scris si vorbit in franceza contemporana

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  • Editura Sfntul Ierarh Nicolae 2010

    ISBN 978-606-8129-51-8

    Lucrare publicat n Sala de Lectur a

    Editurii Sfntul Ierarh Nicolae, la adresa http://lectura.bibliotecadigitala.ro

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    COORDONATOR TIINIFIC : GRECU MARIUS

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    Plan de travail

    Introduction 5

    Chapitre I

    1. La dynamique du franais contemporain 6

    1.1 Le lexique 8

    1.2 La syntaxe 9

    1.3 La morphologie 10

    1.4 La phonologie 11

    2. Les descriptions du franais contemporain 13

    2.1 Les descriptions traditionnelles 14

    2.2 Les descriptions structurales 14

    2.3 Les descriptions fonctionnelles 14

    2.4 Les descriptions gnratives transformationnelles 15

    2.5 Les descriptions de lemploi du franais 17

    3. Le parl et lcrit 18

    3.1 Lcrit prsent dans loral 19

    Chapitre II : Oral vs. crit 20

    2.1 Les descriptions propres loral et lcrit 20

    2.2 Les modes de production 21

    2.3 Recherches de mots 22

    2.4 Analyse de quelques turbulences 24

    2.5 Les grands mythes sparateurs 24

    2.6 Franais parl et franais populaire 25

    2.6.1 Le franais populaire 25

    2.6.2 Le populaire - littraire 25

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    2.6.3 Le franais tel quon le parle 25

    2.6.4 Le franais populaire est pauvre 26

    2.7 Le franais parl et le franais crit- Les quivoques 26

    2.8 Le franais parl ferait voluer la langue 27

    Chapitre III : Le franais crit 29

    Chapitre IV : La langue parle 32

    4.1 Les innovation du parl 33

    4.2 Les fautes parles 36

    4.3 Lordre des mots 38

    Chapitre V : Limbrication crite parle 44

    5.1 Le vocabulaire 44

    5.2 Les structures grammaticales 49

    Conclusions 53

    Bibliographie 55

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    INTRODUCTION

    Ce travail est orient vers des problmes gnraux sur loral et le scriptural, dans le franais contemporain plus prcisment sur la recherche de leurs traits spcifiques. Avant toute investigation il est ncessaire de tracer le partage de ces zones o la langue se ralise, si lon veut dabord comprendre ce que parler o crire signifie ; si lon veut, ensuite, relever les traits qui marquent la pertinence de lune ou lautre. Cest alors seulement quil devient possible dessayer lanalyse dune forme typique du message scriptural, les textes littraires. Si le perfectionnement et le renouveau de la pdagogie de la langue franaise supposent ce renversement qui donne loral une place premire, alors il importe que lon examine attentivement le contenu que lon prte cette notion, comme son corollaire, lcrit. Car la confusion est grande. Essayer de dfinir aussi rigoureusement que possible les deux ordres dans les quels tout sujet alternativement sexprime : oral et / ou scriptural, sera la vise de cette tude. La confusion dissiper nat surtout de ce que trs souvent on pose langue parle / langue crite comme deux niveaux de langue alors que ce sont deux ralisations, dans deux systmes diffrentes, de la langue. Langue parle : synonyme de langue populaire ou familire ; langue crite : synonyme de langue chtie, choisie, cultiv, littraire. On est conduit ainsi relever dans les textes dun crivain les mots ou les tournures de langue parle. Le roman contemporain intgre de plus en plus dans sa syntaxe et dans son vocabulaire, le franais quotidien parl. Inversement, la scolarisation gnralise favorisant la tendance, on admet que le franais parl comporte, tout de mme, beaucoup plus de marques du franais crit que jadis. Tout le monde ayant appris lire les livres tant plus abondants, le franais parl nest plus aussi divers, aussi dialectisant ou patoisant. Mais dcrire ainsi lusage de la langue, nest que constater, en surface, que de loral lcrit, et inversement, le passage et les emprunts sont permanents : ce nest pas dgager les traits spcifiques de lun et de lautre.

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    CHAPITRE I

    1. La dynamique du franais contemporain La description scientifique des langues, quon pratique grande chelle depuis plus de trente ans, pose un problme dont certains linguistes nont pas encore pris pleine conscience. Toute langue, on le sait, est perptuellement en cours dvolution, et les diffrents usagers manifestent dans leur emploi de la langue des stades divers de cette volution. Dune gnration une autre, on peut constater des divergences apprciables dans la phonologie, le lexique, voire la morphologie et la syntaxe. Dautre part, le mme individu peut, dun instant lautre, dans diffrents styles, prsenter, sur certains plans, des traits plus ou moins conservateurs aux novateurs. Ceci semblerait rendre trs dlicate une description structurale strictement synchronique fonde sur lobservation des usages rels. Le problme ne stait naturellement pas pos aussi longtemps que les descriptions quon donnait des langues taient, implicitement ou explicitement, normatives. Il ne pouvait jamais y avoir, dans ce cas, quune seule forme recommandable chaque pas, celle quon considrait comme la bonne, identique, en gnral, celle que pratiquait ou croyait pratiquer le descripteur dans ses usages les plus dlibrs. Lorsque la description se veut scientifique et non prescriptive, on peut adopter diverses solutions : 1. On concentre son attention sur le parler dune seule et mme personne et sur un style particulier de cette personne, par exemple le style familier. On dcrit, comme on dit, un idiolecte, ou, plus exactement, un des usages de cet idiolecte. On obtient alors, en principe, des matriaux trs cohrents encore quun corpus runi dans ces conditions puisse prsenter des formes de provenance fort varie, par exemple, des mots trangers particuliers au locuteur choisi et articuls avec les phonmes dorigine. Linconvnient de cette mthode est que ce qui nous intresse en gnral nest pas le parler dune seule personne en lui-mme, mais en tant que reprsentant une langue prise dans son ensemble. 2. On fait une description statique des usages considrs comme caractrisant la langue dans son ensemble, sans essayer de rsoudre les contradictions, ni dexpliquer les divergences. Linconvnient de cette mthode est quon rapproche indment des traits qui caractrisent des usages diffrents, cest--dire qui appartiennent des structures partiellement irrductibles les unes aux autres : le pass compos est, en franais parl, le seul temps employ dans la narration de faits rellement constats ; dans le franais crit, le temps de narration normal est le pass simple que le pass

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    compos vient complter dans certaines conditions, dans une optique structurale, on ne saurait identifier le pass compos lorsquil est seul en cause et lorsquil est en comptition avec un autre temps. 3. On procde une description dynamique de lensemble des usages retenus comme caractrisant la langue un certain point de son devenir. Ceci veut dire quon caractrise les usages divergents comme des stades diffrents dun mme processus volutif ou comme le rsultat de divergences parler dun mme stade initial, en sefforant, chaque fois, de dgager ce qui, dans un usage antrieur, peut contribuer expliquer ce qui a conduit lusage postrieur. Si, par exemple, on traite des temps de narration en franais, on sefforcera de mettre en valeur les traits morphologiques qui ont contribu llimination du pass simple en franais parl et abouti de la sorte tendre lusage du pass compos. Les descriptions dynamiques du type qui nous venons de dfinir prsentent dvidents avantages, la structure ny apparat plus comme un modle que le descripteur tablit fin dordonner, pour lui-mme et par ses lecteurs, les faits relevs, mais comme inhrente la langue et conditionnant son volution. Elles prsentent sans doute linconvnient dtre beaucoup moins formalisables, ce qui est un dsavantage certain pour maintes applications pratiques, mais elles nous paraissent prfrables toute autre. Pour comprendre la dynamique du langage, il faut ne jamais perdre de vue qu chaque point de la structure peuvent entrer en conflit trois forces dont la composante correspond un quilibre sans cesse remis en cause : ces forces sont le dsir de communiquer, linertie naturelle qui tend rduire lnergie dpense, et la pression exerce par la tradition. Les deux premires, dsir de communiquer et inertie, se combinent dans ce quon a appel la loi du moindre effort. La pression de la tradition soppose lconomie. Llimination du pass simple en franais parl rsulte de lconomie ; son maintien dans certains styles du franais crit est d la pression de la tradition. Ce qui change, dune poque une autre, et qui entrane des changements dans la langue, ce sont les besoins et les conditions de la communication qui sont, leur tour, sans la dpendance directe des structures changeants de la socit. De nouveaux besoins affecteront directement le lexique, indirectement et longue chance la grammaire, de faon plus dtourne encore la phonologie. Cest, en effet, le lexique qui, dans une langue, reflte le plus directement les ralits non linguistiques. Une communaut de culture, celle, par exemple, qui caractrise lEurope occidentale, peut fort bien aller de pair avec des grammaires et des phonologies diffrentes. Mais elle impose,

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    sur tous les points o existe une culture commune, des structures lexicales analogues, les signifiants peuvent diffrer soit du fait de leur identit phonmatique (angl. perceive / pa siv /, fr. percevoir / persv-/), soit parce que, dans les calques, leurs composants ne sont pas les mmes (all. Ver-nehm-en, fr. Per-cev-oir), mais les signifis tendent concider. Il en rsulte que les changements effectus dans le lexique seront frquents, nombreux, immdiatement manifests et affectant souvent des units de frquence assez basse. Ceux qui touchent la grammaire et, surtout, la phonologie peuvent apparatre de faon insidieuse, se dvelopper de proche en proche et, au bout dun temps plus ou moins long, affecter profondment le systme tout entier. Il y a longtemps quon remarqu que les mots changent, et quon dgag les causes de ces changement. Mais il a fallu lapparition et le dveloppement de la linguistique structurale pour quon comprenne que les changements phontiques sont des manifestations de changements du systme. 1.1 Le lexique Les innovations lexicales du franais contemporain, comme celles des autres langues de culture, sont trs frquemment le rsultat de lvolution des techniques et de nouvelles conqutes de la recherche. Les mots nouveaux ponctuent lvolution des modes et des comportements. Dans ce domaine galement, de lanorak la mini-jupe, des y-ys aux beatniks et aux hippies on na que lembarras du choix. Il y a l, sans doute, un phnomne intressant mais qui, linguistiquement, reprsente une fermentation trs superficielle, qui nen est que plus frappante pour les contemporains, mais qui nest pas propre notre poque. Il y a toujours eu des techniques qui succdaient dautres techniques, des modes qui remplaaient dautres modes, mme si le rythme actuel semble beaucoup plus rapide quau cours des sicles qui ont prcd le notre. Ce qui se produit frquemment et montre bien le caractre pisodique de ce bouillonnement lexical, cest le retour au terme traditionnel une fois que la nouvelle technique a entirement supplant la prcdente : tant quil y avait des voitures chevaux, on parlait dautomobiles ; aujourdhui il ny a plus, de nouveau, que des voitures et auto tend prendre le statut dun prfixe, dans autoroute, auto-cole. Dou les discussions autour du franglais. Linfluence relle est profonde de langlais sur le franais contemporain nest pas niable. Mais il faut la retrouver au-dessous de lcume lexicale qui fait en gnral lobjet des dnonciations vhmentes. Il y a toujours eu des mots la mode et ce nest pas la premire fois que ces mots sont le plus souvent

