de la doctrine structuraliste désigne l'absence d'un lexème dans une position donnée d'un champ lexical. Une pareille lacune est désignée aussi par le terme de „trou matriciel”. Cette notion est née de l'idée qu'en disposant les traits sémantiques qui résultent de l'analyse des items lexicaux sous forme d'une matrice, on arrive à identifier ceux qui ne sont pas couverts lexicalement par des unités distinctes (J. LYONS, 1978: 244 sqq.)

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Le trou lexical peut être une virtualité ou une réalité concrète d'une langue naturelle L considérée dans ses rapports avec une autre langue naturelle L':

Trait

Langue t1 t2 t3 t4

L I lex ∅ ∅ I lex L' ∅ ∅ I lex I lex

I lex = item lexical (ou lexème)

Ainsi, si l'on compare le micro-champ sémantique BRILLER du français et du roumain, on constate que les deux langues lexémisent les traits /+ lumière discontinue/: roum. a scînteia, a sclipi, a licări, a pîlpîi - fr. scintiller, étinceler, ainsi que le trait /+ lumière réfléchie par une surface/ : roum. a luci, a sclipi - fr. reluire, chatoyer, miroiter, brasiller. Le roumain ne lexémise pas les traits /+ intensif/ rutiler, flamboyer ou des traits plus spécifiques tels que /+ lumière dicontinue réfléchie par des étoffes ou des pierres précieuses/ chatoyer ou /+ lumière réfléchie par la surface de la mer sous un astre/ brasiller.

Traits

Langue

lumière + intensive

lumière + discontinue + pour étoffes + pour pierres précieuses

lumière réfléchie par la mer

Français rutiler flamboyer

chatoyer brasiller

Roumain ∅ ∅ ∅

Dans tous ces cas particuliers, le roumain se contente d'employer le terme général: a străluci/ a sclipi/ a luci.

Comme on le voit par l'exemple ci-dessus, le problème des lacunes lexicales peut être traité aussi en termes de structures hiérarchiques: en roumain on emploie des termes plus généraux, l'hypéronyme a străluci, tandis qu'en français on peut avoir recours à des hyponymes. Inversement, le roumain n'a pas de mot spécial pour désigner tout objet qui couvre la tête et qui correspondrait au mot français coiffure:

i) On voyait dans la foule des coiffures très diverses: feutres, chapeaux de paille, noeuds de ruban etc.

(DFC) Dans le cas ci-dessus, le traducteur est obligé de recourir à une traduction

indirecte assez compliquée pour suppléer à l'absence de l'archilexème français. Le roumain ne dispose pas non plus d'un mot spécial pour désigner tout petit

ornement de fantaisie qui correspondrait à l'archilexème colifichets:

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ii) Elle a toujours aimé les boucles d'oreille, les broches, les peignes et d'autres colifichets.

(DFC) La langue source a ses propres lacunes lexicales qui ne correspondent pas aux

lacunes de la langue cible. En transposant un énoncé en langue cible, le traducteur doit découvrir les moyens susceptibles de compenser l'absence de lexème spécifique. Il y aurait également tout intérêt à inventorier les lacunes caractéristiques des langues en contact afin de déceler les traits typologiques contrastifs.

5.2.2. L'opposition structure incorporante /vs/ structure non incorporante est une

autre divergence de structuration lexicale qui provient de l'existence de frontières différentes retracées dans les deux langues entre le mot et la lexic complexe. Le terme de „structure incorporante” désigne la propriété lexicale d'un lexème de réaliser par une seule unité lexicale, d'habitude dérivée et indexée en tant que telle dans le dictionnaire, un faisceau de traits „incarnés” dans l'autre langue par une suite de mots fomant série. Il en résulte que la structure incorporante est une catégorie corrélative: elle n'apparaît que par contraste avec une lexémisation de type analytique. Cette opposition peut se manifester aussi bien au niveau intralingual (s'enrichir - devenir riche) qu'au niveau interlingual: un élément incorporant de la langue source peut avoir comme hétéronyme une lexie complexe, ou inversement. Cette relation se laisse représenter comme suit: L L'

(1) struct. incorp. struct. incorp. (1') (2) struct. non incorp. struct. non incorp. (2')

L'attention du contrastiviste se portera sur les transcodages obliques: (1) - (2') a se îmbolnăvi - tomber malade a pagina - mettre en page a poposi - faire halte (2) - (1') a se sprijini în coate - s'accouder a se sprijini cu spatele - s'adosser a da tîrcoale - rôder (iii) Gore bătu cîtva timp cu degetele în masă, încercînd să se stăpînească (iii') Gore tambourina quelque temps sur la table, essayant de se contenir.

(M. Eliade, 251 -249) (iv) Peste noapte brumase şi ierburile se închirciseră. (iv')Pendant la nuit, la gelée blanche était tombée et les herbes s'étaient recroquevillées.

(T. Popovici, 527- 646)

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Les divergences de ce type sont nombreuses et elles recouvrent des zones

sémantico-lexicales très diversifiées. Il est assez difficile de les recenser d'une manière exhaustive, d'autant plus que les réalisations concrètes peuvent actualiser des traductions non obligatoires. Dans la plupart des cas, il s'agit de structures incorporantes dérivées auxquelles il correspond des structures lexicales complexes constituées d'un déterminé + déterminant.

On peut distinguer plusieurs types généraux de correspondances:

(a) substantif dérivé – lexie nominale constituée d'une étiquette constante suivie d'un déterminant en relation hétéronymique avec le mot de base de la langue source

• diminutif désignant le petit d'un animal

bécasseau becaţă faisandeau fazan fauconneau şoim lionceau pui de leu éléphanteau elefant renardeau vulpe souriceau şoarece louveteau lup

Les diminutifs roumains correspondants, là où il existent, ne désignent pas le

petit de l'animal en question mais un animal petit (de petite dimension): elefănţel, şoricel etc.

• noms désignant le lieu de travail (fabrique, atelier etc.):

amidonnerie amidon beurrerie fabrică de; unt brosserie perii cimenterie ciment sucrerie zahăr

• noms d'agent:

bonnetier tricotaje boutonnier nasturi chocolatier fabricant de ciocolată bouchonnier negustor de dopuri betteravier cultivator de sfeclă baigneur care se scaldă

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bâilleur persoană (om) care cască bâcleur care rasoleşte o treabă

• noms collectifs

lieu planté d'arbres, forêt, taillis taillis de noisetiers

boulaie aunaie chênaie hêtraie sapinière peupleraie châtaigneraie tremblaie pinède cerisaie pommeraie palmeraie olivaie amandaie bananerie roseraie -

mestecăniş ariniş(te) stejăriş făget brădet plopiş

- - - - - - - - - -

aluniş

pădure de castani pădure de plopi pădure de pini livadă cu cireşi, vişini, livadă cu meri plantaţie, pădure de palmieri livadă de măslini pădure de migdali plantaţie de banani grădină de loc cu trandafiri

b) verbe dérivé ou parasynthétique-

lexie verbale constituée d'un verbe support et d'un nominal de la même famille morpho-lexicale que la base du dérivé source

On peut distinguer plusieurs classes de correspondances suivant la nature de l'actant incorporé:

• Vb à Objet direct incorporé (et à Ablatif implicite) - Vb support de séparation (a scoate, a lua, a curăţa etc.) + Dt Objet direct:

débarrer bara débâter samarul débondonner a scoate cepul, a da cep débourrer cîlţii décarreler dalele

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• Vb à Ablatif et à Objet direct implicite - Vb support de séparation + Dt Ablatif du point de départ:

débourber din noroi; a curăţa/a spăla de noroi décaisser din ladă, din casa de bani dépoter a scoate din ghiveci débusquer (inamicul) din poziţie

• Vb incorporant l'instrument - Vb support + Dt Instrument:

bâcher - a acoperi cu o prelată baillonner - a pune căluş în gură bateler - a transporta cu vaporul bâter - a pune samarul béquiller - a merge în cîrje beurrer - a unge cu unt ficeler - a lega cu o sfoară punaiser - a prinde în pioneze

• Vb incorporant le caractérisant - Vb support + caractérisant:

frôler friser a atinge uşor, în treacăt

c) Adjectif dérivé - lexie adjectivale constituée d'un caractérisant général +dt spécifique

• Adj signifiant „ayant l'aspect, le goût de” - dt prépositionnel constitué d'un nom de la même famille que la base du dérivé source:

amandé - cu esenţă de migdale brioché - cu gust de brioşă fruité - cu aromă/buchet de fructe damassé - ca damascul léopardé - ca blana leopardului faîencé - ca faianţa, care imită faianţa

• Adj incorporant l'instrument - Adj support + Instrument prépositionnel:

absinthé - amestecat cu absint rubané - garnisit cu panglici envisonnée - îmbrăcată cu vizon

• Adj incorporant la modalité POSSIBLE - Vb modal + Adj:

abrogeable abrogat acclimatable aclimatizat accordable acordat acquittable achitat

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discernable care poate fi deosebit consolable consolat rachetable răscumpărat reconnaissable recunoscut

L'opposition structure incorporante /vs/ structure non incorporante est fonction

de la capacité dérivationnelle de chacune des deux langues comparées. Le formatif affixal devient dans le transfert de la langue source à la langue cible unité de traduction sous la forme d'un support de sens général suivi d'un déterminant spécifique correspondant au lexème base de la langue source. La structure non incorporante devient de cette manière une unité de traduction diluée.

Une comparaison plus détaillée des structures lexicales mettrait en évidence des traits typologiques contrastifs qui déterminent les limites du transcodage direct, ainsi que les divers moyens utilisés dans la traduction pour éviter la lourdeur de certaines structures à élément support.

5.3. Les fourches lexicales Si l'on examine les propriétés particulières des relations hétéronymiques, on

constate qu'une unité lexicale x de L peut avoir deux ou plusieurs correspondants en L'. On appelle cette correspondance fourche lexicale. Cette scission qui s'opère dans le passage de la langue source à la langue cible n'est autre chose que la description d'un itinéraire de traduction déterminé par deux facteurs:

– la polysémie divergente – l'aire d'extension différente des hétéronymes

5.3.1. L'étude de la polysémie divergente s'inscrit dans le cadre d'une description collocationnelle dont l'objectif est de déterminer les contextes caractéristiques pour la réalisation d'un des sens de la série polysémique propre à une unité de traduction lexicale. Phénomène relevant d'un paradigme sémique, la polysémie n'existe qu'en vertu de l'existence d'un noyau commun aux unités ayant plusieurs sens. Cet invariant se réalise dans des valeurs d'emploi diversifiées révélées par le cotexte linguistique ou par le contexte situationnel.

La polysémie ne donne naissance à des ambiguïtés absolues que dans des cas très rares, qui ne peuvent être résolus ni par référence au cotexte linguistique ni par le contexte situationnel. L'ambiguїté est une question à propos de laquelle le plus de difficultés peuvent se poser, essentiellement en liaison avec la procédure de désambiguîsation du texte de départ.

Si une unité lexicale peut donner lieu à une double (ou pluri) lecture, le traducteur devra opter pour l'une des lectures possibles à l'exclusion de toutes les autres. La traduction ne peut prendre appui que sur la non ambiguїté du texte de départ ou préserver le texte intentionnellement ambigu.

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Pour interpréter correctement une UT de la langue source, il est nécessaire d'établir le nombre d'informations qui conditionnent l'interprétation correcte.

La désambiguїsation est fonction de la nature de l'ambiguîté qui peut être de deux types généraux:

- l'ambiguїté qui se laisse résoudre par l'analyse du micro-contexte (ambiguїté déterministe);

- l'ambiguїté qui ne peut être résolue qu'en faisant appel au macro-contexte situationnel ou à des données statistiques (ambiguїté probabiliste).

Le premier type d'ambiguîté est résolue sur le terrain de la langue source par l'analyse des mots immédiatement environnants: le micro-contexte linguistique (ou co-texte) contient toutes les informations nécessaires à un décodage correct de nature à assurer la fidélité de la traduction.

Ainsi la préposition par a des correspondants différents suivant la nature du nom qu'elle introduit: N / - Animé (+ Temps) / =într-un / o

par une belle matinée d'été = într-o frumoasă dimineaţă de vară

par N / - Animé (+ Abstrait) / = prin par ses soins = prin grija sa

N / - Animé (+Lieu) / = prin Il est passé par la forêt = A trecut prin pădure.

N / + Personne / + Vb passif = de (către) Il a été interrogé par un officier = A fost interogat de un ofiţer

La plupart des ambiguїtés sont résolues, au niveau lexical, par les dictionnaires bilingues, qui prennent soin de noter les contextes récurrents caractéristiques. En voici deux exemples qui illustrent les divergences établies dans le cadre de l'hétéronymie non contextualisée aigre - acru, ascuţit - aigu. Ces exemples ne contiennent que les informations fournies par les dictionnaires:

acru: un fruit aigre - un fruct acru;

une odeur aigre - un miros acru; (fig.) une femme aigre - o femeie acră

înăcrit: des aliments aigres - alimente înăcrite

aspru: un vent aigre - un vînt aspru; (fig.) des critiques aigres - critici aspre/acerbe; des remontrances aigres - mustrări aspre

aigre

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ascuţit: une voix aigre - o voce ascuţită

neplăcut, supărător: le grincement aigre d'une porte - scîrţîitul supărător al unei uşi;

neductil: fer, cuivre aigre - fier, cupru neductil;

aigu: vîrf ascuţit - pointe aiguë, effilée; unghii ascuţite - ongles aigus, acérés sunet ascuţit - son aigu, strident, suraigu voce ascuţită - voix aiguë, aigre, criarde durere ascuţită - douleur aiguë, vive

pointu: cui ascuţit - clou pointu, acéré tocuri ascuţite - des talons pointus acoperiş ascuţit - toit pointu bărbie ascuţită - menton pointu

ascuţit

aiguïsé: brici bine ascuţit - rasoir bien aiguïsé, affilé

tranchant: cuţit ascuţit - couteau tranchant, coupant

taillé: creion ascuţit - crayon bien taillé

acéré: gheară ascuţită - griffe acérée Quant à l'ambiguïté probabiliste, elle ne peut être résolue qu'en faisant appel au

macro-contexte (au discours) ou à des données statistiques. Ainsi, une phrase telle que Cette loi défend les intérêts du mineur est ambiguë, le mot mineur pouvant avoir deux acceptions: a. „personne qui n'a pas acquis l'âge requis pour exercer pleinement ses droits” et b. „ouvrier qui travaille dans une mine”. Le traducteur est obligé de faire appel à d'autres informations pour savoir s'il doit traduire par minor ou par miner.

En partant de la constatation que la polysémie est rare à l'intérieur d'un champ d'expérience donné, on a proposé d'identifier le sens d'un lexème par une sorte de „clé sémantique”. Ainsi, le mot glace, dans le langage des diamantaires aura le sens de „givrure, tache mate, défaut de la pierre givreuse” (= diamant orb) et non celui de „eau gelée” (gheaţă), ou de „crème congelée” (îngheţată), ou bien celui de „miroir” (oglindă).

Parmi les solutions envisagées pour la machine à traduire, la plus pratique semble être celle des micro-glossaires spécialisés. La rédaction des dictionnaires bi- ou plurilingues par domaines permet de réduire les cas de polysémie indexale. L'élaboration de ces dictionnaires est fondée sur la pré-sélection des sens du mot polysémique d'après le type de discours et procède de la désambiguïsation probabiliste. En effet, le terme polysémique tend à n'avoir qu'un seul sens dans les divers champs d'expérience (monosémisation). L'attitude probabiliste envers les problèmes du sens impose une étude statistique des correspondances lexicales interlinguales.

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La polysémie est un obstacle que l'apprenant aussi bien que le traducteur doivent franchir afin de dégager une interprétation conforme aux intentions du texte source.

Généralement, le traducteur doit désambiguïser le texte pour pouvoir le reformuler en langue cible. Mais il faut remarquer qu'il existe aussi des cas d'ambiguїté intentionnelle qui impose une retransmission telle quelle en langue cible. C'est le cas des jeux de mots, pour lesquels il n'est pas toujours possible de trouver des équivalents du même type.

Ces distinctions pourraient être figurées de la manières suivante:

Ambiguїté

non intentionnelle intentionnelle (nécessité de désambiguїser le texte de départ en vue de la traduction)

(nécessité de maintenir l'ambi-guїté dans le texte d'arrivée)

5.3.2. L'aire d'extension des hétéronymes peut être différente parce que le

découpage de la réalité peut être plus analytique dans une langue par rapport à une autre. Il y a généralisation dans une langue L quand on emploie un lexème dont l'extension est plus grande que celle de son hétéronyme en L' et particularisation lorsque, pour le même lexème, on se sert de deux ou de plusieurs hétéronymes. Dans le premier cas on parle de focalisation et dans le second de scission.

Ainsi, le roumain se sert de deux mots dérivés différents pour exprimer l'action et le résultat de l'action ou l'état, tandis que le français emploie le même mot; il y a donc focalisation:

aranjare (action) arrangement aranjament (résultat)

combinare (action) combinaison combinaţie (résultat)

contemplare (action) contemplation contemplaţie (état)

corupere (action) corruption

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corupţie (état)

Dans certains cas, la distance sémantique entre les deux mots focalisés est plus grande:

consum consumaţie consommation consumare receptare réception recepţie

La difficulté, pour l'apprenant ou pour le traducteur concerne l'interprétation du

texte, mais ce qui complique la mise en équivalence c'est que le roumain trouve une ressource presque illimitée dans la nominalisation de l'action sous la forme de l'infinitif long, tandis que le français utilise dans bien des cas l'infinitif proprement dit (v. ci-dessous La transposition, p. 124).

Du point de vue contrastif, ce sont les scissions qui présentent un plus grand intérêt, car elles conduisent à des fourches lexicales.

Dans le cas d'une différence d'extension entre les hétéronymes on est confrontés à une double difficulté:

– on doit identifier les traits sémantiques qui sont lexémisés – on doit circonscrire les restrictions sélectives propres aux hétéronymes. Nous avons illustré à l'aide de quelques exemples les différents aspects des

divergences qui résultent du découpage différent de la réalité à dénommer: pied „partie inférieure articulée à l'extrémité de la jambe”

roum. picior jambe „partie de chacun des membres inférieurs de l'homme qui s'étend du genou au pied”

Si dans la majorité des cas, on peut choisir correctement l'hétéronyme en fonction de cette distinction référentielle, il n'en existe pas moins des locutions (semi-) automatisées dans lesquelles le choix n'est dicté que par l'usage:

• a pune pe cineva pe picioare - remettre qn sur pied a sări de pe un picior pe altul – sauter d’un pied sur l’autre a avea plumb în picioare - avoir les jambes molles/,flageolantes, comme du

coton/ (fam.) en flanelle a nu-şi mai simţi picioarele de oboseală - ne plus pouvoir tenir sur ses jambes, a nu se mai ţine pe picioare - flageoler sur ses jambes a-şi dezmorţi picioarele - se dégourdir les jambes a cădea cu picioarele în sus - tomber les jambes en l'air a se clătina pe picioare - vaciller sur ses jambes a-şi lua picioarele la spinare - prendre ses jambes à son cou, s'enfuir à toutes

jambes frica îi pune aripi la picioare - la peur lui donne des jambes

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mot „parlé ou écrit” roum. cuvînt parole „élément de langage parlé” în adevăratul sens al cuvîntului - dans le vrai sens du mot joc de cuvinte - jeu de mots cuvinte încrucişate - mots croisés cuvînt de ordine - mot d'ordre a nu scoate nici un cuvînt - ne pas souffler mot a avea un schimb de cuvinte - avoir des mots ensemble a avea un cuvînt de spus - avoir son mot à dire a spune cuvinte urîte - dire des gros mots a cere, a da, a lua cuvîntul - demander, donner. prendre la parole a se ţine de cuvînt - tenir sa parole a-şi lua cuvîntul înapoi - reprendre sa parole a sorbi cuvintele cuiva - boire les paroles de qn a spune vorbe grele - dire des paroles blessantes à qn En étroite liaison avec la délimitation des aires d'emploi des hétéronymes, les

restrictions sélectives qu'ils présentent précisent leurs possibilités de se combiner avec d'autres lexèmes en fonction des traits inhérents et des thèmes de ces derniers. Ces associations lexicales sont désignées parfois par le terme de présupposition lexicale. Ainsi, il existe certains mots qui ne se disent que relativement à certains autres mots.

Un exemple caractéristique d'affinité de ce genre est celui des étiquettes collectives. Leur emploi restrictif peut être divergent dans les deux langues, ce qui attire des scissions lexicales:

• le mot français bouquet désigne en français un assemblage de fleurs ou de

certaines choses liées ensemble ou se présentant en groupe. Il a par conséquent une aire d'extension plus grande que son correspondant roumain buchet et il doit être scindé en plusieurs étiquettes collectives suivant les termes auxquels il se rapporte:

fr. BOUQUET de fleurs d'arbres de persil etc.

BUCHET de flori

PÎLC de copaci

LEGĂTURĂ, MĂNUNCHI de pătrunjel

• Le mot français vol peut s'appliquer non seulement à un groupe d'oiseaux qui volent ensemble, mais aussi à des insectes, tandis que le roumain se sert dans ce cas de deux lexèmes différents:

fr. VOL

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d'oiseaux de moucherons STOL

de păsări ROI

de musculiţe

• le mot français troupeau peut désigner un groupe de vaches, de moutons, d'oies; c'est suivant les différents nominaux avec lesquels il se combine que l'on choisit l'hétéronyme adéquat:

fr. TROUPEAU de moutons, de chèvres de vaches d'oies

TURMA de oi, de capre

CIREADĂ de vaci

CÎRD de gîşte

• Le mot roumain haită s'emploie indifféremment pour les chiens et pour les loups, tandis que le français utilise deux mots différents: meute de chiens, harde de loups. D'autre part, le mot français harde peut s'appliquer aussi à d'autres animaux vivant ensemble:

de lupi - HARDE - de daims, de cerfs - TURMĂ HAITĂ

de cîini - MEUTE

• Le mot roumain teanc est couramment utilisé en relation avec des noms tels que dosare, farfurii, bancnote, hîrtii etc.; il correspond à deux mots français: pile et liasse qui se partagent la zone, le choix étant dicté par le nom auquel ils servent d'introducteur quantitatif:

roum. TEANC de dosare, de farfurii de bancnote

PILE de dossiers, d'assiettes

LIASSE de billets de banque

La prise en compte des sens figurés donnerait une autre image des divegences lexicales et ferait apparaître une autre distribution des traits sémantiques sur les divers hétéronymes en présence (v. ci-dessous LA MODULATION, p 141)

5.4. Conclusion

Une analyse attentive des relations hétéronymiques met en relief des difficultés de taille quand on veut tirer toutes les conclusions pratiques qui s'imposent. Si l'on veut traduire en objectifs les résultats d'une investigation portant sur les divergences de structuration lexicale, on doit préciser les aires qui peuvent être concernées. Aussi, une approche onomasiologique comparative ne serait-elle sans intérêt pour l'apprenant aussi bien que pour le traducteur (v. ci-dessous III-ème section).

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Il existe en ce qui concerne l'hétéronymie plusieurs domaines qui pourraient tirer profit d'une comparaison effectuée à ce niveau:

– la rédaction d'un dictionnaire bilingue, en tant qu'inventaire des équivalences lexico-grammaticales établies à partir d'un mot pivot, l'entrée lexicale;

– l'analyse contrastive, qui doit déboucher sur une analyse typologique; – la didactique du français-langue étrangère, qui doit établir la progression

lexicale par ordre de difficulté et d'utilité des lexèmes; – la stylistique comparée, qui doit fournir au traducteur des inventaires aussi

complets que possible de procédés d'équivalence; – la traductologie, qui doit découvrir les procédés de compensation en cas de

lacune lexicale et de réorganisation des moyens d'expression.

SUJETS DE DEVOIRS • Illustrez par des exemples de votre choix chaque type de relation

hétéronymique. • Donnez quelques exemples de fourches lexicales et analysez les restrictions

combinatoires de chaque terme de la fourche. • Analysez l'aire d'extension des hétéronymes suivants: număr - numéro /

nombre; carne - viande / chair; dimineaţă - matin / matinée; zi - jour / journée. • Examinez quelques cas de polysémie divergente. • Donnez quelques exemples de restrictions sélectives divergentes. • Analysez les hétéronymes roumains des mots français: comparaison,

accusation, construction, création; introduisez-les dans des phrases équivalentes. • Proposez des équivalents pour les mots français suivants et étudiez les

procédés de compensation lexicale: baliseur, batifoleur, béquillard, braillard, chamelier; boissellerie, cordage, faîtage; badauder, botteler, papillonner, débrocher, décacheter. • Quel est le rapport qui s'établit entre les lacunes lexicales et la lexémisation

idiosyncrasique? • Quelle est la différence entre l'hétéronymie lexicographique et l'hétéronymie

contextuelle? Donnez quelques exemples pour illustrer cette différence. • Comment l'étude de l'hétéronymie peut-elle contribuer à une meilleure

organisation de l'enseignement du vocabulaire du FLE? • Essayez d'établir les principes d'une typologie des procédés de

compensation. • Analysez les structures lexicales des textes bilingues suivants:

Holul semăna cu un bazin de înot.

(T. Popovici) Le hall ressemblait à une piscine.

Învelit într-un halat de mătase, Varga petrecuse ceasuri întregi în şezlong.

Enveloppé d'une robe de chambre en soie, Varga avait passé des journées

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(T. Popovici)

entières sur une chaise-longue.

... printre rămăşiţe de maşini şi tancuri ruginite...

(T. Popovici) Un camion supraîncărcat trecu prin faţa cîrciumii.

(M. Eliade)

... parmi les débris d'autos et de chars d'assaut rouillés... Un poids lourd surchargé passa devant le bistrot.

Gore îşi băgă repede ceasul în buzunarul vestei...

(M. Eliade)

Gore enfonça vivement sa montre dans son gousset...

Era o odăiţă cu ciment pe jos şi cu fereastra tencuită.

(M. Eliade)

C’était une petite pièce au sol cimenté dont on avait muré la fenêtre.

Şi începu să aştepte nerăbdător, bătînd cu degetele în masă.

(T. Popovici)

Il se mit à attendre impatiemment, en tambourinant sur la table.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES COŞERIU, E., 1976 - „L'étude fonctionnelle du vocabulaire, précis de lexématique”, in

Cahiers de lexicologie, no. 2, p. 5-23. CRISTEA, T., 1977 - Éléments de grammaire contrastive, Bucureşti, Editura Didactică şi

Pedagogică. DEBYSER, F., 1971 - „Comparaison et interférences lexicales”, in Le Français dans le Monde,

no. 81, p. 51-57. GALISSON, R. et COSTE, D., 1976 - Dictionnaire de didactique, Paris, Hachette. LYONS, J., 1978 - Éléments de sémantique générale, Paris, Larousse.

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6. L'UNITÉ PHRASTIQUE: LA PARAPHRASE INTERLINGUALE

Pour notre part, nous avons fait l'hypothèse que le mot, comme entité linguistique abstraite, ne collabore au sens de l'énoncé que d'une façon indirecte: il commence par se combiner aux autres mots pour constituer la signification de la phrase, et c’est celle-ci qui, vu la situation de discours, produit le sens de l'énoncé.

(O. DUCROT)

6.1 La phrase est-elle une unité de traduction? Au premier abord on serait tenté de répondre par la négative à la question qui

sert de point de départ à une discussion sur le concept de paraphrase interlinguale. Définie par ses constituants, la phrase apparaît comme „une entité linguistique

abstraite purement théorique, en l'occurrence un ensemble de mots combinés selon les règles de la syntaxe, ensemble pris hors de toute situation. Ce qui produit un locuteur, ce qu'entend un auditeur, ce n'est donc pas une phrase mais un énoncé particulier d'une phrase” (O. DUCROT, 1982: 7). Or, le texte source que le traducteur doit transférer en langue cible est constitué d'unités actualisées dans un contexte déterminé, donc d'énoncés. Il n'en est pas moins vrai que pour accéder au „sens” de l'énoncé on doit passer par la „signification” de la phrase. Le traducteur doit interpréter les informations (percevoir les instructions) contenues dans le texte source pour trouver leur équivalent en langue cible. Ces informations sont aussi des informations lexico-grammaticales. Il opère donc en même temps sur des phrases et des énoncés pour autant qu'il repère l'unité signifiante au système de la langue (agencement des mots en phrases) et à l'instance énonciative (situation de discours).

Pour pouvoir reconnaître à la phrase le statut d'unité de traduction, elle devrait satisfaire à la condition d'insécabilité qui la définit en tant que telle. C'est ici le lieu de préciser les limites de validité de ce concept opératoire en traductologie lorsqu'il est appliqué à une unité syntaxique de rang supérieur. Il existe ainsi des phrases sécables (canoniques) en ce sens que le transfert de l'énoncé qu'elles véhiculent peut s'opérer à partir des mots constituants, les instructiuons qu'elles contiennent conduisent à la compositionnalité de l'unité, la phrase apparaissant ainsi comme la somme des unités sous-phrastiques. Ces phrases acceptent la traduction littérale:

(i) Liniştea şi lumina pătrundeau în sufletul lui Apostol ca într-o casă pustie. (i') Le calme et la clarté pénétraient dans l'âme d'Apostol comme dans une maison déserte.

(L. Rebreanu, II: 202-26)

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D'autres phrases sont insécables et la signification des éléments constitutifs pris un à un n'est plus opérante pour le transfert. Dans ce cas, les instructions infèrent un transfert global. il y a non compositionnalité de l'énoncé:

(ii)Nu mă priveşte, spuse Gore întunecat. Eu am făcut rămăşag că-ţi arăt pe madam Popovici. Nu mai e mult.

(ii')Je m'en fous, dit Gore d'un air sombre. J'ai parié que je vous montrerai Madame Popovici. C'est tout près d'ici.

(M. Eliade, 251-254) Une autre raison qui rend difficile de refuser à la phrase le statut d'unité de

traduction c'est que la traduction reste conditionnée par des impératifs du système des langues engagées dans l'acte traductif.

L’analyse de la paraphrase interlinguale implique une prise de position théorique: cette relation doit être placée au niveau du système de la langue et non au niveau de discours, la dimension pragmatique de la traduction, étant de cette manière, laissée dans l’ombre. „Cette négation de la dimension énonciative dans les théories linguistiques de la paraphrase n’est pas l’effet du hasard: elle constitue la condition sine qua non pour pouvoir théoriser la relation de paraphrase en termes d’équivalence sémantique.” (C.FUCHS, 1994 : 74). Dans une paraphrase interlinguale la phrase de départ et la phrase d’arrivée partagent par delà les variations imposées par le transfert de la langue source à la langue cible un noyau sémantique commun. Une fois la paraphrase définie comme une relation d’équivalence qui repose sur un invariant sémantique, le théoricien de la traduction doit décrire la manière dont se constituent les couples (les familles) paraphrastiques. À la différence de la paraphrase intralinguale, la mise en correspondance de deux structures appartenant à deux langues différentes est toujours une opération orientée, la réversibilité du transfert (la rétroversion) pouvant conduire à des résultats divergents.

6.2 Types et sous-types de paraphrases interlinguales

Les procédés de paraphrase applicables à l'intérieur d'une langue peuvent également s'appliquer à la traduction: la plupart des paraphrases intralinguales ont leur contrepartie interlinguale.

À l'intérieur d'une même langue, un premier critère de distinction, de nature fonctionnelle, oppose les paraphrases substitutives que l'on pourrait appeler aussi dénotatives, aux paraphrases obliques, qui sont en partie connotatives. Si l'on envisage les rapports de traduction dans cette perspective, on constate que toutes les paraphrases interlinguales sont de nature substitutive pour autant qu'elles impliquent la substitution des unités de la langue source par des unités de la langue cible. Le critère qui est opérant dans ce cas est le degré de conformité lexico-syntaxique des unités source avec les unités cible. Dans la traduction littérale, il s'agit d'une simple substitution hétéronymique, dans d'autres cas, les modifications sont plus pofondes et entraînent une réorganisation des moyens d'expression. Il existe ainsi des paraphrases qui n'affectent que l'organisation syntagmatique de la phrase, sans impliquer des procédés de traduction indirects (paraphrases par permutation), d'autres entraînent des

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changements de nature quantitative (effacement, dilution, étoffement), d'autres enfin consistent en une réorganisation du schéma actanciel de la phrase. Les paraphrases indirectes reposent sur des procédés de traduction indirects tels que la transposition, l'équivalence, l'adaptation. Les différences qui séparent du point de vue structurel la phrase d’arrivée de la phrase de départ se laissent décrire en termes de composition d’opérateurs élémentaires. Selon C.FUCHS (1994 : 59), ces opérateurs sont au nombre de quatre: ajout ou effacement d’un élément en un point donné de la chaîne, déplacement d’un élément d’un point à un autre en un point de la chaîne, enfin substitution d’un élément d’un point à un autre en un point de la chaîne. Nous devons faire remarquer que ces éléments sont, dans le cas de la traduction, des hétéronymes (équivalents lexicaux), ce qui met en valeur l’interaction des faits de lexique avec la structuration syntaxique de la phrase. Le schéma suivant rend compte de ces divers types de paraphrases interlinguales:

Paraphrases 1 interlinguales

directes indirectes (sans application de procédés indirects)

(avec application de procédés indirects)

littérales non littérales par transposition par modulation (topicalisation)

par équivalence par adaptation

changement de l'ordre

séquentiel (par permutation)

réorganisation du schéma actanciel

6.3. Entre la phrase et le texte: la phrase complexe

6.3.1. Ces derniers temps, les débats autour de la phrase complexe n'ont pas manqué. À vrai dire, la définition, la classification et les descriptions des unités complexes ont toujours fait l'objet des études grammaticales, mais la discussion semble vouloir se renouveler, se poursuivant actuellement à un niveau plus abstrait, dans des perspectives théoriques qui, mettant à profit les recherches ancienne et récente, poussent les analyses plus loin que jamais auparavant. Ces discussions montrent clairement qu'au-delà de quelques idées admises par l'ensemble des grammairiens et

1 Ces différents types de paraphrases seront étudiés au chapitre consacré aux procédés

de traduction.

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des linguistes, on se trouve dans un domaine qui engage les principes mêmes de l'explication linguistique.

Pour circonscrire ce domaine une triple délimitation est nécessaire: a) la distinction entre phrase simple et phrase complexe repose sur l'opposition

un seul / deux (ou plusieurs) groupe(s) prédicatif(s), le groupe prédicatif étant l'élément central de l'unité phrastique:

(iii) Il tremble de peur. (phrase simple) (iii') Tremură de frică. (iv) Il tremble parce qu'il a peur. (phrase complexe) (iv') Tremură pentru că îi este frică. Nous devons pourtant faire remarquer que cette distinction est obscurcie par

l'existence de certains groupes prédicatifs qui ne comportent pas de verbe fini; il s'agit principalement des formes verbo-nominales (infinitif, gérondif, participe passé) qui peuvent former des prédicats et régir des déterminants spécifiques des verbes finis:

(v) Il a été puni parce qu'il a menti. (v') A fost pedepsit pentru că a minţit. (vi) Il a été puni pour avoir menti. b) La distinction entre la phrase complexe d'une part et la suite de deux (ou de

plusieurs) unités phrastiques en rapport de juxtaposition logique d'autre part met en jeu un critère de nature formelle en vertu duquel la parataxe s'oppose à l'hypotaxe: dans le premier cas, l'interprétation du rapport logico-sémantique repose uniquement sur le sens des éléments lexicaux, sur l'ordre de successivité des événements (états) rapportés et bien entendu sur le savoir partagé, tandis que dans le second, un connecteur explicite ce rapport:

(vii) J'ai mis mon manteau. Il fait froid. (parataxe) (vii') Mi-am pus paltonul. E frig. (viii) J'ai mis mon manteau parce qu'il fait froid. (hypotaxe) (viii') Mi-am pus paltonul pentru că este frig. La phrase complexe (structure hypotactique) pourrait donc être définie comme

l'unité syntaxique comportant deux (ou plusieurs) phrases reliées à l'aide d'un relateur (connecteur) qui explicite le rapport sémantique qu'elles contractent. La suite de phrases reliées du point de vue logico-sémantique (structure paratactique) constitue un texte.

c) À l'intérieur de la phrase complexe il faut distinguer entre phrase de coordination et phrase de subordination. C'est sur ce point précis que portent les débats actuels, la distinction entre connecteurs coordonnants et connecteurs subordonnants n'étant pas toujours aussi nette que les listes des grammaires traditionnelles la présentent.

Parmi les tests auxquels on fait appel pour discriminer les deux types de structures figurent principalement les suivants (M. PIOT, 1988: 5 sqq.):

a) le test de la questionnabilité Suivant ce test, la phrase introduite par une conjonction de subordination peut

apparaître en réponse à une question posée sur celle-ci, tandis que la phrase introduite par un connecteur de coordination n'est jamais questionnable. „En effet, à la question

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Pourquoi n'est-il pas venu? on ne peut répondre par *Car il était malade, alors que l'on peut répondre: Parce qu'il était malade. (M. PIOT, 1988: 6).

Il faut pourtant constater que des contraintes limitatives restreignent considérablement l'aire d'application de ce test: d'une part, il existe en français, comme en roumain, des conjonctions de subordination qui ne peuvent être utilisées dans la réponse: Pourquoi n'est-il pas venu? * Vu qu'il est malade. De ce n-a venit? * Căci este bolnav; d'autre part il y a des classes tout entières de subordonnées qui ne sont pas questionnables (les conditionnelles, les concessives etc.)

b) Le test de la permutabilité de la phrase subordonnée La phrase introduite par un connecteur de subordination peut subir des

déplacements dans la structure complexe: (ix) Il est venu bien qu'il soit malade. (x) Bien qu'il soit malade, il est venu. (ix') A venit, deşi este bolnav. (x') Deşi este bolnav a venit. Un nombre important de contreexemples viennent infirmer, dans les deux

langues, la validité de ce test: (xi) Il s'est mis à pleuvoir, si bien que nous ne sommes plus sortis. (xii) *Si bien que nous ne sommes plus sortis, il s'est mis à pleuvoir. (xi') A început să plouă aşa că nu ne-am mai dus la plimbare. (xii') *Aşa că nu ne-am mai dus la plimbare, a început să plouă.

c) Le test de la coordination des phrases introduites par des connecteurs Seules les phrases subordonnées se laissent coordonner: (xiii) J'ai mis mon duffle-coat parce qu'il pleut et parce qu'il fait assez froid. (xiv) *J'ai mis mon duffle-coat car il pleut et car il fait assez froid. (xiii') Mi-am pus jacheta căptuşită pentru că plouă şi pentru că este destul de frig. (xiv') *Mi-am pus jacheta căptuşită, căci plouă şi căci este destul de frig. (xv) Il est venu mais il ne m'a pas rapporté le livre et il est reparti tout de suite. (xvi) *Il est venu mais il ne m'a pas rapporté le livre et mais il est reparti tout de

suite. (xv') A venit dar nu mi-a adus cartea înapoi şi a plecat imediat. (xvi') *A venit dar nu mi-a adus cartea înapoi şi dar a plecat imediat.

d) Le test de la suppression du sujet coréférentiel et du verbe Là encore, nous devons constater que ce test n'est opérant que pour certaines

conjonctions de coordination: (xvii) Il est sévère mais (il est) juste. (xviii)*Il ne vient pas trop souvent parce que / car n'a pas le temps. Ce qui plus est, la suppression du sujet coréférentiel ne se pose pas pour le

roumain du fait du caractère non obligatoire de la présence du sujet (le roumain est une langue à sujet vide):

(xviii') Nu vine prea des pentru că n-are timp. e) Le test de la substitution d'un connecteur par une Pro-conjonction

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Dans une suite de phrases subordonnées rattachées par et, le deuxième connecteur de subordination peut être remplacé par que:

(xix) Si ça t'interesse et que tu veuilles venir avec nous, tu peux. (D.F.L.E.)

En roumain, la conjonction de subordination redondante est tout simplement effacée (Pro-conjonction vide):

(xix') Dacă te interesează şi vrei să vii cu noi ne face plăcere. Comme il résulte de l'examen des structures complexes, on ne peut tirer des tests

mentionnés des conclusions très sûres en faveur du choix de certaines propriétés générales, Les données semblent plutôt capricieuses, chaque connecteur ayant des comportements particuliers. Cette impression est renforcée par la confrontation des deux langues. Seuls les tests de la coordination et de la substitution du deuxième connecteur par un Pro-connecteur semblent être d'une portée plus générale, si nous admettons qu'il existe en roumain une Pro-conjonction zéro (non segmentale).

6.3.2. Pour délimiter les grandes catégories de phrases subordonnées on a eu recours au critère de la non dépendance sémantique de la phrase introduite par un connecteur dit de subordination. En vertu de ce critère on distingue:

• les subordonnées dépendantes d'un constituant déterminé de la phrase régissante:

– propositions dépendant d'un constituant nominal: relatives ou complément du nom

– propositions dépendant étroitement du thème du verbe régissant: complétives • les subordonnées non dépendantes qui ne sont régies par aucun constituant

particulier de la proposition régissante: les circonstancielles. La grammaire de la traduction impose que l'on étudie d'abord les contraintes qui

pèsent sur la structuration de la phrase complexe qui peuvent être différentes dans les deux langues engagées dans l'acte traductif. Dans le cas des propositions dépendantes, ces contraintes ont trait à la nature de l'élément régissant, dans celui des propositions circonstancielles, ces contraintes sont relatives à la nature du connecteur qui devient l'élément régissant du transfert. Il détermine l'hétéronymie du connecteur cible et le choix de la forme verbale du prédicat régi.

L'analyse parallèle de la structuration que peut prendre la phrase subordonnée met bien en lumière un certain nombre de propriétés spécifiques importantes pour le transfert; il s'agit principalement de l'identité / non identité référentielle des deux sujets:

(xx) încercă să citească adevărul în ochii lui. (xx') Il essaya de lire la vérité dans les yeux de Puiu.

(L. Rebreanu, I 11-9) (xxi) Degetele îi înmuiaseră ţigara şi după ce trase cîteva fumuri, o aruncă imediat. (xxi')Les doigts avaient mouillé sa cigarette. Après en avoir tiré quelques bouffées, il la jeta, dégoûté.

(T. Popovici, 211-271) ou bien d'une divergence dans l'emploi de la forme verbale du prédicat régi:

(xxii) Dacă aş fi avut tată aşa s-ar fi purtat cu mine.