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    anglais. On a parl autrefois de dandy et de raout, mots et choses qui appartiennent dsormais lhistoire des moeurs, comme le feront demain yy et beatnik. Linguistiquement plus intressantes que lapparition et la disparition de mots nouveaux, sont les modifications qui affectent le sens de mots traditionnels. On connat le sens nouveau de comprendre, saisir par lesprit quavait acquis raliser sans linfluence de langlais ralise et quil semble tre en train de perdre aujourdhui. Mais, pour un qui faiblit, dix cas nouveaux apparaissent, o lon est souvent tent de diagnostiquer une volution smantique autochtone lorsque le processus mme de lemprunt chapp lattention : le sens des deux mots distribution et rpartition est assez proche pour quon ne remarque pas que le premier semploi frquemment aujourdhui l o lon attendait lautre, seul si lon a eu loccasion de remarquer que distribution , dans ce cas, traduit un angl. distribution qui recouvre toute la sphre demploi des deux mots franais. Dans le mme ordre dides, on signalera la valeur spcifique prise, dans le vocabulaire des sciences humaines, par pertinent comme quivalent de langlo allemand relevant dont ladoption en franais se heurtait la gnante homonymie du participe prsent de relever. Un phnomne qui mrite de retenir lattention du linguiste est la gnralisation, que lon constate dans la France daujourdhui de lemploi du vocabulaire familier, des tournures populaires et argotiques, voire des mots les plus grossiers de la langue. Ce qui frappe les observateurs qui ont bien connu la situation linguistique pendant lentre-deux-guerres, cest laffaiblissement des tabous verbaux qui a longtemps distingu le parler des deux sexes, affaiblissement qui va de pair avec lextension du tutoiement non seulement entre filles, mais entre filles et garons rapprochs par leurs occupations ou leurs tudes. 1.2 La syntaxe

    Il est un peu artificiel de dissocier lexamen du dtail de la syntaxe de celui du vocabulaire ; cest la syntaxe de causer qui lui a valu des dboires ; les Franais cultivs, sans discuter et avec un bel ensemble, cd linjonction des puristes qui leur demandaient de faire de pallier un verbe transitif. Le franglais est caractris aussi bien par ses constructions (prendre un risque au bien de courir un risque) que par ses mots isols. Si maintenant, par syntaxe, on entend surtout lordonnance des phrases, on ne dira pas que le franais est en train de modifier sa syntaxe, mais que ce qui tait, cet gard, le propre du franais parl tend pntrer dans la langue crite par le chenal de la littrature. Le franais quotidien regorge de

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    prdicats nominaux sans sujet, qui appartiennent des types varis : dfense dafficher, bas les pattes, chapeau ! , le temps de prendre un verre, etc. Ces constructions se rencontrent de plus en plus frquemment dans la littrature dimagination, non seulement lorsque le romancier ou lauteur dramatique fait parler ses personnages mais dans lexpos narratif quil prend la forme de ce quon a appel le style substantif. 1.3 La morphologie Si, par morphologie, en entend lexamen des variations formelles des signifiants ou, mieux dans le cadre prsent, lensemble de ces variations formelles, on ne peut pas dire que la morphologie du franais soit actuellement en voie dvolution rapide. Conue comme nous venons de la dfinir, la morphologie est lensemble des formes dites irrgulires, cest--dire celles quon peut pas former par analogie. La formation du participe prsent en anglais parl ne pose aucun problme de morphologie puisquil se forme toujours en ajoutant / - ij] au radical de linfinitif. On nen peut dire autant du participe prsent franais puisque / - (= - ant) sajoute au radical de linfinitif dans allant (all-er) mais celui du subjonctif dans sachant et que, par consquent, on ne peut faire confiance un cheminement analogique donn. La raction du jeune enfant qui vient dapprendre sa langue est dliminer de cette langue toutes les formes irrgulires, quil na pas eu loccasion de pratiquer assez souvent au cours de ses deux ou trois premires annes. Lorsquune catgorie grammaticale, un temps de verbe par exemple, rclame lemploi de trop de formes quon ne peut former coup sr par analogie, elle est expose se voir limine si sa disparition doit aboutir simplifier considrablement le maniement du systme. En franais les formes du pass simple et de limparfait du subjonctif, avec la varit (-a-,-i-,-u-) de la voyelle caractristique de leurs dsinences, taient les seules qui sopposaient lunification des dsinences verbales et au report des irrgularits sur le radical du verbe : tous les verbes franais ont une 3e personne du singulier de limparfait en -ait (/ - /) quun enfant peut utiliser analogiquement sans crainte de se voir reprendre ; ceci ne valait pas pour la 3e personne du singulier du pass simple qui tait en a pour donner, en - it (/ - i -) pour coudre, en -ut (/-y/) pour connatre en -int (/E/) pour venir. Llimination des deux trouble fte, pass simple et imparfait du subjonctif est, depuis longtemps dj, chose acquise en franais quotidien. Les enfants doivent aujourdhui lutter contre leur tendance unifier le paradigme du singulier des verbes qui aboutit je vas et je donnera au lieu de je vais, je donnerai. Certains y ont renonc et les formes je vas, je donnera sentendent chez les adultes des

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    compagnes. Mais la pression de lcole semble imposer aujourdhui la forme traditionnelle. Les radicaux variables (il va nous allons, je prends nous prenons, il meurt mourir, etc.) reprsentent actuellement lessentiel de la morphologie verbale du franais parl. On finit par saccommoder des bizarreries des verbes vraiment frquents. Mais les adultes de tous les milieux sont susceptibles dachopper sur les formes de mouvoir, dacqurir, dmouvoir ou de rsoudre. Aussi prfre-t-on utiliser des quivalents rguliers radical unique comme bouger, se procurer, motionner et solutionner, ces deux derniers non sans crainte de se voir censurer par les puristes. Une autre solution consiste sarranger pour nutiliser que linfinitif et le participe pass, qui sont assez frquents et de ce fait vite appris, en les faisant prcder de quelque auxiliaire : il pense acqurir, il va acqurir ne disent souvent pas autre chose que il acquerra, ais permettent dviter cette forme difficile. Un autre trait dlicat de la morphologie du franais est reprsent par les liaisons. Mais la langue quotidienne se contente des liaisons obligatoires qui sont assez vite apprises, et les vraies difficults ne commencent que lorsquon veut bien parler et que, pour ce faire, on suit lorthographe. Les pluriels irrguliers finissent par tre assimils sils sont trs frquents (yeux, boeufs, oeufs) ou sils forment une classe assez importante (chevaux, journaux). Un isol plus rare, comme IoI pour le pluriel dos, qui a, de plus, dsavantage de faire conflit avec tous les autres monmes IoI de la langue, se dfend mal et lon peut penser quil va disparatre comme ont pratiquement disparu ImoirI et IserI pour moeurs, pl., et cerfs. Ce quon appelle l h aspir, et qui reprsente en fait un problme de morphologie pour le jeune francophone, fait longtemps difficult (lezarico/ pour /leariko / dehors, dyors, pour, dehors). 1.4 La phonologie La dynamique du systme phonologique du franais contemporain est assez bien connue, car elle a servi dgager les principes de la dynamique phonologique en gnral. Le systme consonantique de franais est trs stable. Pour lessentiel, il est celui qui existait qui XVI e sicle. Seul a t atteint lordre palatal dou a disparu depuis longtemps le l dit mouill. Plus rcente est la confusion de [r / et de [rj] (dans gagner et panier) qui gagne du terrain sans quon savise de la dnoncer. La confusion de lj] et des [j] dans soulier et souiller, pas exemple, t, au contraire, stigmatise, et elle parait en recul, au moins Paris, sauf aprs I , dans million par exemple, o lambigut de la graphie a d jouer un rle pour

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    faire accepter /mijo/ ct de /miljo/. Il est sans doute peu de Franais pour distinguer aujourdhui entre brillant et Briand. Le franais de Paris distinguait encore au XVIII e sicle entre un phonme bref et un phonme long pour chaque timbre vocalique , au nombre de trois dans la srie antrieure aux livres retraites [/i/, /e/ et/E/], de deux seulement dans les sries livres arrondies [/y/, /()/, et /u/ , /o/]. La diffrence de longueur t limine pour les timbres les plus ferms (/e/, /i/, /y/, /u/) o elle faisait le plus souvent double emploi avec les marques de genre /le joli avec I bref, sopposant la jolie avec I long/. Lopposition // ~ // (dans patte, pte) sest mute en /a/ ~ /&/ o sest la profondeur de larticulation qui assure la distinction. Celles de (o) (o) et de (o) (o) ont galement volu de telle faon que la diffrence de timbre est plus dcisive que celle de longueur. Dans la prononciation la plus frquente Paris, au dbut de ce sicle, lopposition de longueur ne se maintenait plus gure que pour le timbre /E/, par exemple dans mettre / matre, faite / fte (/ metr / - / mtr/, /fet/ - /ft/). Elle est actuellement en voie de disparition au point quon nglige, depuis quelques annes, de lenseigner aux trangers. Lopposition //- /&/ tait, Paris, fort bien marque et avait, dans la parler populaire, la forme /&/ - /H/ avant la premire guerre mondiale, do les graphies Monmertre pour Montmartre et la forme /a/ - //, entre les deux guerres. Elle est un train de cder sous la pression des provinciaux qui, ou bien lignoraient totalement, ou la ralisaient comme une opposition de longueur que les vrais Parisiens nentendaient pas. Lopposition de brin brun, plus anciennement atteinte, semble ne plus exister que chez des sujets dorigine provinciale. Elle ne servait pas grande chose. Elle de blanc blond est, elle, dune utilit vidente et son limination na t signale que dans des cas marginaux o linfluence dusages provinciaux ou de langues en contact ntait pas exclue.

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    Martinet Le franais sans fard, Collection SUP, Presses Universit France, 1969.

    2. Les descriptions du franais contemporain

    2.1 Les descriptions traditionnelles Dans son Cours de linguistique gnrale, publi aprs sa mort en 1916, le linguiste suisse Ferdinand de Saussure met en vidence trois dfauts fondamentaux des grammaires traditionnelles : elles sont normatives, ne traitent que de la langue crite et ne rendent pas compte du systme de la langue. Ces critiques sappliquent particulirement bien aux descriptions traditionnelles du franais. Le grammairien traditionnel ne dcrit pas la langue que nous utilisons couramment aujourdhui comme instrument de communication, mais celle que nous devrions utiliser. Lenqute sur le franais fondamental dans les annes cinquante, autant de formes ignores ou condamnes par les grammaires (par exemple il va o ? o il va ? o cest quil va ?) que de formes reconnues (o va-t-il ? o est- ce quil va ?). Cette observation rejoint la seconde critique de Saussure, savoir que les descriptions traditionnelles ngligent totalement la langue parle. Or, celle- ci est manifestement prioritaire, comme le rvle lacquisition de la langue maternelle. Labsence de traitement du franais parl dans les manuels traditionnels ne serait pas trop gnante si le code crit tait un reflet fidle du code oral, mais ce nest pas le cas, surtout en franais contemporain. Le code crit ne connat que cinq six voyelles (a, e, i, o, u, ventuellement y) alors que le code oral en distingue trois fois plus (i, e, E, a, y, (), oe, &, , w, , aeetc.), inversement au plan morphologique, loral ne comporte que trois formes au futur des verbes les plus courants ( mRem3Ra, m3R ), lors que lcrit en six (mangerai, mangeras, mangera, mangerons, mangerez, mangeront). Les rgles grammaticales sont souvent trs diffrentes dans les deux codes : le fminin est presque toujours marqu lcrit par ladjonction dun e (noir-e, vert-e, plein-e) alors que dans le code oral, il est souvent non marqu (nwar), ou marqu par ladjonction dune consonne (VER, VERt) avec dans certains cas dnasalisation de la voyelle (plE, plEn). Ces exemples tmoignent de la ncessit dlaborer une grammaire de la langue parle ct des descriptions traditionnelles de la langue crite.

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    2.2 Les descriptions structurales Pour viter les mystifications (normative, graphique, etc.) des descriptions traditionnelles, les linguistes structuralistes amricains, principalement Bloomfield et Harris, proposent de dcrire la langue parle en usage dans une communaut laide de mthodes danalyse rigoureusement codifies qui ne prennent en considration que laspect formel de la langue ; tout recours lintrospection et la signification est cart, car ce sont des donnes qui chappent une observation directe. Cela parat une gageure, mais cest possible comme on peut le constater en examinant ce vers de Michaux : Il le pratelle et le libucque et lui barule les ouillais bien que nous ignorions tout du sens des mots de cette phrase, qui ont t forgs par le pote, nous pouvons, en nous fondant uniquement sur des critres formels (position, terminassions, etc.) tabler aisment la catgorie grammaticale laquelle ils appartiennent. Des formes longtemps ignor des grammairiens apparaissent dans les manuels, avec lindication du niveau de langue (par exemple O tu vas? Tu vas o?, avec la mention franais parl populaire ou Dis-moi o est-ce que Pierre va, avec la mention franais parl familier , dans la Grammaire pratique du franais daujourdhui de Mauger). Mais surtout, langue parle fait lobjet pour la premire fois dune description systmatique. J. Dubois prsente, dans une optique distributionnelle, une description et une comparaison rigoureuses des marques du genre et du nombre des dterminants, adjectifs, substantifs et verbes en franais parl et en franais crit, qui met en vidence la dissymtrie des deux systmes et leur fonctionnement relativement autonome. Les descriptions distributionnelles rvlent aussi des jeux de variantes combinatoires qui, sils ont t trop longtemps obscurcis par la graphie, ont une place dterminante dans la langue parle ; pensons aux alternances 5/5n, nu /nuz, le /lez pour on, nous, un et les selon le contexte (consonne ou voyelle). Ces informations peuvent paratre secondaires puisque nous matrisons parfaitement, quoique inconsciemment, ces mcanismes dans notre langue maternelle, mais elles se rvlent indispensables dans llaboration de cours de franais langue seconde. 2.3 Les descriptions fonctionnelles A ct de ces courants structuralistes se sont dveloppes, en Europe comme aux Etats-Unis, des approches fonctionnalistes, qui ont exerc aussi une certaine influence sur les descriptions du franais contemporain. Comme

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    leur nom lindique, ces approches sont caractrises par la priorit accorde la fonction sur la forme et, par une mthode danalyse plus souple, qui nhsite pas recourir lintrospection et la signification. Le courant europen, qui sest dvelopp sous linfluence de Troubetzkoy dans le cadre du Cercle linguistique du franais. On dispose ainsi de descriptions des sons du franais standard qui ne sont plus seulement phontiques, mais qui mettent au premier plan les oppositions fonctionnels, pertinents, significatives, informations de la plus haute importance pour lenseignement du franais langue seconde. Tesnire centre son analyse de la proposition sur le verbe, dons il tudie la valence, cest--dire les possibilits de combinaisons des actants (sujet et complments). Il donne des aperus trs clairants sur de nombreux processus syntaxiques peu ou mal traits avant lui, bien quils soient trs productifs dans le systme du franais. Nous pensons en particulier aux mcanismes qui permettent daugmenter ou de rduire la valence, cest--dire le nombre des actants, dun verbe : causative, illustre par le passage de ma secrtaire crit une lettre ce client par ma secrtaire, et rcessivit, illustre par le passage de on voit ces montagnes de loin ces montagnes se voient de loin, ainsi quaux mcanismes de la translation. Tesnire consacre prs de la mont de sa syntaxe ltude de ce processus, qui permet de modifier la catgorie et la fonction dun syntagme : translation substantiviste, qui permet de faire jouer un adjectif ou un verbe le rle dun substantif (le beau, le savoir), translation adjectivale, qui permet de faire jouer un substantif le rle dun adjectif (latmosphre de la famille) etc. Par lattention quil accorde ces mcanismes syntaxiques trs productifs qui jouent un rle dterminant dans laspect cratif de la langue, Tesnire va au-del des descriptions statiques et annonce les perspectives de la grammaire gnrative transformationnelle. 2.4 Les descriptions gnratives transformationnelles Dveloppe par le linguiste amricain Chomsky dans les annes cinquante la grammaire gnrative transformationnelle se prsente comme un dpassement et une synthse des apports les plus intressants des descriptions traditionnelles et structurales. Le caractre vague, ambigu ou incomprhensible des dfinitions, des rgles et des explications de ces descriptions tient au fait quelles sont formuls dans une mtalangue insuffisamment prcise : la langue de tous les jours, enrichie de quelques termes techniques, pour Chomsky, seul le recours une mtalangue rigoureuse et explicite comme les systmes formels utiliss en logique, permettra dlaborer des descriptions prcises. Do

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    lapparition, dans les grammaires du franais, dun appareil formel qui ne peut manquer de rebuter le non-spcialiste. Dans le domaine du franais, il faut avouer quune bonne partie des publications dinspiration gnrative transformationnelle, ouvrages de rfrence ou manuels scolaires, ne font que reprendre, sous la forme de rgles remplacement, de transformations et de schmas en arbres, des informations que lon trouvait dj dans les grammaires traditionnelles, structurales et fonctionnelles, sans rien apporter au plan du contenu. Ces descriptions mettent tort laccent sur laspect le plus superficiel et le plus vulnrable des grammaires gnratives transformationnelles et en ngligent les aspects les plus intressants pour la connaissance du franais contemporain. Deux autres problmes de grammaire franaise ont fait lobjet de plusieurs descriptions gnratives transformationnelles : les nominalisations et les processus de causation- rcessivit (pour reprendre la terminologie de Tesnire). Le premier est intressant car il est un exemple de traitement systmatique au plan grammatical de phnomnes traits marginalement comme relevant du vocabulaire dans les descriptions traditionnelles ou structurales. Longtemps, en effet, la nominalisation a t tudie comme un simple processus de drivation lexicale permettant de crer de nouveaux mots partir dautres mots, et de nombreux manuels ne traitent du problme que sous la forme de listes de suffixes. Il sagit dun processus trs productif, dun usage trs frquent un franais contemporain, en particulier dans la presse et qui est de nature proprement syntaxique. Quil sagisse des nominalisations daction ( lenlvement de M.X inquite le gouvernement ) ou dagent (les acheteurs de devises ont disparu), pour ne citer que les plus rpandues, elles sot toutes drives, non dune racine verbale par ladjonction dun suffixe, mais dune proposition sous-jacente ( on a enlev M. X, ceux qui achtent des devises ) enchsse dans la principale, par une srie de rgles de transformation. Cest la seule manire de rendre comte de nombreuses ambiguts syntaxiques et de certains traits de syntagmes nominaliss, en particulier le choix des prpositions (dans lenvol darmes aux insurgs par un pays ami, la prsence de est commande par le verbe envoyer, celle de par rsulte de lapplication de la transformation passive la proposition sous-jacente un pays ami envoie des armes aux insurgs).

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    2.5 Les descriptions de lemploi du franais Si les descriptions structurales, fonctionnelles et gnratives transformationnelles ont manifestement contribu enrichir nos connaissances du franais, il est deux points importants sur lesquels elles napportent que peu ou pas dinformations : les processus de lnonciation et les varits du franais contemporain. Les grammaires dont on a parl limitent gnralement leur objet la structure de la phrase isole. Or, communiquer en franais, ce nest pas seulement construire ou comprendre des phrases isoles, cest excuter des actes de langage comme affirmer, informer, promette, etc. dont les ralisations et lenchanement dans le discours ne relvent pas de la seule initiative individuelle, mais sont commands par des conventions. Il suffit dailleurs dobserver des units linguistiques comme je, tu, ici, demain, certainement, trs, etc. pour constater que lemploi ne peut en tre saisi adquatement que si lon fait clater le cadre traditionnel trop troit de la grammaire de lnonc pour prendre en considration les lments des processus dnonciation, en particulier le locuteur. Sous linfluence de linguistes tels que Benveniste et Jakobson et des philosophes anglo-saxons Austin et Searle, on constate un dveloppement rapide des recherches dans ce domaine.