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(xxii') Si j'avais eu un père, c'est ainsi qu'il aurait été pour moi. (T. Popovici, 215-269)

(xxiii) Deşi nu-s judecător de instrucţie, trebuie să cunosc împrejurările. (xxiii') Bien que je ne sois pas juge d'instruction, je dois connaître les

circonstances. (L. Rebreanu, I, 40-28)

Dans le domaine de la phrase complexe, nous avons vu que les solutions diffèrent d'après la nature de la subordonnée: si dans le cas des propositions dépendantes c'est le rapport entre le constituant régissant et la subordonnée qui doit être pris en compte, dans le cas des propositions non dépendantes, deux voies de recherche s'ouvrent devant le traductologue:

a) comparer les propriétés syntaxiques des connecteurs, ce qui conduirait à un regroupement parallèle suivant le régime qui les caractérise;

b) étudier dans le cadre d'une relation logico-sémantique donnée (condition, cause, effet, concession, opposition, supposition etc.) les particularités syntactico-sémantiques et pragma-sémantiques des connecteurs.

Or, si nous partons de l'idée que c'est le connecteur qui est l'élément central autour duquel s'articule la phrase complexe non dépendante et si les connecteurs se regroupent en familles, il semble légitime d'opter en faveur de la seconde solution. Avant même de se demander si les propriétés grammaticales du connecteur sont correctement analysées, il faut savoir quelle est la nature de la relation entre ces propriétés et leurs caractéristiques pragma-sémantiques, plus facilement compara-bles. La comparaison et la traduction de la phrase complexe à connecteur de subordination spécifique s'effectuera en deux étapes:

a) la constitution des ensembles hétéronymiques des connecteurs; b) l'examen comparatif du régime de ces connecteurs regroupés en familles

pragma-sémantiques. Bien entendu, les connecteurs peuvent se trouver dans une relation indirecte qui

exprime une réorientation sémantique et une réorganisation syntaxique: (xxiv) Iubitul meu, e fără îndoială o eroare la mijloc, sau o răutate din partea

lui Tilibiliu. (xxiv') Mon amour, il s'agit d'une erreur, à moins que Tilibiliu n'ait fait une saleté.

(G. Călinescu, 382-390)

6.4. L'interface phrase-texte Nous sommes d'avis que les délimitations établies entre les différents niveaux

phrastiques (phrase simple, phrase complexe, interphrases) sont significatives pour la traduction:

a) elles permettent de tracer la frontière entre ce qui est inscrit dans le code et ce qui peut faire l'objet du choix du traducteur;

b) elles permettent de saisir dans leur variété les types de transcodages, en fournissant un cadre général pour l'étude des paraphrases, tant directes qu'indirectes;

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c) elles permettent de mettre en relation des unités syntaxiques de niveau et de structuration différents:

• phrase simple - phrase complexe:

(xxv) Cu toată purtarea sa rezervată, nu putea scăpa de familiarităţile celor din cartier. (xxv') Si réservé qu'il fût, les gens du quartier devenaient familiers.

(G. Călinescu, 624-617) (xxvi) Dar cine a debarcat măcar un ceas aici, pe limba asta îngustă de pămînt,

înţelege prea bine importanţa şi raritatea cazului. (xxvi') Mais quiconque a débarqué, ne fût-ce qu'une heure, sur cette étroite

langue de terre, comprend parfaitement que c'était là un fait important et inusité... (J. Bart, 86-92)

(xxvii) Să nu fi fost noapte, n-aş fi aşteptat pe sir Aubrey, nu! (xxvii') Oh non, sans la nuit je n'aurais jamais attendu sir Aubrey.

(M. Caragiale, 52-103) (xxviii) Mort de groază, Gheorghe începu să urle ca înjunghiat. (xxviii')Terrifié, Gheorghe se mit à hurler comme si on l'avait égorgé.

(T. Popovici, 601-641)

• structure de coordination - structure de subordination:

(xxix) Deşi era doar la mijlocul lui mai, i se părea că trotuarul dogorea ca în timpul verii.

(xxix') On n'était encore qu'au milieu de mai et pourtant il lui semblait que le trottoir répandait une chaleur brûlante comme en plein été.

(M. Eliade, 210-253) (xxx) Locuinţa era demodată, avea totuşi saloane mari... (xxx') Tout démodé qu'il fût, l'appartement avait plusieurs salons spacieux...

(G. Călinescu, 383-391)

• structure de subordination - structure paratactique: (xxxi) Numai o dată bate norocul la uşa omului... Numai să ştie să-i dea drumul la vreme... (xxxi') La chance ne frappe à votre porte qu'une seule fois. Il suffit d'ouvrir l'huis

au bon moment. (J. Bart, 20-13)

Les affinités pragma-sémantiques entre ces divers moyens sont telles qu'on s'exposerait à de graves inconvénients en voulant les séparer. Si nous l'avons fait, par des délimitations successives, c'est parce que nous avons voulu accorder à des procédures de mise en relation la portée d'une analyse partielle qui ne peut acquérir sa véritable valeur et atteindre à l'efficacité que si elle est intégrée à un examen de l'ensemble des moyens de mise en équivalence.

6.5. Conclusion

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La traduction montre des structurations dont la complexité permet d'aborder sous un angle nouveau les fonctionnements de la langue. L'analyse des textes bilingues s'attache en premier lieu à mettre en évidence les analogies structurelles, ce qui conduit à les situer par rapport à la catégorie „phrase”. C'est pour cette raison que l'analyse phrastique vient en tête, mais les méthodes modernes centrées sur le sens des énoncés occupent à l'heure actuelle une place prépondérante.

Au moment où foisonnent les travaux sur l'énonciation et le discours, il convient d'attirer l'attention sur la difficulté qu'il y a à aborder le domaine du niveau phrastique autrement que dans une perspective sémantique englobante. Le problème essentiel est celui de l'intégration de l'analyse centrée sur le statut morpho-syntaxique de la phrase à une analyse portant sur l'énoncé et sur les relations qu'il entretient dans le cadre du discours. L'analyse phrastique est la condition nécessaire permettant un développement sûr des analyses qui embrassent d'autres niveaux.

Si l’on ne peut parler de relation paraphrastique à un niveau inférieur à la paraphrase, en échange la paraphrase déborde largement les limites de l’unité phrastique, en débouchant sur le texte. Il est donc justifiable de parler de relations paraphrastiques entre des unités de taille croissante, depuis la phrase jusqu’au texte, en passant par la phrase complexe.

La maîtrise de la paraphrase fait partie de la compétence du traducteur, qui doit savoir reformuler en langue cible l’unité de la langue de départ, en assurant ainsi l’équivalence sémantique requise par la traduction.

SUJETS DE DEVOIRS

• Quel est le statut de la phrase dans l'opération traduisante? • Trouvez des exemples:

- de traductions directes littérales - de traductions directes non littérales (avec modification de l'ordre

séquentiel; analysez les conséquences pour la signification de la phrase de ces modifications).

• Trouvez des exemples français pour chacune des catégories de subordonnées et traduisez-les en roumain en spécifiant les contraintes qui agissent dans chacune des deux langues.

• Établissez un inventaire parallèle de connecteurs pour une zone conceptuelle de votre choix.

• Étudiez le changement du niveau syntaxique dans les traductions suivantes: Cu tot planul făcut în grabă se simţea încurcat.

(J. Bart)

Bien qu'il eût dressé rapidement son plan, il se sentait un peu gêné...

Oameni care simulau nebunia ca să nu ... de gens qui simulaient la folie pour ne

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fie trimişi pe front... (T. Popovici)

pas être envoyés au front.

Cînd auzi glasul tatălui său, Puiu se simţi mai zdrobit.

(L. Rebreanu)

En entendant la voix de son père, Puiu se sentit encore plus anéanti.

Sînt aşa trist, tată, că nu pot fi şi eu măcar la înmormîntare.

(L. Rebreanu)

Je suis si triste de ne pouvoir aller au moins à l'enterrement.

Fiind primul bal, va fi relativ puţină lume.

(L. Rebreanu)

Comme c'est le premier bal, on dit qu'il y aura relativement peu de monde.

Dascălul fusese de părere să nu trimită pe băiat acasă, de frică să nu fugă în altă parte.

(G. Călinescu)

Le chantre préférait ne pas renvoyer le garçonnet chez lui, de peur qu'il ne refît une fugue.

Vom face în aşa fel să nu ne stînjenim. Baia o poţi lua oricînd între orele şapte dimineaţa şi nouă; te rugăm numai să ne comunici ora exactă, spre a o ţine liberă.

(G. Călinescu)

Nous nous arrangerons pour ne pas vous déranger. Vous pouvez prendre votre bain entre sept et neuf heures du matin. Indiquez-nous simplement votre heure, afin que la salle de bain ne soit pas occupée.

Strada Rahmaninov era la capătul ei dinspre lacuri un simplu drum de ţară mergînd între un mal de lut şi un şir de castani înalţi, pe lîngă care se întindeau gardurile unor case de pe străzile perpendiculare răspunzînd spre lacul Floreasca – şi zidurile cu ferestre mici ale unui fost grajd de cai de curse. Adesea, mormane de fîn şi de gunoaie umpleau aerul cu un miros hibrid de iarbă cosită şi de putrefacţie acră. (…) Malul de lut din partea opusă şirului de castani era acoperit vara cu buruieni, pe care le păşteau vitele locuitorilor de prin împrejurimi. Deasupra dîmbului şedea dezolată ruina roşie a unei case neterminate.

(G.Călinescu)

Du côté des lacs, la rue Rachmaninov finissait en chantier vicinal serpentant entre la berge et une rangée de hauts marronniers qui longeaient les clôtures des maisons situées dans les rues perpen-diculaires (ayant vue sur le lac de Floreasca) et les murs percés de petites fenêtres d’une ancienne écurie de courses. Souvent, de grands monceaus de foin et d’ordures répandaient des odeurs mélan-gées d’herbe fauchée et de putrefaction. (…) Face aux marronniers, la rive était envahie pendant l’été d’herbes folles qu’allaient brouter les bêtes des habitants du quartier. Sur une éminence, se dressaient, désolées, les ruines d’une maison inachevée.

Prinţesa, care deşi mamă adoptivă, din pudoare îi recomandase să-i

La princesse, qui toute mère adoptive qu'elle était lui avait par

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spună „tanti”... (G. Călinescu)

pudeur demandé de l'appeler „ma tante”...

Cînd însă lua condeiul să scrie debita naivităţi exasperante.

(G. Călinescu)

Saisissait-il la plume, il écrivait d'exaspérantes pauvretés.

Dacă el însă nu destăinuia nimic apoi eu îl întrebam şi mai puţin şi presupun că tocmai asta a fost pricina că am legat prieteşug.

(M. Caragiale)

Mais s'il ne s'ouvrait en rien, de mon côté je le questionnais moins encore et je suppose que ce fut justement la raison de notre amitié.

• Étudiez les opérateurs paraphrastiques (ajouts, suppression, déplacement, substitution) dans la traduction suivante.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES CRISTEA, T., 1988 - „Jalons pour une étude contrastive de la phrase complexe”, in Limbile

moderne în şcoală, II, p. 38-48. DUCROT, O., 1980 - Les mots du discours, Paris, Les Éditions de Minuit FUCHS, C., 1994 – Paraphrase et énonciation, Paris, Orphrys. PIOT, M., 1988 - „Coordination - subordination. Une définition générale”, in Langue

Française, no. 77, p. 5-18.

7. L'UNITÉ DE TRADUCTION TEXTUELLE

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Le premier des principes, en grammaire de texte, c'est de se dégager des détails. Il faut donc prendre un point de vue dominant, faire l'hypothèse qu'un acte de discours est un acte de communication, qui pour être interprété adéquatement, doit être replacé dans un ensemble signifiant global qui ne peut être que le texte.

(JACQUES CORTÈS)

7.1. Micro- et macro-structure dans l'acte traductif

L'hypothèse de base de ces remarques est que la traduction s'effectue par masses croissantes: elle implique tout un système hiérarchisé d'instructions de transfert. Ces instructions sont portées d'abord par les éléments infra-phrastiques, ensuite par la phrase, d'autres enfin sont confiées aux relations transphrastiques, qu'il s'agisse de relations interphrastiques ou de relations entre séquences textuelles. L'acte traductif se réalise donc d'abord au niveau micro-structurel (successivité des phrases en séquence), ensuite au niveau macro-structurel (relations entre séquences constitutives du texte), par référence à sa globalité (M. CHAROLLES, 1978: 13).

Si l'on accepte l'idée que le texte est un macro-signe doté d'un signifié, d'un signifiant et d'un référent (L. LUNDQUIST, in CORTÈS, 1985: 30), la question qui se pose est: de quelle manière deux macro-signes appartenant à deux langues différentes peuvent être mis en relation de traduction. Question d'autant plus brûlante qu'elle entraîne toute une série de questions subsidiaires, concernant les étapes possibles de l'intégration.

Comme toute unité de traduction, le texte est un concept à deux visages, en miroir: le texte cible doit reproduire les mêmes relations que celles qui existent dans le texte source, au prix de certains ajustements. Schématiquement, ceci pourrait être représenté comme suit:

Se = Se' Sa R Sa'

Ce schéma appelle quelques précisions: • le référent R – commun aux deux langues – est transmis par le co-texte qui

assume le rôle que le contexte joue dans le discours; ce sont des indications qui ne peuvent pas être dissociées de leur environnement. S'il n'en était pas ainsi on ne pourrait pas expliquer une traduction dans laquelle les signifiants sont en correspondance référentielle et non en équivalence hétéronymique, comme dans le texte suivant:

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(i) Atmosfera din casa dascălului este cuceritoare, copilul poate fi uşor de cîştigat, deci în acelaşi timp pierdut pentru lumea lui, spre supărarea prinţesei.

(i') À son avis, il régnait chez les Petresco une ambiance si agréable que le garçonnet risquait d'en subir la séduction et de s'expatrier de son milieu, au désespoir de la princesse.

(G. Călinescu, 23-22) Ce n'est que par référence au texte que l'on a pu établir l'équivalence ci-dessus.

Nous sommes en présence d'une anaphore associative interlinguale. • les signifiés Se et Sé sont reliés par une correspondance qui va de l'identité au

recouvrement partiel, vu que le signifié connaît une configuration spécifique dans chaque langue;

• les signifiants Sa et Sa' sont distincts sur le plan linguistique. L'analyse des éléments constitutifs du texte fait émerger l'existence d'un donné

agencé selon des règles spécifiques, les méta-règles de cohérence textuelle (M. CHAROLLES, 1978). L'interdépendance structurelle des différentes parties du texte devient directement parceptible grâce aux éléments cohésifs, qui demandent à être transférés dans le texte cible.

7.2. Cohérence textuelle et traduction

Les instruments les plus importants de la cohérence linéaire du texte sont les diaphoriques, qui sont soit des formes prospectives (cataphoriques), soit des formes rétrospectives (anaphoriques).

Le Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage de O. DUCROT et T. TODOROV (1977) propose pour l'anaphore la définition suivante: „un segment de discours est dit anaphorique lorsqu'il est nécessaire pour lui donner une interprétation (même simplement littérale) de se reporter à un autre segment du même discours.” À première vue simple et claire, cette définition se révèle à un examen plus attentif assez inopérante, vu qu'un très grand nombre d'éléments textuels ont besoin pour être interprétés d'un support contenu dans le texte. En discutant les points névralgiques de cette définition, L. TASMOWSKI (1994) en propose une autre plus rigoureuse parce qu'elle fait intervenir l'idée de référence: „L'anaphore est une expression linguistique incapable de fixer son référent de façon autonome. L'établissement du référent de l'expression anaphorique doit se faire par le biais du référent d'une autre expression linguistique présente dans le contexte.”

En tant que relation entre deux segments de la chaîne verbale co-référents, l'anaphore est redondante pour autant que l'information nouvelle qu'elle transmet est nulle ou presque. Son rôle est double: réaliser une économie et assurer la cohérence du texte.

L'instrument de l'anaphore, l'anaphorique appartient à des classes taxinomiquement fort différentes: reprises de toutes sortes, pronoms ou verbes, définitivants, substitutions lexicales etc.

L'anaphorique peut appartenir à la même phrase que le segment auquel il réfère (anaphore intraphrastique) ou à deux phrases (anaphore interphrastique) et même à

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plusieurs phrases (relais anaphorique). Dans l'analyse de l'unité de traduction textuelle c'est le deuxième type d'anaphore qui intéresse en tant qu'instrument de concision et de cohésion. „Contrairement à ce qui se passe au niveau intraphrastique, où la définition d'anaphore en termes grammaticaux stricts entraîne une délimitation rigide de la catégorie, on constate que la définition d'anaphore au niveau transphrastique se fait en termes de sémantique et de pragmatique. On a vu que l'anaphore est une expression dont le pouvoir référentiel est plus ou moins réduit et dont la saturation référentielle se fait à l'aide d'une source. Dans cette conception, toute expression qui en contexte n'est pas auto-suffisante du point de vue référentiel entre en ligne de compte. Il n'existe donc pas de classe regroupant les anaphores et on y retrouve aussi bien des pronoms clitiques que des syntagmes définis ou démonstratifs, certains indéfinis, ou encore des adverbes et des morphèmes temporels. La notion d'anaphore transphrastique est ainsi devenue une notion contextuelle: c'est en contexte que l'on peut décider si oui ou non une expression est anaphorique” (L. TASMOWSKI, 1994).

Pour pouvoir capter dans une grammaire de la traduction cette relation détectable intuitivement à l'intérieur d'une langue L, il faudrait découvrir les conditions qui permattraient d'affirmer que le segment B reproduit la signification (ou une partie seulement de la signification) du segment A du texte source et que son équivalent B' reproduit la signification du segment A' du texte cible. Il en résulte un dédoublement du rapport entre les deux segments qui contractent la relation anaphorique dans les deux langues. Ces mécanismes associatifs pourraient être représentés de la manière suivante:

T T' A R B A' R B' où T = texte source T' = texte cible R = relation anaphorique B = anaphorique de A B' = anaphorique de A' B, B' = anaphoriques équivalents interlinguaux Ce dedoublement vérifie le rapport de transitivité qui existe entre les anaphores

des deux langues engagées dans la traduction: si B est l'anaphorique de A et B' l'anaphorique de A' et si A et A' sont en rapport d'équivalence, B et B' le sont aussi, quelle que soit la forme de leur réalisateur.

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Le schéma d'une telle représentation est celui d'un déploiement où l'on va des unités homogènes (transfert direct) vers la multiplicité différenciée des actualisations contextuelles.

7.2.1. L'anaphore pronominale est réalisée soit par des substitutions lexicales soit par des substituts de nature très diverse. Le rapport B - B' peut être:

• une traduction directe: – substitut segmental dans les deux textes: (ii) Courbet. Il n'y a que lui. Le plus grand. Moi je le dis. (ii') Courbet. Nu există decît el. Cel mai mare. Eu o spun.

(N. Sarraute, 9-12) (iii)Gore îşi rezemase bărbia în palmă, zîmbitor. Urmărea cu interes mişcările

cîrciumarului. îl văzu cum îşi alege un pahar de sub tejghea, şi îl clăteşte mult, cu grijă, ridicîndu-l necontenit în dreptul ochilor. Cu el în mînă se îndreptă spre masă...

(iii')Gore souriait, le menton appuyé sur sa main. Il suivait les mouvements du patron avec beaucoup d'intérêt. Il le vit choisir un verre sous le comptoir, le rincer à grande eau, bien soigneusement, en l'élevant plusieurs fois à la hauteur des yeux. Le verre à la main, le patron se dirigea vers la table...

(M. Eliade, 241-242) – substitut implicite (anaphore vide) dans les deux textes: (iv) – Să-ţi spun o noutate interesantă, zise Vasilescu-Lascaris. – Spune. (iv') – J'ai des nouvelles intéressantes, dit Vasilescu-Lascaris. – Dites - toujours.

(G. Călinescu, 33-29) • une traduction indirecte, obligatoire ou optionnelle On peut distinguer deux sous-types essentiels de traductions qui mettent en

équation des unités appartenant à des espèces de mots différentes. Le premier de ces transcodages engage des substituts anaphoriques de nature

différente, mais explicites tous les deux: (v) – E un lucru precis, zicea madam Farfara, ştiut de toată lumea. De altfel

şi de n-ar fi, nu importă, prinţesa a adoptat un copil care este afin cu neamul hangierlesc.

– Chestiunea aceasta n-am înţeles-o, deşi am auzit-o. Te rog să-mi explici cum. (v') – C'est le secret de polichinelle, répondit Madame Farfara. Aucune impor-tance d'ailleurs, la princesse a adopté un enfant apparenté aux Handjerly.

– On me l'a déjà dit, mais je n'y ai rien compris. Pouvez-vous me l'expliquer? (G. Călinescu, 21-17)

L'analyse comparative des deux textes ci-dessus met en évidence les

transferts suivants: - substitut lexical (chestiunea aceasta) avec reprise par pronom (-o) dans le texte

source - substitut de macrosegment (le) dans le texte cible;

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- substitut anaphorique interphrastique objet direct (-o) en roumain - substitut anaphorique objet prépositionnel (y) en français, équivalence dictée par le régime différent des deux verbes hétéronymes a înţelege - comprendre;

- anaphorique adverbial (cum) en roumain - substitut de macrosegment en français (l').

D'autres exemples font voir des correspondances dictées par les caractéristiques syntactico-sémantiques des antécédents dans les deux textes; une équivalence des anaphoriques en dehors de la relation qu'ils contractent avec leurs antécédents n'est pas possible.

(vi) Rari fulgi de zăpadă începură să pice şi cîrduri de ciori să fîlfîie prin aer, trecînd din copac în copac, în aşa fel încît unii arbori desfrunziţi se umpleau de ciudate fructe negre, în vreme ce alţii le pierdeau.

(vi') Quelques rares flocons de neige se mirent à tomber, des vols de corbeaux traversaient l'air pour se poser de branche en branche; on voyait ainsi des arbres se couvrir d'étranges fruits noirs, tandis que d'autres en étaient dépouillés.

(G. Călinescu, 26-22) D'autres traductions indirectes impliquent la mise en équivalence d'un élément

lexical réitéré (ayant son propre référent) avec un substitut anaphorique: (vii) Rămîne să te creadă cineva, i-am dat eu peste nas. Zice că nu obligă pe

nimeni să-l creadă. (vii') Il te reste à le faire croire, lui ai-je dit pour rabattre son caquet. Il prétend

n'y obliger personne. (P. Pardău, 117-21)

Dans d'autres cas, lorsque le traducteur a considéré que l'antécédent n'était pas assez focalisé, il l'a restitué dans le texte cible, l'unité étant ainsi étoffée par l'introduction d'un élément lexical inféré:

(viii) – Dacă n-au venit, nu mai vin, spuse aşezîndu-i carafa în faţă. E aproape douăsprezece...

(viii') –Puisqu'ils ne sont pas à l'heure qu'il est, les avions, c'est qu'ils ne viendront plus, dit-il en posant devant son client une carafe pleine. Il est presque midi.

(M. Eliade, 240-241) La diversité de ces traductions, dont quelques unes sont optionnelles, montre que

le passage d'une langue à l'autre est une zone où le jeu anaphorique est très souple, le traducteur disposant de multiples possibilités de réaliser l'isotopie des deux textes en présence; la seule contrainte qui agit dans ce cas est la reproduction de la relation anaphorique du texte de départ.

Dans ce qui suit, nous nous proposons d'aborder l'analyse comparative d'un type spécial d'anaphore sous l'angle de la mise en equivalence: l'anaphore vide. C'est un type particulier de traduction indirecte que nous avons désigné par le terme de anaphore à éclipse. Nous entendons par là une correspondance qui engage une anaphore vide dans une langue et une anaphore segmentale dans l’autre langue, ce qui pourrait être représenté comme suit:

L L'

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anaphore vide anaphore vide anaphore segmentale anaphore segmentale Plusieurs hypothèses sur les anaphoriques nuls (vides) ont été émises en

grammaire générative (T. WASOW, 1979) ou dans une perspective textuelle (L. TASMOWSKI, 1994). La présence d'un anaphorique segmental dans le texte cible là où dans le texte source il y a un anaphorique zéro (nul) ou inversement s'expliquerait par deux facteurs qui relèvent de deux niveaux d'analyse, mais qui peuvent agir conjointement:

– le niveau contrastif des contraintes syntactico-sémantiques agissant à l'inté-rieur de chacune des deux langues;

– le niveau textuel de la traduction: la nécessité de rendre explicite le texte d'arrivée.

Aux contraintes spécifiques des deux langues engagées dans la traduction viennent s'ajouter celles de la reproduction aussi exacte que possible des relations entre les phrases constitutives de la séquence S par la séquence S'.

Parmi les traits distinctifs qui peuvent déterminer une lexémisation anaphorique divergente il semble que l'on doive retenir:

– la sous-catégorisation des éléments verbaux hétéronymiques en contexte; – la cohésion des constituants de la phrase; – l'accès à l'antécédent de l'anaphore, accès qui peut être plus ou moins facile en

contexte. Les verbaux, tant verbes qu'adjectifs, se laissent diviser en français en catégories

distinctes d'après la nature du déterminant qu'ils impliquent ou qu'ils admettent et la réalisation de ce déterminant. On constate une certaine complémentarité entre le trait sémantique inhérent du verbal et le trait syntagmatique: un verbal non déterminé sur le plan sémantique s'accompagne obligatoirement d'un déterminant explicité dans la chaîne verbale. Il n'en est pas moins vrai que dans certaines situations énonciatives ou dans certains contextes ce déterminant peut rester implicite. Nous sommes en présence d'un anaphorique vide. Ainsi, une classe assez vaste d'unités verbales peuvent ne pas expliciter leur déterminant anaphorique, l'antécédent étant fourni par le co-texte. Il s'agit de verbes performatifs tels que: j'accepte, je refuse ou de verbes d'opinion employés aux personnes du dialogue: je comprends, je crois, je pense, je sais, je vois, vous comprenez?, vous trouvez?, vous voyez? etc., ces derniers énoncés assurant la fonction de connecteurs de coopération:

(ix) – Dar nu sînt bolnavă, înţelegi? (ix') – Mais je ne suis pas malade, comprenez-vous?

(D.R. Popescu, 28-343)

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(x) Je crois que ça ne vaut absolument rien... Mais rien, hein? Zéro. Non? Vous n'êtes pas d'accord? (...) Non? Vous ne trouvez pas? (x') Cred că n-are nici o valoare... Dar nici una, nu? Zero. Nu? Nu sînteţi de

acord? (...) Nu? Nu credeţi? (N. Sarraute, 133-90)

Dans certains autres cas, c'est le contexte de l'injonction qui facilite et oriente l'accès à la source anaphorique:

(xi) – Cine e? – Eu, deschide. (xi') – Qui est là? – C'est moi, ouvre.

(D.R. Popescu, 12-333) Dans un très grand nombre de cas, l'anaphorique nul du roumain réapparaît sous

la forme d'un anaphorique segmental en français. Plusieurs espèces de substituts sont impliqués dans ce genre de traduction: (1) Roum. Fr. ∅ le (substitut de macrosegment) (xii) – Tata a zis, nu eu. (xii') – C'est papa qui l'a dit, pas moi.

(D.R. Popescu, 15-340) (xiii) Ştie că vreau să-l trimit în linia întîi. Ştie. (xiii') Il sait que je veux l'envoyer en première ligne. Il le sait.

(P. Pardău, 117-21) La même équivalence joue pour la cataphore: (xiv) Pentru că Gigi chéri, acum pot să-ţi mărturisesc. De mult aşteptam acest

eveniment ca pe ceva fatal. (xiv') Parce que, Gigi chéri, je puis maintenant te l'avouer: voilà bien longtemps

que j'attendais cet événement qui devait fatalement se produire. (G. Călinescu, 76-73)

Nous devons observer que dans le passage du français au roumain, il y a souvent transcodage direct, le substitut segmental étant conservé en roumain:

(xv) Nous sommes frères, n'est-ce pas, je le sais... (xv') Sîntem fraţi, nu-i aşa, o ştiu.

(N. Sarraute, 16-17) À plus forte raison, si le substitut de macrosegment figure en roumain il est

reproduit exactement en français suivant la correspondance directe o - le: (xvi) – S-a mutat după bombardament, începu el. – Bine, asta ştiu, îl întrerupse Gore. Mi-ai mai spus-o. (xvi') – Il a déménagé après le bombardement, commença-t-il. – Bon, j'ai compris, interrompit Gore. Vous me l'avez déjà dit.

(M. Eliade, 247-249)

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Le substitut le est obligatoire en français comme anaphorique d'un prédicat nominal, tandis que le roumain exclut tout anaphorique segmental dans ce cas:

(xvii) Mais je suis polie. Je le serais peut-être moins si toi... (xvii') Dar sînt politicoasă. Aş fi poate mai puţin dacă tu...

(N. Sarraute, 10-13) (2) Roum. Fr. ∅ faire + le Le français dispose d'un substitut de macrosegment complexe constitué du pro-

verbe faire accompagné obligatoirement du pronom le, tandis que le roumain se sert d'un anaphorique nul:

(xviii) Fu chemat mai tîrziu, probabil după ce doctorul isprăvi toate vizitele. Acum însă a aşteptat liniştit, nu ca rîndul trecut.

(xviii') De nouveau il fut appelé tard, après les visites. Mais cette fois-ce il attendit tranquillement qu´on le fît.

(L.Rebreanu, 125-28) Le substitut ∅ en roumain peut avoir comme équivalent le substitut en, auquel

cas la traduction dépend de l'identification de la fonction du déterminant verbal qui joue le rôle d'antécédent:

• locatif du point de départ: – spatial (ablatif ou élatif) (xix) ... se trezi înfundat pînă la genunchi într-o băltoacă verzuie, cleioasă. Ieşi,

căţărîndu-se. (xix') ... il se trouva tout à coup enfoncé jusqu'aux genoux dans un bourbier

verdâtre et gluant. Il en sortit en grimpant. (T. Popovici, 283-293)

– spatialisé: (xx) După ştampilele poştale şi datele de pe scrisori căuta să întocmească o hartă

a drumurilor şi sentimentelor lui Ulise. Ieşea un desen straniu în afara timpului şi a spaţiului.

(xx') ... elle essayait, grâce aux cachets de la poste et à la date des lettres de dresser une carte des routes et des sentiments d'Ulysse. Il en résultait un dessin étrange hors du temps et de l'espace.

(P. Pardău, 99-7) – idéalisé: (xxi) – Eşti Ulise. Tu eşti Ulise, nu-ţi dai seama? (xxi') – Tu es Ulysse, tu es Ulysse, ne t'en rends-tu pas compte?

(P. Pardău, 101-8) (xxii) – Ei, domnule Faranga, sper că foarte curînd calvarul dumitale se va sfîrşi

(...) Cum, nu te bucuri deloc? (xxii') – Eh bien, monsieur Faranga, j'espère que votre calvaire s'achèvera

bientôt. (...) Comment, vous ne vous en réjouissez pas? (L. Rebreanu, I, 116-77)

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Comme on le voit par les exemples ci-dessus, ce n'est que le trait de l'hétéronyme verbal du français qui impose le choix du substitut anaphorique, mais il est toujours segmental, les rapports entre le verbe et son déterminant étant plus cohésifs en français qu'en roumain.

• objet direct partitif (ablatif abstrait d'extraction) L'inverseur de totalité est en roumain un anaphorique nul: (xxiii) – Ce-aveţi de mîncare pe ziua de azi? întrebă el deodată. – Varză cu carne. – Adu-mi o porţie dublă... (xxiii') – Qu'est-ce que vous me pouvez servir? – De la choucroute et du rôti. – Apportez-m'en une double portion...

(M. Eliade, 249-251) (xxiv) – Ţi-am încălzit nişte lapte, vrei să bei? (xxiv') – Tenez, je vous ai fait chauffer du lait, voulez vous en boire?

(D.R. Popescu, 27-347) (xxv) – Dacă găseşti în altă parte mai ieftin, încheie tratativele madam Farfara,

foarte bine. (xxv') – Essayez toujours d'en trouver à un meilleur compte, dit madame Farfara,

ce qui mettait fin aux pourparlers. (G. Călinescu, 32-28)

• instrumental: (xxvi) Matei Basarab înaintă spre groapă cu acordeonul înaintea pieptului şi

începu să cînte. (xxvi') ... il cala son instrument sur la poitrine et se mit à en jouer.

(G. Călinescu, 23-24) (xxvii) Apoi scoase o batistă colorată din buzunarul hainei şi începu să se

şteargă, absent, pe frunte. (xxvii') Puis il tira de sa poche un mouchoir aux couleurs vives et s'en épongea le

front d'un air absent. (M. Eliade, 240-241)

(4) Roum. Fr. ∅ y Le substitut anaphorique y du français peut expliciter une détermination spatiale

ou spatialisée implicite (à anaphorique nul) en roumain. Dans le cas des verbes de déplacement, l'interprétation essive ou allative du substitut nul est assurée par le seul thème verbal:

(xxviii) – Am fugit, da, am fugit. Şi am stat ascuns în sat. Şi o să mai stau. (xxviii') – Oui, j'ai filé. Et je suis resté caché ici, au village. Et j'y resterai encore.

(D.R. Popescu, 14-339) (xxix) – De ce n-ai venit ieri la înmormîntare? întrebă el

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– Oh, răspunse doctorul trist ironic, fiindcă n-am fost invitat. (xxix') – Pourquoi n'êtes-vous pas allé à l'enterrement hier? – Oh, répliqua le médecin avec une ironie triste, personne ne m'y a invité.

(G. Călinescu, 30-32) (xxx) Ajungînd în stradă, îl întîmpină căldura dulce a amiezii de mai. Mirosea a

trandafir sălbatec şi a moloz. (xxx') Dans la rue l'accueillit la douce odeur de midi, en plein mois de mai. Il y

régnait une odeur de plâtras et de roses sauvages. (M. Eliade, 241-242)

(5) Roum. Fr. ∅ substitut adverbial (xxxi) Penelopa îl bănui de o îndepărtată origine laponă, dar socoti că nu face

să-l întrebe. (xxxi') Pénélope soupçonnait en lui une lointaine descendance lapone, mais elle

estima qu'il ne seyait pas de le questionner là-dessus. (P. Pardău-8)

L'analyse des opérations traduisantes telles qu'elles se manifestent dans les textes bilingues peut mettre en relief les mécanismes d'association sémantico-syntaxique entre deux constituants, dont l'un est l'antécédent (la source) qui commande et l'autre, l'anaphorique commandé. L'anaphore s'actualise dans les deux langues par des éléments différents. Nous avons dégagé quelques types généraux de mise en équivalence anaphorique que nous ne considérons pas comme une simple correspondance de termes, mais comme une reproduction, plus ou moins fidèle, d'une relation à la fois syntactico-sémantique et discursive.

La variété des actualisations possibles révèle des correspondances récurrentes, parmi lesquelles la plus saillante, dans le cas des anaphoriques interphrastiques, semble être celle des anaphoriques à éclipse. Cette relation pourrait être représentée comme suit:

anaphorique lexical substitut

langue (itératif) segmental nul Roumain a b c Français a' b' c'

Les traductions indirectes, qui semblent être la règle, sont illustrées par les

exemples suivants: (a) a - b' (xxxii) El aştepta cu un pachet de veşminte bisericeşti în braţe. Seminaristul slab

se repezi să ia pachetul... (xxxii') Le bras chargé d'ornements sacerdotaux, il attendait. Le séminariste

maigre s'empressa de s'en saisir...

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(G. Călinescu, 26-22) (b) c - b' (xxxiii) – Anastasio, acolo îl duseră, nu te du. (xxxiii') – Anastasia, ils l'ont porté là-bas, n'y va pas.

(D.R. Popescu, 21-25) Le choix du réalisateur de l'anaphorique s'inscrit dans les paramètres fixés par les

traits syntactico-sémantiques des antécédents et de leurs fonctions dans la phrase. Il ne s'agit donc pas d'établir des équivalences absolues et constantes entre les anaphoriques de la langue source et ceux de la langue cible, mais de prendre la traduction comme point d'appui dans une étude visant à dégager les règles divergentes. On souligne de cette manière l'importance à accorder, dans l'analyse des mécanismes anaphoriques, aux phénomènes d'interprétation. Si l'explicitation de l'anaphorique nul du roumain est inférée à partir des traits du verbal qui contrôle l'antécédent, la présence de l'anaphorique segmental en français est le signe d'une syntaxe interphrastique beaucoup plus cohésive.

7.2.2. L'anaphore verbale a occasionné de vives discussions qui ont animé les

débats des dernières années. Force est de constater que le parallélisme entre l'anaphore pronominale et l'anaphore verbale est très loin d'être unanimement accepté. Il forme d'ailleurs l'objet de critiques très diversement justifiées à partir de positions théoriques parfois antagonistes1.

La question de l'anaphore temporelle a entraîné une réflexion critique sur l'opposition du temps déictique / temps anaphorique. Dans l'approche de ce problème on peut déceler deux orientations:

• Une approche systémique centrée sur la classification du système verbal en temps déictiques/temps anaphoriques, distinction qui se superpose à l'opposition traditionnelle entre temps absolus /vs/ temps relatifs.

Un temps déictique est un temps qui exprime une relation directe au moment de l'énonciation (t0) - c'est-à-dire un temps absolu qui n'a pas besoin d'une référence temporelle contenue dans le co(n)texte. Un temps anaphorique est un temps qui exprime une relation temporelle par rapport à un temps (événement) différent du moment de l'énonciation, qui nécessite l'appui d'une autre référence temporelle. On considère que tous les temps verbaux sont intrinsèquement déictiques, mais tandis que les uns réfèrent directement au moment de la parole, les autres sont rapportés indirectement à ce moment par l'emtremise d'autres expressions temporelles.

Le système du présent est considéré comme déictique puisqu'il traduit la concomitance entre le repère temporel et le moment de l'énonciation (système centrique), tandis que le système de l'imparfait sera dit essentiellement anaphorique (allocentrique) parce qu'il traduit la non coîncidence entre le repère temporel et le moment de l'énonciation.

1 Pour une discussion détaillée de ce problème voir G. KLEIBER, „Lorsque l'anaphore se lie aux temps grammaticaux”, in C. VETTERS (éd.), Le temps, de la phrase au texte, Presses Universitaires de Lille, 1994.

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L'analyse des textes révèle non seulement le caractère trop rigide de cette division mais aussi et surtout le fait qu'elle ne permet pas de formuler les règles d'emploi des temps verbaux, étant donné qu'un temps répertorié comme „déictique” peut fonctionner comme temps anaphorique. C'est pour cette raison que l'on parle actuellement d'emploi déictique ou anaphorique. „Les classifications proposées souffrent donc principalement de défaut de confondre usage et sémantique: il semble qu'il soit préférable de parler d'usage anaphorique ou déictique d'un temps plutôt que de temps intrinsèquement déictique ou anaphorique” (J. MOESCHLER, 1994 - 88).

• Une approche textuelle dans le cadre de laquelle il ne s'agit plus d'envisager une relation établie par référence au moment de la parole (t0), mais d'une relation par rapport à la partie du texte qui précède. Ce n'est donc plus sur l'aspect paradigmatique que l'on porte l'accent mais sur la distribution relationnelle des temps verbaux dans le texte. Déjà, E. BENVENISTE distinguait deux plans qui sont deux types différents d'organisation discursive (textuelle): le discours et l'histoire.

Dans l'approche textuelle, il existe deux conceptions: une conception localiste (axée sur le lieu dans le texte) et une conception cognitive ou mémorielle qui oppose ce qui est connu ou manifeste ou saillant dans le texte et ce qui est nouveau. (G. KLEIBER, 1993: 130). Cette distinction entraîne une double série de définitions:

A. une définition localiste suivant laquelle: déixis: l'antécédent est présent dans la situation d'énonciation immédiate anaphore: l'entité qui sert d'antécédent est mentionnée dans le texte précédent. B. une définition cognitive: déixis: l'introduction dans la mémoire immédiate d'un référent nouveau, pas

encore saillant ou manifeste; anaphore: processus de référence à un référent déjà connu (ou manifeste ou

saillant) de l'interlocuteur. (CO VET, 1996: 149)

Les solutions adoptées dans l'analyse de la distribution des temps verbaux dans le texte source et de leur transfert en langue cible dépendent pour une large mesure des positions théoriques qui servent de principe organisateur; aussi est-il nécessaire de préciser ces principes dans l'investigation que nous entreprenons:

a) comme la traduction l'exige, c'est dans une perspective textuelle localiste que l'analyse sera effectuée, à partir de l'idée que la stratégie du transfert temporel se détermine au niveau du texte polyphrase ou au niveau de la phrase complexe;

b) là où le cas l'imposait, nous avons fait aussi appel à une analyse pragmatique

procédurale qui établit les principes d'interprétation de la référence tenporelle et d'assignation du point de repère temporel (J. MOESCHLER, 1994: 95 et suiv.);

c) l'analyse sera effectuée à trois niveaux textuels qui sont autant de types de structuration textuelle:

- la séquence de phrases - la phrase complexe (discours indirect) - le discours indirect libre.

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7.2.2.1. Dans la séquence de phrases „autonomes”, les temps verbaux se trouvent dans la majorité des cas en une correspondance directe fondée sur la valeur intrinsèque du temps verbal, sur la référence virtuelle1.

Au niveau du système, il existe une correspondance des temps verbaux qui permet une mise en relation que l'on pourrait appeler „directe” en vertu de la même position occupée dans l'architecture du système, comme dans le texte suivant:

(xxxiv) Liniştea şi lumina pătrundeau în sufletul lui Apostol ca într-o casă pustie. Osteneala îi omorîse toate gîndurile. Ridică mîna stîngă să-şi scoată casca şi auzi un tic-tac.

(xxxiv') Le calme et la clarté pénétraient dans l'âme d'Apostol comme dans une maison déserte. La lassitude avait tué toutes ses pensées. Il leva la main gauche pour retirer son casque et entendit un tic-tac.

(L. Rebreanu, II, 302-26) Dans les deux textes, le texte source et le texte cible, les événements s'inscrivent

dans le plan de l'inactuel, de „l'arrière-ligne” (E. COŞERIU, 1980) - l'imparfait, le temps anaphorique par excellence du fait de sa nature non

dynamique, ouvre le paragraphe (incipit à l'imparfait). Il n'a pas d'antécédent explicite, mais celui-ci peut-être récupéré par inférence. Il s'agit d'un imparfait „perceptuel” fondé sur une relation qui résulte du transfert du point de vue vers le lieu et la situation décrite par la phrase à l'imparfait (S. VOGELEER, 1996: 81). Cette phrase précise une situation temporellement impliquée dans les deux phrases au passé simple;

- le plus-que-parfait, temps „hybride” porte l'instruction „perspective rétrospective”. L'événement dénoté par la phrase exprime à la fois une relation temporelle par rapport à un autre événement, dénoté par l'imparfait dans le texte et par rapport au moment de la parole; il s'agit dans ce cas d'une temporalité absolue-relative qui implique trois points: le moment de la parole, le moment de référence et le moment antérieur;

- les deux passés simples en succession chronologique (interprétation iconique) introduisent l'élément nouveau, en faisant avancer le récit. Dans une perspective localiste, ce sont des temps anaphoriques indiquant des événements inclus dans l'intervalle spécifié par l'imparfait. Dans une perspective mémorielle, le passé simple est un temps à la fois anaphorique parce qu'on est obligé de l'interpréter comme se rapportant à l'imparfait et déictique parce qu'il introduit un nouvel événement dans l'univers du texte; c'est donc un temps anadéictique (L. TASMOWSKI et C. VETTERS, 1996: 136).

L'analyse de ce texte bilingue révèle une construction de la référence temporelle qui a été transférée de la même manière dans le texte cible.

Trois ordres de problèmes se posent relativement aux phrases autonomes en séquence, problèmes qui déterminent le choix des correspondants temporels verbaux:

1 La référence temporelle actuelle d'une expression temporelle est un moment (point ou

intervalle temporel) assigné à l'énoncé dans lequel elle apparaît. La référence virtuelle d'une expression ou marque temporelle est l'ensemble des

conditions permettant de définir sa référence temporelle actuelle (J. MOESCHLER, 1994: 92).

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– l'ordre de succession des événements – l'intervalle qui les sépare – la relation causale qui les réunit. Tous ces trois volets sont impliqués dans le choix des temps verbaux, mais en

même temps il existe certaines règles qui le commandent. L'enchaînement peut correspondre à une succession naturelle des événements, auquel cas il y a interprétation iconique (CO VET, 1996: 154).

Dans un contexte narratif, cette interprétation est la seule possible et se manifeste de la même manière dans les deux langues:

(xxxv) Florea Gheorghe se apropie de fîntînă, dădu drumul căpăstrului şi apu-că ciutura în mînă.

(xxxv') Florea Gheorghe s'approcha du puits, lâcha le licou et empoigna la seille. (M. PREDA, I, 285-120)

L'interprétation à ordre inversé possible dans un contexte déictique où joue la référence au t0, peut entraîner des traductions indirectes:

(xxxvi) – E ceas împărătesc, i-l arătă Gore. L'am cumpărat de ocazie, la Odesa. A fost ceasul ţarului.

(xxxvi') – C'est une montre qui vient de la cour du tsar, fit Gore en la lui montrant. Je l'ai achetée d'occasion, à Odessa. Ça lui appartenait...

(M. Eliade, 245-247) Dans le texte roumain, la succession des deux passés composés correspond à un

ordre chronologiquement inversé. En français, l'imparfait, qui n'est pas un morphème temporel autonome, doit être mis en relation avec une expression autonome, le passé composé, et dénote un événement antérieur. En roumain, les événements sont mis en rapport avec le t0 (marqué par le présent), indépendamment l'un de l'autre, tandis qu'en français, il y a relation de coréférence partielle entre le passé composé et l'imparfait.

Quant au rapport de causalité, il peut être marqué par la seule succession des temps verbaux, dans les deux langues:

(xxxvii) L-au ciuruit gloanţele şi a căzut din cuibul de barză ca o pasăre

împuşcată, cu capul în jos. (xxxvii') Les balles l'ont troué de part en part et il est tombé du nid comme un

oiseau blessé, la tête la première. (D.R. Popescu, 33-351)

Mais là-encore, des divergences peuvent se manifester dans le passage de la langue source à la langue cible, suivant l'interprétation du traducteur:

(xxxviii) Se vede c-a umblat prin sîrme... şi-a sfîşiat hainele... Poate să fie zdrelit...

(xxxviii') Il a dû passer entre les barbelés... son uniforme est en loques... Il s'est peut-être blessé...

(L. Rebreanu, II, 298-23)

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Dans les deux textes il y a enchaînement causal identique, mais il est exprimé à l'aide de temps verbaux différents:

cause effet1 effet2 Roum. passé comp. passé comp. présent Fr. passé comp. présent passé comp. Les deux événements qui dénotent les effets ne sont pas en relation l'un avec

l'autre, mais rapportés tous les deux à l'événement-cause; l'équivalence passé composé - présent est possible parce que le passé composé marque un résultat valable pour le moment de l'énonciation.

7.2.2.2. À partir de la constatation générale que les temps déictiques peuvent être employés dans le plan de l'inactuel, les phrases complexes et principalement les complétives du roumain peuvent se construire avec des temps répertoriés comme déictiques, quel que soit le point de référence. Le traducteur doit décider s'il transfère le temps verbal de la phrase complexe roumaine par un temps verbal identique ou par le temps correspondant du plan de l'inactuel. Bien entendu il s'agit d'expressions verbales non autonomes.

Pour construire, en vue du transfert, la référence temporelle il est nécessaire de passer d'une information temporelle stricte, établie en fonction du moment de la parole (t0) à une relation entre événements séparés par une distance temporelle ou concomitants. Cette analyse suppose par conséquent une instruction de base, la référence à la principale (la matrice).

L'analyse des textes bilingues met en évidence de nombreux points de divergence qui concernent essentiellement la non coîncidence entre événements rapportés et discours. Du fait de la prédominance déictique, la référence se construit en roumain directement par rapport au t0, tandis qu'en français elle se bifurque suivant que la référence est le t0 ou un moment (intervalle) différent du t0. Il y aura donc deux manières de localiser une période temporelle selon la nature du point de référence.

(1) Si l'événement dénoté par la complétive exprime une relation temporelle avec le moment de la parole il y a temporalité absolue et transfert direct des temps verbaux du roumain au français (et inversement); trois cas sont à envisager:

a) l'événement de la complétive est concomitant au moment de la parole: (xl) – Eu vă spun că nu e alarmă adevărată. (xl') – Je vous assure qu'il ne s'agit pas d'une vraie alarme.

(M. Eliade, 243-245) b) l'événement dénoté dans la complétive est antérieur au moment de la parole

spécifié dans la matrice: (xli) – Eu cred că ei şi dintr-un romantism au pus la cale ce au pus... (xli') – Moi, il me semble que dans cette affaire qu'ils ont montée ils ont mis

aussi une sorte de romantisme... (D.R. Popescu, 57-366)

c) l'événement de la complétive est postérieur au moment de la parole:

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(xlii) – Sper că nu vei uita momentele noastre de fericire şi vei primi ca să ră-mîn pentru toată viaţa un devotat şi statornic amic al tău...

(xlii') – J'espère que tu n'oublieras pas nos instants de bonheur et que tu accep-teras que je reste pour toute la vie un ami dévoué et constant...

(J. Bart, 186-207) Les divergences entre le roumain et le français surgissent au moment où les

relations s'établissent non pas avec le moment de la parole mais avec l'événement dénoté par la matrice, c'est-à-dire dans le cadre de la temporalité relative et absolue-relative. Le roumain peut se servir dans la temporalité relative des mêmes temps verbaux que ceux qu'il emploie dans la temporalité absolue, donc sans tenir compte de la localisation temporelle de l'événement spécifié dans la principale.

Les mêmes situations doivent être prises en compte: a) l'événement langue de la complétive est concomitant à l'événement de la

principale (situé dans le registre du récit):

événements langue

e1 (principale)

e2 (subord.)

roum. passé prés. / imp. fr. passé imp.

(xliii) Se simţea în aer că vine furtuna. (xliii') On sentait dans l'air que la tempête venait.

(J. Bart, 34-36) (xliv) Prefăcîndu-mă somnolent şi apatic îl ascultam pe medic cu toate

instinctele la pîndă: ştia sau nu ştia ce e în gîtul meu? (xliv') Simulant la somnolence et l´apathie, j´écoutais le médecin, tous mes

instincts aux aguets: savait-il ou ne savait-il pas ce qu´il y avait dans ma gorge? (M.Preda II, 220-113)

(xlv) Deliu îşi făcu socoteala că are vreme trei-patru zile să se repeadă la Sulina în lipsa ei.

(xlv') Deliu estima que pendant son absence, il avait le temps de faire un saut à Sulina - trois ou quatre jours -

(J. Bart, 197-212) (xlvi) Vorbea cu o claritate din care puteai să-ţi dai seama că gîndirea ei

n-avea şovăieli şi puncte de suspensie. (xlvi') Elle parlait avec une clarté qui vous permettait de vous rendre compte que

sa pensée n'avait ni hésitations ni points de suspension. (M. Preda, II, 218-111)

b) l'événement situé par la complétive est antérieur à l'événement dénoté par la matrice:

événements langue

e1 principale

e1 subordonnée

Roum. passé passé composé / p.q.p.

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Fr. passé p.q.p.

(xlvii) Se zicea că în tinereţe fusese adorat de femei, dar îmbătrînise stingher. (xlvii') On racontait que les femmes l'avaient adoré dans sa jeunesse, mais il

avait vieilli seul. (J. Bart, 135-149)

Dans le texte suivant, l'analyse se complique par la prise en compte des valeurs aspectuelles qui se décident au niveau de la phrase:

(xlviii) A doua zi fui mutat într-o rezervă de trei paturi şi veni şi medicul cu rezultatul analizelor. Se aşeză alături de mine pe pat şi cu voce blîndă şi protectoare îmi spuse că n-am nimic, nici un proces infecţios nu s-a depistat în organism.

(xlviii') Le lendemain on me donna un lit dans une salle de trois malades seulement et le médecin m'apporta le résultat des analyses. Il s'assit près de moi sur le lit et d'une voix douce et protectrice il me dit que je n'avais rien, qu'aucun processus infectieux n'avait été dépisté dans mon organisme.

(M. Preda, II, 220-112) Les deux passés simples dans les deux textes sont en succession chronologique

et leur emploi est conditionné par leur référence virtuelle et par leur valeur aspectuelle, qui se décide au niveau de la phrase et non au niveau du texte (C. VETTERS, 1993: 28).

Le présent exprime en roumain la concomitance avec le temps de la matrice et l'imparfait correspondant du français, conditionné par le site de la complétive, exprime la même relation avec l'événement passé.

Le passé composé peut rendre en roumain l'antériorité indépendamment du plan dans lequel s'inscrit l'événement évoqué dans la matrice, tandis que le français emploie dans ce cas le plus-que-parfait.

c) l'événement situé est postérieur à l'événement dénoté par la matrice:

événements langue

e1 (principale)

e2 (subordonnée)

Roum. passé futur Fr. passé futur du passé (xlix) Ea se smuci şi iuţi pasul. Ajunse acasă istovită, tremurînd cu trupul ud

pînă la piele, cu inima strînsă de o cumplită presimţire care o înăbuşea de spaimă... un glas îi şoptea că n-o să-l mai vadă pe Neagu niciodată.

(xlix') Elle s'arracha, pressa le pas. Elle rentra à bout de forces, toute tremblante, trempée jusqu'aux os, le coeur étreint d'un terrible pressentiment... une voix lui murmurait en secret, venant d'on ne sait où, qu'elle ne reverrait plus jamais Neagu.

(J. Bart, 180-200) Le discours indirect, que nous venons d'analyser, se caractérise par certaines

propriétés syntactico-sémantiques et pragmatiques (B. ROJTMAN, 1980: 191): - formellement, c'est un cas particulier de subordination se construisant sur le

modèle de la complétive;

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- sémantiquement, il interpose un narrateur relais; - au plan du discours, sa manifestation immédiate est une redistribution des

relations de personne entre interlocuteurs. Nous ajoutons à ces caractéristiques une redistribution des temps verbaux qui

affecte directement les opérations traduisantes. L'examen des textes bilingues révèle qu'en roumain il y a une contradiction entre la référence du passé et la référence actuelle exprimée par des temps verbaux „déictiques”. Cette contradiction, qui n'existe pas en français, s'explique par la prédominance déictique du roumain et elle entraîne, comme nous l'avons vu, des divergences de traitement dans le choix des temps verbaux.

7.2.2.3. Dans le discours indirect libre, les mêmes divergences opposent la

construction de la référence temporelle. L'absence des marques subordonnantes qui caractérise le style indirect libre n'est pas de nature à influencer la distribution des temps verbaux, bien que le rapport soit dédoublé entre le narrateur qui reproduit les paroles et une troisième personne, „le sujet de conscience”. L'examen des textes suivants montre que l'intervention de l'instance médiatisante et de la personne dont on reproduit les pensées n'entraîne pas de modification dans la mise en place des moyens par lesquels on réalise l'ancrage temporel, la même contradiction entre l'interprétation anaphorique et l'emploi des temps déictiques persistant en roumain.

(l) Se învinui că are un temperament nenorocit: o fatalitate îl urmăreşte în viaţă; ca să suporte suferinţa care-l roade, pleacă, se îmbarcă pe un vapor de comerţ... îşi schimbă complet viaţa... se rupe de lume... nu vrea să mai aibă nici o legătură... nu vrea să mai provoace suferinţi în jurul său... începe o nouă viaţă rătăcitoare pe mări...

(l') Il accusa la fatalité. Pour supporter sa souffrance il allait s'embarquer sur un bateau de commerce... changer complètement sa vie... rompre avec le monde... Il ne voulait plus faire souffrir ceux qui l'entouraient et commençait une nouvelle vie errante.

(J. Bart, 186-207) Dans la traduction, il y a déplacement du registre du discours au registre de

l’histoire, marqué par des temps verbaux répertoriés comme anaphoriques. (li) Rupse plicul şi începu să citească. Mînia înăbuşită o făcea să icnească

într-un tremur convulsiv, într-un fel de rînjet amar şi straniu. “Va să zică... s-a sfîrşit... asta a fost... nimic nu rămîne... ce laşitate... ce păcătoşi

mai sunt bărbaţii...” A! dacă l-ar avea ea acum în faţă... laşul... se ascunde... n-are curajul să o

înfrunte, dar ea îi va dovedi că s-a înşelat, că n-o cunoaşte încă, o să-l facă să sufere... se va răzbuna cu viaţa ei şi atunci o să vadă el ce amantă a avut, pe care n-a meritat-o. Ce va zice lumea? Va zice că ea a fost mai tare.

(li') Elle (...) déchira l'enveloppe et se mit à lire. La colère latente la faisait trembler. On eût dit qu'elle était secouée d'un rire étrange.

“Alors, c'est fini... voilà... plus rien, quelle lâcheté... quelles immondes brutes que les hommes!”

86

Ah!... si elle le tenait là devant elle, le lâche! Il se cachait, il n'avait pas le courage de la braver... mais elle allait lui montrer à qui il avait affaire, il ne la connaissait pas encore. Elle allait le faire souffrir, elle allait sacrifier sa vie pour se venger. Il comprendrait alors quelle maîtresse il avait eu sans la mériter. Que diraient les gens? Qu'elle avait été la plus forte.

(J. Bart, 189-210) Le „sujet de conscience” est réalisé dans les deux langues par un pronom de la

troisième personne (il dans le premier texte, elle dans le second). Les deux textes débutent par un passé simple, marqueur de l'événement nouveau. Les divergences surgissent avec l'intervention de l'instance médiatisante et se

présentent de la manière suivante:

Sujet de conscience Relation temporelle 3-ème personne antériorité cotemporalité postériorité Roum. passé comp. présent futur Fr. plus-que-parf. imparf. futur du passé

Notons aussi la présence des déictiques adverbiaux (acum - là) avec coréférence

temporelle entre les temps verbaux et les indications déictiques de l'adverbe. Dans le passage au discours indirect libre de nouveaux points de référence sont instanciés.

7.2.2.4. L'analyse que nous avons entreprise a été fondée sur un calcul des

instructions fournies par l'enchaînement des temps verbaux dans le texte et dans la phrase complexe, ainsi que sur l'organisation systémique du verbe. Elle a permis de formuler les remarques suivantes:

- le fait que le roumain est une langue à dominante déictique a des conséquences directes sur la traduction des temps verbaux;

- le roumain „actualise” les événements en les rapprochant du moment de la

parole, le français les disposent suivant une distance temporelle „diminuée”; - dans le style indirect ou indirect libre, le français se sert des temps

anaphoriques „hybrides” qui expriment une relation d'antériorité (plus-que-parfait) ou de postériorité (futur du passé) par rapport à leur antécédent au passé, tandis que le roumain ne différencie le plan actuel du plan inactuel que par l'antécédent de la matrice. En roumain, il y a donc une contradiction entre la référence temporelle de la matrice et la sélection des temps répertoriés comme déictiques qui peut se répercuter sur les adverbes temporels.

7.2.3. L'ellipse apparaît, dans certaines conditions, comme un autre procédé par

lequel on assure la cohésion du texte. „En supprimant certains termes du discours, on constate que la compréhension de ce dernier, loin d'en être compromise, peut, au contraire, dans bien des cas - notamment dans l'écriture poétique - en être considérablement enrichie. Tout se passe comme si le scripteur invitait son lecteur à créer du sens sur la base de quelques indices déclencheurs” (J. CORTÈS, 1985: 50).

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Sous le nom générique d'ellipse, les grammariens ont coutume de regrouper des constructions très variées du point de vue de leur organisation syntaxique et de leurs fonctions interlocutives. La tradition n'hésitait pas à qualifier d'elliptique toute phrase „incomplète” qui ne répondait pas au schéma „canonique” fondé sur la présence des deux termes fondamentaux, le sujet et le prédicat, ainsi que sur l'explication du rapport qui les réunit. On constate ainsi un élargissement considérable de l'application du terme: étaient considérées comme elliptiques des phrases auxquelles on avait appliqué les règles de réduction des éléments redondants, des phrases tronquées à intonation suspensive, des interrogations, des exclamations et des injonctions, des réponses directes à des questions totales ou partielles, des énoncés exprimant des actes non-représentatifs (rituels), des sentences, des notations rapides caractéristiques de ce qu'on a appelé le style „calepin”, des indications indicielles, des déterminants détachés de leur déterminé par une pause d'énoncé et la liste est loin d'être épuisée.

La structuration conceptuelle d'un ensemble d'une aussi grande diversité n'est pas chose aisée, d'autant plus que souvent, par le passé, le concept a été exploité un peu abusivement afin de simplifier l'analyse des phrases „réfractaires” à la réduction aux types grammaticaux „organisés”.

Dans la définition de l'ellipse, outre l'incomplétude syntaxique mentionnée, on faisait mention du rapport très étroit existant entre l'architecture canonique où figuraient les „piliers” de la phrase et la production du sens: la présence et la disposition des constituants oriente l'interprétation, phases indispensables de l'opération traduisante. Si l'un des constituants, le plus souvent le prédicat, n'est pas exprimé, la réception du message n'est pas pour autant bloquée, car le récepteur dispose des moyens nécessaires pour le restituer. Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer que pour les grammairiens autant que pour les stylisticiens, l'ellipse a une caractéristique propre qui résulte de la relation, considérée comme obligatoire, entre la phrase incomplète et la phrase canoniquement bien formée. L'idée que la première est en quelque sorte „dérivée” de la seconde et que les éléments „supprimés” peuvent toujours être rétablis mentalement par le récepteur se retrouve formulée d'une manière plus ou moins explicite dans toutes les définitions proposées et conduit à la conclusion que la phrase elliptique et la phrase dite complète entretiennent un rapport relevant de la paraphrase par réduction. Nous citons à titre d'exemple la définition de ZRIBI-HERTZ apud L. TASMOWSKI, 1994 qui voit dans l'ellipse la non répétition du matériel redondant.

Dans des recherches poursuivies dans le cadre de la grammaire générative-transformationnelle, les énoncés qui „ne ressemblent pas à ce que l'on appelle habituellement une phrase” (C. NIQUE, 1978: 88) sont définis par des propriétés syntaxiques particulières: un énoncé exclamatif par exemple, Passionnant, ce film repousse la transformation au style indirect *Je dis que passionnant ce film!, tandis que la phrase complète Ce film est passionnant se prête très bien à cet enchâssement: Je dis que ce film est passionnant.

Quant aux fonctions des énoncés elliptiques, il existe deux prises de position suivant que l'intérêt se porte sur l'aspect linguistique ou sur l'aspect langagier.

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Dans le premier cas, l'ellipse est à considérer comme l'un des phénomènes tendant à „économiser” les signifiants (B. POTTIER et al., 1973: 118). De ce point de vue il y aurait une relation fonctionnelle entre l'ellipse et l'anaphore, mais il existe tout de même une différence entre l'anaphore vide et l’ellipse, car dans l'anaphore l'élément n'est pas recouvrable (L. TASMOWSKI, 1994).

Dans le second cas, l'ellipse apparaît comme effet d'une thématisation: le sujet choisit les éléments qu'il considère comme essentiels pour la communication, éliminant tous les autres. L'ellipse serait alors une modalité de message, résultant d'une option personnelle du sujet énonçant. C'est la très intéressante solution avancée par Iorgu Iordan dans Stilistica limbii române, qui y voit un procédé de mise en relief par lequel on supprime tous les termes de la phrase qui ne présentent pas un intérêt immédiat pour la communication. „Insistenţa asupra noţiunilor importante se manifestă nu numai prin repetarea lor, ci şi prin eliminarea tuturor acelora care nu interesează, fiindcă din punct de vedere afectiv sînt ca şi inexistente, cel puţin în momentul cînd vorbim” (1975: 249). La thèse émise par Iorgu Iordan pourrait être résumée par la formule „supprimer pour mieux asserter, interroger, ordonner, évaluer”.

Par l'introduction dans l'analyse de la dimension discursive et textuelle, l'ellipse perd son caractère de phénomène marginal, pour devenir un élément central de la dynamique discursive, ayant des incidences importantes dans la traduction.

Une étude plus systématique des faits fondés sur le rapport entre les données empiriques et la théorie implique un examen des mécanismes qui président à la production des énoncés elliptiques, une classification structurelle et fonctionnelle de ces énoncés dans la perspective de leur intégration dans le texte et de leur transfert en langue cible.

7.2.3.1. L'énoncé elliptique est dépendant d'un dispositif intégrateur institué à

deux niveaux qui font intervenir conjointement le plan linguistique et le plan discursif, dispositif qui pourrait servir de base à une taxinomie des énoncés elliptiques. Les volets de ce dispositif sont:

a) La compétence commune des co-énonciateurs qui leur permet de reconstituer le système de coordonnées grâce auquel s'établit le rapport avec l'événement.

Cette mise en commun du contenu propositionnel et de la force illocutionnaire est la condition nécessaire pour que l'énoncé soit perçu dans sa signification et son intention. C'est en vertu de cette compétence commune que certains énoncés elliptiques récurrents sont rapportés directement au type général de situation à laquelle ils réfèrent. Ces énoncés présentent du point de vue de leur transfert des difficultés très grandes. Un énoncé tel que le roum. Nici pomeneală „Pas question” sera toujours interprété en fonction de ce qui précède comme l'expression d'un acte réactif négatif, de refus ou de réfutation. Le statut conventionnel de ces ellipses ressort du fait qu'elles sont utilisées de façon relativement identiques sur le plan pragma-sémantique.

Certains énoncés elliptiques apparaissent par conséquent comme des unités stables, transcontextuelles et transituationnelles et le système des coordonnées grâce auxquelles on établit le rapport entre l'énoncé et l'événement est construit sans appel à l'instance évoquée dans le texte. Hors co(n)texte, ces ellipses n'en restent pas moins

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compréhensibles. C'est le vaste ensemble des énoncés elliptiques fortement idiomatisés: roum. Vorba multă sărăcia omului, fr. Du cuir d'autrui large courroie, etc. dont la traduction relève du procédé de l'adaptation.

b) Pour certaines ellipses, la référenciation est construite par le récepteur à l'aide d'un énoncé ayant le rôle d'antécédent, ce qui confère à l'ellipse le statut de reprise „anaphorique” jouant par l'espace vide:

(lii) – Dar nu semeni deloc cu ea! observă el. – În nimic! mărturisi calm Mihaela. (lii') – Mais vous ne lui ressemblez pas du tout! remarqua-t-il. – Sous aucun rapport.

(G. Călinescu, 413-418) Le cas le plus fréquent est celui de la réponse directe à une question, réponse qui

ne contient que l'élément sur lequel porte la question; les éléments impliqués sont contenus dans la question posée:

(liii) – Am fugit, da, am fugit. Şi-am stat ascuns în sat. Şi-o să mai stau. N-ai vrea să fie aşa? – Aş vrea, aş vrea, Emile... – Atunci de ce nu deschizi? – Pentru că nu e aşa.

(liii') – Oui, j'ai filé. Et je suis resté caché ici au village. Et j'y resterai encore. Tu ne voudrais pas que ça soit vrai? – Oh si, si, Emil... – Alors pourquoi tu n'ouvres pas? – Parce que ce n'est pas vrai.

(D.R. Popescu, 14-339) Les énoncés ci-dessus, qui contiennent aussi des anaphoriques, ne sont compris

qu'à une certaine étape du dialogue. D'autres ellipses jouissent d'une plus grande autonomie, en ce sens que, bien

qu'elles soient insérées dans un co(n)texte, pour les comprendre point n'est besoin de faire appel à un antécédent; c'est sur ce point qu'elles se séparent nettement de l'anaphore. Les trois volets du dispositif intégrateur mentionnés n'épuisent sans doute pas la liste des phénomènes liés à l'ellipse, mais recouvrent cet ensemble d'éléments directement responsables de la mise en discours. En même temps, ils peuvent servir de base à une possible classification des énoncés elliptiques:

Énoncés elliptiques Contextuels Situationnels Autonomes Non autonomes Transcontextuels

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7.2.3.2. La première difficulté à laquelle se heurte celui qui aborde l'analyse des énoncés elliptiques en vue de leur transfert provient du fait que l'énoncé elliptique assure des fonctions diverses suivant le co(n)texte et le moment où il s'insère dans le texte. La mise en équivalence de deux énoncés elliptiques appartenant à deux langues différentes, quel que soit le vecteur de la traduction, passe obligatoirement par deux phases:

(a) La reconnaissance de l'ensemble de coordonnées de l'énoncé source grâce à des indications (instructions) contenues dans le co-texte.

Nous entendons par „reconnaissance” des coordonnées d'un énoncé: - la construction des relations entre les éléments constitutifs interphrastiques; - le repérage de l'insertion dans le texte; - l'interprétation de la signification et de l'intention énonciative. - l'analyse de la structuration lexico-grammaticale mise en oeuvre Si la reconnaissance des trois premières coordonnées est absolument obligatoire

pour une mise en équivalence adéquate, la dernière coordonnée n'est pas contraignante de façon décisive, car un énoncé peut subir des modifications profondes allant jusqu'à une complète réorganisation lexico-grammaticale.

Peut-être plus qu'en tout autre cas, la reconnaissance de ces coordonnées devient-elle essentielle si c'est un énoncé elliptique qui est impliqué en raison des conditions spéciales d'insertion dans le texte qui le caractérisent.

Les réflexions qui suivent n'ont d'autre but que de mettre à jour certains procédés de mise en équivalence des énoncés elliptiques du français et du roumain, avec une certaine insistance sur les énoncés négatifs, justifiée en partie pasr leur très grande fréquence.

Un énoncé elliptique se caractérise par les traits suivants: - le verbe fini implicite est récupérable par référence au co-texte et il peut

réapparaître dans le transcodage; - il contient un élément de phrase qui apporte une information nouvelle par

rapport à celle fournie par ce qui précède; - il assure plusieurs fonctions: informationnelle (par l'élément focalisé),

intertextuelle (cohésive par le rappel implicite de ce qui a été dit), interlocutive, argumentative, etc.

Les traductions révèlent la nature des rapports paraphrastiques entre un énoncé elliptique et son correspondant qui peut ne pas être elliptique. Il en résulte qu'un énoncé elliptique n'est pas nécessairement rendu par un énoncé de structuration similaire. La non correspondance d'organisation dans le cadre d'un transfert de sens et d'intention est fondée sur le principe de la récupérabilité des éléments implicites, principe qui agit de la même manière que dans le cas de l'anaphore vide. Les transcodages peuvent être directs ou obliques, ce qui pourrait être représenté comme suit:

L L'

e e' elliptique elliptique

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(éléments effacés) non-elliptique non elliptique (éléments récupérés)

(liv) J'ai essayé de les voir, les fameux Courbet, j'y suis allé à l'heure du déjeuner pour ne rencontrer personne (...) Eh bien, pas de chance.

(liv') Am încercat şi eu să văd faimoasele tablouri ale lui Courbet, m-am dus la prînz ca să nu mă întîlnesc cu nimeni. Ei bine, n-am avut noroc.

(N. Sarraute, 11-13) (lv) Ăia s-au dus, el a rămas. (lv') Eux s'en sont tirés, lui pas.

(D.R. Popescu, 33-351) Du point de vue de leur insertion dans le discours/texte, les énoncés elliptiques

se laissent diviser en deux grandes catégories: - les énoncés elliptiques „autonomes” qui ne renvoient pas pour leur

interprétation à un antécédent; - les énoncés elliptiques non autonomes, pour le décodage desquels il faut faire

appel à ce qui précède. Les énoncés de la première catégorie appartiennent à plusieurs sous-catégories: a) des énoncés descriptifs, positifs ou négatifs, qui dénotent une présence ou une

lacune d'un objet/phénomène; le prédicat implicite peut réapparaître ou non dans le transcodage sous la forme d'un verbe d'existence; dans le cas de l'ellipse négative, le transcodage dépend en dernier ressort de l'opposition singulier/pluriel en ce sens que l'explicitation semble obligatoire en roumain avec le pluriel:

(lvi) Ici, pas de rires bruyants, de regards enfiévrés, de gestes excités... (lvi') Aici, nu sînt rîsete zgomotoase, priviri aprinse, gesturi excitate.

(N. Sarraute, 44-35) L'ellipse peut traverser la frontière des deux langues, mais là encore la négation

exige que l'on emploie une négation associée qui ajoute l'idée de limite inférieure non atteinte (négation intensive):

(lvii) Une petite chose parfaite. Pas une faille, pas une faute de goût. (lvii') Un lucruşor perfect. Nici o falie, nici o greşeală de gust.

(N. Sarraute, 50-38) C'est le cas aussi de la négation elliptique qui apparaît dans le site du superlatif relatif: (lviii) Pas le plus petit signe d'acquiescement. (lviii') Nici cel mai mic semn de încuviinţare.

(N. Sarraute, 33-27) Certains de ces énoncés sont employés en séquence liée: Pas moyen de nier ou

libre: Pas moyen! b) des énoncés injonctifs d'interdiction

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Le roumain se sert, en général, pour exprimer l'interdiction, de la préposition privative fără: Pas de ça! (Fără d-astea), Pas de chichis! (Fără mofturi!), Pas de discussion! (Fără vorbă), etc.

(lix) – Halte-là. Prudence. Pas de folies. (lix') – Stai aşa. Prudenţă. Fără nebunii.

(N. Sarraute, 32-27) Là aussi, le transcodage peut ramener en surface un verbe fini: (lx) Mais là-dessus, jamais un mot. Silence. (lx') Dar despre asta n-ai voie să sufli o vorbă. Tăcere.

(N. Sarraute, 14-16) Les énonces elliptiques non autonomes sont la manifestation de deux types d’actes: • des actes réactifs A leur tour, ces actes peuvent être divisés en: - actes réactifs de réponses négatives directes se limitant à spécifier le

constituant focalisé: (lxi) – Ce mai e nou? – Nimic afară de cele de ieri, răspunse Puiu căutînd să pară mai calm. (lxi’) – Qu’y a-t-il de nouveau? – Rien de nouveau, répondit Puiu s’efforçant de paraître aussi calme

que possible. (L. Rebreanu, I, 64-44)

Les textes traduits révèlent de nombreuses non correspondances dans la structuration des énoncés, l’élément implicite pouvant être différent (anaphore vide ou ellipse):

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(lxii) – A spus ceva? se interesă Caty nerăbdătoare. – N-a spus… (lxii’) – Le roi a-t-il ajouté quelque chose? demanda Caty, le coeur dévoré

d’impatience. – Pas un mot.

(G. Călinescu, 330-332) – actes réactifs négatifs: refus, réplique, réfutation etc. Il existe, en français comme en roumain, des énoncés elliptiques qui

marquent le désaccord du locuteur portant sur le contenu propositionnel (refus) ou sur la vérité du contenu propositionnel (réfutation): roum. Nici vorbă. Nici discuţie. Nici pomeneală. fr. Pas question.

• des actes argumentatifs L’énoncé elliptique peut avoir une valeur contre-argumentative, avec une

nuance polémique: (lxiii) – Vezi, domnişoară, oi fi eu prost, dar nu chiar aşa de prost cum mă

crezi. (lxiii′) – Eh bien, vous voyez, je suis peut-être sot, mais pas autant que vous

le pensez. (D.R. Popescu, 40-356)

L’emphase négative est également à rattacher aux énoncés négatifs à portée argumentative: l’ellipse établit un contraste avec un énoncé positif dont il diffère par un seul constituant:

(lxiv) – Tata a zis, nu eu. (lxiv′) – C’est papa qui l’a dit, pas moi.

(D.R. Popescu, 15-347) 7.2.3.3. Considérée tantôt comme un résultat d’une opération d’effacement,

tantôt comme une forme spécifique de manifestation de la subjectivité dans les relations interpersonnelles, l’ellipse a retenu l’attention des grammairiens et des stylisticiens. Plus récemment, l’intérêt pour les aspects langagiers a entraîné un changement d’optique dans l’examen des énoncés elliptiques; d’une part, ils sont examinés dans leurs rapports avec l’instance énonciative évoquée, d’autre part ils sont insérés dans des unités plus vastes, transphrastiques. C’est dans cette double perspective que nous avons entrepris l’analyse des énoncés elliptiques, en les rapportant constamment à l’instance énonciative représentée et en les intégrant dans le texte, comme un facteur de cohésion.

Les distinctions ainsi établies sont pertinentes pour la mise en correspondance des énoncés. Le jeu des convergences et des divergences met à jour les paramètres à l’intérieur desquels un transcodage devient possible, en révélant ainsi la nature du triple rapport entre le sens, la signification et la structuration syntaxique de l’énoncé.

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7.3. Conclusion

Quand on parle d’unités de traduction que l’on doit transférer de la langue source à la langue cible, le propos comporte la tentation de faire de ces unités des objets d’étude bien circonscrits, bien spécifiés et de recenser leurs équivalents interlinguaux dans une situation en quelque sorte immobilisée. On est ainsi conduit à conclure, par suite d’une vision compositionnelle de la traduction, qu’en effectuant des correspondances partielles on aboutit à un texte cible non seulement correct mais aussi conforme aux intentions du texte de départ. Mais ce texte est marqué du double sceau de l’individualité des constituants et de leur intégration dans un ensemble. Toute traduction ponctuelle n’a de sens que si l’on comprend qu’elle n’est qu’un élément d’un projet global articulé à plusieurs niveaux:

- le niveau lexico-grammatical des informations contenues dans le dictionnaire et dans la grammaire;

- le niveau phrastique, la structure de la phrase étant elle-même porteuse de signification;

- le niveau textuel, le seul qui soit opérationnel, la traduction impliquant tout un système de sélections et de décisions qui confie au texte le soin de répartir les valeurs pragma-sémantiques sur des constituants.

La réflexion sur le niveau fonctionnel de l’unité de traduction est, sans conteste, d’un abord difficile, ne serait-ce que du fait que le parcours de la traduction ne peut être jugé que par son aboutissement, le texte cible. Une conclusion semble pourtant se dégager: il convient d’examiner la charpente et chaque élément constitutif dans une démarche qui est l’instrument d’une stratégie concertée. Cette dynamique essentiellement intégrante apparaît comme une arme contre la soumission aux faits de détail, contre l’enfermement dans le terme à terme.

SUJETS DE DEVOIRS

• Trouvez des exemples à l’appui des remarques suivantes: • „… la valeur des formes n’est pas stable, mais est fonction des agencements

textuels. On peut montrer que les formes habituelles considérées comme déictiques n’ont, dans certains types de construction textuelle, pas la valeur déictique; le présent, par exemple, peut avoir une valeur purement aoristique, c’est-à-dire se référer au temps des événements énoncés sans relation avec le temps de l’énonciation” (J. Simonin, 1984:30)

• Quels sont les moyens par lesquels on assure le cohésion textuelle? Illustrez-les par des exemples de votre choix.

• Analysez les anaphores nominales dans les textes bilingues suivants:

Îşi dădu seama că a fost prins pe cînd voia să treacă dincolo şi se spăimîntă.

(L. Rebreanu, II)

Il se rendit compte qu’il avait été surpris au moment où il voulait passer de l’autre côté et en fut soudain épouvanté.

Amănute n-am voie să dau. Regele Je n’ai pas le droit de vous donner des

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s-ar supăra. (P. Pardău)

détails. Notre roi en serait fâché.

Ils longèrent le boulevard de la Mer. Déjà des gens s’y promenaient, flânant.

(M. Duras)

O luară pe bulevardul Mării. Chiar la această oră timpurie, unii se plimbau, hoinăreau.

… Şi uite că eu am tras clopotul. Da, l-am tras.

… j’ai sonné le glas. Oui. Parfaitement. Je l’ai fait.

– L-ai tras ca să te răzbuni pe mine, pe povestea cu Emil, pe Emil?

– C’était pour vous venger de moi, ou d’Emil, à cause de cette affaire avec Emil?

– Nu, nu din răzbunare. L-am tras pentru sufletul mortului, era un mort în sat şi satul nu era pustiu, nu din răzbunare, aşa e obiceiul la neamul ăsta al nostru.

(D.R. Popescu)

– Pas pour me venger. Je l’ai fait pour l’âme du mort. Il y avait un mort au village et le village n’était pas désert. Pas par vengeance, mais parce que c’est la coutume chez nous …

… Eu am să-i pun flori la picioare. Şi am să găsesc şi oameni să-l îngroape.

Moi je mettrai des fleurs à ses pieds. Et je trouverai aussi des gens pour l’enterrer.

– N-o să găseşti, rîse Costaiche. (…)

– Vous n’en trouverez pas, dit Costaiche en riant.

– Du-te unde vrei… N-o să faci nimic, numai dumitale o să-ţi faci poate rău. Că eu n-o să te pot apăra tot timpul. Nu de cine crezi sau de mine, nu. Eu te înţeleg cumva. Dar la lumea din sat te-ai gîndit?

(D.R. Popescu)

– Allez où vous voulez… vous n’obtiendrez rien, tout au plus vous vous ferez du tort. Et je serai pas toujours là pour vous défendre. Pas contre qui vous croyez, ni contre moi-même… Moi, je vous comprends un peu… Mais les gens du village, vous y avez pensé?

• Analysez la distribution des morphèmes temporels dans les textes bilingues suivants:

Ca o furtună se repezi la uşă, o luă la goană pe stradă … era prea tîrziu, băiatul dispăruse. (…)

Se précipitant sur la porte, elle se mit à courir dans la rue… trop tard, le garçon avait disparu.

După experienţa făcută, Deliu era încredinţat că în strategia şi tactica amorului, o retragere onorabilă cere mai multă abilitate decît o cucerire, care nu cere decît curaj. (…)

Par expérience, Deliu avait acquis la conviction qu’une retraite honorable exige plus de savoir-faire qu’une conquête.

De fapt, a primit o scrisoare, dar după-amiază şi-a făcut bagajul şi mi-a

– Ma foi, il a reçu une lettre et, l’après midi il m’a dit qu’il partait parce qu’on

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spus că pleacă fiind chemat urgent. (…)

l’appelait d’urgence.

De fapt a plecat să se îmbarce pe un vapor de marfă pentru Rotterdam. Şi mi-a spus că înainte de a ieşi în mare are să vă trimită o scrisoare. (…)

Ma foi, il est parti pour s’embarquer sur un bateau marchand à destination de Rotterdam et m’a dit qu’avant de s’embarquer il vous écrirait.

Penelopa îl căutase pe la Galaţi. Se întorsese acasă. Primise pachetul de scrisori. Şi plecase iar, dar nu se ştie în ce parte …

(J. Bart)

Penelope l’avait cherché à Galatzi. Puis elle était rentrée chez elle. Elle avait reçu le paquet de lettres. Elle était repartie, mais on ne savait pas où elle était allée.

În aceeaşi vreme îşi imputa că a plecat fără măcar să chibzuiască ce face şi chiar fără armă, încît acuma…

(L. Rebreanu)

En même temps il se reprocha d’être parti sans bien réfléchir à ce qu’il faisait et sans emporter une arme, ce qui fait qu’à présent…

Siegfried jură Odettei că-i va fi credincios şi că o va izbăvi de blestem, iar Odette îi aminti că a doua zi va fi la curtea lui şi va trebui să-şi aleagă soţia. Scena se umplu pe încetul de o lumină crepusculară, fetele prefăcute în lebede, începură să plutească pe lac, bufniţa deschise în turn aripile ei îngrozitoare, aplecîndu-se puţin în afară. Orchestra revenise la jalnica şi fatalista temă a lebedei. Cortina se coborî încet într-o tăcere religioasă. Se păru cîteva clipe că nimeni nu aplaudă…

(G. Călinescu)

Siegfried jura à Odette amour et fidélité. Oui, il romprait le sortilège. Odette lui rappela que le lendemain il se verrait forcé de choisir une épouse. Petit à petit un jour crépusculaire éclairait le théâtre. Redevenues cygnes, les jeunes filles flottaient sur les eaux du lac; dans son donjon, le hibou déployait ses ailes effrayantes et passait la tête entre deux ruines. L’orchestre reprenait le motif du cygne, lamentable et fatal, et le rideau tomba lentement dans un silence religieux. Pendant quelques instants, personne n’applaudit…

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(lxii) – A spus ceva? se interesă Caty nerăbdătoare. – N-a spus… (lxii’) – Le roi a-t-il ajouté quelque chose? demanda Caty, le coeur dévoré

d’impatience. – Pas un mot.