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    Marc Blancpain et Andr Reboullet, Une langue : le franais aujourdhui dans le monde ; Hachette, 1976.

    3. Le parl et lcrit Opposer la langue parle la langue crite a longtemps t, pour le grand public, une affaire de combat entre le bien et le mal : langue parle spontane, ventuellement pittoresque, mais coup sr fautive, langue crite police, tmoignant, surtout grce l'orthographe, de la vraie grammaire de la langue. La notion mme de langue parle est souvent encore lie aux versants ngatifs de la langue : fautes, inachvements, particularits des banlieues dlinquantes, etc. Et pourtant, l'opposition entre le parl et l'crit vaut mieux que cela. De nombreux ouvrages rcents en ont montr les implications conceptuelles et cognitives : l'organisation diffrente de l'information par oral et par crit ; les relations complexes entre le pens, le parl et l'crit dans diffrentes formes de cultures, la naissance de la rhtorique ancienne comme matrise de la parole, puis de l'crit, l'influence de l'crit sur la perception de notre propre langage. Ce rle fondateur de l'criture pour la reprsentation de la langue a de nombreuses consquences. Il explique que ce qu'on crit ne soit pas la simple transposition de ce que l'on dit. Du reste, le projet d' crire comme on parle- expression trs trompeuse - n'est pas facile mettre en oeuvre et ne rpond pas l'attente des personnes peu lettrs. Ce qui s'crit, c'est la langue du dimanche et non la langue de tous les jours. En franais, les on, quand, parce que deviennent des nous, lorsque, car par crit. Sont ainsi transposs une bonne partie des temps verbaux, les adverbes de lieu et de temps, ainsi que toutes les marques de faunes illocutoire comme l'interrogation, la ngation, l'exclamation. Les occasions de rencontrer des actes oraux labors qui ne soient pas appuys sur de l'crit son devenus assez rares aujourd'hui. De sorte qu'il n'y a pas, dans les faits, de rpartitions quivalentes entre l'oral et l'crit. D'une part beaucoup d'crit labors et peu d'oraux qui le soient ; dautre part beaucoup doraux spontans et peu dcrits qui le soient. Mais cette rpartition est affaire d'habitudes sociales, et peut changer brusquement. Par exemple, les prises de paroles la tlvision exploitent des formes trs convenues d'oral labor (les enfants qui en font la parodie y sont trs sensibles) et, d'autre part les changes par courrier lectronique sont en train de dvelopper quantit d'crits spontans. On ne

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    peut donc pas btir une opposition stable entre l'crit et le parl en se fondant sur les catgories du spontan et l'labor. 3.1 L'crit prsent dans l'oral Le domaine des marques de ponctuation et de typographie en donne des exemples frappants. Le point d'exclamation, la virgule, la majuscule ou les guillemets fournissent des quivalents approximatifs de plusieurs sortes de phnomnes oraux. Mais on sait que ces quivalences sont en trop petit nombre pour pouvoir reflter la grande diversit des effets de l'oralit ; comme par exemple l'accent d'insistance, l'allongement, la monte de la voix, le changement de dbit, et tout ce que l'criture est incapable de reprsenter, comme le ton ironique ou les diffrentes forces illocutoires. Et pourtant, dans le discours oral, c'est ces moyens d'expression crits que tout le monde s'accorde juger maigres et insuffisants, qu'on fait recours pour servir de dmarcatifs. Par un paradoxe assez tonnant, beaucoup d'entre nous prfrent prononcer les mots entre guillemets, entre parenthses, plutt que de miser sur un procd purement oral (fond sur l'intonation ; le changement de rythme ou le changement de voix) qui pourrait en tre l'quivalent. Voici quelques exemples tirs des corpus oraux : - Bref, si tu fais un cart ou si tu, si tu es un peu anormal, entre guillemets quoi, tu es, tu es carrment rejet. - Au dpart, c'tait un projet d'agrandissement. C'est--dire, soit on surlevait le petit local - le petit local, entre parenthses, c'tait les anciens bains - douches. Nous connaissons tous les tournures usuelles comme : - il lui a dit, deux points ouvrent les guillemets . . . - c'est fini, N-I ni, un point c'est tout. - c'tait l'Amour avec un A majuscule. Un autre problme crucial et celui des mots monosyllabiques, dpourvus d'accentuation propre. Dans notre criture, une prposition () ou un article (le) ont un statut de mots, et s'crivent entre deux blancs, au mme titre qu'un lment lexicale comme lphant on irrfutable.

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    Clair Blanche-Benveniste, Approche de la langue parle en franais, Collection Lessential Franais, Ophys, 1997.

    CHAPITRE II

    Oral vs. crit

    2.1 Les discriminations propres loral et lcrit La matrise de lorthographie est parfois prsente en France comme un bien suprieur aux performances orales. Pour lcole ou la Justice, une bonne orthographie vaut mieux quune bonne diction. Les discriminations que permet le texte crit sont juges plus utiles que celles de loral, et sont souvent utilises pour rsoudre des antiquits. La dsignation orale des nombres en est un bon exemple. Elle pose des problmes spcifiques parce quil est difficile de reconstituer par le contexte un nombre quon aurait mal entendu, de sorte que la perception des nombres est souvent instable. Les interprtes de confrences internationales les mieux aguerris la traduction simultane demandent toujours une version crite des donnes chiffres. Les nombres rpartis en groupes, comme le sont les numros de tlphone, sont plus faciles saisir lorsquils sont crits en chiffres que lorsquils sont prononcs : 60 12 ou 80 16 se confondent facilement dans la prononciation avec 72 et 96. Mais, crits en toutes lettres ; ils sont ambigus, la diffrence reposant dans un cas sur la prsence dune virgule et dans lautre sur celle dun trait dunion, soixante, douze, oppos soixante-douze, oppos soixantedouze, quatre-vingt, seize oppos quatre-vingt-seize. Dans ce domaine particulier des nombres, les bonnes solutions ne sont ni dans loral ni dans lcrit orthographi. La tradition franaise a attir lattention sur la supriorit de lcrit pour distinguer les homonymes par une orthographe dsambigusant : - l'amour de la mre / de la mer. - un car / un quart de la police. - c'est tout en verre / en vert. - c'est la faim / la fin. - la runion des pairs / des pres. - ils s'envolent sans ailes / sans elle. - Elles d'oiseaux, Oiseaux des Ils (J. Cocteau). On en fait des plaisanteries, en jouant un peu le dcoupage en mots : - parce qu'il est Suisse allemand / parce qu'il essuie salement.

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    - il est matre au ple / il aimait trop Paule. L'oral confondrait, l o l'crit distingue. Mais, en fait, les occasions relles d'ambigut, plus rares qu'on ne le croit, se rencontrent surtout dans les situations o les locuteurs misent sur la version crite du discours qu'il ont sous les yeux en parlant, par exemple dans les prises de parole publique : - ils sont devenus des aires culturelles / dserts culturels. Dans les conversations, o les ambiguts sont nettement plus rares, les locuteurs peuvent recourir l'orthographie, j'ai dit la mer, M, E, accent grave, R, E, mais plus frquemment des termes diffrenciateurs. Voici l'exemple d'un dialogue improvis la radio entre deux personnes parlant de la pratique des photos de famille. La premire dit : - Les photos les plus frquentes, c'est le bb et la [m r]. La seconde reprend, avec une tonalit interrogative : - la [m r] ? Et la premire reprend, en glosant l'aide du mot l'eau : - la mer leau. Le recours aux termes diffrenciateurs fonctionne mme lorsque l'orthographe n'ajouterait rien : - Dans aucune banque on n'a accept de me changer mes livres-les livres argent. Il arrive, en sens inverse, que la version orale soit plus discriminante que la version crite. On connat la petite plaisanterie, qui consiste jouer sur les trois homonymes prononcs [so] et diffrencis par l'orthographie, en les totalisant par un mot fantaisiste qu'on ne peut pas crire en toutes lettres parce qu'il n'a aucune existence graphique : Un sot, mont sur un ne, portait dans un seau le sceau du roi. L'ne fit un saut et les trois [so] tombrent.

    Il en va de mme pour certains points de grammaire, o l'on a souvent voulu voir une infriorit radicale de la langue parle. Aurlien Sauvageot s'alarmait de certains dficits crs par l'homonymie frquente entre singulier et pluriel. Il prenait pour exemple une phrase prononce Madagascar par le Gnral De Gaulle dans un discours public : Je m'adresse au(x) peuple(s), aux peuples au pluriel. 2.2 Les modes de production L'accs la langue crite est diffrent de l'accs la langue parle. Nous considrons que tout le monde sait parler. Tout le monde ne sait pas crire, et le savoir crire se mesure selon des degrs trs complexes de russite adapte diffrents modles.

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    Mais les modes de production de l'crit, appris dans l'enfance, sont ce point intrioriss qu'ils paraissent naturels. Et, dans les tudes linguistiques, c'est paradoxalement la langue parle qui semble avoir des modes de production exotiques. Les noncs crits sont produits selon un droulement linaire orient. C'est sur ce modle que Ferdinand de Saussure a projet le deux axes d'analyse du syntagme et du paradigme, repris ensuite par Jakobson. L'axe des syntagmes, reprsent par une ligne horizontale, dans le sens de la lecture, marque l'enchanement d'lments qui se suivent, comme se suivent par exemple sujet, verbe et complment : L'homme habitait une caban. On le parcourt dans un seul sens, de l'avant vers l'aprs. L'axe des paradigmes, reprsent la verticale, ne correspond rien qui soit crit, dans la pratique ordinaire d'un texte en prose. C'est, dit Saussure l'axe mmoriel des sries potentielles, srie lexicale pour cabane, hutte, maison, bicoque et srie grammaticale pour habitait, habite, habitera, habiterait : L'homme habitait une cabane Habite une hutte habitera une maison habiterait une bicoque Les lments d'un mme paradigme ne peuvent jamais survenir en mme temps, c'est mais on cabane, habitait, mais pas les deux. Cette analyse s'applique bien aux productions crites une fois qu'elles ont t corriges et qu'elles se prsentent comme des produits finis. Mais elle convient beaucoup moins bien aux brouillons de l'crit et la langue parle. Dans les brouillons, le scripteur revient souvent en arrire sur l'axe des syntagmes. Il peut par exemple crire dans un premier temps habitait une cabane, puis revenir en arrire pour placer un groupe prpositionnel : habitait, en ce temps-l ; une cabane. Le scripteur peut aussi, dans la phase de brouillon, accumuler les lments d'un mme paradigme, avant d'en choisir un, et crire la fois une cabane, une hutte et une maison. Ces tapes de la confection du texte sont effaces dans le texte crit tel que nous le concevons comme produit fini. 2.3 Recherches de mots Chacun de nous, en parlant, cherche ses mots, et on numre souvent plusieurs avant de trouver le bon. Cette numration correspond exactement l'axe paradigmatique de Saussure. Mais ici les lments du paradigme sont

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    tous prsents la fois : ce, ce camping, cet htel : Ce qui tait fantastique dans ce...dans ce...camping, enfin dans ce ; cet htel c'est qu'on tait carrment en face du Kilimandjaro. Tous les essais de lexique sont conservs, puisqu'on ne peut pas, en parlant, gommer ne qu'on viens de dire. Ces numrations ; qui ne font pas avancer le discours, mais le laissent sur un mme emplacement paradigmatique, sont exasprantes lire si on les fournit dans l'ordre ordinaire de la lecture en ligne suivie. On n'y distingue plus ce qui appartient au droulement syntagmatique et ce qui venant de l'ordre paradigmatique, se trouve indment sur la mme ligne. Il est plus simple de reprsenter ces phnomnes en plaant les lments paradigmatiques la verticale, les uns sous les autres, comme Saussure le proposait pour ses listes d'lments latents : dans ce - dans ce - camping dans ce cet htel Sont galement passes en revue des formes diffrentes d'un mme mot, voire des amorces de formes, Vichi-, Vichissi-, gens de Vichy lorsque le locuteur cherche la bonne forme : Au dpart, c'tait peut-tre les Vichi-, les Vichissi-, les collaborateurs, les gens de Vichy qui l'ont fait, a. Dans le mme temps o ils produisent leurs discours, les locuteurs commentent abondamment leur difficult chercher leurs mots, j'arrive plus trouver le nom : Il fallait avoir le euhah zut! Jarrive plus trouver le nom !... La brevet, le, le diplme l, de secouriste, le brevet de secouriste. Ils approuvent ou rcusent explicitement le choix du lexique, en disant oui on en disant non : C'est le Papi de Lourmarin qui l'a donn, non qui me l'a offert. Il n'y a pas de grande diffrence de forme entre la recherche du mot comportant des tapes errones et l'effet de style qui consiste passer d'une caractristique une autre, pour affiner le trait. Les potes exploitent depuis longtemps le procd, comme Victor Hugo quand il entasse deux dsignations, l'enfant grec et l'enfant aux jeux bleus : Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux jeux bleus, Je veux de la poudre et des balles. (Orientales) L'entassement paradigmatique, qu'il fasse ou non un effet de russite stylistique, est une des caractristiques importantes de la production orale.

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    2.4 Analyse de quelques turbulences Une autre caractristique trs remarquable est que, lorsqu'il parle, un locuteur peut revenir en arrire sur un syntagme dj nonc, soit pour le complter, soit pour le modifier. Dans l'exemple suivant, le locuteur retouche un syntagme nominal, des systmes nouveaux, pour venir y insrer un adjectif, mcaniques : Il a pour but de donner, euh de crer des systmes nouveaux, des systmes mcaniques nouveaux. Ces allers et retours permettent d'insrer des corrections, comme dans l'exemple suivant o une jeune femme corrige un tutoiement (coute) en vouvoiement (coutez) : Et je lui ai dit : , et cet autre exemple , o c'est l'inverse : Et puis dans vingt ans ils vont vous, ils vont, ils vont te dire : Autre caractristique essentielle des productions en langue parle : la facilit faire des imitateurs. Il est tonnant de voir comment les locuteurs peuvent interrompre le fil syntaxique de leur discours, mettre en mmoire la partie dj dite, placer des incidentes, et reprendre le fil. Les incidentes sont rares dans les conversations, et plus frquentes dans les monologues. Elles servent souvent se prononcer sur le choix dun mot, comme dans cet exemple o une dame ge glose sur le nom dun cinma (lincidente est place entre parenthses) : Il y avait, sur la Plaine, le Majestic, (il me semble quil sappelait le Majestic), et le Mondain sur le boulevard Chave. Lusage massif dincidentes donne parfois limpression que le locuteur peut mener de front plusieurs noncs qui sentrecroisent, comme autant dinstruments diffrents. Le discours nest plus une construction linaire. 2.5 Les grands mythes sparateurs Quand on parcourt une documentation sur le franais parl depuis le dbut du vingtime sicle, on est frapp par la persistance de quelques grands mythes qui ont pour effet de sparer ce quon appelle le franais parl de lensemble de la langue ; on le voit retranch, mis lcart pour le dcrier comme pour lencenser. Assimiler le parl au populaire, cest le retrancher du franais lgitime, y voir la source des innovations ou des conservatismes, cest le retrancher dans le temps ; opposer le parl lcrit, cest lui assigner une place bien part ; laccabler dtiquettes et de

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    niveaux, cest vouloir le cantonner dans certaines activits de langage et lexclure des autres. Toutes ces sparations sont faites, en gnral, sans la moindre tude srieuse pralable. On spare le franais parl du reste avant mme de savoir en quoi il consiste, avant de lavoir dfini, comme sil sagissait l dune vidence. 2.6 Franais parl et franais populaire 2.6.1 Le franais populaire

    Le franais parl est compris comme du franais populaire. Cest une constate, de 1 900 nos jours ; comme si le non populaire ne se parlait pas, ou comme si, parl, il navait aucune caractristique remarquable. La restriction est de taille ; quantit douvrage qui portent en titre franais parl ne soccupent pas du tout de ce qui se dit en franais, oralement, mais seulement de ce que dit le peuple. Populaire vaut videmment ce que vaut peuple dans lide des grammairiens. Comme le dit bien Berrendonner il sagit souvent dune sociologie trs particulire, qui se connat point de classes, et dans laquelle le terme de peuple renvoie une sorte de mythe. 2.6.2 Le populaire littraire

    Le dtour par la littrature est dailleurs frquent : cest dans les oeuvres littraires que beaucoup de grammairiens ont lhabitude de prendre leurs exemples de langue parle populaire. Ce populaire dlinquant, sauv par la littrature, est oppos limage du peuple qui existe en dialectologie. L, le peuple rural est par de toutes les vertus conservatrices. L ltude de la langue ne se fait pas daprs les tmoignages littraires mais daprs des enqutes, avec la caution scientifique de socits savantes comme, au dbut du sicle ; la Socit de Philologie Franaise, qui recueille les travaux des dialectologues. Ltude des parlers ruraux est alors un travail scientifique lgitime.

    2.6.3 Le franais tel quon le parle

    Une curieuse aventure est celle de lexpression le franais tel quon le parle ; on la voit revenir dans les titres douvrages consacrs au franais parl, entre 1915 et 1984. Il y a dans tel que une garantie dauthenticit qui atteste quon a affaire un document bien tabli. Mais qui est dsign par le on de tel quon le parl? Assez rgulirement ce on dsigne les

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    autres, un fragment de la communaut linguistique, par exemple le peuple, les exotiques ; les massacreurs de la langue. Ou alors il sagit du franais propos pour lexportation. En 1962, Martinet suggre dans Le franais tel quon le parle de dbarrasser le franais des rgles dorthographe et de drivation qui le rendent peu attrayant, pour en faire une langue plus comptitive sur le march mondial. 2.6.4 Le franais populaire est pauvre

    Le thme de la pauvret de langage, li par une sociologie rudimentaire la pauvret sociale, court travers toute la tradition franaise. Les ouvrages de Bernstein lui donnent un regain de vigueur avec les notions de code restreint et code labor. Ces notions, ou des notions proches, seront largement utilises dans les milieux enseignants, souvent de faon tout fait officielle. Le code labor concide avec la norme crite habituelle, et tout manquement est une infraction une norme sociale, ce qui peut faire la promotion sociale par le langage. La division en niveaux de langue, mme raffine, a toujours utilis comme ple ngatif la langue populaire. 2.7 Le franais parl et le franais crit Les quivoques Lusage que lon fait de lopposition entre franais parl et franais crit est la plupart du temps tout fait quivoque ; cela revient limiter le franais parl un domaine trs troit, celui du franais familier, voire vulgaire, et le comparer un franais crit correct. Le parl cest ce quon ncrit pas habituellement ; compte tenu des rgles de biensance de lcrit. A ce compte, le franais parl qui sort de cette opposition est toujours du franais fautif. Dans ce parl souvent fictif quon oppose lcrit, on sintresse surtout laspect spontan, et on tudie les tournures qui paraissent caractristiques de loral spontan peu correct ; les questions tudies sont souvent : les propositions relatives ; lordre des mots, la mise en relief, la juxtaposition des noncs, les phrases inacheves, la reprise pronominale du sujet, les rptitions non dlibres, les on, les a. Mme lorsque la slection des formes nest pas aussi remarquable, la simple juxtaposition dans un titre de parl et crit laisse gnralement entendre que le versant parl est pris sous son aspect familier. On remarque quil existe trs peu dtudes qui portent sur le franais parl soutenu, oppos lcrit. Valdman observe que nous ne disposons