(G. Călinescu, 330-332) – actes réactifs négatifs: refus, réplique, réfutation etc. Il existe, en français comme en roumain, des énoncés elliptiques qui

marquent le désaccord du locuteur portant sur le contenu propositionnel (refus) ou sur la vérité du contenu propositionnel (réfutation): roum. Nici vorbă. Nici discuţie. Nici pomeneală. fr. Pas question.

• des actes argumentatifs L’énoncé elliptique peut avoir une valeur contre-argumentative, avec une

nuance polémique: (lxiii) – Vezi, domnişoară, oi fi eu prost, dar nu chiar aşa de prost cum mă

crezi. (lxiii′) – Eh bien, vous voyez, je suis peut-être sot, mais pas autant que vous

le pensez. (D.R. Popescu, 40-356)

L’emphase négative est également à rattacher aux énoncés négatifs à portée argumentative: l’ellipse établit un contraste avec un énoncé positif dont il diffère par un seul constituant:

(lxiv) – Tata a zis, nu eu. (lxiv′) – C’est papa qui l’a dit, pas moi.

(D.R. Popescu, 15-347) 7.2.3.3. Considérée tantôt comme un résultat d’une opération d’effacement,

tantôt comme une forme spécifique de manifestation de la subjectivité dans les relations interpersonnelles, l’ellipse a retenu l’attention des grammairiens et des stylisticiens. Plus récemment, l’intérêt pour les aspects langagiers a entraîné un changement d’optique dans l’examen des énoncés elliptiques; d’une part, ils sont examinés dans leurs rapports avec l’instance énonciative évoquée, d’autre part ils sont insérés dans des unités plus vastes, transphrastiques. C’est dans cette double perspective que nous avons entrepris l’analyse des énoncés elliptiques, en les rapportant constamment à l’instance énonciative représentée et en les intégrant dans le texte, comme un facteur de cohésion.

Les distinctions ainsi établies sont pertinentes pour la mise en correspondance des énoncés. Le jeu des convergences et des divergences met à jour les paramètres à l’intérieur desquels un transcodage devient possible, en révélant ainsi la nature du triple rapport entre le sens, la signification et la structuration syntaxique de l’énoncé.

95

7.3. Conclusion

Quand on parle d’unités de traduction que l’on doit transférer de la langue source à la langue cible, le propos comporte la tentation de faire de ces unités des objets d’étude bien circonscrits, bien spécifiés et de recenser leurs équivalents interlinguaux dans une situation en quelque sorte immobilisée. On est ainsi conduit à conclure, par suite d’une vision compositionnelle de la traduction, qu’en effectuant des correspondances partielles on aboutit à un texte cible non seulement correct mais aussi conforme aux intentions du texte de départ. Mais ce texte est marqué du double sceau de l’individualité des constituants et de leur intégration dans un ensemble. Toute traduction ponctuelle n’a de sens que si l’on comprend qu’elle n’est qu’un élément d’un projet global articulé à plusieurs niveaux:

- le niveau lexico-grammatical des informations contenues dans le dictionnaire et dans la grammaire;

- le niveau phrastique, la structure de la phrase étant elle-même porteuse de signification;

- le niveau textuel, le seul qui soit opérationnel, la traduction impliquant tout un système de sélections et de décisions qui confie au texte le soin de répartir les valeurs pragma-sémantiques sur des constituants.

La réflexion sur le niveau fonctionnel de l’unité de traduction est, sans conteste, d’un abord difficile, ne serait-ce que du fait que le parcours de la traduction ne peut être jugé que par son aboutissement, le texte cible. Une conclusion semble pourtant se dégager: il convient d’examiner la charpente et chaque élément constitutif dans une démarche qui est l’instrument d’une stratégie concertée. Cette dynamique essentiellement intégrante apparaît comme une arme contre la soumission aux faits de détail, contre l’enfermement dans le terme à terme.

SUJETS DE DEVOIRS

• Trouvez des exemples à l’appui des remarques suivantes: • „… la valeur des formes n’est pas stable, mais est fonction des agencements

textuels. On peut montrer que les formes habituelles considérées comme déictiques n’ont, dans certains types de construction textuelle, pas la valeur déictique; le présent, par exemple, peut avoir une valeur purement aoristique, c’est-à-dire se référer au temps des événements énoncés sans relation avec le temps de l’énonciation” (J. Simonin, 1984:30)

• Quels sont les moyens par lesquels on assure le cohésion textuelle? Illustrez-les par des exemples de votre choix.

• Analysez les anaphores nominales dans les textes bilingues suivants:

Îşi dădu seama că a fost prins pe cînd voia să treacă dincolo şi se spăimîntă.

Il se rendit compte qu’il avait été surpris au moment où il voulait passer de l’autre côté et en fut soudain épouvanté.

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(L. Rebreanu, II)Amănute n-am voie să dau. Regele s-ar supăra.

(P. Pardău)

Je n’ai pas le droit de vous donner des détails. Notre roi en serait fâché.

Ils longèrent le boulevard de la Mer. Déjà des gens s’y promenaient, flânant.

(M. Duras)

O luară pe bulevardul Mării. Chiar la această oră timpurie, unii se plimbau, hoinăreau.

… Şi uite că eu am tras clopotul. Da, l-am tras.

… j’ai sonné le glas. Oui. Parfaitement. Je l’ai fait.

– L-ai tras ca să te răzbuni pe mine, pe povestea cu Emil, pe Emil?

– C’était pour vous venger de moi, ou d’Emil, à cause de cette affaire avec Emil?

– Nu, nu din răzbunare. L-am tras pentru sufletul mortului, era un mort în sat şi satul nu era pustiu, nu din răzbunare, aşa e obiceiul la neamul ăsta al nostru.

(D.R. Popescu)

– Pas pour me venger. Je l’ai fait pour l’âme du mort. Il y avait un mort au village et le village n’était pas désert. Pas par vengeance, mais parce que c’est la coutume chez nous …

… Eu am să-i pun flori la picioare. Şi am să găsesc şi oameni să-l îngroape.

Moi je mettrai des fleurs à ses pieds. Et je trouverai aussi des gens pour l’enterrer.

– N-o să găseşti, rîse Costaiche. (…)

– Vous n’en trouverez pas, dit Costaiche en riant.

– Du-te unde vrei… N-o să faci nimic, numai dumitale o să-ţi faci poate rău. Că eu n-o să te pot apăra tot timpul. Nu de cine crezi sau de mine, nu. Eu te înţeleg cumva. Dar la lumea din sat te-ai gîndit?

(D.R. Popescu)

– Allez où vous voulez… vous n’obtiendrez rien, tout au plus vous vous ferez du tort. Et je serai pas toujours là pour vous défendre. Pas contre qui vous croyez, ni contre moi-même… Moi, je vous comprends un peu… Mais les gens du village, vous y avez pensé?

• Analysez la distribution des morphèmes temporels dans les textes bilingues suivants:

Ca o furtună se repezi la uşă, o luă la goană pe stradă … era prea tîrziu, băiatul dispăruse. (…)

Se précipitant sur la porte, elle se mit à courir dans la rue… trop tard, le garçon avait disparu.

După experienţa făcută, Deliu era încredinţat că în strategia şi tactica amorului, o retragere onorabilă cere mai multă abilitate decît o cucerire,

Par expérience, Deliu avait acquis la conviction qu’une retraite honorable exige plus de savoir-faire qu’une conquête.

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care nu cere decît curaj. (…) De fapt, a primit o scrisoare, dar după-amiază şi-a făcut bagajul şi mi-a spus că pleacă fiind chemat urgent. (…)

– Ma foi, il a reçu une lettre et, l’après midi il m’a dit qu’il partait parce qu’on l’appelait d’urgence.

De fapt a plecat să se îmbarce pe un vapor de marfă pentru Rotterdam. Şi mi-a spus că înainte de a ieşi în mare are să vă trimită o scrisoare. (…)

Ma foi, il est parti pour s’embarquer sur un bateau marchand à destination de Rotterdam et m’a dit qu’avant de s’embarquer il vous écrirait.

Penelopa îl căutase pe la Galaţi. Se întorsese acasă. Primise pachetul de scrisori. Şi plecase iar, dar nu se ştie în ce parte …

(J. Bart)

Penelope l’avait cherché à Galatzi. Puis elle était rentrée chez elle. Elle avait reçu le paquet de lettres. Elle était repartie, mais on ne savait pas où elle était allée.

În aceeaşi vreme îşi imputa că a plecat fără măcar să chibzuiască ce face şi chiar fără armă, încît acuma…

(L. Rebreanu)

En même temps il se reprocha d’être parti sans bien réfléchir à ce qu’il faisait et sans emporter une arme, ce qui fait qu’à présent…

Siegfried jură Odettei că-i va fi credincios şi că o va izbăvi de blestem, iar Odette îi aminti că a doua zi va fi la curtea lui şi va trebui să-şi aleagă soţia. Scena se umplu pe încetul de o lumină crepusculară, fetele prefăcute în lebede, începură să plutească pe lac, bufniţa deschise în turn aripile ei îngrozitoare, aplecîndu-se puţin în afară. Orchestra revenise la jalnica şi fatalista temă a lebedei. Cortina se coborî încet într-o tăcere religioasă. Se păru cîteva clipe că nimeni nu aplaudă…

(G. Călinescu)

Siegfried jura à Odette amour et fidélité. Oui, il romprait le sortilège. Odette lui rappela que le lendemain il se verrait forcé de choisir une épouse. Petit à petit un jour crépusculaire éclairait le théâtre. Redevenues cygnes, les jeunes filles flottaient sur les eaux du lac; dans son donjon, le hibou déployait ses ailes effrayantes et passait la tête entre deux ruines. L’orchestre reprenait le motif du cygne, lamentable et fatal, et le rideau tomba lentement dans un silence religieux. Pendant quelques instants, personne n’applaudit…

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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II-ème section

STRATÉGIES ET TACTIQUES DE LA TRADUCTION

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8. LA DÉMARCHE DU TRADUCTEUR: RÈGLES STRATÉGIQUES ET RÈGLES TACTIQUES

Je dirais qu’une traduction échoue lorsqu’on ne s’est pas mis dans la situation d’en faire autre chose que de la traduction. Dans certains cas, on va pouvoir rendre littéralement et sans conséquence et dans d’autres, cette même attitude aura des conséquences nocives. Donc, je suis pour une traduction fidèle au sens et non pour une traduction qui illusoirement essaierait de préserver le texte.

(A. CULIOLI)

8.1. La traduction - un processus interprétatif complexe Les opérations par lesquelles on reconstitue un texte de la langue source avec

les éléments de la langus cible sont régies par des règles générales interprétatives. Le processus de toute traduction implique une stratégie réalisée en trois

étapes (M. LEDERER, 1987 et 1994): - Le compréhension du sens, qui se construit progressivement par un travail sur

la langue actualisée dans le texte et par l’apport des connaissances extralinguistiques qui font partie de l’univers du traducteur, de son environnement cognitif. La traduction comme toute production langagière implique un traitement mixte des aspects tant codiques que non codiques présents dans le texte source. Dans les travaux de stylistique comparée classiques l’accent était mis sur le côté „formel” de la combinatoire linguistique, ce qui conduisait souvent à des résultats peu satisfaisants du fait de leur caractère partiel, voire accidentel. „Un travail vraiment fructueux a commencé sur les problèmes de traduction dès qu’on s’est libéré des formes pour découvrir un sens. Selon cette approche, un texte comporte un certain nombre d’éléments destinés à modifier un «état de connaissance» et la traduction doit avoir pour unique souci d’opérer cette même modification. Dès lors, il devient impossible de ne pas tenir compte dans l’analyse de la traduction de tous les éléments qui concourent à l’élaboration du sens” (J.- L. GOESTER, 1987: 27).

Les travaux récents en traductologie ont souligné la place qui revient à la compréhension comme sujet d’étude, en insistant sur la relation indissociable entre la compréhension et le sens. (J.DANCETTE, 1995 : 25 sqq.) a formulé une hypothèse générale sur la compréhension, suivant laquelle l’adéquation sémantique d’un texte traduit est fonction de la manière dont le traducteur a saisi le sens du texte à traduire. Dans la conception de l’auteur, il existe quatre niveaux impliqués dans la compréhension du texte: le niveau linguistique (la saisie des valeurs sémantiques des structures linguistiques), le niveau pragmatique (connaissances culturelles rattachées au texte, les conditions d’énonciation, les présupposés

102

d’énonciation intégrés dans le système de communication), le niveau psychologique (le raisonnement sur les opérations intellectuelles effectuées). L’hypothèse de départ dont découlent d ‘autres hypothèses subsidiaires est que la compréhension se définit comme le résultat d’opérations mentales alliant l’analyse linguistique à l’application des règles d’inférence. J.DESLILE considère que la compréhension se déroule en étapes successives: 1) une démarche sémasiologique de décodage des signes linguistiques par référence au système de la langue (analyse intralinguistique) et de saisie du vouloir-dire de l’auteur par référence à la réalité (analyse extralinguistique); 2) un raisonnement analogique qui précède à la reformulation du texte en langue d’arrivée par associations successives d’idées et par déduction logique; 3) une démarche onomasiologique pour vérifier la conformité de la traduction au texte de départ (apud J.DANCETTE, 1995 : 55)

La compréhension n’est pas l’effet du pur hasard, c’est le fruit d’un travail de réflexion sur le texte et d’une analyse approfondie des formes linguistiques comme moyen d’expression d’une intentionnalité plus au moins explicite. La compréhension fait partie intégrante de la compétence traductionnelle.

- La déverbalisation, qui consiste à saisir les intentions plus ou moins explicites du texte source, effet immédiat de la compréhension du sens. Trouver l’énoncé correspondant d’un énoncé de départ suppose que le traducteur oublie les mots et les phrases à travers lesquels s’exprime le sens, qu’il ait compris ce que l’auteur traduit „a voulu dire”. La déverbalisation ne repose pas sur des observations empiriques permettant de conclure à l’existence de cette étape; elle n’en présente pas moins un intérêt très grand parce qu’elle met en garde le traducteur contre l’emprise des signes linguistiques du texte de départ: „l’emprise des signes linguistiques du texte à traduire est si forte qu’il faut souvent un effort conscient et systématique de détachement ou d’oubli des formes verbales pour éviter en langue cible les calques, faux amis, obscurités, ambiguïtés etc. (J.DANCETTE, 1995 : 62)

- La reverbalisation, qui implique de la part du traducteur qu’il se détache des contraintes imposées au sens par la langue source. „La troisième étape du processus de la traduction sera donc la recherche d’une expression qui rende justice au sens de l’original et qui, dans sa formulation, réussisse le divorce d’avec la langue de départ et respecte totalement les usages, les habitudes de parole de l’autre langue” (M. LEDERER, 1987: 15).

8.2. Les règles tactiques et le choix des moyens

de transfert du sens Les procédés mis en oeuvre pour assurer le transfert du sens d’un énoncé de

la langue de départ à la langue d’arrivée se laissent répartir en deux grandes catégories qui, à leur tour, connaissent plusieurs types et sous-types: les traductions directes et les traductions indirectes.

Les premières impliquent une hétéronymie „directe”, que l’on pourrait appeler dictionnairique, en ce sens que l’acte traductif n’implique aucune

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réorganisation sémantico-grammaticale. Les secondes consistent en une restructuration plus profonde des unités de signification du texte de départ, allant du simple changement de la classe grammaticale de l’unité jusqu’à une modification totale des éléments constitutifs trahissant une vision différente du monde environnant.

Certaines des solutions adoptées par le traducteur ont un caractère ponctuel: ce sont des „réponses” conditionnées par l’unité micro-structurelle directement perçue comme unité de traduction et ne demandant pas une restructuration dictée par le co(n)texte. Le transfert présente, dans ce cas, peu de variations par rapport à la structure du texte de départ.

A mesure que le système de la langue cible s’éloigne de celui de la langue source, les solutions présentent divers degrés de réorganisation. Les traductions indirectes supposent une maîtrise de la langue cible qui consiste non seulement en une connaissance du niveau lexico-grammatical, mais aussi en une appropriation des habitudes linguistiques tributaires du milieu socio-culturel.

Les différents procédés de traduction sont le résultat de l’application de certaines règles stratégiques tenant de la structuration générale du texte comme textualisation d’un type déterminé de discours et de règles tactiques (choix des moyens linguistiques obligatoires ou facultatifs).

Les sept procédés de traduction spécifiés dans les ouvrages classiques de stylistique comparée peuvent être représentés par le schéma suivant:

Procédés de traduction directs indirects

• l’emprunt direct • la transposition • le calque • la modulation

• l’équivalence • la paraphrase littérale • l’adaptation

La dénomination et la définition de ces procédés ont été soumises à une critique assez sévère de la part des traductologues qui ont contesté le choix de la terminologie et la délimitation des procédés (M. BALLARD, 1993: 232 et suiv.).

Dans les définitions que nous proposons nous essaierons de préciser la spécificité de chacun de ces procédés, tout en reconnaissant que leur délimitation reste un problème de nature didactique, en quelque sorte artificiel. Dans les réalisations concrètes, ces procédés se combinent le plus souvent dans des types complexes, le passage d’une catégorie à l’autre étant graduel.

8.2.1. Les traductions directes L’emprunt direct est le procédé par lequel on „transplante” en langue cible

un mot ou une lexie complexe de la langue source, soit pour combler une lacune lexicale, soit pour conserver la couleur locale: mămăligă - mamaliga.

Le calque résulte de la traduction littérale des éléments constitutifs d’une lexie complexe; tiré à quatre épingles - tras la patru ace.

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La paraphrase littérale consiste en un transfert hétéronymique d’un énoncé; les hétéronymes directs assurent les mêmes fonctions syntaxiques et sont placés dan le même ordre:

(i) Evenimentul zilei stîrnise oarecare interes. (i′) L’événement du jour avait soulevé un certain intérêt.

(J. Bart, 26-22) Comme on le voit par les exemples ci-dessus les deux premiers types

affectent des unités de rang inférieur, mots ou lexies complexes, tandis que la paraphrase littérale est un énoncé équivalent.

8.2.2. Les traductions indirectes La transposition est un procédé indirect qui consiste en un changement de la

structuration grammaticale du texte de départ engageant soit un changement de la classe de l’unité soit une réorganisation des moyens lexico-grammaticaux qui n’entraîne pas une réorganisation des moyens sémantiques:

(ii) Încercă să citească adevărul în ochii lui. (ii′) Il essaya de lire la vérité dans les yeux de Puiu.

(L. Rebreanu, II, 11-9).

La modulation est un procédé de traduction qui implique un changement de visée sémantique et/ou pragmatique; elle affecte surtout les lexies complexes et les énoncés: bois de chauffage - lemne de foc, a ţine piept - tenir tête.

L’équivalence suppose une réorganisation de l’unité source, tout en conservant le sens tant dénotatif que connotatif de l’énoncé de départ. Par le procédé de l’équivalence on met en relation deux micro-situations discursives: Nu te băga unde nu-ţi fierbe oala ! - Mêle-toi de tes oignons!

L’adaptation est un procédé qui implique une réorganisation complète des moyens d’expression portant une forte empreinte socio-culturelle dans la langue de départ. Par l’adaptation on met en rapport deux macro-situations discursives: Cum e turcul şi pistolul –. Tel maître, tel valet. Aragaz - butagaz.

8.3. Procédés de traduction et niveaux fonctionnels

Les stylisticiens comparatistes distinguent trois champs d’application des procédés de traduction:

– le niveau lexical – le niveau de l’agencement – le niveau du message constitué en situation. Il va sans dire qu’une démarcation aussi nette est loin d’être opérante dans

l’acte traductif qui est, par sa nature même, intégrant. Si dans les deux premiers cas, les problèmes qui se posent au traducteur sont ceux des inventaires parallèles et des règles de constitution des phrases correctes, le niveau du message, le seul qui

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soit effectivement pertinent pour la traduction performante, implique des procédés plus complexes déterminés par les conditions de la production du message. La traduction est, dans ce cas, conçue dans sa globalité, intégrant les niveaux inférieurs, car le message est une catégorie énonciative qui repose sur la prise en compte de la micro- et macro-situation communicative. Une modulation de message, par exemple, peut impliquer des modulations lexico-grammaticales ou des transpositions:

(iii) – Te rog să-ţi măsori cuvintele! (iii′) – Pèse tes paroles! Dans l’exemple ci-dessus, la modulation lexicale a măsura-peser est intégrée

à un message injonctif qui exprime à l’aide de moyens différents, une relation interpersonnelle déterminée.

Nous ne voudrions pas insister ici sur ce que cette distinction a d’artificiel. Elle n’en est pas moins récupérable en didactique de la traduction et au niveau du dictionnaire bilingue, dans la mesure où il existe des constantes dans le transfert d’une langue à l’autre.

Les différences qui relèvent de la situation communicative sont, certes, plus difficiles à saisir, mais elles peuvent être inventoriées dans ce qu’elles ont de récurrent et de conventionnalisé.

Les niveaux fonctionnels impliqués dans les procédés de traduction se laissent représenter par le schéma suivant:

Niveaux d’application des procédés de traductions directs et indirects Immanent Discursif

Lexical Phrastique Enonciatif • Lexème • Sous-phrase • Enoncé-type • Lexie complexe • Phrase

• Phrase complexe • Enoncé-occurrence

Les rapports entre les sept procédés de traduction mentionnés et les niveaux

fonctionnels ci-dessus pourraient être représentés par le tableau suivant:

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Niveau Lexical Phrastique (hors contexte)

Enonciatif (avec

référence Procédé Lexie simple Lexie

complexe à la situation)

Emprunt tomată (fr. tomate)

abajur (fr. abat-jour)

- Bonjur (fr. bonjour) Mersi (fr. merci)

Calque a surprinde (fr. surprendre) a surîde (fr. sourire)

tras la patru ace (fr. tiré à quatre épingles)

S-a terminat în coadă de peşte (fr. Ça s’est terminé en queue de poisson)

Intrarea oprită - Entrée interdite

Transpo-sition

decretare- décréter parfumare-parfumer

fier de călcat - fer à repasser

A aşteptat atîta să te întorci. - Il a tant attendu ton retour

Fumatul oprit - Défense de fumer

Modulation pliant - dépliant o inimă de piatră - un coeur de fer

Nu e departe C’est tout près

Asta-i culmea! - Ça c’est le bouquet!

Equivalence slujbă, prăvălie, (fig.) mustărie (fig.) - boîte

Nu te băga unde nu-ţi fierbe oala! - Mêle toi de tes oignous!

- Buturuga mică răstoarnă carul mare - Petite pluie abat grand vent. 6!-38!

Adaptation colivă – gâteau des morts

a-şi aprinde paie în cap - s’attirer de gros ennuis

- Cum e turcul şi pistolul - Tel maître, tel valet

8.4. Conclusion

La reformulation de l’unité significative en langue cible revêt des formes qui se distinguent entre elles par la distance qui sépare les structures lexico-sémantiques et énonciatives de départ et celles d’arrivée. L’interpretation du texte source se fait au moyen de la délinéarisation des unités constitutives, qui seule

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permet une appréhension globale. Les spécialistes ont beaucoup insisté sur le fait que „seule mérite le nom de traduction la traduction libre, c’est-à-dire la traduction qui opère sur le niveau de l’énoncé. Le texte d’arrivée doit présenter les mêmes caractéristiques d’adéquation à la situation” (M. PERGNIER, 1973).

Une analyse en unités hiérarchisées n’en est pas moins utile, car l’opération traduisante consiste en un calcul dont le résultat peut être compositionnel ou non. La démarche du traducteur est régie par la découverte des trois caractéristiques essentielles du texte de départ: l’ordre des éléments constitutifs, leur structure et leur disposition hiérarchique.

Le schéma suivant rend compte des principes de classification adoptés:

Procédés de traduction directs indirects (sans divergence (avec divergence de structuration de structuration) syntactico-sémantique et énonciative) emprunt direct restructuration restructuration calque grammaticale sémantique et traduction littérale énonciative transposition modulation équivalence adaptation

Distance Distance minimale maximale Quant à la classification des procédés en directs et indirects, elle est fondée sur le

concept de distance qui sépare la structuration sémantico-grammaticale et énonciative entre les unités source et les unités cible. Cette distance est minimale entre le terme d’origine et le terme emprunté, elle s’accroît dans le cas du calque lexical et la traduction littérale, pour devenir maximale dans le cas de l’équivalence et de l’adaptation. Quant à la classificaton des procédés indirects, elle repose sur la nature des divergences qui existent entre l’unité source et l’unité cible:

- si les deux unités diffèrent par la structuration grammaticale le procédé est appelé transposition;

- si les deux unités diffèrent par leur structuration sémantique nous avons affaire à une modulation;

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- si les unités correspondantes sont structurées en fonction des paramètres situationnels (micro- et macro-situation communicative), les procédés sont désignés respectivement par les termes d’équivalence et d’adaptation.

Le plus souvent, les procédés de traduction indirects se combinent entre eux pour donner naissance à des traductions indirectes complexes. Souvent aussi il est difficile de distinguer les différents procédés entre eux, la frontière n’étant pas toujours tracée de manière très nette.

SUJETS DE DEVOIRS

• Commentez le texte suivant: „Dans un texte, la mise en mémoire successive des idées qui se déroulent

dans le discours a pour effet d’attribuer à chaque phrase entendue un sens différent de celui qui lui reviendrait de par la seule signification linguistique, sens qui serait obligatoirement le sien si elle se présentait isolée de tout contexte”.

(D. SELESKOVICH) • Quels sont les fondements linguistiques et extralinguistiques de la

distinction traduction littérale/traduction indirecte? Illustrez cette opposition à l’aide d’exemples de votre choix.

• Trouvez des arguments en faveur d’un traitement du texte source qui prenne en compte les intentions du texte.

• Y a-t-il un rapport entre le procédé de traduction et le niveau fonctionnel de l’unité significative impliquée? Trouvez des exemples justifiant ce rapport.

• Dans les textes bilingues suivants distinguez les traductions directes des traductions indirectes: Teii erau în floare şi răspîndeau un balsam paradisiac, cînd, seara, pe întuneric, Ioanide, întorcîndu-se acasă, cu mîna la piept, zise simplu Elvirei, care îl întîmpină în vestibulul luminat: – Elviro, nu te speria, cineva m-a împuşcat în piept, cheamă, te rog, la telefon pe …

Les tilleuls en fleur embaumaient le paradis. Un soir, Ioanide rentra, la main collée à la poitrine et dit simplement à Elvire qui l’accueillait dans le vestibule éclairé: – Elvire, ne te mets surtout pas dans des états… on m’a tiré une balle dans la poitrine… téléphone à …

Şi se prăbuşi pe parchetul de travertin ce se înroşi îndată de un fir gros de sînge. Contele Iablonski, care se afla în curte, unde terminase de spart cîteva buturugi noduroase, mînuind cu icnituri toporul, alergă la ţipetele

Et il s’écroula sur le plancher de travertin, bientôt inondé par un flot de sang. Le comte Iablonsky, en train de fendre avec de grands ahans des bûches rebelles dans la cour, accourut aux cris d’Elvire. Il souleva

109

Elvirei şi ridică în braţe pe Ioanide, leşinat, purtîndu-l cu o uşurinţă extraordinară pe scări, spre odaia lui, deşi arhitectul era un om destul de voinic.

(G. Călinescu)

l’architecte et le porta dans sa chambre avec une aisance étonnante, quoique Ioanide fût vigoureux.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BALLARD, M., 1993. - „L’unité de traduction. Essai de redéfinition d’un concept”, in La traduction à l’université, Presses Universitaires de Lille, p.223-258.

DANCETTE, J., 1995, Parcours de traduction, Presses Universitaires de Lille. GOESTER, J.-L., 1987. - „Reconnaître, représenter”, in Le Français dans le Monde,

Retour à la traduction. Recherches et applications, p.28-32. LEDERER, M., 1987. - „La théorie interprétative de la traduction”, in Le Français dans le

Monde, Retour à la traduction. Recherches et applications, p.11-17. LEDERER, M., 1994. - La traduction aujourd’hui, Paris, Hachette. PERGNIER, M., 1973. - „Traduction et théorie linguistique”, in Etudes de Linguistique

Appliquée, no.12, p.26-38.

9. LES TRADUCTIONS DIRECTES

„… il peut arriver que le message LD se laisse parfaitement transposer dans le message LA,

110

parce qu’il repose soit sur des catégories parallèles (parallélisme structural), soit sur des conceptions parallèles (parallélisme méta-linguistique).”

(J.P. VINAY et J. DARBELNET)

9.1. L’emprunt direct La traduction directe se présente sous la forme d’une ressemblance

phonématique dans le cas de l’emprunt direct. C’est un procédé auquel le traducteur fait appel:

– si un terme équivalent, qui recouvre d’une manière exacte la réalité évoquée, n’existe pas dans la langue cible;

– si le traducteur veut replacer le texte d’arrivée dans le contexte caractéristique du texte de départ.

Deux cas particuliers sont à prendre en considération: – L’emprunt direct est inséré dans le texte original pour l’une des raisons

invoquées plus haut et la traduction le laisse intact: (i) … le ruissellement paradoxal des oueds … (i′) … scurgerea paradoxală a uedurilor …

(Cl. Lévi-Strauss, 110-136) (ii) Il y a plusieurs façons de boire le maté. (ii′) Maté-ul se bea în mai multe feluri.

(Cl. Lévi-Strauss, 144-173) Dans certains autres cas, l’emprunt s’accompagne d’une glose périphrastique

qui a le rôle d’expliciter le terme, périphrase qui est traduite: (iii) Un soir nous nous sommes arrêtés non loin d’un garimpo, colonie de

chercheurs de diamants. (iii′) Într-o seară m-am oprit nu departe de o garimpo, colonie de căutători de

diamante. (Cl. Lévi-Strauss, 178-213)

– Le mot est transmis tel quel dans la traduction: (iv) Mîncau în tăcere mămăligă plină de boţuri. (iv′) Ils mangeaient en silence de la mamaliga pleine de grumeaux.

(T. Popovici, 521-619) Il s’agit dans la plupart des cas de termes de civilisation conservés dans le

texte d’arrivée pour la précision de l’indication référentielle ou pour la couleur locale. Ainsi, l’oeuvre de Panaït Istrati abonde en mots roumains qui se rapportent à la civilisation matérielle, à l’organisation socio-politique, etc. (V. COVACI, 1979):

– acareturi, camara, coliba, pridvor, prisma, tinda etc. – cotiouga, coviltir etc. – clondir, cobilitza etc. – basma, caciula, toulpan etc. – borche, caltabosh, covrig etc. – argat, baciu, cârciumar etc.

111

Là encore, le mot roumain inséré dans le texte français est souvent glosé par une périphrase explicative:

(v) Sima Caramfil possédait à Braïla de belles acareturi, comme on nomme là-bas tout immeuble; mais immeuble ne désigne pas aussi bien que acareturi tout ce qu’un Sima possédait à Braïla.

(P. Istrati, apud V. Covaci) Des mots peuvent figurer dans le texte de départ dans une langue étrangère

pour des raisons stylistiques et sont retransmis sous cette forme dans le texte d’arrivée, ce qui annule l’effet obtenu par leur insertion dans le texte source;

(vi) – Topazul e absolut veritabil, bate în roz fiindcă a fost expus la căldură. E un aşa-zis rubin brazilian sau topaze brûlée.

(vi′) – La topaze est parfaitement véritable; si elle présente des reflets roses, c’est qu’elle a été exposée à la chaleur. C’est ce qu’on appelle un rubis brésilien ou topaze brûlée.

(G. Călinescu, 40-36) L’emprunt direct qui n’a pas été complètement assimilé peut donner

naissance à des interférences de nature diaphasique (utilisation de termes spécifiques d’un discours dans un autre type de discours):

(vii) … le sable beige et le limon violet (vii′) … nisipul bej şi nămolul violet

(Cl. Lévi-Strauss, 110-136)

9.2. Le calque Ce procédé consiste en une traduction littérale des éléments constitutifs d’une

séquence de mots ou en un transfert sémantique opéré sous la dominance d’une relation hétéronymique.

Plusieurs critères peuvent servir de base à une typologie des calques: – le niveau impliqué: l’expression ou le contenu En vertu de ce critère on distingue des calques structurels et des calques

sémantiques. Les premiers sont des traductions hétéronymiques conformes aux règles de

structuration de la langue source: a se termina în coadă de peşte (fr. finir en queue de poisson), tras la patru ace (fr. tiré à quatre épingles), drum în ac de păr (fr. route en épingle à cheveux), mînă curentă (fr. main courante) etc.

Les seconds résultent de l’extension du sens d’un mot sous l’influence du sémantisme de l’hétéronyme direct. Ainsi le mot roumain abătut a acquis le sens „déprimé” sur le modèle du mot français abattu (I. RIZESCU, 1958: 8).

– la récurrence Certains calques sont figés et enregistrés dans les dictionnaires: a fi în fonduri

(fr. être en fonds). D’autres ont un caractère accidentel: (viii) En Afrique, la marchande propose au client les menus excédents de son

activité domestique. Deux oeufs, une poignée de piments, une botte de légumes, une autre de fleurs, deux ou trois rangs de perles faites de graines sauvages - „oeils

112

de chèvre” rouges pointillés de noir, „larmes de la vierge” grises et lustrées - récoltées et enfilées pendant les instants de loisirs.

(viii′) În Africa de pildă, negustoreasa îi propune clientului prisosul mărunt rezultat din activitatea ei casnică: două ouă, un pumn de ardei, o legătură de zarzavat, un buchet de flori, două sau trei coliere din seminţe sălbatice - „ochi de capră” roşii cu mici puncte negre, „lacrimile fecioarei” cenuşii şi lucioase şi înşirate în clipe de răgaz.

(Cl. Lévi-Strauss, 123-148) (ix) De acolo plecam să încercăm alt vînat: şi-aducea el aminte de nişte ravac

nebun, la prispa înaltă sau de nişte sînge-de-iepure, să dai cu căciula-n cîini; (ix′) De là nous partions à la recherche d’un autre pinard, car il se souvenait

soudain d’un fameux petit vin, des hautes collines, ou d’un „sang de lapin” à perdre son bonnet.

(M. Caragiale, 127-48) Dans certains autres cas, le calque apparaît dans la langue de départ et il est

retransmis tel quel dans la langue cible emprunteuse: (x) În clipa în care aţi apărea la fereastra dormitorului ca să vă clătiţi ochii

cu priveliştea plantaţiilor, garda ar cabra caii. (x′) A l’instant où vous apparaîtriez à la fenêtre de votre chambre pour vous

rincer la vue devant le paysage des plantations, la garde devrait cabrer les chevaux. (P. Pardău, 108-14).

(xi) Eram amîndoi pe marginea mării. Eu ca să-mi fac coiful cu nisip, el ca să-şi facă mîna, învîrtind cărţile de joc.

(xi′) Nous nous trouvions tous les deux au bord de la mer. Moi pour astiquer mon casque avec du sable, lui pour se faire la main en manipulant des cartes à jouer.

(P. Pardău, 119-23). Le calque peut apparaître aussi comme une faute de langue, si l’hétéronymie,

et/ou la structure indirecte est obligatoire: ver luisant „vierme lucitor” au lieu de licurici. Le casseur d’assiettes „spărgătorul de farfurii” au lieu de scandalagiul. C’est le cas bien connu des faux amis.

9.3. La paraphrase littérale Ce procédé est un transfert terme à terme de la phrase de départ qui résulte

d’une convergence lexico-grammaticale: hétéronymie directe, règles d’agencement identiques même ordre séquentiel des hétéronymes:

(xii) Penelopa îl privi cu admiraţie. (xii′) Pénélope le regarda avec admiration.

(P. Pardău, 141-41). Cette retransmission d’unités est souvent inopérante du point de vue de

l’efficacité de la traduction, car le traducteur doit se libérer des traductions-calque et reconstituer le message à partir des idées et des intentions véhiculées par le texte de

113

départ. „On connaît le problème des faux amis; le calque est leur proche parent et si le traducteur expérimenté ne tombe pas dans le piège du faux sens grossier, il lui arrive d’appliquer une règle très simple: toujours douter de la stricte identité conceptuelle de formes semblables dans deux langues” (M. LEDERER, 1994: 114).

Il arrive néanmoins que le traducteur fasse appel à la traduction directe en connaissance de cause.

En liguistique contrastive, la correspondance terme à terme joue le rôle d’un axe à partir duquel on calcule les divergences entre les deux langues. Soit la phrase:

(xiii) Toţi ofiţerii îşi reluară locurile pe punte. (xiii′) Tous les officiers occupèrent leurs places habituelles sur le pont.

(J. Bart, 46-47) Cette version de la phrase roumaine qui suit d’assez près le texte de départ,

fait pourtant ressortir des divergences de structuration importantes qui interdisent une traduction dans le sens strict du terme;

- une position différente de l’article défini : toţi ofiţerii - tous les officiers: - un régime différent de l’article défini en combinaison avec la préposition :

pe punte - sur le pont; - une restructuration des moyens par lesquels on exprime la possession dans

les deux langues: datif possessif en roumain - prédéterminant possessif en français: Îşi reluară locurile - Ils occupèrent leurs places.

La traduction littérale proprement dite aurait donné: „Tous officiers les se prirent les places sur pont.” Dans la grande majorité des cas, la traduction „littérale” n’est qu’une illusion,

car même là où elle est correcte, les divergences structurelles sont notables.

9.4. La paraphrase directe par permutation La paraphrase par permutation consiste en un changement de l’ordre

séquentiel, sans incidence sur le sens de l’énoncé. Le choix de l’ordre des mots est non seulement le résultat d’une option du traducteur, mais il est soumis aussi à des contraintes relevant de la séquence caractéristique de chacune des langues impliquée dans la traduction. En traductologie, il est d’usage de distinguer entre ce qui est imposé par le système de la langue cible et ce qui représente l’exploitation de certaines préférences:

Ordre séquentiel

obligatoire

non obligatoire

(contraintes séquentielles)

statistique (usage)

optionnel

114

Il existe en roumain comme en français des éléments qui ne peuvent pas ouvrir la phrase. Ainsi, en français la négation ne peut pas être placée en tête d’une phrase assertive, ce qui entraîne une réorganisation de la séquence:

(xiv) Nu s-a putut afla cine-i trimitea. (xiv′) On n’a pu savoir qui les envoyait.

(P. Pardău, 147-45). Dans d’autres cas, une contrainte de la langue source se résout en un ordre

séquentiel non obligatoire de la langue cible: (xv) Nimeni nu va descoperi vreodată adevărul. (xv′) Jamais personne ne découvrira la vérité.

(P. Pardău, 155-52). A la différence du terme négatif niciodată, le correspondent „positif” vreodată

ne peut pas ouvrir la phrase; en français jamais peut occuper une place libre. Il n’est pas possible non plus en français de commencer la phrase par le

prédicat verbal, tandis qu’en roumain c’est l’ordre le plus normal: (xvi) Moare regina! (xvi′) La reine se meurt!

(P. Pardău, 106-12). (xvii) Ensuite, les inondations commencent. (xvii′) Apoi încep inundaţiile.

(Cl. Lévi-Strauss, 111-138) De même, le complément d’objet direct n’ouvre pas, normalement, la phrase

assertive française: (xviii) Amănunte n-am voie să dau. (xviii′) Je n’ai pas le droit de vous donner des détails.

(P. Pardău, 101-8). Il faut pourtant remarquer qu’il est rare qu’un changement de l’ordre

séquentiel n’ait pas de conséquences sur le sens de l’énoncé.

9.5. La paraphrase par réorganisation du schéma actanciel Si la structuration actancielle sous-jacente de la phrase est considérée comme

une plate-forme commune des langues, les règles par lesquelles un nominal est choisi en position privilégiée de sujet ou en position d’objet (direct ou indirect) peuvent être différentes d’une langue à l’autre. Elles se trouvent sous la dominance du micro-système verbal ou du thème du verbe.

Deux voies d’approche peuvent être adoptées dans l’analyse de la structure actancielle et de son transfert en langue cible:

• une voie qui prend pour point de départ la relation hétéronymique qui s’établit entre les verbes, à partir de la constatation générale que c’est le verbe pivot de la phrase qui conditionne la réalisation superficielle, le type de marqueur casuel impliqué (préposition - position, préposition a - préposition b’).

115

Ainsi, le complément d’objet de „lieu scénique” (M. GROSS) du français correspond à une structure prépositionnelle du roumain :

(xix) Toute vie avait quitté la mer. (xix′) Orice viaţă dispăruse de pe mare.

(Cl. Lévi-Strauss, 111-138) (xx) Dispăruse din oraş fără să lase vreun semn. (xx′) Celui-ci avait quitté la ville sans laisser de trace.

(A. Buzura, 18-16) De même, l’objet direct du roumain peut revêtir la forme d’un complément

prépositionnel à valeur locative: (xxi) În loc de orice răspuns plînsese tăcut, poate propriile înfrîngeri. (xxi′) La jeune femme avait pleuré sans mot dire, sans doute sur ses propres

insuccès. (A. Buzura, 14-13)

Un actant locatif réalisé par un datif peut avoir comme correspondant un objet prépositionnel:

(xxii) – Nu ştiu cum să mi-l apropii. (xxii′) – Je ne sais comment m’y prendre pour le rapprocher de moi.

(A. Buzura, 15-14) D’autres réorganisations actancielles ne sont pas sans incidence sur le sens de

l’énoncé et représentent des modulations actancielles (v. ci-dessus): (xxiii) Plicul mirosea a pin siberian. (xxiii′) De l’enveloppe émanait une senteur de pin de Sibérie.

(P. Pardău, 103-9) • une voie qui prend comme point de départ la relation casuelle sous-jacente pour

examiner ensuite les réalisateurs dans les deux langues impliquées dans la traduction. L’exemple le plus révélateur est celui de l’Expérienceur, cas spécifique des

verbes d’expérience subjective. Ce cas est réalisé dans les deux langues par des formes casuelles (marqueurs) divergent(e)s: Exp

L L' Object indirect Sujet actif

(xxiv) Lui Costaiche nu-i plăcea ţuica, nici rece nici caldă. (xxiv′) Costaiche n’aimait pas la tzouica, ni fraîche, ni chaude.

(D.R. Popescu, 49-361) (xxv) Biata femeie cum mai plîngea. Mi se rupea inima. (xxv′) Pauvre femme, comme elle pleurait. J’en avais le coeur serré.

(L. Rebreanu, II, 377-505) (xxvi) I-a fost dor de dînsul.

116

(xxvi′) Elle avait envie de le voir. (L. Rebreanu, II 442-590)

Exp L L'

Objet direct Objet indirect (xxvii) Cela lui coûte de lui parler ainsi. (xxvii′) Îl costă că trebuie să-i vorbească astfel. La même divergence est signalée dans le cas des verbes directionnels

locutoires: (xxviii) Nu înţelesei, avui o clipă de ezitare, vrusei s-o întreb de ce, dar

renunţai, mă întorsei în rezervă… (xxviii′) Je ne comprenais pas, c’est pourquoi j’eus un moment d’hésitation;

j’aurais voulu lui demander pourquoi, mais y renonçant, je rentrai dans la pièce… (M. Preda, II, 223-114)

Exp

L L' Objet indirect Objet direct (xix) Îi veni să rîdă. (xix′) L’envie de rire le prit.

(A. Buzura, 13-12)

9.6. Conclusion

L’hypothèse fondamentale de toute traduction est que la possibilité de transmettre des données informationnelles, affectives et cognitives d’une langue à l’autre est fondée sur les mêmes propriétés générales. Si ces propriétés générales rencontrent des propriétés particulières, le transfert peut revêtir la forme d’une traduction directe.

La traduction directe se place à des niveaux fonctionnels différents: - l’emprunt direct affecte le niveau lexical (lexie simple ou complexe); - le calque relève de l’agencement des mots ou des latitudes combinatoires

d’un lexème dans le cas du calque sémantique; - le niveau phrastique est impliqué dans la paraphrase directe, littérale ou non littérale. Les deux premiers procédés contribuent à l’enrichissement de la langue

emprunteuse, mais tandis que l’emprunt direct révèle une lacune dénotative ou connotative de la langue cible, le calque, en tant que procédé plus complexe, se

117

situe sur le terrain de rencontre des moyens internes d’enrichissement du lexique avec les moyens externes.

Quant à la paraphrase directe littérale, elle a toujours été considérée comme une solution inadéquate que le traducteur chevronné se doit d’éviter. Ce discrédit qui frappe la traduction dite littérale n’est pourtant qu’en partie justifié, car il existe des cas où elle s’impose comme une solution naturelle.

Dans le passage de la langue source à la langue cible, les phrases sont le plus souvent restructurées syntaxiquement. C’est le cas des paraphrases directes non littérales. On peut considérer que deux unités phrastiques interlinguales fondées sur l’hétéronymie et principalement sur l’hétéronymie des verbes pivot sont des paraphrases directes si elles ne diffèrent que par l’ordre de leurs constituants respectifs. Mais en même temps il faut reconnaître à la modification séquentielle le statut d’une composante qui peut avoir, si elle est facultative, des répercussions sur le sens de l’énoncé.

Il en va de même des restructurations actancielles. Si elles ont un caractère obligatoire, on peut parler de paraphrases directes non littérales car elles n’ont pas d’incidence sur le sens de l’énoncé. S’il s’agit d’une option du traducteur, ces modifications trahissent une perspective sémantique différente, une modulation par topicalisation.

Dans la traduction, qui implique une invariance informationnelle, affective et cognitive, des difficultés surgissent, qui mettent en cause la notion même de paraphrase interlinguale.

SUJETS DE DEVOIRS

• Commentez cette affirmation: „De toute évidence, une traduction qui voudrait conserver à tout prix les

mêmes mots et les mêmes tours d’une langue à l’autre aboutirait à du charabia” (J.P. VINAY).

• Illustrez à l’aide d’exemples pris du domaine français-roumain l’affirmation suivante:

„Le texte LD peut contenir un terme nouveau, pour lequel la LA n’a pas encore de terme équivalent. Plutôt que de recourir à une définition ou à une explication, le traducteur peut utiliser purement et simplement le terme LD qui devient alors un emprunt. Ce procédé est évidemment la négation de la traduction, mais il peut avoir l’avantage d’enrichir la LA, dans les meilleurs cas, d’une unité lexicale concrète de maniement aisé” (J.P. VINAY).

• Commentez cette affirmation, en essayant de trouver dans le domaine roumain-français des exemples qui la justifieraient:

„Le calque est à l’heure actuelle une source importante de pénétration en français de significations lexicales anglaises. Sous l’effet de ce phénomène, les significations initiales des mots français se trouvent enrichies d’une couche sémantique supplémentaire” (M. LEDERER)

118

• Quelle est la fonction stylistique et quelles sont les valeurs connotatives de l’emprunt direct?

• Quel est le rapport entre l’emprunt direct et la faute lexicale absolue? • Donnez quelques exemples d’emprunts acclimatés depuis longtemps et qui

ont perdu leur „aura romantique”. • Donnez quelques exemples de calques structurels et sémantiques. • Donnez quelques exemples de „faux amis’. • Etudiez les emprunts directs du texte suivant: Cupura completului din jerse oliv, gesturile supravegheate, discrete îi dădeau

un aer de distincţie înnăscută. (F. Oprea, Tainele unui dosar). • Etudiez les modifications de l’ordre séquentiel dans les textes suivants;

précisez si elles ont un caractère obligatoire ou facultatif:

Şi în timp ce eram încă în spital şi fără glas, Matilda divorţă aşa cum spusese, în două săptămîni, şi părăsi oraşul. Citaţia mi-o adusese mama la trei zile după vizita Matildei, dar nu mă prezentai în instanţă.

(M. Preda, II, 223-115)

Et tandis que j’étais encore à l’hôpital sans pouvoir parler, Mathilda fit prononcer le divorce en deux semaines, comme elle l’avait dit, et quitta la ville. Ma mère avait apporté la citation trois jours après la visite de Mathilda, mais je ne m’étais pas présenté.

În suflet îi mocnea mereu revolta înăbuşită.

(L. Rebreanu, II)

Un sentiment de révolte couvait dans son coeur.

• Etudiez les restructurations actancielles dans les paraphrases interlinguales suivantes: Mie îmi place să iau lucrurile şi faptele nu umbra lor.

(P. Pardău)

Moi, j’aime envisager les faits et les choses et non leur ombre.

Îi venea să-i amintească promisiu-nile de odinioară.

(L. Rebreanu, II)

Il avait continuellement envie de lui rappeler les promesses de jadis.

Penelopa îi mulţumi pentru sacri-ficiu şi-l reţinu la masă.

(P. Pardău)

Après l’avoir remercié de ce sacrifice, Pénélope le retint à table.

Aerul mirosea a fum şi a moloz. (M. Eliade)

L’air sentait la fumée et le plâtras.

– Nu vrei să te vadă ăia cu mine, doctore Florea? Ori ţi-e teamă c-o să-ţi cer ceva?

(D.R. Popescu)

– Vous ne voulez pas être vu avec moi, hein, docteur Florea? cria-t-elle. Vous avez peur que je vienne vous demander quelque chose?

119

• Etudiez les traductions littérales du texte suivant:

În mijlocul ogrăzii, generalul Karg discuta gesticulînd cu un colonel. Plutonierul salută foarte ţeapăn. Apostol simţi bine privirea gene-ralului, furioasă şi indignată, dar nici nu se sinchisi. Trecînd pe lîngă casa primarului, întîlni în uşă pe groparul Vidor şi pe primăreasă, amîndoi cu ochii spre el, îngroziţi şi cu lacrimi de milă. Le răspunse cu un zîmbet plin de credinţă, parcă le-ar fi spus că toate acestea n-au nici o importanţă.

(L. Rebreanu, III)

Au milieu de la cour, le général Karg discutait en gesticulant avec un colonel. L’adjutant salua, très raide. Apostol sentit sur lui le regard furieux et indigné du général, mais ne s’en soucia même pas. En passant auprès de la maison du maire, il recontra le fossoyeur Vidor qui restait sur le pas avec la mairesse, tous deux le fixant de leurs yeux épouvantés et remplis de larmes. Il leur répondit par un sourire confiant, comme pour leur dire que tout cela n’avait pas la moindre importance.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

COVACI, V., 1979. - „L’oeuvre de Panait Istrati ou le problème de traduire une civilisation”, in Revue Roumaine de Linguistique, tome XXXV, no.2, p.193-198.

LEDERER, M., 1994. - La traduction aujourd’hui, Paris, Hachette. RIZESCU, I., 1958. - Contribuţii la studiul calculului lingvistic, Bucureşti, Editura

Academiei RPR . VINAY, J.P., 1968. - „La traduction humaine”, in A. MARTINET, Le langage,

Encyclopédie de la Pléiade, Paris.

10. TRADUCTION ET RÉORGANISATION GRAMMATICALE: LA TRANSPOSITION

„Les différences de structures syntaxiques des langues imposent leurs contraintes au traducteur de sorte que même le plus médiocre apprenti traducteur ne procède pas mot à mot mais respecte la syntaxe de la langue d’arrivée”.

(M. LEDERER)

10.1. Réorganisation grammaticale et constante sémantique En tant que procédé de traduction indirect, la transposition consiste en une

réorganisation grammaticale qui laisse intacte la structure de signification; il existe donc dans la transposition une constante sémantique qui se réalise par une mise en

120

relation hétéronymique entre les unités lexicales constitutives du texte source et du texte cible.

La transposition est une paraphrase syntaxique et elle peut être relevée à l’intérieur d’une même et unique langue (paraphrase intralinguale) ou, dans le cas de la traduction, entre deux langues différentes (paraphrase interlinguale). Elle pourrait donc être définie comme une mise en relation d’une unité source avec une unité cible qui présente une différence de structuration grammaticale (unité transposée):

U source U cible transposée Soit schématiquement:

L L′

Se îndreptă fără grabă spre uşă

Il se dirigea sans hâte vers la porte

Se îndreptă spre uşă fără să se grăbească.

Il se dirigea vers la porte sans se hâter

Comme on le voit par les exemples ci-dessus, la transposition consiste en une

transformation de la classe grammaticale à laquelle appartient l’unité source qui se place au niveau sous-phrastique ou phrastique.

La transposition peut être obligatoire ou facultative. „Il y a des transpositions obligatoires dues à des incompatibilités de structure et des transpositions facultatives quand les mêmes structures existent dans les deux langues” (A. MALBLANC, 1966: 27). Il arrive pourtant qu’il y ait une disparité d’ordre statistique même dans le cas de la transposition facultative, l’une des solutions étant préférentielle.

L’étude des transpositions obligatoires relève de la contrastivité, car c’est à travers le transcodage indirect que l’on peut saisir les divergences structurelles qui séparent les deux langues.

10.2. Types et sous-types de transpositions

Les types et les sous-types de transpositions peuvent être établis en fonction de plusieurs critères:

- la complexité: le nombre d’unités de signification transposées; - le niveau fonctionnel impliqué dans la transposition (phrastique ou

sous-phrastique); - la nature morphosyntaxique des unités engagées dans cette opération

paraphrastique. Le critère primordial adopté ici est celui de la complexité, les autres critères

combinés servant à distinguer les sous-types de transpositions. Le schéma suivant rend compte de cette disposition par ordre de complexité croissante :

Transpositions

121

Simples Complexes ponctuelles par

expansion incidencielles incidencielles

corrélatives inversées

Glo-bales

1 2 3 4 5 6

1. (i) Ea ţinea să aibă un interior plăcut. (i′) Elle tenait à avoir un intérieur agréable

(J. Bart, 35-33) 2. (ii) Priveşte în toate părţile. (ii′) Elle porte ses regards de tous côtés.

(G. Călinescu, 359-362) 3. (iii) Mătuşă-sa, o femeie înaltă, grasă, veşnic jovială, îl primi veselă. (iii′) Sa tante, une grosse femme, toujours joviale, le reçut joyeusement.

(T. Popovici, 80-95) 4. (iv) Pe ea o apucase un tremur nervos de rîs şi de răceală. (iv′) Elle tremblait nerveusement de rire et de froid.

(J. Bart, 234-166)

5. (v) În portul acesta adormit în pustietatea deltei. (v′) Ce port endormi au milieu du delta désertique.

(J. Bart, 18-11) 6. (vi) Şi clipi iar cu înţeles. (vi′) Le clin d’oeil complice se répéta.

(M. Eliade, 241-242)

10.3. Transpositions simples Définie comme la modification grammaticale qui n’affecte qu’une seule unité

de signification, la transposition simple se situe toujours à un niveau sous-phrastique (déterminant nominal ou verbal, proposition subordonnée). Elle connaît plusieurs types de réalisations qui se distinguent:

- par l’espèce de mots à laquelle appartient l’unité que l’on transpose; - par la structuration syntaxique (la forme que revêt le rapport syntaxique

entre unités); - le rapport entre le nombre d’éléments constitutifs de l’unité source et celui

de l’unité cible transposée.

122

10.3.1. La transposition ponctuelle affecte une seule unité de signification et consiste en un changement de la classe de mots à laquelle appartient l’unité source. Plusieurs sous-types se laissent déceler en fonction de la nature morphosyntaxique divergente des deux unités mises en relation.

10.3.1.1. Préposition - adverbe La transposition qui consiste à mettre en équation une préposition et un

adverbe concerne les unités qui sont susceptibles d’occuper les deux positions: celle de préposition introduisant un terme B et celle d’adverbe sans terme B. Ces adverbes d’un type spécial sont désignés aussi par le terme de „prépositions orphelines„ et ce sont des substituts adverbiaux. Certains d’entre eux n’ont pas de correspondant en roumain ce qui entraîne une transposition obligatoire:

L L'

Prép + B Prép + B

Adv Adv' (vii) Les uns attendent les emplois, les autres courent après. (vii′) Unii aşteaptă să le vină slujbele, alţii aleargă după ele. (viii) Il tenait un mouchoir à pois noirs à la main et s’éventait avec. (viii′) Ţinea în mînă o batistă cu picăţele negre şi-şi făcea vînt cu ea. (ix) Privind în urmă, Andrei văzu că toată păduricea era înecată în fum. (ix′) Regardant derrière lui, Andrei vit que tout le petit bois était noyé dans

un nuage de fumée. (T. Popovici, 443-540)

10.3.1.2. Structure prépositionnelle - Adverbe de manière Parmi les modifications structurelles qui laissent intactes les relations entre

l’unité de traduction et les autres constituants de la phrase on peut retenir la transposition par laquelle un caractérisant du verbe prépositionnel est transposé en adverbe de manière:

L L' Prép + B Prép + B' Adv manière Adv' manière (x) Pardon, pardon! protestă Ursu cu vioiciune.

(x′) Voyons, voyons! protesta Ursu vivement. (L. Rebreanu, 78-53)

(xi) … întinse mîna cîrciumarului şi i-o strînse cu vigoare.

123

(xi′) … il tendit la main au patron et la serra vigoureusement. (M. Eliade, 242-243)

(xii) Bubuiturile se succedau cu furie, neîntrerupt. (xii′)Les coups se succédaient furieusement, sans interruption.

(T. Popovici, 438-534) 10.3.1.3. Structure prépositionnelle - Adj L L' Prép + N Prép + N' Adj Adj

(xiii) Ştampila de după amiază. (xiii′) Le cachet vespéral

(P. Pardău, 102-9) (xiv) Au bout de quelques secondes, il ne resta plus que l’ardoise épurée du ciel au-dessus du rempart nébuleux. (xiv′) După cîteva secunde, n-a mai rămas decît tăblia curată a cerului, deasupra meterezului de nori.

(Cl. Lévi-Straus, 53-72)

10.3.1.4. Transpositions des formes verbales Les règles de sélection des formes verbales dans les propositions

subordonnées sont différentes en roumain et en français. Parmi les facteurs qui déterminent les choix des formes verbales en français il convient de retenir:

- la nature de la subordonnée (dépendante ou non dépendante d’un constituant de la proposition régissante);

- l’identité/la non identité (coréférentialité) des deux sujets, celui de la proposition régissante et celui de la proposition subordonnée;

- la nature thématique du verbe régissant; - la modalité d’énonciation impliquée. La principale divergence entre le roumain et le français qui entraîne des

transpositions de forme verbale est celle entre les formes verbales finies et les formes verbo-nominales (infinitif, gérondif, participe passé):

L L' Vf Vf' V non fini V non fini Dans les propositions complétives, l’infinitif est très rare en roumain et très

fréquent en français. Cette constatation d’ordre statistique conduit à l’hypothèse que les règles qui commandent le choix de la forme verbale sont différentes, même si les entrées sémantiques sont identiques (verbes régissants hétéronymes).

124

Avec une catégorie très importante de verbes français il est impossible d’avoir dans la complétive un sujet coréférentiel du sujet principal; à la place de ce „trou„ dans le paradigme on trouve un infinitif. La phrase à Vf du roumain correspond dans ce cas à une phrase ayant une complétive à l’infinitif:

(xv) Încercă să citească adevărul în ochii lui. (xv′) Il essaya de lire la vérité dans les yeux de Puiu.

(L. Rebreanu, I, 11-9) (xvi) Ar fi voit să meargă mereu, la nesfîrşit… (xvi′) Elle aurait souhaité aller toujours de l’avant, à l’infini…

(J. Bart, 37-36) (xvii) Je n’ai jamais pu comprendre que tu prennes ça tellement à coeur. (xvii′) Niciodată n-am putut să înţeleg de ce pui lucrurile astea la inimă.

(N. Sarraute, 9-12) Les phrases à sujet monté présentent les mêmes correspondances de formes

verbales: (xviii) Implora acum pe noul director al magazinului să facă ce făcuse el, să

dosească tabloul pînă ce ar fi fost în măsură să-l plătească. (xviii′) Et il implorait le nouveau gérant d’imiter son exemple, de mettre le

tableau en lieu sûr jusqu’à ce qu’il réunît la somme exigée. (G. Călinescu, 508-516)

Avec les verbes de sensation, le roumain utilise soit une complétive introduit par că, cum soit un gérondif; dans le deux cas le français se sert de l’infinitif:

(xix) I se păru că aude glasuri în casele vecine. (xix′) Il lui sembla entendre un bruit de voix chez les voisins.

(M. Eliade, 24é-244) (xx) Simţi cum îi năvăleşte din nou sîngele în obraji şi se porni mai tare pe fugă. (xx′) Il sentit son sang affluer de nouveau à ses joues et accéléra sa course.

(M. Eliade, 243-245) (xxi) În aceeaşi vreme îşi simţea sîngele înfierbîntîndu-se. (xxi′) En même temps, il sentait son sang s’échauffer.

(L. Rebreanu, I, 77-51) (xxii) Andrei tresărea de cîte ori auzea poarta deschizîndu-se. (xxii′) Andrei sursautait chaque fois qu’il entendait la porte s’ouvrir.

(T. Popovici, 74-88) (xxiii) Cu ochii închişi pe jumătate vedea crescînd din sînul mării, gigantic,

amfiteatrul Cornului de aur. (xxiii′) Les yeux mi-clos, elle voyait sortir du large, grandir, devenir

gigantesque, l’amphithéâtre de la Corne d’Or. (J. Bart, 36/34)

Dans les propositions dépendantes d’un constituant nominal ou adjectival, on signale les mêmes divergences qui peuvent être ramenées au type général:

• les propositions relatives dépendantes des nominaux singurul, primul, ultimul peuvent être transposées par un infinitif introduit par la préposition à:

(xxiv) Singurul care nu răspunse gestului reginei fu Laerte.

125

(xxiv′) Le seul à ne pas répondre au geste de Pénélope fut Laerte. (P. Pardău, 145-44)

• les propositions complément d’un nom abstrait connaissent la même transposition obligatoire:

(xxv) N-avu curajul să deschidă ochii, de teamă ca totul să nu fie decît o iluzie. (xxv′) Il n’eut pas le courage d’ouvrir les yeux de peur que tout ne fût qu’une illusion.

(T. Popovici, 42-50) • les propositions dépendantes d’un adjectif présentent le même type de

correspondance: (xxvi) Elle, émue de tant de trouble, se sentait prête à pleurer de bonheur. (xxvi′) Ea, emoţionată de atîta tulburare, era gata să plîngă de fericire.

(Ph. Hériat, 43-37) Les propositions non dépendantes (circonstancielles) se soumettent aux

mêmes contraintes sytaxiques: (xxvii) Degetele îi înmuiaseră ţigara şi după ce trase de cîteva ori, o aruncă

imediat. (xxvii′) Les doigts avaient mouillé sa cigarette. Après en avoir tiré quelques

bouffées, il la jeta dégoûté. (T. Popovici, 211-271)

(xxviii) Oameni care simulau nebunia ca să nu fie trimişi pe front … (xxviii′) … des gens qui simulaient la folie pour ne pas être envoyés au front.

(T. Popovici, 306-368) (xxix) Que de fois Lydie s’était penchée à cette fenêtre basse pour voir s’il

n’apparaissait pas dans le lointain de la rue. (xxix′) De cîte ori Lydie nu se aplecase pe această fereastră scundă, să vadă

dacă nu se ivea cumva la capătul străzii … (Ph.Hériat, 36-31)

Les cas où à un infinitif de roumain il correspond en français un Vf sont plus rares. Les propositions non dépendantes admettent en roumain l’infinitif, même si les sujets ne sont pas coréférentiels, tandis que le français emploie obligatoirement, dans ce cas, le Vf:

(xxx) – Dă fuga pînă la barcă şi spune-i timonierului să-mi caute şapca înainte de a cădea la fund.

(xxx´) – Fais un saut jusqu’à la barque et dis au timonnier d’aller pêcher ma casquette avant qu’elle ne coule.

(J. Bart, 233-116) Au niveau de l’énoncé, on peut signaler des transpositions qui consistent à

transformer une phrase à modalité énonciative à Vf en une phrase infinitive. Il s’agit particulièrement:

• de phrases interrogatives partielles directes qui expriment non seulement un appel d’information, mais aussi diverses valeurs subjectives (approbation, désapprobation, débat intérieur etc.):

(xxxi) – Acum cînd ni-i duşman, de ce să nu-i rostim numele?

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(xxxi′) – Maintenant qu’il est notre ennemi, pourquoi ne pas prononcer son nom?

(P. Pardău, 140-40) (xxxii) – Ce să înţelegem? Cum să acţionăm? Ce atitudine să luăm? (xxxii′) – Comprendre quoi? Comment agir? Quelle attitude prendre?

(T. Popovici, 324-394) Le tour à l’infinitif ne peut être évité que si l’on fait appel à un auxiliant de

modalité exprimant l’obligation. • de phrases impératives L’infinitif prohibitif du français se prête à la transposition à Vf: (xxxiii) – Ne pas toucher, c’est douloureux. Ne pas remarquer, c’est trop

honteux. (xxxiii′) – Nu atingeţi, e dureros. Nu remarcaţi, e prea ruşinos.

(N. Sarraute, 10-13) Notons également qu’en position de verbe régissant dans une phrase

indépendante, le Vf du roumain peut correspondre, dans les textes narratifs, à un infinitif dit „de narration„:

(xxxiv) – Şi totuşi opera trebuie continuată cu orice preţ, sfîrşi rezidentul. (xxxiv′) – Cependant l’oeuvre doit se poursuivre à tout prix et le résident

de conclure. (J. Bart, 93-223)

10.3.1.5. La transposition par nominalisation/verbalisation Par cette transposition on met en correspondance un élément nominal, le plus

souvent un nom d’action avec un élément verbal appartenant à la même famille morpho-sémantique.

Soit schématiquement:

L L' Nom Nom'

V V Il y a nominalisation si l’unité de départ est un verbe et l’unité d’arrivée est un

nom: (xxxv) Titu Herdelea îi povesti apoi pe îndelete cum a debarcat în capitală. (xxxv′) Titu Herdelea lui raconta alors en détail son arrivée à Bucarest.

(L. Rebreanu, II, 14-32) (xxxvi) … à l’instant où le rayon jaillissait. (xxxvi′) … în momentul irumperii razei.

(Cl. Lévi-Strauss, 51-70) L’infinitif du français correspond souvent à un infinitif long, ayant en

roumain le statut d’un nom:

127

(xxxvii) Chacun la flûte levée, fit voir son caractère au moment de prononcer son toast.

(xxxvii′) Fiecare cu paharul ridicat, îşi dădu la iveală caracterul în clipa rostirii toastului.

(Ph. Hériat, 71-65) (xxxviii) Tout concourait à multiplier (…) l’ardeur des travaux (xxxviii′) Totul concura la sporirea ardorii lucrătorilor …

(Ph. Hériat, 66-60) Il y a verbalisation si l’unité source est un nom et l’unité cible un verbe. Cette transposition résulte d’une divergence dans les capacités dérivationnelles

des deux langues engagées dans la traduction. Disposant d’un nom d’action (l’infinitif long) qui lui assure des possibilités de substantivation pratiquement illimitées, le roumain se sert plus souvent du nom d’action que le français.

La transposition par une forme verbale a un caractère obligatoire si la dérivation est bloquée en français, ce qui entraîne automatiquement une modification du nom d’action en une espèce verbale ou verbo-nominale. Même là où il existe un nom correspondant en français, la nature sémantique du nom d’action d’origine verbale peut imposer en français l’infinitif:

(xxxix) … formidabila forţă a naturii care ameninţa cu închiderea canalului de navigaţie.

(xxxix′) … la formidable force de la nature menaçant de murer le canal de navigation.

(J. Bart, 223-95) Le mécanisme de la transposition est plus compliqué, car le nominal roumain

neutralise les valeurs de diathèse et celles-ci doivent être récupérées par la forme verbale correspondante. Ainsi, dans la phrase suivante le nom d’action du roumain est transposé par un infinitif factitif:

(xl) La ora asta, într-un colţ întunecat al depoului, ei îşi fac planul aruncării în aer a unui transport.

(xl′) A cette heure-ci, dans un coin sombre du dépôt, se disait-il, ils établissent un plan pour faire sauter un transport.

(T. Popovici, 214-260) Dans d’autres cas, c’est la diathèse pronominale qui est rétablie par la

verbalisation: (xli) Seara, înainte de culcare, Varga se încuia în bibliotecă… (xli′) Le soir, avant de se coucher, Varga s’enfermait dans la bibliothèque.

(T. Popovici, 311-379) La transposition par verbalisation peut s’accompagner d’une transposition

séquentielle: (xlii) Dansul începuse, cînd amiralul cu statul său major îşi făcu apariţia. (xlii′) On avait déjà commencé à danser quand l’amiral et son état major

firent leur apparition.

128

10.3.2. La transposition par expansion présente ceci de particulier que l’unité cible contient une unité de plus, sous la forme d’un élément support suivi d’un nominal de la même famille morpho-sémantique que son hétéronyme verbal. La transposition obtenue par une dérivation syntaxique à verbe support se présente de la manière suivante:

L L’ N0 + V N0' + V' N0 + Vsup + Vn N0'+ Vsup' + Vn' où N0 et N0' = sujets de la phrase V et V' = verbes ordinaires Vsup et Vsup'= verbes support Vn et Vn'= noms de la même famille sémantique que V X se plimbă X se promène X face o plimbare X fait une promenade

A la différence des verbes ordinaires de sens lexical plein, les verbes support constituent une classe fermée. Le parallélisme des constructions paraphrastiques, à verbe ordinaire et à verbe support suivi d’un nom, se retrouvent dans les deux langues et peut servir de point de départ dans l’analyse des opérations traduisantes.

A l’intérieur des structures simples avec V sup d’insertion, plusieurs structures se laissent déceler en fonction de leurs caractéristiques syntactico-sémantiques établies en fonction du verbe ordinaire.

Plusieurs particularités divergentes sont révélées par l’analyse comparative des structures à V sup, ce qui entraîne des traductions indirectes obligatoires:

• le système est lacunaire dans l’une des deux langues (transposition obligatoire):

L L' a) a mîngîia pe cineva –

caresser quelqu’un faire des caresses à qn

b) – a se folosi de şiretlicuri

ruser faire des ruses/user de ruses

• Les Vsup employés ne sont pas toujours en rapport d’hétéronymie directe (non contextuelle):

L L' a pierde perdre a avea o pierdere faire une perte

129

a-şi cere scuze faire ses excuses

a scoate un strigăt /un urlet/un oftat/un geamăt/

pousser un cri/un hurlement/un soupir/ un gémissement

a da o bătălie livrer une bataille etc.

• Il existe des Vn qui peuvent se combiner avec plusieurs Vsup:

a aduce o acuzaţie porter une accusation/faire une accusation

• La relation de paraphrase est annulée, les deux structures étant divergentes du point de vue sémantique:

a prăpădi détruire a face prăpăd faire du ravage

La dérivation syntaxique par Vsup (M. GROSS, 1975) permet aussi des mises en correspondance non obligatoires:

(xliii) – Peste tot foiesc oştenii (xliii′) – Partout c’est un fourmillement de soldats.

(T. Popovici, 112-17). (xliv) – Pe urmă cînd s-a isprăvit Ciuleandra (…) eu am rămas de mînă cu ea. (xliv′) – Ensuite, lorsque Ciuleandra prit fin (…) je restai près d’elle.

(L. Rebreanu, I, 84-560) (xlv) … doar să se odihnească puţintel lăutarii. (xlv′) … on attendait seulement que les violoneux prissent un peu de repos.

(L. Rebreanu, I, 83-55)

(xlvi) Departe de tot strigă cineva. (xlvi′) Très loin quelqu’un pousse un cri.

(G. Călinescu, 361-362) (xvii) Odată cu ea intră pe uşa din mijloc doctorul Alec Zănoagă. (xlvii′) En même temps que madame Smarandaki fit son entrée par la porte

centrale le docteur Alec Zanoaga. (G. Călinescu, 358-360)

10.3.3. La transposition incidencielle implique un déplacement du point

d’incidence du nom sur le verbe ou inversement, ce qui entraîne d’autres modifications formantielles (l’accord).

Un cas particulier de transposition incidencielle est celle qui affecte le déterminant roumain à double incidence, l’élément prédicatif supplémentaire; la traduction oriente l’incidence soit vers le nom, auquel cas le transfert s’effectue sous la forme d’une épithète détachée, soit, et c’est le cas le plus fréquent, vers le verbe.

(a) L(Roumain) L'(Français)

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N0 + V + dt N0' + V' + dt' (xlviii) Se uita împrejur năucit. (xlviii′) Il regarda autour, hébété.

(L. Rebreanu, I, 8-7) (b) L(Roumain) L'(Français) N0 + V + dt N0' + V' + dt' (xlix) Ea privea mândră drept înainte cu o inocentă cochetărie. (xlix') Fièrement, elle regardait droit devant elle avec une coquetterie sans malice.

(J. Bart, 234-117) (l) … o regină care aşteaptă credincioasă întoarcerea soţului iubit. (l') … une reine qui attend fidèlement le retour de son époux bien aimé.

(N. Pardău, 148-146) Dans certains autres cas, l’élément prédicatif supplémentaire est transposé

sous la forme d’un déterminant verbal introduit par la préposition avec : (li) Vizitele cotidiene le primea indiferent. (li′)Ses visites quotidiennes, il les recevait avec indifférence.

(L. Rebreanu, I, 76-51) L’adverbe roumain peut être transposé en épithète détachée incidente à un dt du V: (lii) Acuma Puiu Faranga avu fulgerător revelaţia realităţii. (lii′) C’est alors que, fulgurante, la révélation de la réalité s’abattit sur

Puiu Faranga. (L. Rebreanu, I, 10-8)

Un cas particulier de transposition incidencielle est l’hypallage, qui entraîne parfois une réorganisation plus profonde de la phrase dans le passage de la langue de départ à la langue d’arrivée.

Définie en rhétorique comme une figure par laquelle on attribue à un mot de la phrase ce qui convenait à un autre mot de la même phrase, l’hypallge consiste en un glissement du point d’incidence qui déclenche un „conflit” entre syntaxe et sémantique. Les séquences qui résultent de l’application de ce procédé sont souvent insolites et semblent contrevenir au principe de la naturalité sémantique. En effet, dans une phrase telle que:

La vieille semblait au comble de l’irritation, levait son poing cliquetant de bracelets comme celui d’une romanichelle.

(R.M. du Gard) il est évident que le déterminant cliquetant ne s’applique pas au mot poing mais aux bracelets. L’anomalie sémantique résulte de la violation d’une règle de

131

sélection qui veut que le verbe cliqueter évoque les bruits secs que produisent des corps sonores qui s’entrechoquent. De même, dans le groupe nominal Ce marchand accoudé sur son comptoir avide (V.Hugo), l’adjectif avide, qui normalement ne se dit que d’un animé, est appliqué à un objet concret, un artefact. C’est parce que les relations de dépendance syntaxique „ignorent” les relations sémantiques habituelles que l’hypallage peut fonctionner comme figure.

Ce jeu croisé de déterminations syntactico-sémantiques semble pourtant être d’une portée plus générale; il dépasse largement le cadre de la figure connue sous le nom d’hypallage et il n’est pas sans conséquence pour la mise en équivalence interlinguale.

Avant de présenter la façon dont les solutions de transfert s’articulent, on doit mettre au clair la nature des faits que l’hypallage est censée recouvrir. Il ne s’agit pas simplement de dépasser les particularités d’un texte donné en vue de la transferer en langue cible, il s’agit de repérer en langue source les indices permettant de restituer les opérations à l’oeuvre dans l’acte traductif.

Il existe, certes, des figures d’invention que le traducteur est obligé de transférer telles quelles en langue cible, mais il existe aussi des hypallages conventionnalisées qui imposent une traduction indirecte (transposition ou modulation).

Notre analyse ne vise évidemment que les hypallages lexicalisées ou les structures dont le point d’incidence est déplacé. Aussi nous proposons-nous de mettre en évidence, à travers un réseau de significations et de rapports syntaxiques réalisé en surface, le réseau sous-jacent qui rétablit les relations dans leur „normalité” et qui est restitué en langue cible par l’opération traduisante.

Ces relations sont révélées par la paraphrase, d’abord intralinguale, ensuite interlinguale; elles pourraient être représentées comme suit:

Langue source

Incidence réalisée

Incidence sous-jacente

L A B C paraphrase A (B) C

Langue cible A′ B′ C′

A, B, C = constituants de la phrase source A′, B′, C′ = constituants correspondants de la phrase cible

Les parenthèses notent le caractère éventuellement implicite du constituant (ellipse possible). Les flèches marquent le point d’incidence, les constituants B et C fonctionnent comme des déterminants.

132

Pour établir les correspondants des hypallages (quel que soit le vecteur du transfert du français en roumain ou du roumain en français) il faut prendre en compte plusieurs facteurs:

a) la nature des relations entre constituants (l’incidence). b) l’équivalence lexicale entre constituants. c) les compatibilités sémantiques entre le déterminé et son (ses) déterminant(s). Nous avons décelé plusieurs types d’hypallages conventionnelles, mais la

structure est la même; elle engage un élément centre déterminé (nom ou verbe) et un déterminant, incident au premier.

Un premier type est constitué par les structures elliptiques. Plusieurs cas sont à prendre en considération:

a) la traduction est directe, l’hypallage étant commune aux deux langues, le français et le roumain:

paralizie infantilă → paralysie infantile (des enfants) conflict armat → conflit armé

b) le constituant implicite est rétabli en langue cible:

jaf armat → vol à main armée

c) le point d’incidence est déplacé

une lampe de fausse époque → o lampă de epocă, falsă (neautentică)

Un cas particulier est celui des structures où l’agent est implicite, la structure étant apparemment active du fait de l’absence en surface du performeur:

spectacle payant – spectacol cu bilete plătite chaises payantes – scaune care se plătesc

(pentru care se plăteşte o taxă)

Un autre cas consiste en une application sémantiquement inadéquate d’un adjectif; c’est une dérivation à partir d’une structure préexistente dans laquelle le déterminant en question est appliqué normalement (à un nom animé):

arte plastice → artist plastic → plasticien physique nucléaire → physicien nucléaire → atomiste

Certains groupes nominaux connaissent une structuration qui relève des mécanismes de l’hypallage. Sémantiquement, les relations entre le determiné et le déterminant y sont de nature synecdochique: le déterminé exprime le tout et le déterminant la partie.

Les substantifs „strictement appropiés” présentent cette propriété de pouvoir absorber toute information, qui en réalité est portée par le seul déterminant, ce qui entraîne un déplacement syntagmatique (type elle est mince des doigts).

Les groupes nominaux qui présentent ces déplacements d’incidence ont des correspondants roumains différents du point de vue de la perspective sémantique. On peut ainsi déceler dans le passage du français au roumain plusieurs types de modulations:

133

- une visée locative (exprimée par les prépositions la, în)

Il est foncé de visage – E smead la faţă Il est beau de visage – E frumos la chip Il est large d’épaules – E lat în spate

- une visée possessive:

Elle est mince des hanches. – Are şolduri înguste.

Dans certains autres cas, la correspondance s’établit entre la relation synecdochique et la visée globale.

La chambre est basse/haute de plafond – Camera e joasă/înaltă.

- visée relationnelle (point de vue)

La théorie est parfaite de forme Această teorie e perfectă ca formă / din punct de vedere al formei.

Un autre type de déplacement incidenciel est propre aux structures à double déterminant hiérarchisé en français:

N + dt

dt C’est un livre facile à lire

La relation sous-jacente où facile est en réalité le déterminant de l’infinitif (N + dt + inf) est rétablie dans le correspondant roumain, qui change la classe grammaticale du déterminant, d’adjectif il devient adverbe:

Este o carte uşor de citit / care se citeşte uşor.

Le nom déterminé ne peut pas absorber l’information du groupe tout entier, à preuve que dans une série de structures l’adjectif seul est incompatible avec le nom:

Il fut long à s’endormir * il fut long Un invité facile à contenter * Un invité facile

Partout en roumain il y a transposition adverbiale, mais les solutions sont différentes en fonction de la relation instituée entre les constituants:

a) structures actives: – Il fut long à s’endormir – Adormi cu greu – Il est lent à se décider – Se decide cu greu – (fam.) C’est long à venir, cette réponse – Răspunsul vine încet / Se lasă

aşteptat – Un homme prompt à se mettre en colère – un om care se înfurie repede.

134

b) structures passives: – Un objet délicat à manier – un obiect greu de mînuit – Une chose facile à réussir / à comprendre – un lucru uşor de realizat

/ de înţeles – Un homme trop facile à tromper – un om care se lasă uşor înşelat.

Loin d’être un phénomène accidentel relevant de la seule stylistique littéraire, l’hypallage revêt des formes diversifiées inscrites en langue.

Le déplacement syntactico-sémantique qu’elle implique n’est pas décelable à première vue, il est voilé par la structure syntagmatique de la proximité. Ce n’est que par la traduction que l’on découvre les fonctions décrochées. La traduction indirecte, transposée met d’accord la syntaxe avec la sémantique, en éliminant de cette manière le conflit déclenché par le décalage du point d’incidence.

10.4. Transpositions complexes

La transposition complexe implique une réorganisation grammaticale plus profonde résultant d’une redistribution des informations sur plusieurs constituants qui, en même temps, changent de classe grammaticale. Les unités engagées dans ces transpositions entretiennent entre elles des rapports de caractérisation de déterminant à déterminé (Dt - dt).

On en distingue plusieurs types en fonction de la nature et de la complexité des mécanismes de traduction qui sont mis en oeuvre lors du passage de la langue source à la langue cible:

• la transposition corrélative • la transposition inversée (croisée) • la transposition globale (le chassé-croisé) 10.4.1. La transposition corrélative est une sous-espèce de la transposition

incidencielle, car elle implique le déplacement du point d’incidence du dt. Cette réorientation de l’incidence est corrélative à une transposition des espèces (classes grammaticales) fondée sur une dérivation syntaxique (M. GROSS, 1975: 107 sqq.).

Appliquée à la traduction, cette dérivation se présente comme une transposition par expansion à V sup ou à Nsup.

(a) L L' N0 + V + dt N0' + V'sup + N'+dt' (liii) Rîse nervos şi se îndreptă pe scaun. (liii′) Il eut un petit rire nerveux et se redressa sur sa chaise.

(L. Rebreanu, I, 79-53) (liv) Zîmbi şters. (liv′) Il eut un faible sourire.

(T. Popovici, 148-182) La transposition peut revêtir la forme d’une structure impersonnelle, si le

sujet est indéterminé: (lv) Ceva fluieră scurt, o scurtă clipă de linişte.

135

(lv′) Il y eut un bref sifflement suivi d’un moment de silence. (T. Popovici, 439-535)

Dans certains autres cas, c’est la préposition associative avec qui joue le rôle d’un élément support permettant le déplacement du point d’incidence:

(lvi) Se uită la mine şi rîse ciudat. (lvi′) Elle me regarda aussi avec un rire étrange.

(L. Rebreanu, I, 83-56) (lvii) Mda … repetă doctorul cu o imperceptibilă tresărire. (lvii′) Ben, oui, … répéta le docteur en tressaillant imperceptiblement.

(L. Rebreanu, I, 80-54) (b) Le déplacement du point d’incidence s’accompagne souvent d’une

expansion, c’est-à-dire de l’insertion d’un Nsup qui devient le centre du groupe déterminatif:

L L' N0 + V + dt N0' + V + Nsup+dt'

Les Nsup sont particulièrement fréquents avec les verbes accompagnés d’un dt attitudinal:

(lviii) Îi vorbea mai onctuos, surîdea chiar din cînd în cînd. (lviii′) Il lui parla d’un ton onctueux et sourit même parfois.

(L. Rebreanu, I, 77-31) (lix) Începu brusc, nervos, sacadat. (lix′) Il enchaîna brusquement, d’un ton nerveux, saccadé.

(L. Rebreanu, I, 79-53) (lx) – Andrei, vorbi încet, stins tatăl său, ce-ai făcut Andrei? (lx′) – Andrei, fit d’une voix basse et éteinte son père, qu’as-tu fait, Andrei?

(T. Popovici, 74-88) (lxi) Cîrciumarul mă asigură rîzînd viclean că aici numai Ciuleandra merge

acum pînă înnoptează. (lxi′) L’aubergiste m’assura en ricanant d’un air rusé que la coutume voulait

qu’on ne jouât que la Ciuleandra jusqu’à la tombée de nuit. (L. Rebreanu, I, 83-55)

La même insertion d’un Nsup peut intervenir avec le dt à double incidence ou avec une épithète détachée:

(lxii) Doi şoferi intrară posomorîţi fără să spună un cuvînt şi se aşezară la masa de lîngă fereastră.

(lxii′) Deux chauffeurs entrèrent d’un air sombre et s’assirent sans mot dire à une table près de la fenêtre.