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    par exemple daucune monographie sur le parler de la bourgeoisie cultive parisienne ; nous avons trs peu de choses sur le franais parl dans les institutions publiques. Lide quon ne peut pas dfinir la langue parle par une simple opposition la langue crite, et quon doit en dcrire la diversit, sest videmment impose plus tt pour les langues dites sans criture. En 1975, Drive rappelle une vidence bien connue de tous les africanistes : la langue parle est multiple. Il ne sagit pas seulement des oeuvres littraires, mais aussi des productions de langage crmonieuses. Il est impossible, dans ce genre de situation, de confondre langue parle et langue familire. Les africanistes avaient galement tudi trs tt les traits caractristiques de ce quon appelle loralit : utilisation des mlodies, des rythmes, du dbit, des rptitions. En France, on a utilis ce concept doralit pour lanalyse des contes populaires. On sen est servie, plus largement, pour lanalyse du rcit, et souvent dans lide de dgager une rhtorique du discours parl. Lquipe de Gars a tudi de faon assez systmatique lutilisation rythmique qui est faite de la syntaxe dans les productions orales (conversation et monologues). Les psychologues se sont intresss lopposition entre oral et crit, tant du point de vue de la production que de la comprhension. 2.8 Le franais parl ferait voluer la langue Cest une ide trs ancienne, celle qui dit que les langues parles, en gnral, sont des moteurs dvolution. Cest ce qua toujours dit la tradition, en posant que le latin parl a donn naissance, par volutions successives, au groupe des langues romanes, on trouve un expos de ces vues dans louvrage de M. Harris qui insiste sur le rle volutif du franais parl contemporain. On a donn ce franais parl un rle conservateur ou un rle novateur, selon les cas. Conservateur, cest le franais des provinces et il semble que ce soit une opinion rpandue. Conservateurs sont aussi les parlers en isolats comme les parlers francophones dAmrique du Nord qutudie Valdman : parlers du Canada, de Nouvelle Angleterre et de Louisiane, qui ont volu dans lisolement, et qui gardent trace des parlers populaires franais des seizime et dix septime sicles qui en sont la source. Novateurs, ce sont les parlers citadins, et particulirement parisiens daprs lopinion courante. Sur quels aspects de la langue a-t-on jug de lvolution ? Assez curieusement, cest toujours propos de points de grammaire qui sont des carts par rapport la norme on regarde si les fautes sont

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    annonciatrices de changements. Les plus frquemment mentionnes sont en termes ngatifs de recul : - le recul des relatifs dont, lequel ; - le recul du ne de ngation ; - labandon des tournures par inversion du sujet, y compris pour

    linterrogation ; - le recul de lauxiliaire tre ; - le recul du subjonctif, du futur simple ; - la simplification de la morphologie des verbes ; - la simplification du genre et du nombre dans le nom ; - la prononciation (i) de il ; - la prononciation arb pour arbre ; En termes positifs davance, de progrs : - lavance de que, relatif passe-partout ; - le progrs de quest-ce que pour ce que ; - le dveloppement de la redondance, mon frre il la dit ; - le dveloppement du futur priphrastique ; - le dveloppement de a ; - le dveloppement de on ; On trouve peu dtudes sur les questions de langue qui ne sont pas considres comme des fautes, par exemple sur : - lemploi des prpositions en, sur ; - la tournure avec complment dobjet antpos, du genre dix ans, il

    avait ; - la tournure dit pseudo clive, comme dans ce que jaime, cest quil y

    a un jardin ; - les termes utiliss dans la numration, par exemple la concurrence entre

    mille deux cents et douze cents. Il semble bien que ce ne soit pas un hasard : dans ces perspectives historiques du franais parl, il ne sagit pas tellement de dcrire systmatiquement les faits de langue, mais de donner un fondement volutionniste ce que est dj repr comme fautif dans le langage parl.

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    Benveniste, Le franais parl, Didier, Erudition, 1987.

    CHAPITRE III

    Le franais crit

    L'criture n'est pas ce simple instrument de transposition de l'oral. Il est difficile de noter au moyen de l'criture les caractristiques de la matire phonique elle-mme : qualits et modulations des voix, diffrences dans les inflexions et accentuations, phnomnes de dbit, de mlodie et d'intensit, etc. Les habitudes typographiques de lcriture en prose ne sont pas trs propices la reprsentation raliste des prises de parole. Les bribes, hsitations et corrections ainsi que les chevauchements de parole, lorsque plusieurs locuteurs parlent en mme temps sont, comme on la vu, mal reprsentes dans une disposition linaire. Les usages typographiques ordinaires ne sont pas faits pour rendre commodment le dtail des pauses, ou des interruptions. Lcriture orthographique du franais nest pas commode pour noter les variations. Difficile dindiquer si le s final de plus est prononc dans on sera plus laise, et sil est ponc [z] ou [s]. Impossible dcrire, avec lorthographe usuelle, les formes de mots qui scartent de la norme, mme quand elles sont trs usuelles, comme par exemple arb pour arbre ou lhsitation entre faisons et faisons. Impossible dcrire avec simplicit des neutralisations, comme les cas o lon ne peut pas savoir sil y a un ne de ngation, on ny pense pas toujours / on y pense pas toujours ou une marque de pluriel, leur volont / leurs volonts. Les trucages orthographiques, doublement de la consonne finale comme dans plus, apostrophe pour noter les lisions et raccourcissements, comme dans pt pour peut-tre, ou mainnant pour maintenant, servent traditionnellement disqualifier le parler de certains locuteurs. Cest un procd littraire classique pour rendre les parlers populaires, provinciaux, enfantins ou dviants. Un spcialiste du abonde turco ottoman, Rmy Dor tudie le parler de payons illettrs dOuzbkistan, et sintresse quelques caractristiques du style parl populaire de cette langue appartenant au groupe des langues turques. Il propose de transposer en franais les caractristiques de ce document oral, dit par un reprsentant dune couche populaire, puisquelles ont des correspondants en franais : si quque jeunot courageux, si quque jeunot batailleux, ipart et

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    imramne d Turkestan la fille dAwazxn, eh ben tan gu chuis vivant [] (p.35). Le trucage dorthographe (quque pour quelque, i pour il, mramne pour me ramne, chuis pour je suis) nest pas ici linstrument dune transcription qui chercherait tre fidle. Cest le symbole dun type de locuteur. En France, les personnes de grand prestige social prononcent elles aussi trs frquemment imramne quque chose pour il me ramne quelque chose. Dans un autre exemple, lorthographe estropie sert symboliser linfirmit de la pense. Il sagit dun personnage de bandes dessines, nomm Silence ; qui ne parle jamais, parce quil est meut. Il est habituellement faible desprit, sauf quand il boit un breuvage magique qui le rend intelligent. Ses penses figures dans des bulles, sont alternativement en orthographe fautive, dans ses phases de dbilit : Ce merveilleux que la mer elle la dedans ! et en orthographe correcte quand il va bien : Cest comme si brusquement jtais devenu intelligent. Si quelques modifications de lorthographe suffisent si bien discrditer lintelligence dun personnage, il parat difficile den faire un usage purement descriptif. La difficult entendre la langue parle est plus grande quon ne pourrit le croire avant davoir essay. Ce que nous entendons est un compromis entre ce que nous fournit la perception elle-mme et ce que nous reconstruisons par linterprtation. Cest par un calcul de linterprtation la plus plausible que nous choisissons entre deux possibilits phontiquement voisines : Une robe borde de satin / borde de sequins Nous rtablissons des mots l o un phnomne de contact phontique les a effacs en reconstituant par exemple ce silence : Dans ce silence il y a lespoir et il y a la joie ( Schum 200796 ), l o on ne peut pas entendre ce, en raison de la rencontre des deux [s] de ce et de silence [ds : ils], ou a avait t le bouquet l o les deux [a] de a et de avait sont confondus : [savete / abuke]. Linterprtation la plus plausible nous permet la plupart du temps de choisir un dcoupage en mots plutt quun autre: Un des astres / un dsastre la Syrie / lAssyrie ; les quatre cents visages/ les quatre sans visages ; limpression dun puits sans fond / dun puissant fond ; ce quil a pris / ce qui la pris / ce quil apprit. Mais il arrive, dans quelques exemples inextricables, quon ne puisse pas choisir : La patrie cest le pays o lon est / o lon nat.

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    Et ce recueil, le Gaspard de la Nuit, na paru / napparut quaprs sa mort. Cest toujours en reconstruisant ce que le locuteur a voulu dire que nous parvenons plus on moins bien percevoir ce quil dit.

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    CHAPITRE IV

    La langue parle

    Il serait erron de supposer que le concept mme de langue parle est si clair quil ne soit pas ncessaire de la dfinir brivement. Dautant plus quon emploie parfois lexpression langage oral dans l'espoir dtre plus clair bien que ce dernier terme ne soit pas moins obscure. Dabord parce que le mot langage signifie lui seul quil sagit dune forme dexpression o la langue intervient plus ou moins directement. Qui dit langage laisse entendre quil ne saurait sagir que dmissions vocales o, prcisment, les mouvements de la langue jouent un rle important. Quant au terme langue il est encore plus exclusif, comme si lmission orale ntait produite que par le seul travail de la langue. Nous savons quil nen est rien, puisque des sujets privs de leur langue la suite de quelque accident ont t parfaitement capables de se rduquer et de retrouver la facult de sexprimer dune manire tout fait intelligible. Dans ltat actuel des choses, notre moyen privilgi de communication avec nos semblables et le langage, cest--dire lmission de vibrations sonores produites par lintervention du souffle expiratoire, des vibrations des cordes vocales, des effets de pavillon de la cavit buccale et des mouvements de la langue proprement dite comme aussi les lvres.

    Il nest pas jusquau voile du palais et aux fosses nasales qui naient leur partie jouer dans cette sorte de concert. Plus gnralement, par langue parle, nous entendons llocution en gnral, cest--dire la communication par le moyen des procds que nous venons de mentionner. Plus rcemment, la langue parle a t oppose la langue crite expression impropre sil en est. La langue parle est donc la faon de sexprimer oralement qui nest pas identique la faon de sexprimer par crit. La vraie langue parle est celle qui est utilise par le sujet parlant spontanment, sans rfrence une forme crite quelconque. Dans cette acception, on ne la rencontre gure que chez les jeunes enfants qui nont pas encore appris lire ou chez les personnes illettrs ou si peu instruites que lcrit na pas dteint sur leur parl.