(M. Eliade, 241-243) (lxiii) Începu din nou să-şi şteargă obrajii, absent, aproape cu silă. (lxiii′) … il s’était remis à éponger son front et ses joues (…) d’un air las et

dégoûté. (M. Eliade, 242-241)

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D’autres Nsup peuvent également être utilisés dans le même type général de transpositions corrélatives:

(lxiv) Apoi cu un efort scurt se ridică de pe scaun, îşi luă pălăria şi se apropie şovăitor de tejghea.

(lxiv′) Puis, d’un bref effort, il quitta sa chaise, prit son chapeau et s’approcha du comptoir, d’une démarche un peu hésitante.

(M. Eliade, 242-243) (lxv) … omul îşi căută nervos ceasul. (lxv′) … l’homme chercha sa montre d’un geste nerveux.

(M. Eliade, 240-241) (lxvi) De după boschet, unde stăteau în genunchi, pătrunşi de umezeală, cu

inimile bătîndu-le repede, înfundat, Andrei şi Ardeleanu urmăreau mişcările agitate ale servanţilor.

(lxvi′) De derrière le bosquet où ils étaient agenouillés, pénétrés par l’humidité, le coeur battant à coups sourds et rapides, Andrei et Ardeleanu suivaient des yeux les mouvements précipités des servants.

(T. Popovici, 436-533) 10.4.2. La transposition inversée est un procédé complexe fondé sur une

opération de conversion qui consiste à redistribuer inversement les informations contenues par le Dt et le dt:

L L’ Dt Dt' dt dt' (lxvii) În dreptul vămii care dădea o iluzie de umbră, un grănicer la post

pirotea în picioare rezemat de armă. (lxvii′) Vers la douane, près de la guérite, qui projetait une ombre illusoire,

un garde-frontière sommeillait debout appuyé à son arme. (J. Bart, 15-10)

(lxviii) … des rochers semblables à des châteaux ruinés de briques rouges, s’élevant au-dessus de l’opale des sables.

(lxviii′) Mai întîi, stînci care se înalţă peste nisipurile opaline ca ruinele unor castele din cărămidă roşie.

(C. Lévi-Strauss, 110-136)

10.4.3. La transposition globale (chassé-croisé) est un procédé de traduction qui relève de la transposition inversée pour autant qu’il implique une redistribution des informations sur des constituants qui appartiennent à des classes de mots différentes, redistribution qui entraîne une réorganisation globale de la phrase.

A la différence de la transposition inversée, le chassé-croisé porte sur l’élément verbal pivot de la phrase, ce qui fait que l’ensemble est affecté par le transfert.

Deux opérations président à cette opération complexe: – le signifié du verbe principal de la langue source est redistribué sur un élément

non verbal (dt) qui absorbe une partie de l’information du signifié de la langue source; – le signifié du dt de la langue source est redistribué sur le verbe principal:

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(1) L L′ Vprinc V′princ Dt dt' (gérondif)

(lxix) Alergă de-a lungul cheiului. (lxix′) Il longea le quai en courant. (lxx) Se înfioră dînd înapoi cu un pas. (lxx′) Elle recula en frissonnant. (lxxi) Se tîrî (pînă) pe trotuarul celălalt. (lxxi′) Il gagna en rampant l’autre trottoir. (lxxii) … des torrents qui dévalent en bondissant. (lxxii′) … torenţi care sar la vale.

(C. Lévi-Strauss, 130-159) (lxxiii) Mormăi un răspuns. (lxxiii′) Il répondit en grognant. (1xxiv) Îngăimă o scuză. (1xxiv′) Il s’excusa en bafouillant.

(2) L L′ V princ Vprinc′

dt dt′(adv)

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(1xxv) Se furişă afară. (1xxv′) Il sortit en catimini.

(3) L L′ V princ Vprinc′ dt dt′ (prép +N)

(1xxvi) Se repezi pe uşă afară. (1xxvi′) Il sortit à pas précipités.

(1xxvii) Lumina se revărsa înăuntru pe geamul deschis. (1xxvii′) La lumiére entrait à flots par la fenêtre ouverte.

(1xxviii) Douăsprezece şi zece, oftă el cu gravitate. (1xxviii′) Midi dix, dit-il gravement, avec un soupir.

(M.Eliade, 241-243) (4) L L′ Vprinc Vprinc′ dt dt′ (1xxix) O porni la fugă în susul străzii. (1xxix′) Il se mit à remonter la rue en courant.

(M. Eliade, 243-244) Dans d’autres cas, le transfert combine le chassé-croisé avec une

transposition incidencielle par expansion: (1xxx) O priviră ţintă. (1xxx′) Ils braquèrent leurs regards sur elle. (1xxxi) O privi pe furiş, neliniştit. (1xxxi′) Il lui glissa un regard angoissé.

10.5. Conclusion

La transposition revêt des formes très diversifiées qui, bien que relevant dans la plupart des cas du domaine des solutions préférentielles, n’en révèlent pas moins certaines récurrences dont le traducteur doit tenir compte dans son activité pratique.

Une étude des transpositions devra être axée sur la nature de la modification formantielle subie par l’unité (ou les unités) de traduction transposée. Il s’agit principalement:

• d’une modification simple d’espèce; • d’une modification avec déplacement du point d’incidence • d’une modification avec dilution (par expansion) • d’une modification globale entraînant la réorganisation syntaxique de la phrase. Un examen attentif de la transposition doit conduire à la mise en relief des

multiples rapports qui s’instaurent entre la substance sémantique et son incarnation linguistique.

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Elle constitue aussi un excellent exercice d’appréhension des structures idiosyncrasiques.

SUJETS DE DEVOIRS

• Commentez le texte suivant: „La transposition est au fond un jeu de chassé-croisé par-dessus les barrières

des langues: on reçoit de l’original, comme un dépôt précieux, le trésor du sens, mais on le répartit sur des cases de notre choix. Ce jeu se poursuit sur tous les plans.” (J.P.VINAY)

• Donnez quelque exemples: – de transpositions inversées – de transpositions corrélatives – de transpositions globales

• Quelles sont les possibilités de transposition de l’élément prédicatif supplémentaire du roumain en français?

• Identifiez les types et sous-types de transpositions et justifiez leur emploi:

– Să mă iertaţi, domnule, că mă găsiţi aici.

(T.Popovici)

Excusez, monsieur, ma présence ici.

Deodată se apropie, şezu lîngă Puiu şi zise moale, insinuant.

(L.Rebreanu, I)

Tout à coup il se rapprocha, s’assit près de Puiu et dit d’un ton insinuant, onctueux.

Rosti vexat: – Era numele ei. (L.Rebreanu, I)

Il dit d’un air offensé: – C’était son nom.

– Ai adus sărurile? întrebă enervată stăpîna.

(M.Eliade)

– Vous avez apporté les sels? deman-da sa maîtresse sur un ton irrité.

– Ce-ţi pasă dumitale? Sări deodată, înţepată Elisabeta.

(M.Eliade)

– Qu’est-ce que ça vous fait? fit tout à coup Elisabeta, d’un air piqué.

Una din femei întoarse capul şi-l privi enervată.

(M.Eliade)

Une des femmes tourna vers lui un regard courroucé.

Ajunse lîngă uşa dormitorului potri-vindu-şi manşetele şi mînecile boţite, dar uitîndu-se mereu uluit la sofaua pe care ea zăcea neclintită.

(L.Rebreanu, I)

Il gagna la porte de la chambre à coucher, tirant ses manchettes, mais son regard effaré ne quittait pas le divan où elle gisait immobile.

Puiu rămase pe loc uitîndu-se nedumerit la uşă.

(L.Rebreanu, I)

Puiu resta sur place fixant la porte d’un regard stupéfait

S-a mutat după bombardament, adăugă Il a déménagé après le bombarde-

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clipind ironic din ochi. (M.Eliade)

ment, ajouta-t-il avec un clignement ironique.

Gore îşi zvîrli pe furiş privirile în toate părţile.

(M.Eliade)

Gore jeta de tous côtés quelques regards furtifs.

Grăbi deodată pasul, furios, dar după ce ajunse la capătul străzii, se opri scurt.

(M.Eliade)

Son pas s’accéléra furieusement, mais au coin de la rue il s’arrêta brusquement.

…întinse mîna cîrciumarului şi i-o strînse cu vigoare.

(M.Eliade)

…il tendit la main au patron et la serra vigoureusement.

– Douăsprezece şi zece, oftă el cu gravitate.

(M.Eliade)

– Midi dix, dit-il gravement avec un soupir.

Un bătrîn şi două femei îl priviră intrînd fără curiozitate.

(M.Eliade)

Un vieillard et deux femmes le virent entrer sans manifester de curiosité.

Auzi uşa coridorului zăngănind şi înfipse securea într-un butuc.

(T.Popovici)

Il entendit grincer la porte du corridor et enfonça sa hache dans une bûche.

În cămin două buturuge mocneau cu flăcări galbene, ce se răsuceau şi se întindeau mînioase ca nişte limbi de balaur.

(L.Rebreanu, I)

Dans la cheminée, deux bûches se consumaient lentement en flammes jaunes qui se tordaient et se dressaient furieusement comme des langues de dragon.

…auzi îndată pe tante Matilda scîn-cindu-se…

(L.Rebreanu, I)

…il entendit aussitôt tante Matilde pleurnicher

Băiatul, docil, merse la clavecin şi se aşeză înaintea lui pe un scaun ordinar de brad peste care era pusă o mică pernă. Mareşalul, care era profesorul lui de muzică, îi potrivi patern caietul de note înainte. Filip după ce terminase cursul primar nu mai urma acum nici o şcoală, pentru că prinţesa declarase că şcoala republicană nu e rumânească, nici ortodoxă.

(G. Călinescu)

Le garçonnet se dirigea doucement vers le clavecin et s’assit sur un vulgaire tabouret en bois de chêne sur lequel on avait posé un coussinet. Le maréchal, qui lui donnait des leçons de musique, ouvrit la partition d’un geste paternel. Au sortir de l’école communale, Philippe n’avait pas poursuivi ses études, car, selon la princesse, le lycée républicain n’était ni roumain ni orthodoxe.

• Trouvez les structures transposées équivalentes des énoncés suivants:

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a) Repetă absentă: Mîine seară? – Deosebirea s-a produs pe nesimţite. – Urmărirea a avut un sfîrşit tragic. – Închise uşa cu grijă. – Dădu din cap sceptic. – Copiii îl aşteptau cuminţi. – Îl privi neliniştită. – Nu îndrăznea să-şi creadă ochilor. – Plîngea întruna. – O porni agale spre gară.

b) Il eut un gros rire heureux. – Elle tourna vers lui un regard ironique. – Elle inclina la tête affirmativement. – Il avait du mal à s’intéresser à la conversation. – Il scrutait anxieusement le ciel. – Il essuya son front couvert de sueur avec un sourire forcé. – Je vous rappelle dans un instant, dit-il sur un ton sec. – Elle dansait d’un pied sur l’autre nerveusement. – Il biaisa pour gagner du temps. – Il rusa pour arriver à ses fins.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CRISTEA, T., 1976. - „La transposition en analyse contrastive”, in Analele Universităţii din Bucureşti, p. 3-10.

CRISTEA, T., 1988. - „Réflexions sur la dérivation syntaxique en français et en roumain”, in Etudes Contrastives, Bucarest, p. 143-178.

CRISTEA, T. 1993. - „Transpunerea în dicţionarul bilingv”, in Buletin, Associazione Latina degli Studi Romeni, Milano.

GROSS, M., 1975. - Méthodes en syntaxe, Hermann, Paris. GUILLET, A. et LECLÈRE, C., 1981 – „Restructuration du groupe nominal”, in

Langages, no.63, p.99-127. MALBLANC, A., 1966. - Stylistique comparée du français et de l’allemand, Didier, Paris. PAILLARD, M., 1993 – „Lexicologie contrastive et traduction”, in M.BALLARD (éd.) La

traduction à l’université, Presses Universitaires de Lille, p.31-46.

11. IMAGE DU MONDE ET TRADUCTION: LA MODULATION

142

„On pourrait poser en principe que la modulation exprime, d’une façon générale, l’opposition entre deux raisonnements et qu’elle est de ce point de vue, un indice de divergence entre deux langues, traduisant ainsi une divergence entre deux attitudes mentales vis-à-vis d’une même situation”.

(J.P.VINAY et J.DARBELNET)

11.1. Le changement de perspective dans l’acte traductif La modulation est un procédé qui repose essentiellement sur une

modification de nature sémantique. Les mécanismes qui déclenchent une traduction modulée sont à la fois plus subtils et plus complexes car ils engagent un changement de perspective qui instaure un autre rapport entre les signes et la realite dénommée.

L’analyse des textes bilingues ainsi que celle des dictionnaires conduit à poser le problème de la découverte des constantes permettant de definir et de caractériser la modulation dont l’unité doit apparaître à travers une très grande diversité.

Le trait commun de toutes les modulations, quel que soit le type particulier dont elles relèvent, est le rejet de la traduction hétéronymique. Certes, il existe dans ce domaine aussi des choix collectifs de caractère stable, conventionnel. C’est en donnant une cohérence à l’ensemble de ces choix que la traductologie peut apporter une réponse satisfaisante aux problèmes soulevés par le transfert.

Une étude systématique de la modulation devra préciser les conditions de la modification de l’unité source et corrélativement les conditions de l’invariance tant dénotative que connotative.

11.2. Types et sous-types de modulations

Quant à la classification des modulations, elle peut se faire en fonction de plusieurs critères disposés hiérarchiquement:

• le niveau fonctionnel auquel se place l’unité modulée, distinction qui prend aussi en compte la complexité de la modification opérée, définie par le nombre d’opérations impliquées. Le schéma suivant rend compte de ces sous-types de modulations:

Modulations lexicales phrastiques énonciatives (équivalence) partielles totales

(1) (2) (3) (4) (1) La modulation lexicale partielle implique le plus souvent une

modification à l’intérieur d’une séquence constituée d’un mot centre et d’un

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déterminant; la modulation affecte seulement l’un des constituants, dans la grande majorité des cas le déterminant, suivant la structure:

L L′ Dt +dt Dt′ +dt′

Dt-Dt′=hétéronymes dt-dt′=modulation

o inimă de piatră - un coeur de fer a strînge rîndurile - serrer les coudes (i) Se auzi vocea încleştată de emoţie a operatorului. (i′) On entendit (…) la voix de l’opérateur, étranglée par l’émotion.

(T.Popovici, 437 - 533) (ii) Îl întîlniră într-un luminiş scormonit de obuze. (ii′) Ils les trouvèrent dans une clairière labourée par les obus.

(T.Popovici, 445 - 543) (2) les modulations lexicales totales affectent l’ensemble de l’unité qui

apparaît ainsi comme une unité non compositionnelle et figée: a se face luntre şi punte - remuer ciel et terre a tăia frunză la cîini - se tourner les pouces, gober des mouches, enfiler des perles (iii) – Dumnealui spune că a fost alarmă, vorbi el deodată prinzînd curaj. (iii′) – Monsieur prétend qu’il y aurait eu une alerte, dit-il tout à coup, comme

en se jetant à l’eau. (M. Eliade, 249 - 252)

(3) La modulation phrastique consiste en une réorganisation qui affecte principalement le type de phrase, étant fondée sur l’antonymie lexicale:

(iv) E cam departe. (iv′)C’est pas tout près.

(M.Eliade, 250 - 253) (4) Au niveau énonciatif, c’est la fonction interlocutive qui décide de la

formulation linguistique. C’est pour cette raison que l’on parle dans ce cas d’équivalence plutôt que de modulation. Une démarcation aussi nette que celle que les stylisticiens comparatistes proposent n’est guère justifiable: si l’on définit l’équivalence comme la mise en relation de deux situations énonciatives que serait-ce la modulation énonciative sinon une équivalence?

Cette mise en relation de deux instances entraîne le plus souvent une restructuration globale de l’unité de départ:

(v) – Nu te juca omule, că-ţi mut fălcile din loc! (v′) – Pas de blagues! Réponds, sinon je te ferai cracher les dents!

(T.Popovici, 307 - 375) • le caractère obligatoire ou facultatif de la modulation

144

Si l’on veut rendre compte des contraintes qui s’exercent dans le transfert, on ne peut faire autrement que de considérer les paraphrases interlinguales soit comme une solution obligatoire, soit comme une solution facultative.

Il y a modulation obligatoire si la traduction hétéronymique est exclue: a face din ţînţar armăsar - faire d’une mouche un éléphant

faire une montagne d’une taupinière

Dans le cas des expressions figées, la modulation est facultative lorsqu’elle double une traduction directe:

roşu ca racul - rouge comme une écrevisse, comme une tomate, comme un coq

a arde de dorinţa de a … - brûler d’envie de / sécher d’envie de…. a arde de nerăbdare - brûler d’impatience/ griller d’impatience a sări în ochi - sauter aux yeux/ crever les yeux

Les modulations n’ont pas de caractère obligatoire si les figures ne sont pas conventionnelles.

• la récurrence

Une autre distinction que l’on peut établir entre les différentes modulations est celle qui oppose les modulations figées et non compositionnelles (le plus souvent enregistrées dans les dictionnaires bilingues) aux modulations d’invention, ayant un caractère accidentel et individuel:

(vi) În cuvinte întretăiate îi povesti că de două zile un individ s-a postat în faţa casei lui.

(vi′) Il lui raconta, le souffle coupé, que depuis deux jours un individu était posté davant sa maison.

(T.Popovici, 312 - 379) (vii) Fumul se agăţa în falduri de crengile rupte. (vii′) Des écharpes de fumée s’accrochaient aux branches brisées.

(T.Popovici, 441 - 538) (viii) Cerul pînă atunci senin ca sticla… (viii′) Le ciel, qui jusqu’alors avait été limpide comme un miroir…

(T.Popovici, 443 - 540) • la nature de la figure (du trope) impliqué dans le transfert de la langue

source à la langue cible Les modulations peuvent être réparties en sous-classes suivant la figure dont

elles relèvent. Il y aura ainsi des tropes modulés: - des métaphores (tropes par analogie): (ix) E năpădit de griji. (ix′) Il est dévoré d’ennuis.

(x) E înglodat în datorii. (x′) Il est criblé/perdu de dettes. - des métonymies interlinguales (tropes par contiguïté)

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(xi) C’est une bonne fourchette. (xi′) Este un mîncău. - des synecdoques interlinguales (tropes par inclusion): (xii) I-a trimis o scrisorică/un bileţel. (xii′) Il lui a envoyé un petit mot. - des hypallages interlinguales (tropes par déplacement): (xiii) Il fut long à s’endormir. (xiii′) A adormit cu greu. (xiv) Il est lent à se décider. (xiv′) Se decide greu.

• les champs conceptuels impliqués dans le transfert modulé

La non correspondance des zones conceptuelles impliquées dans le transfert modulé s’explique par le fait que chaque langue trace des barrières spécifiques entre le champ de référence et l’expression linguistique.

Les zones conceptuelles mises en relation peuvent se correspondre: a băga pe cineva la apă - mettre quelque un dans le bain a creşte un copil în puf - élever un enfant dans du coton a intra ca-n brînză - entrer comme dans du beurre

(xv) Andrei nu se putu opri să nu se gîndească că tatăl său joacă teatru. (xv′) Andrei ne put s’empêcher de penser que son père jouait la comédie.

(T.Popovici, 85 - 102) Dans d’autres cas, il y a glissement d’une zone à l’autre: a se pierde în amănunte - se noyer dans les détails a se legăna în vise - caresser des rêves (xvi) – N-are rost, civilule, astea-s gloanţe rătăcite. (xvi′) – Aie pas peur, pékin, c’est des balles perdues.

(T.Popovici, 445 - 599) Quelquefois il y a même des zones antonymiques qui sont mises en relation: greşeală din neatenţie - faute d’attention gurile rele - les bonnes langues La constatation de l’absence d’homogénéité de ces critères pourrait servir de

point de départ à une réflexion sur leur complémentarité dans une analyse complexe de la modulation.

11.3. La modulation des tropes lexicalisés

La traduction des tropes, notamment celle de la métaphore, présente une assez grande difficulté pour les traducteurs, même pour les traducteurs chevronnés.

Le but de ces réflexions sur la manière dont se réalise le découpage de la réalité, tel qu’il apparaît dans l’expression linguistique est de montrer quelques unes de ces difficultés, en insistant sur ce qui est constant et général dans ce genre de transfert.

146

Il convient pourtant de préciser que dans ce domaine il est risqué de viser à l’exhaustivité, le champ de la figurativisation ne se laissant pas borner. Aussi les objectifs de cette présentation sont-ils limités:

– le premier objectif est de développer chez l’apprenti-traducteur une capacité observationnelle qu’il devra savoir utiliser afin d’identifier les tropes;

– le deuxième objectif, plus ambitieux, est de recenser les principales correspondances des tropes lexicalisés, afin de constituer des dictionnaires, aussi complets que possible, de modulations récurrentes.

La très riche bibliographie du problème, qui oppose des interprétations souvent contradictoires, nous oblige à choisir celle des hypothèses en présence qui semble offrir plus d’intérêt pour les objectifs limités de cette analyse. On aurait tort d’identifier ces approches à une école de pensée unifiée et de sous-estimer l’ampleur des difficultés théoriques rencontrées. Les synthèses récentes (ANNE REBOUL et J.MOESCHLER, 1994) portent une attention particulière à la diversité des interprétations et des travaux suscités par le thème de la figurativisation. Il suffit de rappeler les nombreuses discussions engagées autour de l’opposition sens littéral/ sens figuré, de l’opposition entre l’hypothèse constructiviste, qui tend à faire disparaître la distinction entre le discours littéral et le discours figuré, et l’hypothèse non constructiviste, qui pose en principe l’existence de la double distinction entre sens littéral/ sens figuré d’une part et entre discours littéral/ discours figuré d’autre part, ou bien l’opposition entre une conception substitutive de la tropologie et une conception interactive, fondée cette dernière sur le conflit conceptuel.

Dans ce qui suit, nous avons opté, pour des raisons qui tiennent à la fois à la nature des faits examinés et des buts que nous nous sommes proposés, pour la seconde hypothèse, et dans le cadre de cette hypothèse pour une conception interactive, en vertu de laquelle on oppose les tropes vivants aux tropes lexicalisés.

Pour étudier la modulation dans une perspective tropologique, dans son fonctionnement tropique donc, il faut admettre quelques postulats tels que:

• la double dissociation sens littéral/sens non littéral d’une part et sens propre/sens figuré d’autre part

Un trope lexicalisé est à la fois littéral et figuré (dérivé): littéral parce qu’il est inscrit dans le code avec une valeur stable et dérivé parce qu’il forme un paradigme avec un autre terme considéré comme primaire. Le sémème et son actualisateur, le signifiant, entretiennent une relation soumise à une règle lexicale intériorisée en compétence.

La typologie des tropes se présente suivant cette double distinction comme suit:

Sens d’une lexème

147

littéral non littéral (dérivé de discours) propre figuré (cristallisé = dérivé de langue) l’aile d’un oiseau aripa unei păsări

l’aile droite du bâtiment aripa dreaptă a clădirii

„Sur les ailes du temps la tristesse s’envole“ (La Fontaine)

Le cas des tropes lexicalisés, qui forment l’objet de cette analyse, se ramène en dernier ressort à la polysémie divergente: „lorsque je produis une métaphore lexicalisée, j’actualise un sémème qui n’est sans doute pas „propre“, mais qui n’en est pas moins littéral et explicite“ (C.KERBRAT - ORECCHIONI, 1986; 98).

• la structure binaire du trope

Un trope implique l’existence d’au moins deux termes réunis par une relation logico-sémantique de prédication: „Il n’existe, en dépit des apparences, aucune figure réduite à un seul mot“ (I.TAMBA-MECZ, 1981: 73).

• l’autonomie de l’ontologique et du linguistique

Cette thèse est développée par M.Prandi dans ses ouvrages consacrés à la tropologie (1988, 1992). „La construction d’énoncés contradictoires, des tropes, est l’issue d’une valorisation specifique de l’autonomie réciproque des structures linguistiques et des structures conceptuelles, et plus précisément du décalage entre le pouvoir de connexion des formes linguistiques et les solidarités entre contenus conceptuels” (1992, 29).

Cette autonomie est saillante dans le cas de ce que T.TODOROV appelle une „anomalie référentielle”, qui évoque un événement invraisemblable (fr. tondre un oeuf, roum. a-şi mânca de sub unghii). Le transfert modulé fait apparaître simultanément la structuration lexicale spécifique de chacune des deux langues engagées dans l’acte traductif et la dimension indépendante de cette structuration, la distance vis-à-vis de l’objet évoqué: „la forme linguistique déploie librement son pouvoir de connexion qui n’est pas entravé par les barrières conceptuelles” (M. PRANDI, 1992: 29).

• l’existence d’un conflit conceptuel entre les termes de la relation tropique

„Un trope peut être défini en première approximation comme la mise en forme linguistique d’un conflit entre concepts et sphères conceptuelles” (M. PRANDI, 1992: 29).

Entre les termes d’une structure tropique il existe une rupture d’isotopie, une incompatibilité des signifiés en connexion qui sont des „partenaires non solidaires”. Cette incompatibilité est traduite linguistiquement par la violation des règles sélectives

148

qui définissent les conditions d’emploi d’un lexème en termes de solidarité avec d’autres lexèmes.

Dans son emploi métonymique, le verbe épouser „prendre pour époux, épouse” est combiné avec un nom qui contredit sa définition, il y a, par conséquent, rupture de l’isotopie [+Humain]:

épouser une dot - a se însura cu o pereche de case. De même, il y a rupture d’isotopie si le même verbe est employé avec un nom

/+ Abstrait/ en position d’objet, tout comme pour le verbe correspondant du roumain a îmbrăţişa:

épouser une grande cause - a îmbrăţişa o cauză dreaptă. Le trope implique donc une relation par laquelle une unité de premier ordre

se voit attribuer un prédicat non solidaire. On sait que dans la bibliograhie plus récente il y a traitement divergent de

l’anomalie, qui n’est pas automatiquement considerée comme un exemple falsificateur du paradigme polysémique. Ainsi, la malformation lexicale ne serait ni une condition nécessaire (puisqu’il existe des énoncés malformés qui ne sont pas tropiques: Ce corbeau vert est bleu), ni une condition suffisante (puisque la négation d’un énoncé métaphorique qui rétablit sa vérité n’annule pas pour autant son caractère tropique: Paul n’est pas une chiffe molle). Si nous avons admis la thèse de la „malformation” c’est parce qu’il nous a semblé qu’elle sert mieux la thèse de la polysémie interlinguale divergente. Ce qui plus est, la traduction semble infirmer l’affirmation suivant laquelle un énoncé tropique n’est pas paraphrasable, puisqu’une métaphore peut être traduite par son sens littéral:

(xvii) Paul est une andouille. (xvii′) Paul este un nătărău, un neghiob. L’isotopie alimentaire du français est rétablie par l’isotopie /Humain/. La rupture

d’isotopie qui caractérise la prédication „inappropriée” des énoncés „déviants” peut revêtir des formes linguistiques différentes marquant la distance entre ce qui est à dire (le signifié) de ce qui le dit (le signifiant).

11.2.1. La modulation des métaphores lexicalisées. Dans les études plus récentes sur la métaphore sont tour à tour remises en question la thèse de la double signification, les théories de la comparaison, la thèse de la déviance. Suivant ces théories, la métaphore cesse d’être un problème sémantique pour devenir un problème pragmatique d’usage des mots (ANNE REBOUL, J. MOESCHLER, 1994: 413). Dans ce qui suit, nous avons pourtant admis une définition sémantique de la métaphore fondée sur l’analogie référentielle. „La métaphore repose sur une relation d’analogie perçue entre les deux objets correspondant aux deux sémèmes concernés (…); corrélativement, ces deux sémèmes sont en relation d’intersection car ils possèdent en commun certains „métasèmes” correspondant aux propriétés communes aux deux objets et permettant le transfert métaphorique” (C. KERBRAT - ORECCHIONI, 1986: 100).

Le transfert du paradigme polysémique d’un lexème implique une réorganisation des rapports qui s’instituent entre le référé primaire et le référé

149

secondaire et corrélativement entre le sens primaire et le sens dérivé. Par la modulation d’une métaphore lexicalisée, la rupture isotopique de la langue source, marquée par la prédication „inappropriée” peut revêtir diverses formes et subir divers traitements en fonction de la classe morpho-lexicale impliquée et de la distance entre les champs référentiels évoqués.

Toutes les parties du discours de sens lexical plein sont susceptibles de métaphorisation, mais avec divers degrés de productivité et divers rôles dans la prédication instituée. Il y aura ainsi des métaphores nominales, des métaphores verbales et des métaphores adjectivales qui peuvent connaître des transferts modulés laissant voir une autre perspective dans les relations entre les référés primaire et secondaire.

11.2.1.1. Par une métaphore nominale on applique un nom attributif à un actant sujet, en instituant de cette manière une nouvelle prédication. Le transfert de sens fondé sur un rapport naturel entre les référés subit une sorte de pression interne spécifique qui peut conduire à des configurations sémantiques divergentes dans le cadre du paradigme des sens d’un lexème:

sein 1. sîn: un efant qui dort sur le sein de sa mère un copil care doarme la sînul/pieptul mamei lui

2. piept: presser quelqu’un sur son sein a strînge pe cineva la piept

3. măruntaie: le sein de la terre măruntaiele pămîntului. Du point de vue des champs classématiques impliqués dans la rupture

isotopique plusieurs cas sont à déceler: • les emplois métaphoriques peuvent coïncider, la rupture isotopique étant

retransmise en langue cible telle quelle (traduction hétéronymique): (fig.) dovleac „tête” - citrouille (fig.) tărtăcuţă „tête” - calebasse (fig.) o prăjină „personne grande et maigre” - une grande perche • la rupture isotopique entre les termes de la métaphore est retransmise par

une modulation à l’intérieur du même champ classématique: (fig. fam.) zdreanţă „homme mou, veule, sans énergie” - une lavette (fig. fam.) mămăligă (nefiartă) „personne molle, niaise” - une nouille, un plat de nouilles (fig. fam.) un pisălog „persone ennuyeuse” - une scie • la modulation met en rapport deux zones conceptuelles hétérogènes: (fig. fam.) un bou, un dobitoc, „un imbécile” - une andoulle (fig. fam.) feuille de chou „journal de peu de valeur” - fiţuică

11.2.1.2. La modulation des métaphores verbales se manifeste sous la forme d’une extension qui atteint les sphères conceptuelles des actants avec lesquels le verbe se combine. Le sujet et les objets peuvent être caractérisés par des

150

traits inhérents différents de ceux qui apparaissent „normalement” dans le contexte du verbe en question.

Dans la traduction, les divers rapports qui s’instaurent entre les unités source et cible se ramènent aux types généraux de transferts de rupture isotopique:

• l’emploi figuré est convergent (traduction directe): (xviii) Şi-a mâncat (fam. păpat) toată averea. (xviii′) Il a mangé tout son bien.

(xix) (fig. fam.) Ne-am ars/fript! (xix′) On est frit/cuit! • l’emploi figuré est divergent: – la modulation engage des zones conceptuelles similaires: a zdrobi inima cuiva - percer le coeur de quelqu’un a sorbi cuvintele cuiva - boire les paroles de quelqu’un (xx) O sorbea din ochi. (xx′) Il la buvait du regard.

(xxi) Rugina roade metalul. (xxi′) La rouille mange le métal. - la modulation présente un transfert d’une zone à l’autre: (xxii) O sorbea din ochii. (xxii′) Il la couvait du regard.

(xxiii) Lectura cere/ia timp. (xxiii′) La lecture mange du temps.

11.2.1.3. La métaphore adjectivale résulte, tout comme dans le cas du verbe, d’une relation prédicative „insolite” qui s’établit avec des unités exclues du „domaine de saturation” du déterminé nominal.

L’adjectif est une partie du discours d’une grande plasticité, ce qui explique les nombreux conflits conceptuels qui peuvent être signalés entre le déterminé et le déterminant. Il existe des adjectifs particulièrement sensibles à un changement d’ éclairage:

– les adjectifs axiologiques centrés autour de l’opposition BON/MAUVAIS – les adjectifs évaluatifs non axiologiques (dimensionnels) du type GRAND/PETIT; – les adjectifs descriptifs (de couleur, de forme, de goût) susceptibles de devenir des axiologiques. Le transfert peut être direct, tout en restant tropique:

un suflet negru - une âme noire un ton acru - un ton aigre

151

o dezamăgire usturătoare - une déception cuisante un frig muşcător - un froid mordant

Les modulations peuvent marquer des glissements à l’intérieur de la même zone: – dans la catégorie des axiologiques:

a avea mînă bună - avoir la main heureuse o sănătate şubredă - une méchante/mauvaise santé

– dans la catégorie des dimensionnels (évaluatifs non axiologiques): o prietenie strînsă - une profonde amitié un surîs larg - un grand sourire

– dans la catégorie des descriptifs: a fi galben la faţă de frică - être vert de peur a fi pămîntiu la faţă - avoir le teint gris un vent aigre - un vînt tăios

ou des glissements entre les diverses zones conceptuelles auxquelles appartiennent les adjectifs:

două ore bune - deux grandes heures (qualité - quantité) o palmă zdravănă - une bonne gifle (quantité - qualité)

Une zone particulièrement sensible aux modulations est celle des adjectifs de couleur employés métaphoriquement dans des séquences automatisées:

une peur bleue - o frică straşnică une colère jaune - o furie oarbă une verte semonce - o dojană aspră une voix blanche - o voce pierită, stinsă

11.4. Phraséologie catachrétique et modulation

L’association dans la chaîne de plusieurs unités significatives en vue de constituer une nouvelle unité caractérisée par des propriétés spécifiques est un phénomène commun à toutes les langues, mais il revêt des formes idiosyncratiques.

Le degré de soudure de ces unités varie d’une simple „attirance lexicale” jusqu’ à une unité figée ne permettant ni la variabilité des constituants ni une interprétation compositionnelle, le sens global ne devant rien aux lexèmes qui y figurent.

De nombreuses modulations peuvent être signalées dans ce vaste domaine qu’est la phraséologie catachrétique; elles peuvent être ramenées à trois types généraux:

• la modulation est partielle, en ce sens qu’elle n’affecte qu’un seul constituant dans une séquence figée mais compositionnelle;

• la modulation est partielle mais la séquence est non compositionnelle;

• la modulation est totale et la séquence est non compositionnelle.

Modulations partielles totales

152

séquences compositionnelles

séquences non compositionnelles

séquences non compositionnelles

11.3.1. Le cas typique des modulations partielles dans des séquences

compositionnelles mais figées est celui des séries d’intensité. Dans le domaine du lexique, le terme d’intensité se réfère aux divers

éléments qui indiquent un degré élevé de la propriété specifiée par le terme de base. Les moyens par lesquels on réalise en langue ou dans le discours une série d’intensité sont extrêmement variés et leur recensement complet est impossible à réaliser, cela d’autant plus que ces moyens peuvent avoir un caractère individuel. Dans le domaine de la stylistique linguistique, dont le représentant le plus illustre a été CHARLES BALLY, la notion d’intensité acquiert une importance toute particulière. „Dans son acception la plus large, cette notion est impliquée dans toute comparaison des faits de langage à condition qu’on comprenne sous le terme d’intensité toutes les différences qui se ramènent à une mesure de la quantité, de la grandeur, de la valeur, de la force etc.” (1919:170). Les oppositions d’intensité ont une valeur très générale étant appliquées à tous les objets de la perception et de la pensée, que l’on envisage dans un réseau de valeurs qualitatives. La notion d’intensité devient ainsi „une norme de classement pour les expressions constitutives d’une rubrique idéologique” (CH. BALLY, 1919:171).

Les noms, les verbes et surtout les adjectifs peuvent être intégrés à des séries d’intensité, qui sont, très souvent, divergentes par le choix du déterminant intensif:

DT + dt (+intensif) - DT’ (convergent) + dt’ (divergent, modulé) Chacune des deux langues qui font l’objet de cette comparaison s’est créé des

ressources spécifiques pour exprimer l’intensité dans des séquences automatisées. La valeur du procédé réside dans l’originalité du choix du dt et c’est sur ce point que la modulation peut intervenir.

Il existe trois procédés dont on peut se servir pour exprimer l’intensité d’un terme centre:

– les séries comparatives – les séries conséquentielles – les séries caractérisantes Dans les séries comparatives (hyperbole comparative) on met en relief un

aspect particulier de l’intensité à l’aide d’un terme qui explique la notion de base par référence à un domaine concret, en instituant un rapport de ressemblance. La structure générale est la suivante:

N, ADJ, V + comme/ca + terme de ressemblance concret modulé. Les catégories les plus productives sont celles de l’adjectif et du verbe. Les séries adjectivales présentent une très grande diversité dans le choix

du terme de la comparaison. L’adjectif de base peut être mélioratif ou péjoratif: a) subţire ca o trestie, ca trasă prin inel - mince comme un fil

liber ca păsările cerului - libre comme l’air

153

uşor ca un fulg - léger comme un oiseau frumos ca soarele de pe cer - beau comme un astre, joli comme un coeur drept ca lumînarea - droit comme un cierge, un i iute ca argintul viu, ca prîsnelul - vif comme la poudre

b) bolnav ca un cîine - malade comme une bête prost ca noaptea - bête comme une cruche, comme ses pieds mut ca un peşte - muet comme une carpe acru ca oţetul - aigre comme du verjus murdar ca un porc - sale comme un pourceau, comme un peigne, crotté comme un barbet slab ca un ţîr - maigre comme un clou/comme un cent de clous comme un coup de trique, sec comme un hareng gras ca un porc - gros comme un moine Dans les formations péjoratives, le roumain se sert d’un terme de compa-

raison générique ca dracu’auquel il correspond des termes diversifiés: urît ca dracu’ - laid comme un pou leneş ca dracu’ - paresseux comme un loir, comme un lézard

c) Il y a également de nombreuses modulations dans la catégorie des adjectifs de couleur:

negru ca tăciunele, ca pana corbului, ca catranul noir comme de l’encre, comme un corbeau, comme du cirage

alb ca varul - blanc comme un linge, comme un cachet d’aspirine galben la faţă ca lămîia - blême comme un fromage, jaune comme un coing blond ca spicul gîului - blond comme les blés Les séries verbales sont centrées sur les verbes qui désignent des actions

fondamentales et sont le reflet de la même tendance à l’exagération qui se manifeste surtout dans le registre familier:

a suge (fig.) ca un burete, ca o sugativă - boire comme une éponge a munci ca un salahor - travailler comme un forçat a fugi ca ieşit din puşcă, - courir comme s’il avait le feu au derrière/le diable à ses trousses a alerga ca vîntul - courir comme un dératé a se certa ca la piaţă, ca la uşa cortului - se disputer comme des chiffonniers a striga ca din gură de şarpe - crier comme un putois a plînge ca o mireasă - pleurer (fam. chialer) comme une madeleine a fuma ca un turc - fumer comme une cheminée, comme une locomotive Dans les séries consécutives, l’intensité résulte de l’idée de conséquence

extrême. En roumain, la structure est introduite par le relateur de, souvent combiné avec l’adverbe de l’apparence illusoire de parcă, tandis qu’en français la structure consécutive est réalisée par un infinitif précédé de à:

prost de dă în gropi - bête à manger du foin frumoasă de-ţi venea s-o mănînci - jolie à croquer urît de-ţi venea să fugi - laid à faire peur

154

Le français peut également se servir d’une proposition de conséquence figée: que c’était une pitié:

(xxiv) Il maigrissait que c’était une pitié. (xxiv′) Slăbea de-ţi venea să-i plîngi de milă La modulation peut marquer aussi un glissement d’un procédé à l’autre:

L L’ a) Conséquence - Comparaison prost de dă în gropi - bête comme ses pieds frumos de pică - joli comme un coeur a bea de stinge - boire comme un trou a minţi de îngheaţă apele

- mentir comme un arracheur de dents

b) Comparaison Caractérisation a dormi ca duşii de pe lume

dormir à poings fermés

c) Conséquence Caractérisation un frig de crapă pietrele un froid de loup, de canard

Les séries d’intensité figées font apparaître des conceptualisations différentes qui se manifestent linguistiquement à deux niveaux : dans le choix du procédé et dans le choix du déterminant intensif.

11.5. La modulation phrastique :

la paraphrase par double antonymie Parmi les nombreuses catégories de modulations dont font état les

stylisticiens comparatistes il en est une qui consiste en un changement du signe algébrique de la phrase de départ: dans le transfert, la phrase affirmative devient négative ou inversement et ceci dans les conditions d’une retransmission de l’information. Cette paraphrase interlinguale est soumise à des conditions limitatives qui font intervenir un jeu de négations de différents types ainsi que, dans certains cas, des transpositions.

Dans les deux langues, la négation peut être réalisée au moyen de marqueurs spécifiques - les indices de négation (ou mots négatifs), qui affectent le noyau de la phrase (négation nucléaire ou prédicative):

(xxv) Nu îndrăzni să intre. (xxv′) Il n’osa pas entrer.

(J.Bart, 43-44) Il existe aussi une négation qui laisse en dehors de sa portée le verbe

(négation non nucléaire ou non prédicative): (xxvi) A lucrat pe nimic. (xxvi′) Il a travaillé pour rien. Une autre catégorie de négation est la négation morpho-lexicale dont le

formant est un préfixe négatif:

155

(xxvii) Îşi duse mîna la frunte lovit parcă de un glonte nevăzut. (xxvii′) Il porta la main à son front comme atteint d’une balle invisible.

(J.Bart, 43-44) La négation peut ensuite être incidente au thème du mot (négation thématique). Les

mots de sémantisme interne négatif sont définis par la négation grammaticale de leur antonyme: ignorer „ne pas savoir”, refuser „ne pas accepter”.

Ces différents types de négations pourraient être représentés par le schéma suivant:

Négation

grammaticale (NÉG)

lexicale (nég)

nucléaire (prédicative)

non nucléaire (non

prédicative)

morpho-lexicale (préfixale)

thématique (interne)

Dans le passage d’une langue à l’autre, des modulations et des transpositions négatives peuvent se produire sans que pour autant la charge informationnelle en soit modifiée; ces modifications de structuration ayant des incidences sémantiques se présentent comme suit:

NÉG NÉG'

nég nég'

• NÉG - nég morpho-lexicale

(xxviii) - Nu-i posibil, dragă Francisco, am un soţ, nu pot să-l părăsesc. (xxviii′) - Mais Francisco, c’est impossible. Il y a mon mari que je ne peux

pas quitter. (G. Călinescu, 247-247)

• NÉG - nég thématique (xxix) Rudele nu mai ştiau nimic de soarta lui. (xxix′) Ses proches ignoraient ce qu’il était devenu.

( J.Bart, 19-12) (xxx) Eşti prea tînăr, n-ai experienţă. (xxx′) Tu es trop jeune, tu manques d’expérience.

(J. Bart, 168-186) • nég morpho-lexicale - NÉG (xxxi) Pînă şi fochiştii, nespălaţi, neraşi cît ţinea drumul ieşeau cîte unul din

tartarul căldurilor.

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(xxxi′) Jusqu’aux chauffeurs qui ne se lavaient ni ne se rasaient de tout le voyage sortaient l’un après l’autre du fond de la fournaise.

(J.Bart, 38-37) • nég thématique - NÉG (xxxii) Şi Neagu se căznea neîndemînatec să-i lege sandalele. (xxxii′) Neagu, maladroit, n’en finissait pas d’attacher les sandales d’Evanthia.

(J.Bart, 134-148) • nég morpho-lexicale - nég thématique (xxxiii) Auzind acestea, dorinţa lui Varga de a se face nevăzut se accentuă. (xxxiii′)En entendant cela, Varga n’eut plus qu’un désir: disparaître.

(T.Popovici, 274-339) Le déplacement du point d’incidence négative peut entraîner une

réorganisation de la phrase modalisée: (xxxiv) L-am sfătuit să nu plece. (xxxiv′) Je lui ai déconseillé de partir. La modulation qui implique le jeu complémentaire de négations (NÉG ou

nég) et de mots antonymes et que l’on apelle „paraphrase par double antonymie” (R.MARTIN, 1976) impose une analyse attentive des conditions qui permettent la constitution de couples paraphrastiques interlinguaux, dont l’un est négatif et l’autre affirmatif.

Il existe plusieurs types de relations antonymiques établis d’après la symétrie ou l’asymétrie des relations d’implication des termes positifs et négatifs (N.BACRI, 1976:70):

• les termes contradictoires clos: la négation de l’un des termes implique l’affirmation de l’autre: pair/impair, célibataire/marié;

• les termes contradictoires ouverts qui se situent sur un continuum gradué: la porte est ouverte implique la porte n’est pas fermée et inversement, mais cette relation admet des énoncés comparatifs: cette porte est plus ouverte que l’autre.

• les termes contraires asymétriques qui impliquent soit un terme neutre, soit une disposition scalaire (graduée) intensive ou quantitative. Cette relation est désignée aussi par le terme de contraste ou par celui d’antonymie implicitement graduée (F.KIEFER, 1974:30). Par exemple noir implique non blanc, mais non noir n’implique pas blanc puisqu’on peut avoir rouge, jaune, vert etc.

En fonction des divers types de paraphrases qui mettent en rapport des phrases de signe algébrique inversé on peut distinguer plusieurs types de modulations par double antonymie, en entendant par antonymie dans ce cas aussi bien l’inversion lexématique que la négation:

• Affirmation - NÉG + INV (antonymique): (xxxv) Da, e uşor să te baţi cu cîteva sute de soldaţi cînd ai tancuri. (xxxv′) Bien sûr, c’est pas malin de lutter contre quelques centaines de sol-

dats quand on a des tanks. (P.Pardău, 225-86)

(xxxvi) În afară de aceasta el rămîne mereu în laborator. (xxxvi′) En outre, il ne quitte pas le laboratoire.

157

(A. Buzura, 17-16) (xxxvii) Aceeaşi tăcere. (xxxvii′) On ne répondait toujours pas.

(T.Popovici, 182-342) • Affirmation - nég + INV (xxxviii) Un medic tînăr şi complet străin… (xxxviii′) Un jeune médecin totalement inconnu…

(L.Rebreanu, I, 23-49) • nég - Affirm + INV (xxxix)Făcea imposibilul pentru a părea neschimbat.

(xxxix′)Il avait fait l’impossible pour paraître toujours le même. (A.Buzura, 17-17)

(xl) Şanţurile neînchise ale lucrărilor de apărare… (xl′) Les fossés béants des ouvrages défensifs…

(P.Pardău, 225-86) • NÉG - Affirmation + INV (xli) Iată, zise Evantia, ce înseamnă să nu fii însurat. (xli′) Voilà, fit Evanthia, ce que c’est que d’être célibataire.

(J.Bart, 137-152) (xlii) Dar Anania nu se grăbi să plece. (xlii′) Cependant, Anania tardait à s’exécuter.

(A.Buzura, 6-7) (xliii) Are bani şi nu vrea să plătească. (xliii′) Ça a de la galette et ça refuse de payer

(T. Popovici, 316-484) (xliv) Şi de ce nu-i voie, urîtule? (xliv′) Et pourquoi que c’est défendu, vilain singe?

(T. Popovici, 305-371) Notons que quelques unes de ces modulations sont obligatoires et figées: a nu lua în nume de rău - prendre quelque chose en bien Une autre catégorie de modulations est celle qui s’établit entre des termes

quantitatifs gradués. Elle revêt deux aspects: (A) la modulation centrée sur l’opposition grande quantité (K)/petite quantité (k) Les oppositions se présentent de la manière suivante: • Nég K - Affirm. k: (xlv) Nu trecu mult şi se strecură afară pe poartă şi bătrânul. (xlv′) Peu après, le vieux se glissait à son tour au dehors.

(G. Călinescu, 43-44) • Nég k - Affirm. K (xlvi) Regina îl surprinsese nu o dată vorbind cu câinii de vânătoare.

(xlvi′) A maintes reprises, la reine l’avait surpris s’entretenant avec ses chiens de chasse.

(P.Pardău, 154-44)

158

L’incapacité du français de centrer la négation grammaticale (l’indice négatif essentiel) sur un constituant autre que le verbe entraîne automatiquement une modulation qui consiste à affirmer le lexème inversé (antonyme):

(xlvii) Nu mică ne-a fost mirarea. (xlvii′) Grande fut notre surprise. (B) La modulation centrée sur l’un des termes intermédiaires de l’échelle

quantitative „peu-assez-beaucoup”: (xlviii) . . . nu avea atunci destulă complicaţie sufletească spre a o cunoaşte

mai bine. (xlviii′)A l’époque il savait encore trop peu lire dans les coeurs pour la

connaître de plus près. (G. Călinescu, 21-22)

11.6. Conclusion

Dans la définition de la modulation plusieurs notions ont été évoquées, soit explicitement, soit implicitement: changement de perspective, découpage référentiel différent, représentation sémantique spécifique. L’examen de ces notions a fait surgir les caractères généraux de ce procédé de traduction indirect.

La modulation exige que les décisions du traducteur reposent sur une analyse sémantique complexe de l’unité de départ. Cette exigence a, en fait, une double signification. En premier lieu elle est l’expression du fait que le traducteur est obligé de distinguer entre ce qui est imposé par le code et ce qui peut être le résultat de son option personnelle, il doit donc distinguer entre les modulations „intemporelles” et les modulations d’invention. En second lieu, et cette exigence interfère avec la précédente, la modulation apparaît comme le point de rencontre de zones conceptuelles plus ou moins éloignées. Cette relative autonomie de l’ontologique et du linguistique qui se manifeste d’une manière saillante dans la comparaison des langues n’est pas sans poser au traducteur des problèmes délicats. C’est en conséquence de cette double signification que nous pouvons concevoir l’acte traductif.

Bien entendu, les formes concrètes que peuvent prendre les structures modulées sont susceptibles de variations considérables. Mais l’existence de constantes même dans ce domaine très fluide oblige le traductologue à élaborer des outils pour les traducteurs.

L’analyse des textes bilingues, y compris celle des dictionnaires, met en évidence le rôle nécessaire de la modulation, qui occupe une place centrale dans l’éventail des procédés de traduction. Le changement de perspective qui caractérise la modulation s’accompagne souvent d’une transformation qualitative de la traduction pour autant qu’il révèle le travail d’exégèse du traducteur. La modulation esquisse une stratégie réellement accordée aux exigences d’une bonne traduction.

SUJETS DE DEVOIRS

159

• Essayez d’évaluer les conséquences que l’affirmation suivante pourrait avoir pour une étude comparative des énoncés figurés: „Une troisième constante des énoncés figurés est la présence d’un élément qui représente le point d’ancrage référentiel de la figure, c’est-à-dire qui articule l’expression figurée à un référent extra-linguistique clairement identifié par les locuteurs” (I.TAMBA-MECZ, 1981:73).

• Etudiez les modulations des métaphores animalières en roumain et en français.

• Etudiez les modulations obligatoires dans un champ conceptuel de votre choix.

• L’analyse des relations syntaxiques est-elle opérante dans l’étude des modulations?

• Quel rapport peut-on établir entre la classe de mots impliquée dans l’unité de traduction (nom, verbe, adjectif) et la traduction modulée?

• Analysez les modulations suivantes et classez-les d’après les critères spécifiés sous 11.1:

Cînd îl văzu pe tatăl lui intrînd Quand il vit son père entrer comme ca o furtună, lac de sudoare, cu un ouragan, ruisselant de sueur, la cravata desfăcută, ştiu că în cravate en désordre, il sut qu’on sfîrşit i-a spus. l’avait enfin mis au courant.

(T.Popovici) Cîrciumarul dădu repede paharul Le patron vida son verre d’un trait. peste cap.

(M.Eliade) Apostol plecă ochii în pămînt şi Apostol détourna les yeux et strînse din umeri. haussa légèrement les épaules.

(L.Rebreanu) Tot atunci a pus cruce şi vieţii C’est alors aussi qu’il avait mis uşoare intrînd în politică. un terme à la vie facile et était

(L.Rebreanu) entré dans la politique. Elisaveta îşi făcea necontenit Elisaveta ne cessait de se signer cruci murmurînd o rugăciune. en marmonnant une prière.

(M. Eliade)

• Analysez le transfert des figures dans les textes suivants:

Munţii îşi tremurau pădurile în mîngîierile razelor.

(L. Rebreanu)

Les forêts, aux flancs des montagnes, tremblaient légèrement sous la caresse des rayons.

Povestirea unduia agale, împletind în bogata-i ghirlandă nobile flori culese din literatura tuturor popoarelor.

Le récit se déroulait lentement, tressant dans sa guirlande luxuriante de nobles fleurs cueillies dans la littérature des peuples.

Marea… La mer…

160

Lucie ca o baltă, oglindind în adăpostul toartelor coastei, pirozeaua tăriei şi mărgăritarul norilor, florile ca o pajişte sau scînteind ca o mişună de licurici, searbădă şi domoală vie, verde şi vajnică, avîntîndu-se spumegînd spre cerul căruia îi e fiică, de ea vorbea cu păgînească evlavie, pomenindu-i doar numele glasul i se pogora tremurător ca şi cum ar fi mărturisit o taină sau îngînat o rugă.

Polie comme le miroir d’un lac, reflétant à l’abri des anses de la côte la turquoise des hauteurs et les perles des nuages, fleurie comme une prairie ou étincelante comme une assemblée de vers luisants, monotone et calme, ou vivante, verte et vigoureuse, s’élevant, écumante, vers le ciel dont elle était la fille, il en parlait avec une piété païenne, il lui suffisait de la nommer pour que sa voix devînt sourde, tremblante comme s’il eût confessé un secret ou murmuré une prière.

(M. Caragiale)

• Traduisez les phrases suivantes en distinguant les modulations obligatoires de celles qui sont facultatives:

a) Ideea prindea încet, încet viaţă. – Afacerea a fost înăbuşită în faşă. – O sorbea din ochi. – Stătea ca pe spini. – Hotărîrea fusese întoarsă pe toate feţele.

b) Il rengaina les remarques désagréables qu’il avait sur le bout de la langue. – Tout le quartier avait été passé au peigne fin. – Il l’a remis à sa place. – Vous voilà sur le sable.– Rien ne pouvait endiguer ses larmes.– Il partit d’un grand éclat de rire. – Il est resté cloué sur place.– Il est bourrelé de remords. – Il est dévoré d’ennuis.– Il me casse les pieds.

• Proposez des traductions modulées pour les expressions suivantes: a) Changer son fusil d’épaule.– Tirer dans les jambes de quelqu’un.– Suivre

les chantiers battus.– N’y voir que du feu. b) A nu pricepe o iotă.– A sufla vîntul prin buzunare. – A fi lefter.– (fig.) a

întoarce foaia. • Dans les séquences suivantes, isolez les verbes qui doivent être modulés

dans le passage du français au roumain: a) cimenter/sceller une amitié; assouvir un désir; cotoyer un danger; piquer la

curiosité de quelqu’un; digérer un affront; allumer, éteindre la discorde; montrer, rentrer ses griffes; griller/brûler d’impatience; enfanter, mûrir un projet.

b) un différend s’assoupit, se creuse; la conversation tombe/languit; un éclair sillonne/déchire/zèbre le ciel; une discussion s’échauffe, s’envenime, s’assoupit; une raillerie blesse, pique;

• Dans les séquences suivantes isolez les adjectifs qui doivent être modulés dans la traduction:

a) un vif affront, une vive amitié, un air vif, une vive attention, un bruit vif, une vive contestation, une conversation vive, une vive crainte, une vive déception, une vive critique, un vif désir, un vif étonnement, un vif émoi, un vif éclat, un esprit vif, de vives félicitations, une foi vive, un froid vif, une vive gratitude, une

161

vive impression, une vive joie, un mot vif, un mouvement vif, un pas vif, une plaie vive, un vif tourment.

b) un souci cuisant, un regret cuisant, une blessure cuisante, un froid cuisant. c) une étoffe lâche, serrée, soyeuse; une étoile filante; une explication

nuageuse/fumeuse/filandreuse; une foule grouillante, houleuse, grondante; un froid âpre, piquant, cuisant, meurtrier, mortel.

• Etudiez les modulations obligatoires dans la traduction du champ lexical des adjectifs noir et gris:

a) film, roman noir; froid noir; viandes noires; une noire ingratitude un noir dessein; une âme noire; un noir pressentiment; voir tout en noir/en gris; peindre quelqu’un sous les couleurs les plus noires; faire un tableau très noir de la situation; avoir des idées noires; jeter un regard noir; arriver à la nuit noire; être noir.

b) faire grise mine; en voir de grises; être gris. • Quels sont les noms abstraits qui peuvent se combiner avec le verbe

nourrir; traduisez les séquences ainsi formées et mentionnez les structures qui doivent être modulées dans la traduction:

haine, espérance, ambition, rêve, illusion, intention

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BACRI, N., 1976. – Fonctionnement de la négation, Paris, La Haye, Mouton. KERBRAT-ORECCHIONI, C., 1986. – L’implicite, Paris, A. Colin. MARTIN, R., 1976. – Inférence, antonymie, paraphrase, Paris, Klincksieck. PRANDI, M., 1987. – Sémantique du contresens, Paris, Les Editions de Minuit. PRANDI, M., 1992. – Grammaire philosophique des tropes, Paris, Les Editions de Minuit. REBOUL, A. et MOESCHLER, J., 1994. – Dictionnaire encyclopédique de pragmatique,

Paris, Seuil. TAMBA-MECZ, I., 1981. – Le sens figuré, Presses Universitaires de France. TODOROV, T., 1966 . - „Les anomalies sémantiques”, in Langages, no. 1, p.101-123.

12. LA MISE EN RELATION DES SITUATIONS ÉNONCIATIVES: L’ÉQUIVALENCE

„Traduire un texte implique qu’on en maintienne, dans la mesure du possible, les relations discursives, qui sont multiples et essentiellement de nature sémantique ou pragmasémantique. Il y a là d’ailleurs non seulement un problème de réécriture, mais aussi, bien entendu, d’interprétation.

(RONALD LANDHEER)

162

12.1. L’équivalence - essai de définition

Dans les traités classiques de stylistique comparée l’équivalence est caractérisée comme le procédé qui „rend compte de la même situation que dans l’original, en ayant recours à une rédaction entièrement différente” (J.P.VINAY et J. DARBELNET, 1958: 9).

Cette définition repose sur deux critères de nature différente: le premier a trait à la dimension langagière (l’équivalence de situations énonciatives), le second est purement linguistique (refonte complète de l’énoncé source). La question qui se pose est comment articuler ces deux catégories qui ne peuvent pas toujours aller de pair. La preuve en est qu’il existe des énoncés qui réfèrent à la même situation sans que pour autant il y ait „rédaction entièrement différente”:

(i) Ce-o să-mi mai aud ! (i′) Qu’est-ce que je vais entendre! Il y a même des calques tels que: (ii) C’est du tonnerre! (ii′) E trăznet ! Il nous semble que la restructuration linguistique évoquéee n’est pas une

condition nécessaire, la notion même de refonte complète étant discutable. D’une part, il existe des énoncés cible qui sont en relation hétéronymique avec l’énoncé source, tout en étant l’expression d’instances énonciatives identiques:

(iii) Asta-i bună ! (iii′) Elle est bien bonne celle-là!

et d’autre part, il y a des modulations phrastiques non contextuelles: (iv) E altă mîncare de peşte/altă căciulă. (iv′) C’est une autre paire de manches. Il n’en demeure pas moins que l’importance primordiale accordée aux

conditions extra-linguistiques qui déterminent l’interprétation langagière de l’énoncé source ne doit pas obscurcir les opérations transformatrices qui s’opèrent dans l’acte traductif.

On serait peut-être en droit de parler d’équivalence stricto sensu si les deux conditions mentionnées sont satisfaites, en conférant à l’équivalence le statut de procédé indirect et d’équivalence largo sensu si l’on considère que la simple correspondance d’instance énonciative est suffisante, indifféremment de la structuration hétéronymique ou indirecte de l’énoncé cible.

Il y aura, par conséquent, deux options envisageables: ou bien c’est la fonction qui prévaut ou bien on tient compte des deux conditions spécifiées dans la définition classique.

Dans ce qui suit, nous parlerons d’équivalence largo sensu, en considérant qu’il s’agit dans ce cas d’un procédé de traduction se trouvant sous la dominance stricte de l’interprétation pragma-sémantique et conduisant:

• à des traductions „directes”: (v ) Asta-i culmea !

163

(v′) Ça c’est le comble! • à des traductions modulées: (vi ) Asta-i culmea ! (vi′) Ça c’est le bouquet! • à des surtraductions (équivalences stricto-sensu): (vii) E prea de tot ! (vii′) C’est (un peu) fort de café! (viii) Văd eu unde baţi. (viii′) Je vous vois venir (avec vos gros sabots).

12.2. L’équivalence ou comment relier réalité et structure Tout énoncé n’est que l’expression d’une certaine vision du locuteur, d’une

représentation de la situation à laquelle il est confronté. Et c’est cette vision qui coordonne les mécanismes langagiers, en s’articulant linguistiquement, le plus souvent d’une manière idiosyncrasique.

Les difficultés auxquelles se heurte le traductologue désireux d’entreprendre une étude comparative au niveau énonciatif relèvent de deux ordres de faits:

– la construction de la base de la comparaison – la mise en place de répertoires parallèles d’énoncés récurrents. Si l’on adopte comme critère déterminant la référence à l’instance

énonciative, les énoncés se laissent diviser en deux grandes catégories: • les énoncés modalisés qui expriment des réactions spontanées du locuteur

à l’égard de sa propre situation, ou son état affectif ou bien encore des appréciations relatives à une personne;

• les énoncés réactifs inscrits dans des structures dialogales qui traduisent des réactions verbales à l’égard du dit ou du dire de son (ses) interlocuteur (s).

Il en résulte que l’analyse de la traduction de ces énoncés ne peut avoir qu’une base extralinguistique et c’est en fonction de cette base que l’on établit la mise en correspondance interlinguale.

12.2.1. La première catégorie d’énoncés portent les traces de l’intervention du locuteur, comme une prise de position essentiellement subjective, qui revêt le plus souvent des formes spécifiques pour chaque langue. Les exemples suivants illustrent les correspondances entre les énoncés source et les énoncés cible qui expriment des réflexions sur l’état de choses ou des évaluations personnelles:

(ix) Asta-i viaţa, ce să-i faci ! (ix′) C’est la vie, on n’y peut rien. / Ainsi va la vie. (x) Asta-i şi mai şi ! (x′) Ça c’est encore plus fort!/ (fam.) Eh bien, elle est raide celle-là! (xi) Se-ngroaşă gluma ! (xi′) Ça se corse. / Ça sent le roussi. (xii) Nu e cine ştie ce/nu e mare lucru (fam.) mare brînză de capul lui. (xii′) Il ne vaut pas grand chose. / Ce n’est pas un aigle.

164

12.2.2. La deuxième catégorie d’énoncés est constituée d’unités qui s’inscrivent dans des structures dialogales. Chaque fois qu’il y a interaction verbale tout un système de pratiques conventionnelles fortement contraintes du point de vue socio-culturel est mis à l’oeuvre.

Les énoncés de ce type se laissent classifier d’après deux critères conversationnels: – la nature de l’échange: confirmatif /vs/ réparateur – l’orientation de l’intervention: proactive /vs/ rétroactive. Il existe deux types essentiels d’échanges (E. GOFFMAN, 1975): • les échanges confirmatifs (d’ouverture et de clôture) de nature rituelle et

le plus souvent de structure binaire; le rôle de ces échanges est de confirmer l’existence d’un rapport social entre interlocuteurs:

(xiii) – Comment ça va? – Merci. Et toi? (xiii′) – Ce mai faci ? / Cum o mai duci ?

– Bine, mulţumesc. Dar tu ? Les actes performés sont, dans ce cas, non représentatifs: „Certains actes

illocutoires n’ont pas de contenu propositionnel: en disant „Bonjour”, le locuteur salue l’auditeur mais il ne spécifie aucun état de choses comme réel ou devant être réalisé par (ou à cause de) l’énonciation. Le locuteur salue, un point c’est tout, alors que quand il ordonne, affirme, promet ou interroge, il y a toujours un quelque chose qui est le contenu de l’ordre, de l’affirmation, de la promesse ou de la question” (F. RÉCANATI, 1981: 179).

• les échanges réparateurs, ayant pour fonction de „réparer” une „offense territoriale”, de „neutraliser” les effets d’une interlocution, permettant ainsi aux interlocuteurs de poursuivre l’échange.

Les énoncés non représentatifs qui figurent dans les échanges confirmatifs forment un vaste ensemble soumis à de fortes contraintes socio-culturelles.1 C’est le domaine privilégié des équivalences de traduction:

(xiv) La şampanie, Gaittany ciocni cupa sa de a lui Dragavei cu multă satisfacţie, urîndu-i foarte subliniat:

– Să trăieşti ! Eşti un bărbat eminent … – Să trăiţi şi dumneavoastră ! replică Dragavei. (xiv′) Au champagne, il trinqua avec Dragavei et lui fit des souhaits

particulièrment chaleureux: – A votre santé! Vous êtes quelqu’un d’éminent… – A la vôtre, répondit Dragavei

(G. Călinescu 494-479 în A.Cuniţă) (xv) – Să trăieşti ! Nu te-am văzut de un veac. (xv′) – Bonjour! Voilà des siècles qu’on ne s’est vus!

(G. Călinescu, 54/39, în A.Cuniţă) (xvi) – Să trăiţi ! zise el, făcînd cîteva temenele … (xvi′) – Mes respects, dit-il, et il tendit aux deux hommes sa grande main.

(G. Călinescu 389-308, în A.Cuniţă) 1 Pour une analyse comparative de ce type d’équivalences v. A. CUNIŢĂ, „L’énoncé

exclamatif en roumain et en français”, in Enonciation et contrastivité, Bucureşti, TUB, 1986.

165

Du point de vue de l’orientation de l’intervention on distingue (J. MOESCHLER, 1984):

– des interventions proactives, qui visent à provoquer une réaction positive de la part de l’interlocuteur

– des interventions rétroactives, qui expriment une réaction positive ou négative du locuteur à l’égard du dit ou du dire de l’énonciateur.

Les premières interventions contiennent des énoncés qui relèvent souvent d’une stratégie de crédibilisation, à laquelle le locuteur fait appel pour convaincre son interlocuteur de la vérité de son assertion.

L’acte d’assertion performé par le locuteur en tant que locuteur „responsable” et „convaincu” est de par sa nature même un acte évaluatif positif, de nature argumentative. „Pour tout énoncé assertif, la source de l’assertion. Le fonctionne en même temps comme source d’un jugement de vérité porté sur cette assertion” (C. KERBRAT-ORECCHIONI, 1977: 55). Le locuteur met en place un dispositif capable d’assurer l’adhésion de son interlocuteur. Parmi les moyens utilisés à cette fin il existe de nombreux énoncés qui doivent être transférés par des équivalences.

Pour convaincre de la véracité du contenu propositionnel asserté, le locuteur peut se servir d’expressions qui l’engagent directement, soit moralement, soit par l’invocation d’une conséquence fâcheuse; ce sont des éléments linguistiques qui invoquent une garantie que l’on ne saurait mettre en doute: autorité divine, perception directe, etc.:

– (mă) jur pe ce am mai sfînt, pe toţi sfinţii, să mă bată/trăznească Dumnezeu (dacă)…, martor mi-e Dumnezeu, asta mi-e crucea, pe crucea mea, să mă ia dracu’/naiba dacă…, cum mă vezi şi cum te văd…, să-mi sară ochii din cap…

– je jure (tous les saints du calendrier), Dieu me damne si… Dieu sait si je dis la vérité, Dieu m’est témoin, aussi vrai que tu me vois là, je veux être pendu si…

(xvii) – Să mă bată Dumnezeu, domnule Ioanide dacă nu duc lipsuri. (xvii′) – Dieu me damne si je ne suis pas dans la gêne.

(G. Călinescu, 38-34) (xviii) – Să mă bată Dumnezeu dacă nu sînt bolnav. (xviii′) Dieu m’est témoin que je suis malade.

(G. Călinescu, 197-196) (xix) – Când îţi spun odată, se prefăcu Petrişor, că nu ţi le-am luat noi,

înţelege-mă. Pot să-ţi jur şi eu că nimic n-a ieşit din casă. (xix′) – Enfin, combien de fois faudra-t-il vous répéter que ce n’est pas nous

qui les avons prises, dit Pierrot. Je vous fais le serment, là, qu’on n’a rien emporté. (G. Călinescu, 499-506)

La deuxième catégorie d’énoncés marquent une réaction verbale à une intervention antérieure, effective ou supposée par le locuteur. Ils se distinguent entre eux par deux paramètres:

– la nature positive ou négative de la réaction – l’incidence de l’acte réactif (le dit ou le dire).

166

Si la réaction est posit ive on peut avoir, suivant l’incidence, soit un énoncé d’acceptation (portant sur le contenu propositionnel) soit un énoncé d’adhésion (incident au dire de l’énonciateur)

(xx) – Însă dacă se face stabilizare, rata din luna respectivă mi-o plăteşti din nou în valuta nouă, chiar dacă mi-ai plătit-o în monedă veche.

– S-a făcut ! mormăi Babighian mulţumit. (xx′) – En cas de stabilisation, l’échéance du mois sera acquittée une seconde

fois en lei lourds, lors même que vous l’auriez déjà versée en lei anciens. – Marché conclu! dit Babighian content.

(G. Călinescu, 634-647) Pour exprimer son adhésion, dans un jeu mimétique, le locuteur dispose d’un

ensemble d’énoncés axés sur deux coordonnées principales: – la véridiction – ai /aveţi dreptate, nici nu ştii/ştiţi câtă dreptate ai/aveţi, e (perfect)

adevărat, (că) bine zici, ţi-a ieşit un porumbel din gură … – tu as/vous avez (parfaitement) raison, vous ne croyez pas si bien dire, bien

parlé, voilà qui est bien dit, tu parles d’or, c’est le mot … (xxi) Prin urmare stau aici cum aş sta oriunde şi aştept să vie ceea ce trebuie să

vie. – Într-adevăr, ai dreptate, zise bătrînul Faranga încet. (xxi′) Donc, je demeure ici, comme je le ferais n’importe où, et j’attendrai

patiemment qu’advienne que pourra! – C’est vrai, tu as bien raison, dit tout bas le vieux Faranga.

(L. Rebreanu, I, 95-64) (xxii) – Înţelegerea cu el a fost şi înainte dificilă, redusă la cîteva elemente

de strictă necesitate practică. – Ai perfectă dreptate, vezi lucrurile just. (xxii′) – On a toujours eu beaucoup de mal à s’entendre avec Hagienuş, tout

entretien avec lui se résumait à un petit nombre de sujets strictement dictés par les exigences de la vie pratique.

– Vous avez parfaitement raison, dit Gaittany, C’est tout à fait ça. (G. Călinescu, 514-523)

(xxiii) – E din familia marilor statui elene ! confirmă Smărăndache. – Aşa e! aprobă cu entuziasm Gaittany (xxiii′) – Elle appartient à la race des grandes statues grecques, confirma Smarandaki. – C’est le mot! s’écria Gaittany d’une voix enthousiaste.

(G. Călinescu, 548-558) – la conformité des vues: sînt/sîntem de acord, recunosc … je suis d’accord, nous sommes d’accord, j’en conviens, je veux bien… (xxiv) – De ce n-ai dansat ? – Pentru că ai dansat tu şi pentru mine. – Recunosc, îmi place dansul la nebunie.

167

(xxiv′) – Tu n’as pas dansé, pourquoi ? – Parce que tu as dansé pour deux. – J’en conviens, je raffole de la danse.

(J. Bart, 129-143) Si la réaction est négative, l’énoncé véhicule soit un refus (acte incident au

contenu propositionnel) soit une réfutation (dans un discours agonal), bien qu’une partition stricte des deux types ne puisse pas toujours être établie.

(xxv) Fii onest în viaţa privată dacă pofteşti; în viaţa publică fă ce fac alţii, ca să nu ai inutile complicaţii, însă cît mai pitit. Afară de cazul cînd visezi să devii un Napoleon Bonaparte şi să mori în insula Sfînta Elena, ceea ce nu e cazul meu.

(xxv′) Qui veut n’a qu’à être honnête dans sa vie privée; dans la vie publique, la seule règle est d’imiter les autres afin d’éviter toute complication inutile, de ne pas se faire remarquer. A moins, évidemment, de vouloir faire son petit Napoléon et mourir à Sainte Hélène. Très peu pour moi !

(G. Călinescu, 397-400)

Le refus d’adhésion connaît une diversité de formes suivant la stratégie adoptée par le docuteur, les itinéraires tactiques sont plus diversifiés, ce qui est naturel si l’on pense que le refus d’adhésion est un acte essentiellement agressif. Pour faire connaître son attitude, le locuteur peut opter pour l’une des solutions tactiques suivantes:

• refuser de faire crédit à la source énonciative:

– en contestant la validité de l’acte judicatif de l’interlocuteur: Roum. N-ai/n-aveţi dreptate; greşiţi, vă înşelaţi … Fr. Vous avez tort, vous faites erreur, vous vous trompez, vous vous fourrez

le doigt dans l’oeil (jusqu’au coude)… (xxvi) Non, là, il faut que je dise. Je ne plaisante plus. Là, vous avez tort. (xxvi’) Nu, aici trebuie să vă spun. Nu mai glumesc. Aici, într-adevăr găsiţi.

(N.Sarraute, 137-93) (xxvii) – Ei bine, dar în fond e un compatriot de-al d-voastră şi-i păcat să-l

lăsaţi să moară de foame ca un câine. – Pardon, vă rog (…) nu confundaţi. Omul acesta care a venit aici este venit

din puşcăriile franceze. (xxvii’) – Eh bien, Mais au fond, ça n’est pas moins un de vos compatriotes,

et c’est mal de le laisser crever de faim comme un chien. – Je vous demande pardon (…), vous faites erreur. Cet homme qui a

débarqué ici sortait du bagne français. (J.Bart, 233-253)

– en contestant la bonne foi de l’interlocuteur Roum. Minţi, eşti un (mare) mincinos … Fr. Tu mens, vous mentez, vous êtes un sacré menteur … (xxviii) – Cum adică s-a spălat pe mîini de el ? – El ştia unde se găseşte, el le-a spus.

168

– Acum minţi. (xxviii’)– Comment ça, il s’en est lavé les mains ? – Il savait où il était, c’est lui qui l’a donné. – Allons, donc, cette fois vous mentez.

(D.R. Popescu, 48-360) (xxix) – Mais dites-moi, Mettetal, mais là je vous attrape, mais vous savez,

vous êtes un sacré menteur. (xxix’) – Ia spuneţi-mi, Mettetal, uite că v-am prins, dar ştiţi că sânteţi un

mare mincinos. – en mettant en doute le sérieux de l’énonciateur, à partir de l’idée qu’une

plaisanterie n’est pas une description véridique de l’état de choses évoqué: (N.Sarraute, 212-141)

Roum. Glumeşti/glumiţi; fii serios; lasă gluma la o parte … Fr. Vous plaisantez; tu veux rire, laissez-moi rire; trêve de plaisanterie; blague dans le coin … (xxx) – Văd că de altfel arătaţi foarte bine. – Glumeşti. Sânt obosită de viaţă. (xxx’) – D’ailleurs vous avez une mine superbe. – Cette plaisanterie. Je me sens exténuée.

(G.Călinescu, 591-622) (xxxi) – Fii serios. Îl puse la punct Gulimănescu … (xxxi’) – Trêve de plaisanterie, le gourmanda Gulimănescu

(G.Călinescu, 308-307) – en refusant de faire crédit à la source d’information indirecte: Roum. Asta de unde ai mai auzit-o ? De unde le mai scoţi ? Fr. Où allez-vous chercher ça? (xxxii) – De unde le mai scoţi şi astea ? (xxxii’) – Où allez-vous chercher ça ?

(G.Călinescu, 354-356) • infirmer la véracité du dit Roum. Nu-i adevărat; e fals … Fr. Ce n’est pas vrai; c’est faux; il est vrai ce mensonge ? (xxxiii) – Ce que vous m’avez dit sur cette femme est faux, qu’on la trouvait

ivre morte dans les bars du quartier de l’arsenal. (xxxiii’) – Ce mi-aţi spus despre femeia aceea nu e adevărat. N-o găsea

nimeni beată moartă în barurile din cartierul arsenalului. (M.Duras, 58-47)

Les signaux de désaccord ont un caractère idiomatique très prononcé et leur

mise en équivalence se réalise en fonction des relations intersubjectives qui s’instaurent entre co-énonciateurs. Parmi les moyens tactiques mis en oeuvre dans ce cas on peut retenir:

169

• refuser de poursuivre le dialogue dans le sens imprimé par l’énonciateur:

Roum. Nu umbla cu vorbe d-astea; ce să mai vorbim, termină cu prostiile; nu mai turna la gogoşi …

Fr. Ne dites pas de bêtises; laisse tomber; (fam.) ramasse tes salades; (fam.) ne sortez pas la pommade …

(xxxiv) Nici să nu te aud cu vorbe d-astea urâte, Puişor, că mă faci să mă îngrozesc.

(xxxiv’) Je ne veux plus entendre de telles paroles, qui me font horreur, Puiu chéri !

(L. Rebreanu, 71-48) (xxxv) Şrii foarte bine că nu pentru aspirine am bătut la poarta doctorului …

Ce să mai vorbim … (xxxv’) Et vous savez très bien que ce n’est pas pour de l’aspirine que j’ai

frappé à la porte du docteur … Laissons tomber … (D.R.Popescu, 40-355)

Le roumain va jusqu’à refuser la présence physique de l’interlocuteur; des expressions telles que fugi d-aici/fugi d-acolo, (fam) fugi cu ursul n’ont pas de correspondant direct, ce qui fait que l’équivalence s’impose dans ce cas:

(xxxvi) – Fugi Poly, nu umblaţi cu d-astea ! (xxxvi’) Voyons, Poly, ne dis donc pas de bêtises !

(L.Rebreanu, 24-18) 12.2.3. Le schéma suivant rend compte de ces distinctions qui pourraient

servir de base à une classification des équivalences, à un recensement aussi complet que possible des énoncés conventionnels:

Enoncés

non représentatifs représentatifs dans des échanges dans des échanges confirmatifs réparateurs (rituels)

proactifs rétroactifs (stratégie de crédibilisation) positifs négatifs acceptation refus adhésion réfutation

12.3. Conclusion

170

La stylistique comparée interprète l’équivalence d’un double point de vue, linguistique et langagier. On conçoit, à la lumière de cette interprétation, les difficultés auxquelles se heurte le théoricien de la traduction lorsqu’il se préoccupe d’évaluer les conséquences pratiques de cette définition très restrictive. Quel devrait être le critère prioritaire ? Doit-on les combiner et ôter ainsi à toute une série de mises en correspondance énonciatives leur statut d’équivalence ? Les nombreuses divergences de structuration que l’on signale dans ce domaine fortement idiomatisé ont été pour quelque chose dans la définition mentionnée. Mais il est pratiquement très difficile sinon impossible de tracer une ligne de partage nette entre les multiples transformations subies par l’énoncé dans son transfert en langue cible. En effet, on est en droit de se demander s’il y a structure totalement différente dans une mise en correspondance telle que : Mai bine tăceai - Vous avez perdu l’occasion de vous taire, ou bien on peut considérer que la présence de l’unité lexicale hétéronymique (a tăcea - se taire) interdit une pareille interprétation ? Les restructurations lexico-grammaticales semblent connaître une disposition scalaire, ce qui ne fait qu’accroître les difficultés de classement. Aussi croyons-nous qu’il serait faux de réduire l’équivalence à une divergence purement linguistique, même si elle est très fréquente. C’est là un fait de statistique et non un fait de système. Ce n’est qu’en examinant les multiples visages d’une unité de traduction dans la perspective des valeurs énonciatives qu’elle véhicule qu’on arrive à dégager les informations nécessaires à la mise en place de correspondances fondées sur la similarité de l’intentionnalité de l’énoncé source. Ce problème doit être envisagé à la fois comme une stratégie de l’interprétation du texte source et comme l’utilisation de l’analyse en termes énonciatifs de la traduction adéquate.

SUJETS DE DEVOIRS • Commentez la citation suivante :

„La palette d’équivalences que doit envisager le traductologue n’est pas due à une déficience de la science traductologique, elle est la conséquence d’une approche scientifique qui s’efforce de rendre compte d’une réalité où interviennent tout autant l’usage que les préjugés et les audaces en matière de manipulation du langage” (M. BALLARD)

• Quelle est d’après vous la hiérarchie des critères de classification des équivalences?

• Citez quelques exemples d’équivalences : - directes - modulées - réformulées (surtraductions)

• Analysez les équivalences des textes suivants:

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Elisaveto, te rog, nu te amesteca. (M.Eliade)

Elisaveta, mêlez-vous de ce qui vous regarde.

…intelectul pare foarte activ, aluziile lui la sufletul animal şi cel intelectual sînt reminiscenţe din filozofia greacă. A pierdut numai simţul realităţii. – Aşa cred şi eu…

(G.Călinescu)

…Son intellect paraît très actif, témoin son allusion à l’âme animale et à l’intellectuelle, réminiscences de la philosophie grecque. Ce qui lui fait défaut, c’est le sens de la réalité. – Je partage votre avis…

– Fugi, Poly, nu umblaţi cu d-astea! Se poate? Băiatul lui Faranga internat în casă de sănătate!…Mă jigniţi dacă insistaţi…Nu-i el, săracul, destul de prăpădit sufleteşte?…Nu zău, Poly, dar ai nişte idei!

(L.Rebreanu)

– Voyons, Poly ne dis donc pas de bêtises! Comment ça! Le fils de Faranga hospitalisé dans une maison de santé!…Tu m’offenses en insis-tant… N’est-il pas le pauvre garçon suffisamment accablé moralement? …Non, vraiment, Poly, tu as de bonnes!

Măi, măi, tu eşti? Lucian are să leşine! (T.Popovici)

Mon vieux, mon vieux,….C’est toi! Lucian va mourir de joie!

– Bravo şefule! Ca totdeauna eşti primul reprezentant al autorităţilor româneşti, îl întîmpină un căpitan hazliu. – Vai de mine, domnule căpitan, mai e vorbă, aici nu-i chestie de petrecere…E o datorie de onoare…

(J.Bart)

– Bravo, chef! vous êtes comme toujours le premier représentant des autorités roumaines, s’exclama un officier d’un ton railleur. – Mais comment donc, cela va de soi, capitaine, il ne s’agit pas de divertissement ici…C’est une question d’honneur…

• Proposez des traductions pour les énoncés suivants en tenant compte de leurs fonctions énonciatives et interlocutives:

Vă înşelaţi amarnic. – Unde vrei să ajungi? – Lasă gluma la o parte. – Nu te băga unde nu-ţi fierbe oala. – Nu-i treaba ta. – M-am săturat de poveştile tale. – Nu face nici cît o ceapă degerată. – Şi-a bătut joc de mine în stil mare. – M-am lăsat dus de nas ca un copil de ţîţă.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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172

CRISTEA,T., 1983. - „L’adhésion et ses réalisations linguistiques en français et en roumain“, in Etudes contrastives. Enonciation et contrastivité, Bucureşti, TUB, p.24-94.

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Paris, Didier.

13. TRADUCTION ET MISE EN RELATION DE STRUCTURES SOCIO-CULTURELLES: L’ADAPTATION

„Le transfert du culturel consiste à apporter au lecteur étranger des connaissances sur un monde qui n’est pas le sien. Cet apport ne comble pas intégralement la distance entre deux mondes, mais entr’ouvre une fenêtre sur la culture originale“

(M.LEDERER)

13.1. Traduction et barrières socio-culturelles L’association des signes linguistiques avec la réalité environnante subit les

contraintes d’un faisceau de facteurs tels que les conditions sociales et historiques dans lesquelles s’est développée la communauté en question, l’expérience linguistique et culturelle, les contacts avec les autres communautés, etc. Bien que la langue ait une existence objective, son utilisation renvoie nécessairement à une expérience collective et/ou individuelle. Chaque collectivité linguistique et, au sein

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de cette collectivité, chaque individu exploite le matériel linguistique disponible conformément aux données fournies par cette expérience.

Pour démontrer que le concept d’intercommunicabilité et sa conséquence directe la „traduisibilité“, recouvrent une réalité observable, il faut déterminer de manière aussi rigoureuse que possible le rôle et la portée des facteurs de diversification: ces facteurs empêchent-ils complètement la communication en créant des seuils de structuration qu’il est impossible de franchir ou les limitent-ils seulement, en permettant un transfert approximatif?

Les réponses données à cette question se laissent classifier d’après la place accordée au conditionnement culturel et linguistique dans la retransmission des expériences.