    Pour tous les autres sujets parlants, la langue parle nest plus quun compromis variable entre la langue vraiment parle et la langue crite oralise. Chez certains sujets particulirement instruits, elle peut mme ne plus tre que le langage oral, cest--dire la ralisation phonatoire de la langue crite. Il est des gens qui parlent imprim, pour reprendre une expression allemande. Mais mme chez ces personnes dailleurs plus rares

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    quon ne le croit, la langue parle et la langue crite, ne se superposent pas lune lautre. Il existe toujours un cart entre les deux ralisations, lorale et lcrite, et cet cart est plus ou moins grand selon les personnes, ou, chez la mme personne, selon les circonstances o elle sexprime. La langue parle ne se manifeste que dans llocution des individus. Chacun la ralise comme il peut et sa faon. Cette varit individuelle de la langue est dsormais connue des linguistes sous lappellation de parole, terme propos par le grand linguiste Ferdinand de Saussure. Le parl nest donc jamais ralis autrement que sous forme de parole et cest lensemble de paroles qui constitue la langue parle en gnral. Cest seulement par recoupement quil est possible de dgager les traits de la langue parle qui se retrouvent dans toutes les paroles. Cest dire, que cette opration est dlicate car lindividu agit sur la faon de parler des autres en mme temps quil subit lui-mme laction que ceux-ci exercent sur lui. Tel trait particulier qui ne caractrise quun seul parleur peut se gnraliser par imitation ou contagion. Il suffit de prter loreille avec un peu dattention pour sen rendre compte dans la vie de tous les jours. 4.1 Les innovations du parl

    Lune des plus frappantes de ces innovations est celle qui consiste substituer un verbe spcialis dans lexpression dun procs dtermin une combinaison faite dun verbe auxiliaire et dun attribut du sujet, trs souvent fourni par un participe pass. On entend et on lit ainsi : Le ciel deviendra couvert (Figaro; 2-2-1970), Le ciel deviendra pluvieux dans la soire etc. Quil sagisse bien dune forme parle de le langue ; cest ce que trahit la phrase : Les claircies deviendront un peu plus dveloppes que la veille dans louest. Cette communication est vraiment intelligible que si elle est parle ou ralise phontiquement. En effet, une csure doit tre marque entre la veille et dans louest car le complment circonstanciel de lieu se rapporte au verbe. Sans csure, il sagit dun qualifiant de la veille et cela veut dire que les claircies seront un peu plus dveloppes quelles ne ltaient dans louest mais quelles stendront au reste du pays ! Un ancien ministre a dit : le risque est quon devient asphyxi. On ne compte plus les formules :

    Cest devenu la mode Cest devenu dactualit La Scurit Sociale redevient dactualit Les rats sont devenus affams Notre organisation est devenue totalement inadapte (un ancien ministre). Un chroniqueur scientifique trs populaire a affirm : Nous devenons daccord. Dans certains emplois, cette locution prend le sens dun passif en

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    train de saccomplir : Les routes deviennent trs encombres par les poids lourds et passe dans lcrit : A la fin de huit annes dIke, la nouvelle salle, pourtant vaste, tait devenue encombre par les projecteurs, les camras et des batteries lectroniques. Enfin on a entendu Un plus grand nombre dAmricains deviendraient opposs la politique du Prsident Nixon. Il est clair que ces locutions prsentent un avantage : elles indiquent le procs en cours et quand elles se construisent avec un participe pass, elles prcisent que le rsultat de ce procs est permanent. Lnonc Le ciel se couvrir ne veut pas dire quil restera ensuite couvert. Le futur se borne faire prvoir un procs qui se ralisera sans pourtant quon sache si la situation cre se maintiendra plus on moins longtemps. Ainsi la langue se trouve quipe dune formule simple pour exprimer le devenir dun tat de choses qui est susceptible ensuite de durer. Toutefois, il ne faut pas se dissimuler que labus de ces constructions recle un danger quand on se met dire (et crire) : Les claircies deviendront de plus en plus dveloppes, au lieu du simple : Les claircies se dvelopperont de plus en plus ; car ici le verbe se dvelopper exprime par lui mme la notion de devenir et lon se reprsente mal que des claircies acquirent durablement un caractre dvelopp ; mais lusage ne sest pas encore dcant si lon peut dire, et cela provient aussi bien de lindiffrence montre par les responsables de lenseignement quant la rgulation de la langue. Leur seul souci est de veiller ce quils croient tre la sauvegarde de la langue, cest--dire de la langue crite et plus spcialement de son orthographe. Une tournure devenue extraordinairement frquente est celle o lattribut du sujet est prcd par la prposition de : Quand la fondre tombait, il y avait toujours plusieurs appareils dabms. Il y a dautres finales de connues aujourdhui. Il ny a pas de date de prcise. Ces constructions sont presque de rigueur avec un nom de nombre : Javais eu huit jours de tranquilles. Nous avons eu deux hommes de blesss (commandant des sapeurs-pompiers dune caserne de Paris). Il y a du recrutement de prvu lan prochain (haut fonctionnaire de PTT). Lemploi de la prposition a lavantage de permettre dchapper lambigut qui nat si le parleur ne spare pas au moyen dune csure lattribut et le terme qui sy rapporte. Lnonc en continu de : Il ny a eu aucun record battu ne signifie pas ncessairement que personne na battu de record. On pourrait lentendre dans lacception : il n y a pas eu de ces records dj battus. Paralllement : Nous avons eu deux hommes de

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    blesss est une expression de constat, alors que, mis en continu, Nous avons en deux hommes blesss peut sinterprter en nous avons eu deux hommes qui taient (dj) blesss. La prposition de prcise quil sest agi de constater quelque chose qui vient de se produire. Quil en est bien ainsi est illustr par lassociation de cette construction avec le verbe avoir et trs souvent avec lemploi d avoir dans la locution il y a, il y avait, il y aura, etc. : Il y aura des places de rserves Il y a plusieurs personnes darrives, etc. Lemploi d il y a (prononc ngligemment ja et de mme sert souvent dans le style familier introduire une communication contenant un constat : Il y a une voiture qui est arrive Il y avait sur la route un camion qui avait t accident Il y a eu un incendie qui a clat. On a pu ainsi entendre : Il y a eu un homme qui a t tu ce soir Belfast. Il aurait t apparemment aussi facile et surtout aussi conomique de dire : Un homme a t tu ce soir Belfast, mais le journaliste qui prsentait le journal, au moment de concevoir sa phrase, a probablement pens dabord lvnement et il sest alors saisi dune formule qui permettait dintroduire la notion de constat avant mme davoir achev la pr construction de lnonc. Cest l une raction typique du sujet parlant. La locution cest (ctait, ce sera, se serait, etc.), rarement accord au pluriel, rend des services analogues. Elle introduit un constat qui est ensuite complt par le reste de lnonc que le parleur sest ainsi donn le temps dorganiser en lanant dabord cest (ctait, ce sera, etc.) : Cest vingt minutes de gagnes. On pourrait dire : Vingt minutes ont t gagnes ou plus frquemment : On a gagn vingt minutes, mais il aurait alors fallu dcider tout de suite par quoi commencer. Le recours cest permet de saccorder un dlai. Dans cette fonction, la locution cest ne met pas spcialement en valeur tel ou tel terme de lnonc, ce qui serait le cas dans : Cest vingt minutes quon a gagnes. Une locution : Cest le facteur qui vient darriver ne met pas en relief le larme facteur mais communique un constant qui pourrait tout aussi bien sexprimer par Le facteur est arriv. La locution cest rend aussi dautres services, notamment dans un nonc comme celui-ci: -En souhaitant que cest lEurope qui en profitera), o llment cest a tout simplement servi darticulation dans lattente de la suite de lnonc. Prconstruit temps, cet nonc se serait probablement entendu : En souhaitant que ce soit lEurope qui en profite (auquel cas Europe aurait t mis un relief), ou encore : En souhaitant que lEurope en profite. En effet, la modulation de la phrase cite ne comportait aucun accent dintensit ni sur cest ni sur Europe. Cette fonction articulatoire de la locution cest apparat trs nettement dans des constructions dune extrme frquence telles que :

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    La vrit, cest que le pays nest pas mr Son opinion lui ; cest que le mdecin sest tromp Lautoroute, cest bien commode. Le parleur lance d abord le mot qui est prsent au premier plan dans son esprit et il sappuie ensuite sur llment cest pour construire le reste. Le verbe avoir entre par ailleurs dans des formules non moins frquentes du type : Elle a un frre qui a t fusill par les Allemands. On entend aussi : Elle a sa mre qui est malade Sa femme avait son oncle qui tait lhpital. Ici encore, lemploi du verbe avoir sert introduire la communication que le parleur se donne ainsi le temps dorganiser. Plus gnralement, il semble que dans la langue parle de style familier, on ait quelque rpugnance employer dans certains cas le possessif pour commencer une phrase. On a pu noter, entre autres, des noncs tels que : Le frre delle est employ aux P.T.T. Un cousin de lui est vtrinaire qui alternent avec : Il a un cousin qui est capitaine au long cours Jai ma soeur qui est institutrice. Sauvageot, Franais crit franais parl, Larousse, Paris, 1962. 4.2 Les fautes parles Il y a dabord les fautes de prononciation. Toutefois ces fautes ne sont releves que par rapport la prononciation des sujets qui sexpriment dans la varit de la langue dont il est trait ici. Il y a faute, et, si lusage parl en souffre, la langue crite est expose en souffrir encore davantage, ainsi quil apparat de la phrase suivante lue dans un grand quotidien de Paris : Si V.R. ne prvoyait pas, la semaine dernire encore, devoir attendre des jours meilleurs sous les frondaisons qui entourent la prison modle de Ainsi, le cercle est boucl et la langue crite a t contamine. Dautant plus que la prposition nest pas seule en cause. On a entendu : Le pays aimerait bien davoir un gouvernement et aussi Ni les pouvoirs, ni lUniversit ne songent dluder les ncessaires rformes. Le choix de la prposition est lorigine de nombreuses confusions dues galement des contaminations : Il faut se mettre lesprit la situation gographique a dit devant le micro un avocat. Dans le langage dit populaire, lemploi d sest substitu celui de de dans des constructions telles que : Elle a mis la robe sa sur, Cest la voiture au docteur, Jai pas voulu me servir du vlo Jean.