L’hypothèse conductrice adoptée ici est que les fonctions de la langue se placent à deux niveaux différents; on distingue ainsi

a) des fonctions générales (M.A.K.HALLIDAY, 1972: 141) et b) des fonctions spécifiques (idiosyncrasiques). Les premières sont communes à toutes les langues, tandis que les secondes sont déterminées par la culture d’une communauté linguistique donnée. La confrontation de deux langues naturelles dans le transfert de messages révèle d’une part une structuration générale commune qui permet la traduction et l’existence de zones faiblement idiomatisées et d’autre part des différences qui attirent des perturbations dans la transmission des données de l’expérience. Cette transmission ne peut se dérouler entièrement au niveau de l’intériorité du texte. Tous les énoncés ne sont pas transparents et certaines structures opposent au regard étranger un voile qui n’est pas seulement linguistique.

La nécessité s’impose donc que le traducteur dispose de deux types de compétences: linguistique et périlinguistique. „Il ne suffit pas d’être bilingue pour être traducteur. La „connaissance des choses“ est indispensable” (D.MOSKOVITZ, 1972:113)

13.2. Le composant périlinguistique et la traduction

Le composant périlinguistique présente deux sous-composants qui intéressent directement la mise en correspondance des connotations socio-culturelles, telles qu’elles se manifestent dans le texte de départ:

• le sous-composant civilisationnel (le transfert du culturel) • le sous-composant stylistique fonctionnel (les divers sous-codes de la langue).

13.2.1. Le sous-composant civilisationnel. Il s’agit de cette charge spécifique qui sépare ce que F.KIEFER (1974) appelle le „savoir encyclopédique“ du savoir linguistique proprement dit.

F.KIEFER distingue dans la caractérisation sémantique d’une entrée lexicale un „coeur“ et une „périphérie“. „Le coeur d’une lecture d’entrée lexicale comprend toutes et rien que les stipulations sémantiques qui schématiquement déterminent sa place dans le système des entreés lexicales, c’est-à-dire délimitant ce terme par rapport aux autres entrées non synonymes. La périphérie consiste en stipulations qui contribuent à l’édification du sens d’une entreé lexicale sans cependant la

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distinguer des autres entrées-autrement dit la périphérie rassemble toutes les stipulations qui pourraient être retranchées de la lecture de l’entreé lexicale sans changer sa relation aux autres lectures d’entreés lexicales appartenant à la même grammaire“ (1974: 68-69). Pour illustrer cette distinction nous avons choisi le lexème fromage, défini dans le Lexis de la maniêre suivante: „aliment obtenu par la fermentation du caillé après la coagulation du lait“. Si l’on ajoutait à cette définition, qui correspond au coeur du lexème analysé, la stipulation „que l’on sert à la fin du repas“, cette stipulation appartiendrait à la périphérie et serait porteuse d’un trait civilisationnel. C’est précisément l’absence de cette spécification dans la définition du mot français et bien entendu dans celle du mot roumain correspondant, brînză, qui rend opaque pour un locuteur de langue roumaine l’expression française entre la poire et le fromage „à la fin du repas“.

Une grammaire de la traduction devrait rendre compte de cette opposition entre les deux types de savoirs, ainsi que de la ligne de partage qui existe entre les deux langues engagées dans la traduction. Ignorer une pareille démarcation c’est courir le risque d’obscurcir la signification de certains textes de départ en les neutralisant ou en les faussant par la traduction.

Quant aux modalités de transfert du culturel qui forment un ensemble désigné par le terme général d’adaptation, elles concernent les termes marqués du point de vue civilisationnel (particularités locales: coutumes, croyances, culture matérielle: plats spécifiques, vêtements, monnaies, mesures de longueur, etc.) ou des particularités géographiques. Ces modalités peuvent se ramener aux types généraux suivants:

• l’unité source marquée est traduite par une unité qui évoque une autre réalité (conversion):

a face o mutră de doi coţi - faire une mine de dix pieds a fi îmbrăcată ca o paparudă - être attifée comme une châsse (i) N- am cheltuit un zlot. (i′) Je n’ai pas dépensé un liard.

(P.Pardău, 141-41) • Le traducteur substitue à l’unité source une unité de sa propre culture

(ethnocentrisme): (ii) … posibilitatea fondării unei fabrici de postavuri ca s-o concureze pe cea

din Buhuşi. (ii′)… la possibilité de fonder une fabrique de drap qui fasse concurrence à

celle de Buhuşi ou d’Elbeuf. (P.Pardău, 192-83)

Dans l'exemple ci-dessus le traducteur a introduit un élément supplémentaire pour rendre le texte de départ plus explicite (surtraduction).

• le terme marqué est traduit par un correspondant fonctionnel (explicitation):

(iii) …Chaque champ paraît un joyau d’or vert, scintillant et pâle sous l’eau qui l’imprègne, cerné du parfait rebord de haies.

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(iii′) Fiecare ogor pare o bijuterie de aur verde sclipind palid şi mustind de apa care-l acoperă, prins în cercul perfect şi sumbru al haturilor sale.

(Cl.Lévi-Strauss, 111-138) • le terme marqué est neutralisé: par le choix d’un hétéronyme général ou

approximatif qui annule les connotations de l’unité source: (iv) Întorsei capul spre ea. Iia albă şi înflorită ascundea doi sîni abia împliniţi

ai căror muguri se zbuciumau sub borangicul ieftin. (iv′) Je tournai la tête vers elle. La blouse blanche à fleurs cachait deux seins

à peine formés, dont les boutons battaient timidement sous la toile bon marché. (L.Rebreanu, I, 83-56)

(v) Adormi şi visă că mătura casa şi bătătura. (v′) Elle s’endormit, se rêva balayant la maison, la cour…

(D.R.Popescu, 7-334) (vi) Mădălina fu adusă mai mult cu forţa pînă la scara cerdacului de unde

cîrciumarul o luă de mînă şi se apropie cu ea, dojenind-o: Nu fi neroadă, fato cînd vor boierii să-ţi vadă mutra.

(vi′) Mădălina fut amenée de force plutôt jusque sous la veranda d’où l’aubergiste lui prit la main pour la conduire, tout en la grondant: „Ne sois pas bête, ma fille, puisque ces messieurs veulent voir ta frimousse.

(L.Rebreanu, I, 85-87)

(vii) – Vino şi te spală, îi porunci Sabin, întinzîndu-i săpunul „cheia“. (vii′) – Allons. Viens te laver, lui cria Sabin, en lui tendant un morceau de

savon de ménage. (T.Popovici, 37-44)

(viii) Ăsta nu ştie nici măcar să aprindă aragazul. (viii′) Celui-là, ne saurait même pas se servir de la cuisinière à gaz.

(P.Pardău, 153 - 51)

13.3.2. Le sous-composant stylistique-fonctionnel. Ce sous-composant correspond à la diversification qu’une langue évoluée connaît sur le plan synchronique. Une ligne de clivage tranche profondément entre les variantes d’une langue en juxtaposant des structures stratifiées: les lectes (associés aux groupes sociaux: sociolectes, chronolectes, dialectes) et les registres (variétés disponibles à l’intérieur du lecte en fonction de la situation communicative (J.ROSS, 1976: 12).

La principale difficulté à laquelle se heurte le traducteur est la non correspondance des variétés de langue socio-situationnelles, „Il est hasardeux de mettre mécaniquement en équivalence les variétés des deux langues telles qu’elles sont consignées dans les dictionnaires actuels sans une mise au point préalable. D’une part, une pareille démarche empêcherait, par exemple, de transcoder bostan (fig. ir) et dovleac (fig.) par citrouille et coloquinte (pop.), et d’autre part, elle conduirait à mettre le signe de l’égalite socio-situationnelle entre odaie (pop.) et cambuse, carrée, turne ou piaule (pop.). Or, dans ce dernier cas, la transposition variétale ne serait que trompeuse, ces exemples appartenenant de ce point de

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vue à une catégorie plus vaste que l’on pourrait dénommer „les faux amis socio- situationnels“ (V.VIŞAN, 1985:184).

Une deuxième difficulté résulterait donc de la non équivalence des termes appartenant à des registres considérés comme équivalents, et l’équivalence de termes appartenant à des variétés non équivalentes.

Dans la traduction, les connotations variétales sont sujettes à des interférences discursives1 de plusieurs types, qui ne sont, en dernière analyse, que des adaptations:

• des interférences diastratiques (transfert d’unités appartenant à un autre niveau ou registre de langue)

Dans la plupart des cas, une variété marquée est transférée par une variété neutre, ce qui annule les connotations socio-situationnelles

(ix) Maison, domestiques, fric et bagnole. (ix′) Casă, servitori, bani şi maşină.

(N.Calef, 62-39) (x) – Quand il saura la raison… – Belle raison! t’as jamais rien lu, ma parole. C’est dans ces moments-là

que les bourgeois sont le plus vache. C’est pas les scrupules qui les étouffent, eux! (x′) – Cînd va cunoaşte motivele… – Frumoase motive! pe cuvîntul meu că nu cunoşti realitatea. În ase-

menea momente burghezii se comportă cel mai josnic. Nu prea au multe scrupule! (N.Calef, 138-89)

Dans certains autres cas, les interférences diastratiques apparaissent comme des procédés de compensation:

(xi) – Tiens, dit-il, t’étais là, toi, et t’es pas mort? – Tu vois. (xi′) – Ia te uită, se miră, erai aici şi n-ai crăpat? – După cum vezi.

(R.Merle, 92-79) • des interférences diaphasiques (utilisation des termes appartenant à une

aire d’emploi discursive dans une autre aire); c’est le cas des lexèmes qui proviennent d’une langue étrangère dont l’utilisation dans la langue emprunteuse est plus restreinte:

(xii) …le sable beige et le limon violet… (xii′) …nisipul bej şi nămolul violet…

(Cl.Lévi-Strauss, 110-136) • des interférences diachroniques (transfert de mots appartenant à des états

de langue différents); c’est le cas, par exemple des termes historiques traduits par des termes actuels:

1 Pour une discussion sur ces notions v. Lingvistica integrală, interviu cu Eugeniu

Coşeriu realizat de N.Saramandu, Bucureşti, Editura Fundaţiei Culturale Române, 1996, p.34 et D. Maingueneau, Initiation aux méthodes de l'analyse du discours, Paris, Hachette, 1976.

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pîrgar - conseiller municipal vornic - gouverneur; maire d’un village; garçon d’honneur pîrcălab - chef administratif d’un district; commandant d’une forteresse,

maire d’un village, précepteur, commandant d’une prison, geôlier • des interférences diatopiques (transfert de termes n’ayant pas la même

aire locale d’utilisation); ainsi, des termes géographiques spécifiques sont traduits par des termes généraux:

(xiii) Vaporii de apă care se ridicau din mare, de pe Dunăre şi din ghiolurile Deltei, rămîneau plutind în atmosferă ceasuri întregi.

(xiii′) Les vapeurs qui s’élevaient de la mer, du Danube et des marais flottaient dans l’air pendant des heures entières.

(J.Bart, 292-332) Dans ce cas, la traduction est souvent explicative (explicitation): (xiv) Lunca, pusta înecată în albeaţa după amiezii… (xiv′) La prairie des bords de la rivière, la plaine baignée dans la blancheur

de l’après-midi… (T.Popovici, 42-50)

13.3. Conclusion

La structuration linguistique de la réalité environnante est, pour une large part, dépendante de la civilisation de la communauté émettrice. Se plaçant dans une perspective socio-linguistique, l’étude de la dimension périlinguistique de la traduction devient une composante essentielle de l’activité de tout traducteur.

Les difficultés soulevées par les barrières que la charge civilisationnelle oppose à la traduction pourraient être réparties en plusieurs catégories:

• difficultés de compréhesion et de traduction des termes évoquant des réalités spécifiques d’une certaine communauté linguistique;

• difficultés provenant de la non correspondance des niveaux et des registres de langue;

• difficultés provenant de l’emploi figuré de certaines expressions qui portent la marque des conditions locales spécifiques;

• difficultés provenant de la non transparence des allusions historiques, littéraires, anecdotes, allusions prestigieuses, etc.

L’intérêt que présente l’étude des zones fortement idiomatisées, plus profondément marquées par les conditions de l’évolution socio-historique est double. Pour le lexicographe il s’agit de trouver des équivalents au niveau lexématique, stables et récurrents, sans faire appel à des traductions explicatives, souvent inutilisables dans le texte; pour le traducteur, l’intérêt réside surtout dans la découverte des procédés indirects lui permettant de retransmettre les connotations socio-culturelles.

La fausse interprétation des faits de langue conditionnés historiquement conduit à des incongruences stylistiques. L’opacité des structures qui portent l’empreinte de ces conditions spécifiques est l’un des plus grands obstacles qui se dressent devant le

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traducteur: „apprendre une langue signifie deux choses: apprendre la structure et les mots de cette langue, mais aussi apprendre la relation qu’il y a entre structures et mots et la réalité non linguistique, la civilisation, la culture de cette langue, ce qui est tout autre chose. De là viennent les difficultés dues à l’apprentissage corrélatif des situations dans lesquelles sont utilisés les mots et les structures de cette langue” (G.MOUNIN, 1976:62).

SUJETS DE DEVOIRS

• Commentez le texte suivant: „La science sociolinguistique se doit, non de

poser en énonciatrice, consciente ou inconsciente, de la façon dont le dosage est à opérer, mais d’observer et d’expliquer les contraintes qui pèsent sur le message dans l’activité traduisante, sur les langues de départ et d’arrivée, le bilinguisme, l’évolution des idées et des sociétés, et éventuellement . . . sur les traducteurs eux-mêmes” (M.PERGNIER).

• Citez quelques exemples de difficultés qui relèvent de la composante périlinguistique:

– des expressions figurées fortement idiomatisées et portant l’empreinte des conditions spécifiques;

– des allusions littéraires spécifiques; – des divergences d’ordre variétal.

• Analysez les textes bilingues suivants du point de vue des procédés de traduction:

Poarta se deschise şi o servitoare bătrână, zbîrcită, îi pofti să intre:

La porte s’ouvrit et une vieille servante, toute ridée, les accueillit:

– Or vinit tăţi domnişorii. Danţează. – Les jeunes messieurs, y sont tous là et

(T. Popovici)y dansent à c’te heure.

. . . cine dracu e nebuna aceea care face baie la ora asta?

… quelle est la folle qui se baigne à cette heure?

– După cum luceşte negreaţa pielii mă bate gândul că-i o ţigancă, îndrăzni caporalul să-şi dea părerea. Şi iote cum înoată: ca peştele dom’le.

(J.Bart)

– A en juger par le noir luisant de la peau, c’est une tzigane, avait osé dire le caporal. Et zieutez donc comment qu’elle nage! Un vrai poisson!

– L’argent, toujours l’argent! Saleté de fric! Si seulement j’en avais, tous les trucs que je pourrais faire!

(N.Calef)

– Bani! Totdeauna banii! Porcăria de biştari. Şi dacă i-aş avea câte n-aş putea să fac cu ei!

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• Proposez des traductions adéquates pour les locutions et les énoncés suivants:

a) A trage bărbi; a-şi face sânge rău; a lua pe cineva în balon; a-i tremura cuiva balamalele;

b) On tire sa flemme. – On met le paquet. – Ramasse tes salades. – Tu peux te l’accrocher. – Il a cassé le morceau. – Ecrase! – Ne sortez pas la pommade!

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES COŞERIU, E., 1996 - Lingvistica integrală, interviu realizat de N.Saramandu, Bucureşti,

Editura Fundaţiei Culturale Române. HALLIDAY, M.A.K., 1972 - „Language Structure and Language Function” in J.Lyons

(ed.) New Horizons in Linguistics, p. 140-165. KIEFER, F., 1974 - Essais de sémantique générale, Paris, Mame. LEDERER, M., 1994 - La traduction aujourd’hui, Paris, Hachette. MAINGUENEAU,D., 1976 - Initiation aux méthodes de l’analyse du discours, Paris,

Hachette. MOSKOVITZ, D., 1972 - „Enseignement de la traduction à l’ESIP”, in Langages, nr.26,

p.113-118. MOUNIN, G., 1976 -Linguistique et traduction, Bruxelles, Dessartes et Mardaga. PERGNIER, M., 1993 - Les fondements sociolinguistiques de la traduction, Lille, PUL. ROSS, J., 1976 - „L’ étude des variétés de langue et l’enseignement de la langue”, in Le

Français dans le Monde, nr.121, p.11-17. VIŞAN, V., 1985 - Norme et usage dans l’enseignement du français, Bucureşti, Tipografia

Universităţii din Bucureşti.

III-ème section PROPOSITIONS POUR LA MISE EN OEUVRE

D’UNE APPROCHE ONOMASIOLOGIQUE DANS L’ACTE TRADUCTIF

183

14. SÉMASIOLOGIE ET ONOMASIOLOGIE DANS L’ACTE TRADUCTIF

Un système conceptuel indépendant d’une langue donnée permet de comparer des langues et de reconnaître le „sectionnement de la réalité” que réalise chacune d’elles.

(KURT BALDINGER) 14.1. Structuration conceptuelle et structuration linguistique

La traduction se fonde sur l’idée qu’il existe dans toutes les langues naturelles un arrière-plan conceptuel translinguistique, structuré linguistiquement d’une manière différente suivant chacune des langues impliquées dans l’opération traduisante. On reconnaît ainsi l’existence de zones conceptuelles que l’on retrouve dans un très grand nombre de langues, sinon dans toutes les langues, et qui expriment la faculté des sujets de percevoir le monde. „L’importance d’une des activités humaines les plus anciennes, celle de traduire, tient à ceci: qu’on n’en retienne que les succès ou qu’on en souligne, au contraire, l’imperfection et les demi-échecs, les transferts de messages, de n’importe quelle langue de départ en n’importe quelle langue d’arrivée, sont et ont toujours été des faits quotidiens. Ces faits sont nécessairement, pour être possibles, les reflets d’une parenté, sinon d’une unité, des modèles sur lesquels sont bâties les langues” (CL. HAGÈGE, 1981:15).

En linguistique, on utilise le terme de noème pour désigner les éléments de sens à tendance universelle. „L’analyse en sèmes suppose que l’on travaille dans une langue unique, homogène, afin de déterminer les sémèmes d’un certain nombre de signes formant réellement un paradigme limité par un domaine ou une situation d’expérience définis. A un second niveau, on peut prendre ces sèmes comme nouveaux objets d’étude, et se demander s’ils sont eux-mêmes analysables en éléments plus fondamentaux, ou noèmes. Le dernier acte serait de construire les sèmes linguistiques à partir de ces noèmes conceptuels. Il ne s’agit pas ici pour nous d’universaux, mais d’instruments créés par le linguiste, légitimement d’ailleurs” (B.POTTIER, 1981:5).

Il résulte que concept et signifié ne sont pas identiques car ils relèvent de deux plans différents. Le concept est un symbole abstrait et général qui renferme la somme de toutes les connaissances que l’on possède sur une classe d’objets ou d’êtres, symbole indépendant des langues naturelles. Le signifié appartient au plan de la langue naturelle, qui découpe le monde physico-culturel de façon spécifique. La distinction concept/signifié se situe dans l’espace de ce qui est commun à plusieurs langues et ce qui leur appartient en propre. Ces relations pourraient être représentées comme suit:

184

arrière-plan conceptuel commun

perspective sémasiolo-gique

L L’ structuration des signifiés commune ou diversifiée

perspective onomasiologique

L L’ structure des structure des signifiants signifiants

Dans l’analyse des faits de langue on peut partir du signifiant et examiner tous les signifiés qu’il véhicule. C’est la perspective sémasiologique qui est ainsi mise en vedette; ce point de vue participe d’une „grammaire”1 de reconnaissance de réception. On peut chosir le chemin opposé et partir de la zone conceptuelle pour examiner la structure des signifiés et les incarnations linguistiques respectives. C’est la perspective onomasiologique , qui participe d’une „grammaire” de production.

„La structure sémasiologique (ou champ sémasiologique) a été définie comme un groupe de sémèmes relié à un seul signifié lui même relié à un seul monème (mais relié souvent à différents systèmes conceptuels). La structure onomasiologique (ou champ onomasiologique) est un ensemble de sémèmes reliés à un seul concept - qui est déterminé par sa position dans un système conceptuel - mais faisant partie de différents signifiés liés par consubstantialité quantitative à différents monèmes” (K. BALDINGER, 1980:160). Toute approche onomasiologique peut se caractériser de ce double point de vue: elle souligne de façon claire que les axes de pensée préalablement définis et les moyens linguistiques sont en interdépendance.

14.2. Acte traductif et solidarité

des approches sémasiologique et onomasiologique La solidarité des deux approches apparaît dans toute sa vérité dans l’acte

traductif lui-même. Pris individuellement, le transfert d’une langue à l’autre implique comme

nous l’avons vu, une démarche complexe qui relève dans une première phase d’une grammaire de reconnaissance et dans une seconde phase d’une grammaire de production. Le point de départ sera donc toujours une analyse des signifiants, mais pour rechercher les équivalents on part des traits que l’on a dégagés des unités linguistiques constitutives du texte source. De quelque manière que l’on aborde le

1 Le terme de „grammaire” est employé ici dans son sens le plus général de

mécanisme, d’interprétation et de production des énoncés.

185

problème, si tout acte traductif suppose un transfert de signifiés, ce transfert nécessite la transformation de ces signifiés en signifiants.

E.COŞERIU parle de deux phases complémentaires obligatoires dans l’acte traductif: une phase sémasiologique et une phase onomasiologique, d’une fusion en une opération complexe entre signification (Bedeutung) et désignation (Bezeichnung). Cette opération a été désignée par le terme de Übertragung (traduit en français par „transposition” (C.LAPLACE, 1994). E.COŞERIU insiste sur le fait que la signification en tant que telle ne peut pas être traduite „tant qu’on n’a pas identifié la désignation, la traduction est impossible” (1994:43).

Cette démarche à deux temps, un premier temps sémasiologique et un second temps onomasiologique pourrait être représentée par le triangle suivant:

signifié analyse des signifiants

recherche des équivalents

unité source

unité cible

Mais, à la différence des actes traductifs individuels, l’approche onoma-siologique proprement dite, c’est-à-dire celle qui prend comme point de départ non pas une unité ponctuelle actualisée mais toute une zone conceptuelle qu’elle doit mettre en relation avec la même zone de la langue cible, se constitue comme résultat d’une triple opération:

• délimiter des zones conceptuelles structurées linguistiquement, ce qui suppose la prise en compte de deux aspects complémentaires:

− le degré de généralité et la hiérarchisation des sous-ensembles connexes − la structuration interne des micro-zones constitutives de l’ensemble; à

l’intérieur de chacune d’entre elles, les „objets mentaux” peuvent être disposés d’après des critères différents: sémantiques et/ou grammaticaux/et énonciatifs;

• répertorier les manifestations linguistiques des articulations de la zone conceptuelle délimitée au préalable pour chacune des deux langues engagées dans le transfert;

• mettre en correspondance ces manifestations par projection d’un sous-ensemble de la langue source sur le sous-ensemble correspondant de la langue cible.

Bien entendu, au seuil de cette nouvelle entreprise se dressent de nombreux obstacles.

Le premier tient à la difficulté de poser des principes de départ assez cohérents pour servir de support à la nouvelle démarche. En effet, la délimitation d’une zone conceptuelle est très délicate du fait des recoupements avec les zones voisines: une zone conceptuelle fait tache d’huile et l’on doit avancer avec prudence sur le terrain particulièrement incertain sur lequel elle s’édifie. Un autre écueil peut surgir à propos des corrélations sémantiques qui peuvent s’établir entre les unités. Un autre obstacle naît du fait que l’on ne peut presque jamais constituer un inventaire complet des équivalents, à même de recouvrir le plus grand nombre de contextes.

186

Si nous nous arrêtons à ces constatations négatives, c’est pour mieux cerner

les difficultés et poser la juste mesure de l’efficacité des instruments fondés sur une pareille approche. Elle n’en présente pas moins un intérêt non négligeable. L’originalité du projet nous paraît résider dans les points suivants:

− du point de vue de la recherche des équivalents, cette conception a l’avantage de s’adapter, par la mise en relation de sous-ensembles, à une connaissance plus affinée des possibilités de traduction, en donnant une vue relationnelle dégagée de l’atomisme hétéronymique;

− du point de vue du vecteur de la traduction, les solutions proposées dans les répertoires parallèles sont réversibles, les deux langues pouvant occuper indifféremment les positions de langue source ou de langue cible.

14.3. Répertoires parallèles et niveaux fonctionnels

L’approche onomasiologique nécessite un jalonnement catégoriel des niveaux fonctionnels établis en fonction des éléments articulés dans le cadre de l’ensemble articulatoire conceptuel. Est dit ’ensemble articulatoire’ le groupe d’éléments susceptibles de représentation dans les deux systèmes linguistiques en présence.

Il s’agit en gros de deux niveaux, l’analyse des résultats obtenus conduisant à des outils bilingues de nature et de finalité différentes:

− le premier niveau est celui du champ onomasiologique qui conduit à la rédaction de dictionnaires analogiques bilingues;

− le second niveau est celui du fonctionement discursif des éléments contenus dans les répertoires parallèles qui conduit à la constitution de bigrammaires onomasiologiques.

14.3.1. La mise en place de champs onomasiologiques parallèles devrait en principe conduire à la rédaction de dictionnaires dont les articles seraient disposés selon un ordre différent de l’ordre alphabétique. La base théorique d’un pareil dictionnaire est la possibilité de déduire des langues naturelles des schémas conceptuels communs.

Dans l’histoire de la linguistique, plusieurs tentatives de ce genre ont été faites, d’abord dans le sens de la valorisation des théories onomasiologiques, ensuite sous la forme de dictionnaires analogiques monolingues. Signalons ainsi l’ambitieux projet de W. von Wartburg et R.Hallig qui se proposait de fournir un cadre universel de classification applicable à n’importe quel vocabulaire. Quant aux dictionnaires analogiques, structurés selon la filiation concept-mots, ils sont fondés sur la même conception onomasiologique. Il s’agit par conséquent d’une option lexicographique axée non pas sur la macrostructure arbitraire des signifiants (l’ordre alphabétique), mais sur la macrostruture conceptuelle. Dans la lexico-graphie française, le premier en date est le dictionnaire de P.Boissière (1862), qui avait pour but d’être un répertoire des mots par les idées et des idées par les mots. C’est un ouvrage fondamental qui présente un type de lexicographie encore inconnu alors. En 1936, Ch.Maquet fit paraître un dictionnaire analogique qui est

187

une refonte de celui de Boissière. L’idée de suite y fait place à l’idée de rayonnement. On s’attache essentiellement à présenter un certain nombre de mots-centres autour desquels sont groupés tous les mots qui ont entre eux soit un rapport référentiel extralinguistique fondé sur l’expérience, soit un rapport linguistique (synonymie, dérivation, composition etc.). Le Nouveau Dictionnaire Analogique, paru sous la direction de G.Niobey en 1980 chez Larousse, conserve les mêmes principes, mais introduit des définitions et des explications lexico-grammaticales, ainsi que des exemples permettant de saisir le mot dans son contexte. On y précise également les connotèmes énonciatifs de nature sociolinguistique et affective. Les dictionnaires Robert sont structurés suivant une formule mixte: ordre alphabétique et dans le cadre de la description sémasiologique du mot on mentionne les associations analogiques. Dans la préface du Petit Robert, Alain Rey souligne la nécessité de présenter les mots dans leurs relations avec d’autres mots par application de la méthode analogique: „Du mot au mot par les rapports d’idées, de l’idée à d’idée par les mots, tel est le chemin que les analogies de Paul Robert invitent à suivre”.

Dans la lexicographie roumaine, le premier dictionnaire analogique a été élaboré par une équipe de chercheurs: M. Bucă, J.Evseev, Fr. Kiraly, D.Craşoveanu, L. Vasiluţă: Dicţionar analogic şi de sinonime (1978). Le dictionnaire est réalisé d’après une formule qui fait de la synonymie une sous-espèce de l’analogie, les associations constantes sont de type métonymique: genre-espèce, auteur-action, action-objet, action-instrument, action-lieu de l’action etc.

Le dictionnaire analogique, quel que soit le mode de présentation adopté par les auteurs fait état des diverses relations associatives qui s’instaurent entre les lexèmes d’une langue naturelle donnée. Elles pourraient être représentées par le schéma suivant:

Relations associatives

encyclopédiques linguistiques

(le champ de dénomi-nation dans l’univers

référentiel)

paradigmatiques

syntagmatiques (combinatoire

récurrente)

synonymie dérivation dérivation morpho-

lexicale syntaxique

Nous illustrons ces relations à l’aide du mot-centre NID:

188

NID

relations linguistiques encyclopédiques

(sémantiques)

faire son nid paradigmatiques syntagmatiques couver nid douillet pondre incubation synonymie dérivation dérivation etc. nid

d’aigle= aire

morpho-lexicale

syntaxique

couver

faire son nid-nicher

couvaison nid de termite= couvée termitière nid de fourmi= fourmillière nid de guêpe= guêpier etc.

La mise en place des répertoires analogiques bilingues se heurte à de grandes

difficultés parmi lesquelles nous tenons à signaler: – la hiérarchisation des concepts et la délimitation rigoureuse des zones et des

micro-zones conceptuelles; – la délimitation de la zone conceptuelle par rapport aux zones voisines; – la structuration interne de l’article: le mot-centre (substantif) et ce que l’on

peut dire à propos du mot-centre (les relations de prédication: verbes constants et épithètes courantes);

– la mise en relation par micro-zones bilingues. L’utilité d’un dictionnaire de ce type ne saurait être mise en doute: il offre

des fondements solides à la valorisation discursive des éléments lexicaux, en assurant la mobilité et la souplesse de la mise en équivalence bilingue.

14.3.2. Le niveau du fonctionnement discursif des lexèmes regroupés sous une rubrique conceptuelle implique une étude se plaçant au niveau des relations complexes sémantico-grammaticales et énonciatives. Les résultats d’une analyse effectuée à ce niveau s’inscrivent dans le cadre d’une grammaire notionnelle. Il y a plus de soixante ans, F.Brunot formulait la nécessité de mettre en place une grammaire différente de façon décisive de celle qui régissait et qui continue à régir

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encore. La pensée et la langue (1926) se veut un exposé méthodique des faits de pensée considérés et classés non plus d’après l’ordre des signes, mais d’après l’ordre des idées. C’est donc dans un souci pédagogique que F.Brunot émet une théorie nouvelle du langage appliquée au français. „Mais je m’adresse surtout à ceux qui enseignent les langues et qui cherchent avec tant de zèle opiniâtre et d’ingéniosité la technique de leur art, une méthode libérée de la routine dans l’étude des langues mortes, qui veulent élever cette méthode au-dessus d’un empirisme vulgaire. Puissent-ils trouver ici le cadre général où, avec l’unité fondamentale commandée par l’unité de l’esprit, se concilie la diversité des moyens de l’expression qui fournissent des langues souvent si différentes”. (La pensée et la langue, XXIII).

Pour réussir dans cette entreprise, il fallait sortir des chemins battus par rejet délibéré des préjugés. F.Brunot s’est insurgé contre „les oeillères” que la tradition imposait à l’ensemble de la grammaire.

Si l’on prend pour point de départ l’idée on évite les „rattachements abusifs” et les „omissions forcées”. Tout se complète, s’organise, se classe. De la sorte, quelques hommes cesse d’être aux indéfinis, pendant que des hommes est à l’article, une poignée d’hommes au nom, vingt hommes aux noms de nombre, les expressions de quantité précises ou imprécises se cataloguent dans le langage, comme le font ailleurs les nombres et les mesures (La pensée et la langue, XVIII).

En somme, la démarche de F.Brunot est la suivante: d’abord il délimite la zone conceptuelle, plus ou moins générale, ensuite il étudie ses réflexes linguistiques: les éléments qui la réalisent et les contraintes grammaticales auxquelles ils sont soumis. F. Brunot a été parmi les premiers à avoir mis en place une grammaire des sentiments. Ainsi, la zone de l’attente se traduit linguistiquement par des verbes, des locutions verbales ou adverbiales: on s’attend, on est en suspens, dans l’attente, dans l’expectative, on guette, on compte que, on brûle, on grille, on se morfond, on languit, on s’impatiente, on patiente, il vous tarde que. „Il s’en faut que tous ces verbes puissent entrer dans une principale suivie d’un objet. En langue classique, l’action-objet restait l’indicatif (…). Aujourd’hui le subjonctif est obligatoire: J’attends que vous veniez, on s’attend à ce qu’il soit élu au premier tour. Même si l’attente a été réalisée, on garde le subjonctif: Elle attendait qu’on eût attelé. (…) Quand l’attente implique un sentiment d’impatience on employait en langue classique: je brûle, je meurs, il me tarde que qu’on faisait suivre du subjonctif (…) Il est usuel aujourd’hui d’employer là l’infinitif: Je brûle de le voir; cependant on trouve encore une conjonctionnelle: Je meurs d’envie qu’il vienne… (La pensée et la langue: 544).

F.Brunot peut être suivi pas à pas dans sa démarche parce qu’il nous livre sans réserve ses résultats, parce qu’il a pleine conscience de sa méthode, parce qu’il nous délivre en clair la stratégie de ses recherches.

Plus de soixante ans après la publication de son oeuvre maîtresse, les idées qu’il professait alors commencent à germer.

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L’intérêt manifesté à l’égard de la grammaire onomasiologique a suscité

l’ambition de fournir des réponses utilisables en grammaire comparée et par voie de conséquence en traductologie. La comparasion doit devenir un outil d’analyse des problèmes posés par le transfert de la langue source à la langue cible.

La bigrammaire à base conceptuelle apparaît aujourd’hui, en dépit de nombreuses difficultés, comme le gage d’une stratégie conduisant à des solutions non seulement correctes, mais aussi adéquates du point de vue pragmatique.

A mesure que l’approche comparative change de visage et qu’elle inclut des dimensions nouvelles notamment discursives, un glissement s’opère, l’accent se déplace du traitement rigide des données parallèles vers une interprétation à la fois plus souple et plus étendue des convergences et des divergences dans l’emploi des lexèmes regroupés par zones conceptuelles. Cet aller et retour de la langue base à la langue cible et inversement dynamise la comparaison et lui assure un caractère opérant.

14.3.3. Un article de dictionnaire analogique bilingue: LENE-PARESSE

Nous présentons à titre d’exemple un possible article de dictionnaire bilingue centré sur la champ conceptuel de la PARESSE.

LENE PARESSE lenevie, lenevire, (fam.) puturoşenie, (ir.) lenevită

fainéantise, (fam.) flemme, (fam.) flemmardise, (ir.) flémingite aiguë, (pop.) cosse

leneş, (fam.) puturos, a fi foarte paresseux, fainéant, (fam.) flemmard, leneş, a face umbră pămîntului (pop.) cossard, loir, lézard, (pop.) degeaba, (fam.) a puţi locul sub el cul de plomb, être paresseux comme un loir/un lézard/une couleuvre, (fam.) avoir un poil dans la main a lenevi, a se da lenii paresser, (fam.) flemmarder,

battre/tirer sa flemme, s’abandonner à la paresse

Un champ conceptuel voisin de la PARESSE est celui de l’OISIVETÉ

„inaction”, „désoeuvrement”

TRÎNDĂVIE OISIVETÉ trîndăveală, farniente désoeuvrement, inaction, farniente trîndav, trîntor, pierde-vară, oisif, inoccupé, désoeuvré fluieră-vînt, (ir.) burtă-verde a trîndăvi, a trîntori, a trăi vivre dans l’oisiveté ca un trîntor/ca un parazit ne rien faire de ses dix doigts,vivre a sta cu mîinile în sîn/ à ne rien faire, (fam.) ne pas en subsuoară, a sta cu braţele ficher une rame/une secousse, se încrucişate, a sta cu ochii în croiser les bras, croupir dans son coin

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tavan, a cloci pe vatră, a rezema pereţii, a se muta de pe vatră pe cuptor, a sta pe cotlon, a sta la căldurică, a sta cu burta la soare a-şi pierde vremea de pomană/, perdre son temps à ne rien faire, degeaba, a arde gazul de pomană, se tourner les pouces, se les rouler, a tăia frunză la cîini, a duce enfiler des perles cîinii la apă, a căuta peri în palmă

Un autre champ conceptuel apprenté aux précédents est celui de l’INDOLENCE:

DELĂSARE INDOLENCE indolenţă, lîncezeală, inerţie, nonchalance, mollesse, comoditate, pasivitate, tembelism langueur, relâchem ent, apathie,

inertie, torpeur indolent, delăsător, tembel, apatic, inactiv, inert, pasiv,

indolent, nonchalent, mou, atone, négligent, apathique, amorphe, engourdi

adormit endormi a tîndăli, a se lăsa pe tînjală, se relâcher, (fam.) lambiner, traînasser,

lanterner a nu se omorî/zdrobi (fam.) ne rien se casser, (fam.) ne pas

se fouler fără tragere de inimă, în doru-lelii paresseusement, mollement,

nonchalamment

Un autre champ conceptuel qui pourrait être rattaché aux précédents est celui qui regroupe les termes qui indiquent celui qui se dérobe devant le travail:

chiulangiu (fam.) tire-au-flanc. (milit.) tire-au-cul elev chiulangiu cancre a chiuli, a se da în lături de la treabă, a nu se omorî/zdrobi

se dérober devant le travail, craindre/marchander/ plaindre sa peine,

cu treaba rechigner/renâcler à la besogne, tirer au flanc. a trage chiulul de la şcoală (arg.milit.) tirer au cul faire l’école buissonnière, (arg.scolaire), sécher la classe/les cours

14.4. Conclusion

Une théorie de la traduction doit être conséquente dans ses principes et dans les moyens qu’elle met en oeuvre pour venir en aide au traducteur.

Malgré le désaccord sur la nature et les limites d’un champ conceptuel, nous pensons qu’une approche onomasiologique est de nature à éviter un inconvénient majeur de l’approche traditionnelle, c’est-à-dire la difficulté d’apercevoir un ensemble articulé d’éléments équivalents.

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Les pages qui précèdent décrivent des faits qui essaient de mettre en vedette

les avantages de la méthode onomasiologique dans le domaine de la lexicalisation. Dans un premier temps il faudra planter des jalons pour fournir un certain nombre d’indications favorisant la mise en oeuvre de nouvelles propositions. Nous n’avons choisi que quelques aspects saillants pour en dégager les grandes lignes de l’élaboration d’une stratégie de la mise en équivalence à partir de la constitution d’ensembles conceptuels.

SUJETS DE DEVOIRS

• Commentez le texte suivant: „Un système conceptuel doit être „supranational”, c’est-à-dire indépendant

d’une langue donnée. Le fait que beaucoup de langues n’aient pas tous les mots pour réaliser ce système conceptuel n’infirme pas le système”. (K. BALDINGER)

• Quelles sont, d’après vous, les implications de la bigrammaire notionnelle sur la traductologie?

• Donnez un exemple d’approche a) sémasiologique b) onomasiologique. • Etudiez les lexèmes qui incarnent la zone de l’ESPOIR en français et en

roumain et précisez leur fonctionnement dans la phrase et dans le texte.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BALDINGER, K., 1980 - Vers une sémantique moderne, Paris, Klincksieck . BRUNOT, F., 1926 - La pensée et la langue, Paris, Masson. COŞERIU, E., 1976 - „L’étude fonctionnelle du vocabulaire: précis de lexématique”, in Cahiers de lexicologie, no.2, p.5-23. * * *, 1981- Kontrastive Linguistik und Ubersetzungwissenschaft, München. * * *, 1994 - Prelegeri şi conferinţe, Iaşi. HAGÈGE, CL., 1981 - „Le linguiste et le concept d’universaux”, in Bulletin du Groupe de Recherches Semiolinguistiques, no.19, p.15-25. LAPLACE, C., 1994 - Théorie du langage et théorie de la traduction, Paris, Didier. POTTIER, B., 1981 - „Les Universaux”, in Bulletin du Groupe de Recherches Sémiolinguistiques, no.14, p.3-7.

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15. EN GUISE DE CONCLUSION: DE LA DÉPENDANCE

À LA MAITRISE La théorie de la traduction doit caractériser le transfert de la langue source à

la langue cible dans sa portée et dans ses limites. L’opération traduisante a une double finalité:

- elle vise à un recouvrement des expressions avec les états de choses observables;

- elle doit s’assurer de la correspondance globale des énoncés de départ avec les énoncés d’arrivée, dont le garant est l’identité des situations énonciatives dans lesquelles ces énoncés sont performés et des intentions qui régissent leur émission.

Les impératifs d’une bonne traduction apparaissent ainsi comme très exigents: non seulement il faut préserver dans le texte d’arrivée la signification des unités constitutives du texte de départ, mais aussi il faut rendre le sens des énoncés. Cette conception se fonde sur quelques postulats implicites concernant les connaissances et le talent du traducteur qui est censé pouvoir identifier correctement les données textuelles. Il n’en est pas moins, à bien des égards, prisonnier des arcans du texte de départ dans un domaine où l’intérêt des décisions ne peut être qu’individuellement apprécié. Avec une liberté de mouvement limitée, le traducteur est aussi captif d’un arrière-plan qu’il ne peut ignorer. Cette captivité est certes variable mais elle est, à des degrés divers, omniprésente.L’origine de l’inertie des choix devant le défi du transfert est bien là, dans une structuration linguistique et dans une organisation socio-culturelle qui façonne les mentalités.

La traductologie qui se targue d’élaborer des instruments à l’intention des traducteurs ne peut se contenter d’analyser les procédés de traduction aussi diversifiés soient-ils, elle doit mettre en place des répertoires parallèles de solutions susceptibles d’être réinvesties dans de nouveaux textes. Si imparfaits que soient ces instruments, ils n’en représentent pas moins une sorte de dispositif de sécurité dès lors que la traduction fait planer une menace, ne serait-ce que potentielle, pour la mise en équivalence. Cette menace, le contresens, peut se produire à divers paliers de compréhension et d’interprétation.

Sans optimisme excessif, on peut voir dans la mise en place de pareils outils, qui ajusteraient les moyens et les visées, la finalité même de la théorie de la traduction. Ces visées ne sont pourtant pas subordonnées aux moyens, l’idée même de traduction s’opposant à toute application mécanique de procédés préétablis. La théorie de la traduction devra laisser la voie libre aux options du traducteur.

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