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    Autre confusion, le pronom lui (et au pluriel leur) sest introduit la place de l, le, la, les dans le clich : Quest-ce qui lui prend ? On a pu ainsi entendre : Les questions auxquelles je dsirais lui voir rpondre. Il est vident que cet emploi provient de lambigut des nonces o cest la 1-re ou la 2-e personne du complment dobjet qui est combin avec le verbe prendre. Quest-ce qui te prend ? J sais pas ce qui ma pris, etc. Les formes du pronom personnel de 1-re et 2-e personnes, aussi bien au pluriel quau singulier, peuvent en effet la fois dsigner le complment dobjet et celui dattribution. Le besoin ressenti par les sujets parlants de mettre en relief le vocable qui supporte tel concept ou tel autre est de son ct lorigine dinnombrables incorrections dont certaines dfient le bon sens. Les emplois abusifs de la locution au maximum ont t dj bien des fois signals dans toutes sortes de publications. Ainsi, un ministre a dclar la face du public : Le gouvernement sest efforc de tenir les prix au maximum. Il avait voulu dire : Le gouvernement sest efforc au maximum de tenir les prix. On a pu entendre : Cest une tentative pour minimiser au maximum la victoire des majoritaires. Les mots maximum et, dans une moindre mesure minimum, se son pratiquement vids de leur signification propre pour ntre plus que des outils utiliss en vue de mettre une affirmation en relief. Il sont souvent aussi employs en tant que substantifs mesurant la quantit : un maximum de chances ; un minimum de bon sens, et il est assez cocasse dentendre ces emprunts latins, mal digrs, lancs au petit bonheur. Ces termes savants ont t mis profit, car le parleur se saisit de tout ce qui peut corser son expression. Pour la mme raison, les mots infrieur, suprieur, extrmes, peu intelligibles aux personnes sans instruction, ont t renforcs de la particule plus. Sur les autres lignes (du mtro) les rames circulent dans des proportions encore plus infrieures,/ avec les moyens les plus suprieurs. Faisons preuve de la plus extrme prudence / Il montre les plus extrmes rticences accepter le verdict des lections envisages. Mais la langue franaise, mme crite, ne possde ni suffixe de comparatif, ni suffixe de superlatif (sauf -issime dans quelques rares cas). Pour dceler que les mots en question sont des comparatifs ou des superlatifs, il faut avoir appris au moins un peu de latin. Paralllement, le mot total saccompagne presque automatiquement dsormais de la particule plus : dans le plus total dsordre, dans la plus totale indiffrence.

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    Ce mme dsir dappuyer lexpression par des moyens plus ou moins pesants se reflte dans les expressions : Ce d jeune tait prvu davance ; Il a fallu quil force la serrure pour y pntrer dedans ; Il est sorti dehors pour voir le temps quil faisait ; Elle est monte en haut le prvenir. 4.3 Lordre des mots Il nest pas douteux que ce qui gne souvent le locuteur franais, cest lordre des mots. Il a appris lcole ou au lyce quune phrase doit commencer par le sujet ; se continuer par le verbe et se terminer par les complments de celui-ci. Cet ordre thorique est observ assez souvent par lusager quand il crit. Il opre alors dans des conditions particulires ; il peut prendre le temps de construire mentalement son nonciation avant de la conclure sur le papier. Layant fait, il lui est loisible de revenir sur ce quil a crit et biffer ce qui ne lui parat pas satisfaisant. Il nest plus lesclave de la conscution des mots. Mais il nen est pas de mme quand on parle. Le premier mot lch veut tre suivi des autres qui sont ncessaires si lon veut aboutir former une nonciation cohrente. Le problme est alors de savoir si le premier mot qui vient aux lvres est celui qui fournit le sujet ou le dbut du groupe sujet de la phrase mettre. Lexprience rvle quil nen est pas souvent ainsi. Le premier mot qui vient aux lvres est celui qui reflte la notion qui a surgi la premire dans la conscience du sujet parlant. Si ce mot se rapporte, par exemple, au complment du verbe, il est claire quon ne pourra pas lutiliser tel quel pour commencer lnonciation, puisque le franais exige que le sujet prcde le verbe et que le complment le suive, surtout quand il sagit du complment dit dobjet. Soit les concepts suivants : voiture, garer, porche, sous, je supposons que le premier concept qui nous vient lesprit soit celui de voiture, il faudrait remanier lordre darrive des concepts pour aboutir construire lnonciation jai gar la voiture sous le porche. Une nonciation comme celle-ci est irrprochable du point de vue grammatical. Lordre est celui-l mme que recommande la grammaire normative: sujet (je), verbe (ai gar), complment dobjet (la voiture), complment circonstanciel de lieu (sous le porche). Dans la vie courante, le locuteur na pas le loisir de retaper sa phrase avant de la commencer. Il commence, et puis il se dbrouille pour continuer comme il peut. Quiconque a enregistr du parl spontan sait que lnonciation habituelle est faite de phrases dbouches, interrompues, reprises, souvent laisses inacheves ds que linterlocuteur manifeste dune manire ou dune autre quil a compris ce quon dsirait lui dire. Plus le locuteur fait effort pour transmettre une communication charge de sens, plus il a de difficult laborer son discours. Au contraire, les formules

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    toutes faites coulent pour ainsi dire de source, composes de clichs tellement rebattus que le sujet parlant les laisse chapper automatiquement. En franais parl, lexpdient le plus courant est lenvoi en avant du premier mot (ou de son groupe) et lemploi du pronom relais appropri. On dira ainsi : La voiture, je lai gare sous le porche. Le mot outil le/ la / l, les sert lindice de rappel en assumant la fonction de complment dobjet la place du mot qui a t profr dentre. En franais, le complment dobjet ne peut figurer qu deux emplacements: devant le corps du verbe conjugu sil est exprime par un pronom, et aprs le verbe sil est indiqu par un nom. Il arrive que nous pensions en premier lieu un pronom. Nous oprons alors exactement de la mme faon, car le pronom isol est projet en tte et sa fonction de complment dobjet est indique ensuite par le pronom relais : Lui, je lai aperu dans la rue. Eux, il ne les a plus revus. Roi, il ne me trompera pas. Nous, ils nous ont eus. Quand le complment dobjet est fourni par une subordonne, les choses se compliquent. Lusage parl rpugne placer en tte une subordonne complment dobjet, bien que la langue crite en connaisse lemploi : Quil sest trompe, je le crois. Que tu aies agi comme a, personne ne comprend. Sil la vu, je ne le sais pas. Que vous arriveriez aujourdhui, vous ne laviez pas crit. Souvent, une sorte de phrase coordonne est employe pour le cas o la notion supporte habituellement par une subordonne est place en dbut de phrase : Il sest tromp, je crois. La langue vulgaire va jusqu raliser des liaisons qui sont conues comme peu correctes ou mme totalement incorrectes : Tu tes gour, que je te dis. Tous ces expdients, loisibles ou rejetais par lusage, tendent une mme fin : permettre au locuteurs de rattraper llment de phrase jet en tte alors que, par la fonction quil doit assumer , il devrait figurer plus loin dans la phrase. Par ces procds, le franais moderne est parvenu se librer de la servitude que lui imposait lordre des mots, qui joue par ailleurs un rle dterminant dans la rpartition des mots et lindication de leur fonction les uns par rapport aux autres.

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    Il ny a pas que lemplacement du complment dobjet qui fasse difficult. Sauf quand il est employ en tant quimpratif, le verbe ne peut commencer la phrase. Il doit tre prcd du sujet. Les trs rares exceptions cette rgle concernent soit la langue potique, soit encore la langue administrative: Sont admis par ordre de mrite les candidates dont les noms suivent Dordinaire, le sujet vient le premier et le verbe le suit, le plus souvent immdiatement. Comment faire lorsquon pense dabord laction exprime par le verbe et que ce mot nous vient en premier lesprit ? Comme, par ailleurs, le mot qui reprsente le verbe ne saurait figurer isolment, mme dans le corps de la phrase, tant donn quil doit toujours tre combin un sujet, un premier expdient consiste employer le verbe avec le pronom sujet appropri et reprendre ensuite le sujet explicite : Ils nous ont eus, les bandits ! Elle est tombe en panne, la voiture ! Une lgre syncope marque souvent le passage du verbe au sujet explicite qui est ainsi nonc en reprise, comme une sorte de supplment d'information. Toutefois, cette construction nest possible quavec des verbes sans complment dobjet. En effet, quand un verbe est dot dun pareil complment et quil est pens en premier lieu, il est construit avec pronom relais : Il lavait aperue, la voiture. Elle lavait aperue, la voiture.

    On ne peut sen tirer alors quen tournant la construction du passif : Elle a t aperue par lui, la voiture. Dans ltat actuel des choses, le passif, ou ce quon est convenu dappeler ainsi en grammaire franaise, sert en ralit surtout permettre au sujet parlant demployer le verbe en tte ds que, pour une raison quelconque, il na pas su introduire sa phrase par le sujet explicite. Toutefois, dans le parl courant, nous avons relev une troisime combinaison qui est celle-ci: Il lavait aperue, lui, la voiture. Elle lavait aperue, elle, la voiture. Une dernire est quatrime construction tend se dvelopper considrablement ces derniers temps. Cest lemploi du passif introduit par le pronom il, dit pronom neutre. Il a t pris des mesures nergiques. Il a t oubli plusieurs cartes didentit. Les chercher la mairie. Il a t recherch des contacts avec les rebelles.

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    Ces constructions procdent de la mme intention : celle dexprimer le verbe en tte et de lui rattacher ensuite le sujet explicite. Quand le sujet explicite qui doit suivre nest pas clairement labor par le sujet parlant, on recourt faute de mieux llment il, qui laisse pour ainsi dire la porte ouverte toutes les solutions possibles concernant la nature exacte du sujet, que celui-ci soit du singulier ou du pluriel, du masculin ou du fminin. Il a t proclam un gal dsir dentente de part et dautre. Ces formules, videmment fautives selon les normes actuelles de notre grammaire, apparaissent mme dans la langue crite. Ces phnomnes ne sont pas confondre avec le rejet du pronom sujet (de 3-e personne presque uniquement) qui a t tudi par plusieurs auteurs dj, notamment par Le Bidos, dans une thse bien connue. Ce rejet caractrise la langue crite et tout au plus le parl de gens qui reproduisent plus ou moins la langue crite quand ils sexpriment dans certaines circonstances. Le langage parl spontan ignore les formules du type: Aussi convient- il dtre prudent, ou telle autre du mme schma. Quand le locuteur pense dabord au mot qui sert dattribut du sujet, il a la possibilit de le prononcer dentre et il reprend ensuite le verbe avec le sujet : Distrait, mon pre ltait plus que nimporte qui. On entend ainsi : Stupide il a t et il restera. Paralllement ; on trouve dans ces formules le mot attribut relay par le pronom appropri : Ridicule, il lest bien. Elgante, elle la toujours t. Quand il sagit dun constat, sans prcision de temps, on recourt la phrase nominale tout simplement, cest--dire que lon ne se sert plus du verbe tre au prsent: Vaniteux, l